Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à Paris le 15 septembre 1996 et interview à RMC le 16, sur le déroulement des élections en Bosnie, les propos de M. Le Pen sur "l'inégalité des races", et sur sa préférence pour le scrutin majoritaire.

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Circonstance : Elections en Bosnie Herzégovine le 14 septembre 1996

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Déclaration du ministre des Affaires Étrangères, M. Hervé de Charrette (Paris, 15 septembre 1996)

Les élections qui se sont tenues hier en Bosnie-Herzégovine sont les premières depuis la fin des hostilités dans l'ex-Yougoslavie.

La campagne électorale a été d'un bon niveau et l'on n'a eu à déplorer aucun trouble majeur.

Malgré un contexte passionné et certains incidents, le scrutin s'est déroulé dans l'ensemble de façon satisfaisante. L'action des forces internationales a facilité le déroulement des opérations de vote sur le terrain.

Il est trop tôt pour préjuger des résultats : on peut toutefois noter que près de deux électeurs sur trois se sont rendus aux urnes.

C'est un signe appréciable pour la démocratie. Les électeurs ont compris que le scrutin représentait une étape importante du processus de paix puisqu'il va permettre la mise en place des nouvelles institutions de la Bosnie-Herzégovine.

La France se félicite de ce processus auquel elle continuera, avec l'Union européenne, à apporter tout son soutien, notamment dans la phase de consolidation de la paix et de la démocratie qui s'ouvre désormais, et pour laquelle elle a déjà annoncé ses propositions.

 

RMC - lundi 16 septembre 1996

P. Lapousterle : Les élections ont eu lieu en Bosnie. Il y a eu quelques incidents pendant ces élections, peut-on s'attendre à une multiplication des contestations et est-ce que cela peut remettre en cause l'existence et la bonne fin du scrutin ?

H. de Charette : Je ne crois pas. On va faire le bilan naturellement, mais je ne crois pas. Il me semble qu'il y a eu en effet quelques incidents mais, pour l'essentiel, cette élection a été marquée par une très forte participation. Enfin, les électeurs, les citoyens parlent, s'expriment et choisissent.

P. Lapousterle : Et tant pis alors pour la division de la Bosnie, parce que cela consacre finalement la division de la Bosnie.

H. de Charette : Non, cela ne consacre pas la division de la Bosnie. Au contraire, il s'agissait aussi d'élire la présidence collégiale de la Bosnie-Herzégovine et le Parlement de cette Bosnie-Herzégovine. Vous savez que la France, à mon initiative, invite à Paris dans les prochains jours...

P. Lapousterle : C'est quand, au fait ?

H. de Charette : J'espère que ce sera d'ici la fin de la semaine. La France invite, sur le chemin de New York, Milosevic et lzetbegovic pour que nous puissions parler ensemble de l'avenir.

P. Lapousterle : Il y aura un règlement possible à votre avis ?

H. de Charette : Je l'espère.

P. Lapousterle : Autre « front », c'est celui qui oppose en ce moment les États-Unis d'Amérique et l'Irak. Le ton monte depuis quelques jours. Est-ce qu'il y a quelque danger à la hausse de ton récente ?

H. de Charette : Oui, il y a des dangers. Comme vous le savez, nous nous sommes félicités et d'ailleurs nous y avions contribué, au fait que l'Irak ait renoncé à menacer les avions qui font la surveillance du ciel dans le Nord et dans le Sud du pays. Je crois que chacun doit apporter sa contribution pour faire baisser la tension. C'est, en tout cas, le rôle que la France s'est assigné dans cette affaire.

P. Lapousterle : Sans succès jusqu'à présent ?

H. de Charette : Non, pas sans succès. Et j'espère que nous aurons finalement gain de cause.

P. Lapousterle : Un mot quand même sur ce qui s'est passé en Italie, hier. U. Bossi, chef sécessionniste, a proclamé à Venise l'indépendance de la Padanie. Est-ce que c'est une nouvelle qui vous inquiète ou que vous prenez avec sérénité ?

H. de Charette : Je la prends avec une relative sérénité. Sauf que c'est une preuve de plus du désarroi des esprits qui règne aujourd'hui et pas seulement en France mais aussi en Europe.

P. Lapousterle : À propos de désordre des esprits, un mot sur le Front national dont le chef, J.-M Le Pen, a proclamé l'inégalité des races. Des membres de la majorité, y compris des ministres du gouvernement auquel vous appartenez, ont demandé l'application des lois antiracistes qui existent déjà. Pourquoi finalement ne pas le faire ?

H. de Charette : D'abord, l'analyse du garde des Sceaux est que les lois, telles qu'elles sont rédigées, ne permettraient pas d'obtenir la condamnation de tels propos. C'est pourquoi je comprends, et j'approuve personnellement, la suggestion faite par J. Toubon de réviser ces lois au cours de ces premières semaines, au cours de la session parlementaire. Ceci dit, chacun est unanime à condamner ces propos. Au fond, ce qui est condamnable, c'est le concept même de race ! Aucun scientifique n'a jamais donné à ce concept de race quelque contenu que ce soit. C'est un concept qui, par lui-même, divise et méprise les hommes. C'est cela qui est inacceptable.

P. Lapousterle : Il y a donc en ce moment un chef de parti en France qui dit officiellement le contraire de ce que vous venez dire et qui n'est pas sanctionné par les lois et qui peut donc continuer de le dire demain ?

H. de Charette : C'est cela la question. En fait, comme vous le savez, il y a plusieurs plaintes déposées contre les propos de J.-M. Le Pen. La justice a été saisie et elle-même va dire si les lois permettent, en effet, de condamner ces propos. Si ce n'était pas le cas, je le répète, il faut que les lois soient aménagées de telle sorte que les conceptions racistes n'aient pas le droit de cité dans notre pays.

P. Lapousterle : Quelle est la bonne méthode pour combattre les idées actuellement répandues par J.-M. Le Pen en France ?

H. de Charette : Votre question est judicieuse parce que la condamnation par les tribunaux est une chose mais le fait que ces idées se répandent dans des minorités en est une autre et est hélas préoccupante. Je crois que nous devons avoir une très grande détermination dans le combat politique que nous menons de tous côtés - majorité et opposition - pour faire en sorte que ces idées ne se répandent pas, pour convaincre et dissuader tous nos compatriotes, y compris ceux que les circonstances ou la situation dans laquelle ils se trouvent peuvent exposer à ces idées.

P. Lapousterle : Mais cela fait treize ans que le Front national existe et si on regarde la courbe depuis treize ans, on assiste à une hausse régulière du score du Front national à toutes les élections.

H. de Charette : Je partage votre inquiétude, c'est aussi la nôtre. Cette situation provient sans nul doute de ce que les problèmes ne sont pas résolus. Tant que le chômage augmente, tant que la situation dans un certain nombre de banlieues, un certain nombre de villes se dégrade ou ne se résout pas, tant que le problème de l'immigration lui-même ne parvient pas à être pleinement résolu, il est vrai que tout cela fait le lit du Front national. C'est bien pour cela qu'aujourd'hui pour combattre, il faut agir.

P. Lapousterle : Le Gouvernement auquel vous appartenez a dit réfléchir en ce moment à une dose de proportionnelle qui permettrait à tous les courants politiques d’être représentés à l'Assemblée nationale et donc évidemment au Front national. Est-ce que vous pensez que c'est une idée judicieuse en ce moment ?

H. de Charette : Débattre n'est jamais une mauvaise idée, réfléchir est toujours judicieux. Personnellement, dans ce débat, j'irai avec la préoccupation de défendre le scrutin majoritaire parce que c'est le scrutin de la Ve République, c'est celui qui a assuré la stabilité politique dans notre pays, permis à nos concitoyens de faire des choix clairs et de faire en sorte que le Gouvernement soit dirigé avec cohérence et solidité. C'est comme cela depuis 1958 et je ne vois pas bien ce que cela apporterait de changer. Je vais même ajouter un mot de plus. Qu'est-ce qui fait que, dans beaucoup de régions, il est très difficile d'avoir une direction cohérente ? C'est qu'aujourd'hui, il n'y a pas de majorité à cause précisément du scrutin proportionnel. La démarche que nous devons avoir, c'est plutôt de mettre du scrutin majoritaire dans les régions que d'affaiblir le scrutin majoritaire là où il se trouve. Pour ce scrutin majoritaire, je serai très actif car je crois qu'il est l'expression très claire de l'exigence de cohérence dont notre pays a besoin.

P. Lapousterle : Il y a beaucoup de liberté dans la majorité à laquelle vous appartenez et dont vous êtes un des responsables. On entend quand même des gens aussi éminents que Messieurs Balladur, Madelin, Pasqua, Séguin de temps en temps, Léotard certains jours, critiquer assez vertement le Gouvernement. Est-ce que ce n'est pas, aux yeux de vos électeurs, une pétaudière que la majorité ? Est-ce qu'il est, à votre avis, temps de mettre un peu d'ordre ou bien pensez-vous que c'est là l'exercice normal de la démocratie et qu'il faut que cela continue ?

H. de Charette : Essayons d'y voir clair. Je crois que le débat, dans la majorité comme dans l'opposition, entre la majorité et l'opposition, bref le débat fait partie de la démocratie. En soi, je crois qu'il faut être favorable au débat Je ne vois aucune raison de l'empêcher. Mais je crois aussi que la façon dont il se déroule tient les Français éloignés de la politique et les confirme dans l'idée que cela ne les regarde pas. La politique, ce n'est pas les petites phrases du week-end, les piques contre les uns et contre les autres mais la politique c'est la vie, c'est la feuille de paye, c'est l’avenir des enfants, c'est la sécurité dans les rues. Voilà, c'est cela la politique ! Sur ce sujet-là, c'est toujours utile, bien pour la démocratie que ce débat ait lieu.

P. Lapousterle : Est-ce que l'on doit comprendre qu'il serait temps que la majorité apparaisse plus cohérente qu'elle n 'apparaît en ce moment ?

H. de Charette : Naturellement. Dans l'opinion, s'exprime un besoin d'unité et j'espère que la majorité, au cours de la session parlementaire qui va s'ouvrir, saura marquer, au-delà du légitime débat, sa réelle unité.

P. Lapousterle : Qui doit rappeler à l'ordre la majorité ? Le président de la République ? Le Premier ministre ?

H. de Charette : Je ne crois pas que ce soit par des rappels à l'ordre que l'on obtient les choses. Je veux espérer que les dirigeants des partis politiques de qui on attend des choix précis et clairs sauront marquer leur unité autour du Gouvernement et bien sûr autour du président de la République.

P. Lapousterle : Les Français sont très réservés vis-à-vis de ce gouvernement, pensez-vous que 1998 est une échéance gagnable ?

H. de Charette : Oui, franchement oui ! Je crois que les Français, qui sont des gens remplis de bon sens, savent que la situation est à la fois difficile et complexe. Les Français, qui sont des gens cohérents, savent qu'il faut donner au président de la République le temps dont il a besoin pour apporter les réformes qu'il a promises. Je crois qu'en effet, les meilleures conditions sont réunies pour gagner les élections sauf, naturellement, si la majorité y met tellement du sien qu'elle finisse par décourager ses électeurs. Mais j'espère que non !