Texte intégral
Les mauvais chiffres du chômage pour les mois de mai et juin ont replacé le problème de l’emploi au cœur de l’actualité. Sommes-nous condamnés au chômage à perpétuité ?
Il y a deux ans, j’ai consacré les mois de l’été à étudier à fond le problème du chômage. Cela faisait déjà six ans que François Mitterrand avec été réélu pour son second mandat, et, en dépit de ses promesses, on n’apercevait aucune amélioration de la situation de l’emploi. Notre majorité et son gouvernement de cohabitation s’étaient installés au pouvoir depuis quinze mois sans qu’on puisse déceler de redressement significatif.
Le chômage paraissait installé au centre de la société française comme un mal permanent, apparemment inguérissable.
La pensée qu’un problème de cette importance, parfaitement identifiable et dont les données étaient mesurables, ne trouvait pas de solution révoltait ma conscience polytechnicienne ! J’ai réuni un petit groupe de spécialistes, composé de personnalités remarquables, tel ce directeur des ressources humaines d’un grand groupe pharmaceutique. Nous avons dépouillé des centaines d’études, interrogé des programmes informatiques, auditionné des experts, et, peu à peu, certaines évidences se sont imposées à nous.
D’abord que le traitement administratif du chômage n’avait aucune chance de réussir, comme jadis les efforts désespérés de l’administration pour juguler la hausse des prix ! les derniers chiffres du chômage en apportent, s’il en était besoin, la preuve.
Ensuite que le chômage, comme toutes les grandes données domestiques, était le résultat d’une comparaison entre l’offre et la demande, prenant en compte des éléments objectifs : le besoin de main-d’œuvre dans le secteur productif, la productivité du travail, le coût de la main-d’œuvre. Les mouvements de ces éléments déterminent un niveau d’équilibre entre l’offre et la demande du travail, qui peut se situer au voisinage du plein-emploi, ou à un niveau moindre, niveau qui est malheureusement, dans la France d’aujourd’hui, inférieur de 12 % au taux de plein-emploi !
Pourquoi le marché du travail ne rétablit-il pas spontanément un équilibre plus satisfaisant ? Cela tient aux contraintes qu’il subit, qui ont pour effet de restreindre l’offre d’emplois. La principale de ces contraintes est en France celle qui concerne le coût du travail, et particulièrement le coût du travail peu qualifié.
Pour quoi le marché du travail ne rétablit-il pas spontanément un équilibre plus satisfaisant ? Cela tient aux contraintes qu’il subit, qui ont pour effet de restreindre l’offre d’emplois. La principale de ces contraintes est en France celle qui concerne le coût du travail, et particulièrement le coût du travail peu qualifié.
En approfondissant nos recherches, nous avons eu le sentiment d’avoir mis le doigt sur le nœud gordien Je résume notre conclusion : il existe en France une véritable zone d’exclusion d’emplois, dans laquelle il est impossible à un employeur d’embaucher un travailleur en le payant au niveau correspondant à la valeur de son travail. C’est la zone comprise en le niveau officiel du Smic, soit aujourd’hui 6 406,79 francs par mois, et le niveau du Smic majoré des charges obligatoires, soit 9 100 francs par mois.
Dans cette large zone, comprise entre le Smic et le Smic plus 40 %, et bordée par ce que j’ai appelé le mur de l’emploi, il est interdit d’embaucher un travailleur que l’on rémunérerait pour la valeur exacte de son travail ! Or c’est précisément dans cette zone que se trouve l’immense masse des demandeurs d’emploi peu qualifiés.
Nous avons pu évaluer, à partir de graphiques informatiques, que la suppression des charges sociales sur les salaires dans cette zone, ou même la fixation de ces charges à un taux uniforme de 10 %, permettrait de dégager une offre d’emplois supplémentaires de l’ordre de 1,5 million de personnes, et de nous rapprocher d’une situation normale de plein-emploi, pour peu que la conjoncture redevienne favorable.
« On ne peut pas prétendre combattre le chômage et imposer une surtaxe de plus de 40 % sur les salaires versés aux travailleurs peu qualifiés. »
Ainsi, nous touchions au port : l’action à engager par priorité en faveur de l’emploi consistait en une réduction instantanée générale et forfaitaire des cotisations sociales sur tous les bas salaires.
J’ai représenté ces conclusions dans deux longs articles que Le Figaro a publiés en septembre 1994, avant le début de la campagne présidentielle, en espérant qu’elles contribueraient au débat. Et j’ai observé les réactions.
Dans l’ensemble, elles ont été positives, mais tièdes. On ne sentait pas de véritable détermination à agir. Personne ne contestait sérieusement l’analyse, mais on a vite fait dériver le débat vers le problème du financement : qui va payer les moins-values de cotisations ? C’est largement un faix problème, car on peut démontrer que le retour au plein-emploi s’autofinancerait pour l’essentiel par la montée des cotisations sociales et la réduction de l’aide publique aux chômeurs. À titre de précaution, j’ai suggéré une hausse temporaire du taux de la TVA. On s’en est indigné. Comble d’ironie : nous avons eu la hausse de la TVA, mais sans la baisse massive des cotisations sociales !
La campagne présidentielle a bien montré que le milieu politique restait attaché au traitement administratif du chômage, en venant ajouter une vingt-cinquième procédure d’aide à l’emploi aux vingt-quatre qui existaient déjà, telles que nous avons pu les recenser en Auvergne !
Voici qu’après quinze mois d’expérience la preuve est faite de l’inefficacité de la méthode. Et, d’ailleurs, on commence à démanteler discrètement certains dispositifs, jugés trop coûteux pour leur faible efficacité.
Je renouvelle ma proposition avec d’autant plus de conviction que le taux de croissance espéré pour 1997 ne permettra pas d’aboutir à une création nette d’emplois !
Nous ne reviendrons vers le plein-emploi que si nous modifions sur un point essentiel les données du marché du travail : on ne peut pas prétendre combattre le chômage et imposer une surtaxe de plus de 40 % sur les salaires versés aux travailleurs peu qualifiés. En le faisant, on pousse directement à la mécanisation excessive des tâches, à la délocalisation des productions qui emploient une main-d’œuvre peu qualifiée, à la réduction du nombre des personnes utilisées dans les services, et, bien sûr, au travail au noir.
Teilhard de Chardin implorait que l’esprit s’ouvre à la lumière de l’évidence. Pour combien de temps encore le nôtre se refusera-t-il à reconnaître celle-ci ?