Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur l'esclavage et sur le programme des manifestations du 150ème anniversaire de son abolition, Paris le 7 avril 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation des manifestations officielles pour la célébration du 150ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage, à Paris, le 7 avril 1998

Texte intégral

Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue, ici à l'Assemblée nationale, pour cette conférence de presse qui permettra de présenter le programme officiel des cérémonies marquant le 150ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage.

Pourquoi ici ? Parce qu'il ne pouvait exister meilleur endroit pour accueillir cette victoire du droit, que notre Assemblée nationale, maison de tous et que je souhaite ouverte à tous. Accueil de grands événements, soutien de grandes causes ou visites de chefs de Gouvernement étrangers, je songe à Abdou Diouf et à Nelson Mandela dont j'espère qu'ils viendront ici même avant la fin de l'année, tout cela ne forme qu'une même démarche. Nous l'accomplissons, Gouvernement et Assemblée ensemble, et je suis heureux d'accueillir aujourd'hui Madame Trautmann et Monsieur Queyranne.

Puisqu'il s'agit d'histoire, évitons les visions fausses. L'esclavage fut pratiqué dès le dix-septième siècle sur les terres de France, aboli en 1794, rétabli à l'aube du 19ème siècle. Cette tâche est une tache indélébile de barbarie sur le tissu des libertés ! Jusqu'en 1848, notre déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aussi magnifique soit-elle, n'était à cet égard qu'une sorte d'incantation sélective, puisque, malgré ses principes, des centaines de milliers d'hommes et de femmes naissaient et demeuraient ni libres, ni égaux en droits mais asservis à raison de leur couleur. Même si, ainsi que me le fait remarquer notre collègue Henri Jean Baptiste, l'esclavage fut aboli à Mayotte par ordonnance du 9 décembre 1846, ce fut bien le décret du 27 avril 1848 qui créa une rupture, répara une brisure et fit de notre pays un Etat de tous les citoyens " libres, égaux, fraternels ". C'est la France entière qui alors en fut grandie.

Les historiens ont montré comment Victor Schoelcher sut y parvenir. Sa démarche n'aurait pas été possible si elle n'avait été la résultante de trois avancées, celles de l'humanité gagnée par les idées des "grandes religions de salut terrestre " vers la fraternité ; celles que permirent les conquêtes des esclaves eux-mêmes pour obtenir leur libération ; enfin le travail d'explication et de conviction, politique et scientifique, des esprits éclairés et désintéressés qui entouraient la personnalité entraînante que fut Victor Schoelcher. Comme toujours, une liberté ne se construit que dans le combat des hommes, la victoire de l'esprit et la légitimité du droit.

Ce n'est pas un hasard si la réduction des peuples en esclavage figure aujourd'hui parmi les crimes contre l'humanité que réprime notre Code pénal. C'est justice si le Tribunal de Nuremberg en fit un chef d'inculpation contre les Nazis. Il serait juste que, demain, un Tribunal pénal international permanent, car il faudra bien qu'il se crée, inscrive la mise en esclavage comme un crime imprescriptible et universel contre l'humanité.

Pourquoi célébrer cet événement vieux d'un siècle et demi ? C'est qu'il fut un acte libérateur essentiel et que les esclavages encore à abolir ne manquent pas. Oui, il y a encore beaucoup à faire. Des enfants au travail, des femmes encagées derrière l'intolérance, des peuples asservis aux folies de leurs dictateurs, des détenus qu'on traite comme des bêtes de somme, les exemples sont nombreux. Les jouets que nous achetons, les vêtements que nous portons n'ont souvent pas été faits autrement. L'humanité doit y mettre fin.

Plus largement, il y a tous les esclavages de la misère, du chômage et de l'ignorance. La haine, l'intolérance ne sont pas l'apanage des temps révolus ou des contrées lointaines. Sur nos places, dans nos rues, il y a la menace que font peser ceux qui prônent l'inégalité des peuples et des races, fondement théorique de l'esclavage. Fêter l'abolition de l'esclavage à l'Assemblée, c'est aussi rappeler à tous la nécessité de défendre un patrimoine commun que des femmes et des hommes courageux et déterminés nous ont légués.

Comment s'étonner alors que notre campagne commune s'intitule" Tous nés en 1848" ? De même qu'un enfant met neuf mois à naître, nos célébrations dureront le temps d'une gestation humaine, en commençant dès la fin avril par une mobilisation des plus hautes autorités de l'Etat autour du souvenir de Schoelcher et de son décret. Ces manifestations ne se dérouleront bien sûr pas toutes à Paris, mais à Champagney d'abord, dont le cahier de doléances sera réédité par l'Assemblée, puis dans chacun des départements d'outre-mer, jusqu'en décembre.

Car cette célébration de la République et de la citoyenneté pour tous sera l'occasion d'un témoignage particulier de la Nation à la France d'Outre-mer." Outre-mer", l'expression semble parfois séparer plus qu'elle ne réunit, et en réalité plus de terre que de mer sépare physiquement la métropole de la Réunion ; j'ajoute que c'est un océan plus qu'une mer qu'il faut franchir pour la Guyane et les Antilles. Pour moi, les territoires et départements " d'outre-mer " sont d'abord " l'outre-France ", la France portée à sa quintessence dans la générosité et le métissage, dans le dynamisme comme dans la soif de justice.

Oui," Outre-France ", parce que ce sont les valeurs mêmes de la République qui s'expriment, parce que les D.O.M. et les T.O.M représentent une chance pour la France entière, laboratoire des mélanges de cultures, de sons et de lumières, terres avancées vers les civilisations qui se développeront au 21ème siècle, au plus près des Amériques, aux côtés de l'Afrique ou autour de la nouvelle Méditerranée " pacifique".

Pour toutes ces raisons, avec le Gouvernement, l'Assemblée nationale sera au cœur de cette commémoration, précédée par le succès populaire de notre exposition sur 1848. Nous avons choisi de consacrer à l'abolition de l'esclavage toute notre journée porte ouverte du samedi 25 avril. Elle débutera par l'accueil de 1.200 enfants venus de toute la France, dont 200 venus de l'outre-mer. Ensemble, nous inaugurerons l'exposition des productions et expressions artistiques que d'autres enfants et des jeunes ont réalisées sous l'égide de la Fondation R.A.T.P., entreprise partenaire dont l'image, le profil, l'utilité me paraissent devoir être ici associés. Nos amis philatélistes pourront également profiter du premier jour de l'émission du timbre que nous avons demandé de réaliser spécialement à un grand artiste haïtien, Hervé Télémaque. Les associations de ressortissants d'outre-mer, dont certaines participent le matin du 25 à un important colloque au Sénat, seront invitées à s'associer l'après-midi à notre journée " portes ouvertes ". Enfin, comme il n'y a pas de fête sans musiques en

"Outre-France ", il est prévu un programme musical et poétique tout au long de la journée dans la cour d'honneur du Palais-Bourbon auquel vous êtes bien évidemment conviés le 25 avril.

Evocations de la liberté, témoignages pour la France de demain, musiques : voici quelques roses qu'à notre tour, nous déposerons auprès du souvenir de Schoelcher et de son ouvre magnifique de liberté et d'égalité.