Interviews de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "Le Point" et "Le Figaro magazine" du 22 juin 1996, sur les conséquences de la crise de la "vache folle" pour les éleveurs et les mesures à mettre en oeuvre en leur faveur.

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Média : Le Figaro Magazine - Le Point

Texte intégral

Le Point - 22 juin 1996

Le Point : Le « plan social » proposé par Philippe Vasseur, le ministre de l'Agriculture, est-il suffisant pour compenser les 25 % de baisse des ventes de bovins en France ?

Luc Guyau : Même si ces propositions vont dans le bon sens, elles restent des propositions. Nous attendons de voir quelles seront les mesures définitives adoptées par le gouvernement pour aider la filière bovine.

Le Point : Des fraudes sur les farines animales ont été récemment découvertes. N'est-il pas préférable d'en interdire la distribution pour tous les animaux ?

Luc Guyau : Nous nous en remettons aux avis des scientifiques. S'il est démontré que l'utilisation de farines animales est dangereuse pour l'homme, alors nous soutiendrons leur retrait. Jusqu'à présent, seuls certains morceaux du bœuf semblent dangereux. Si des fraudes sont constatées, elles doivent être sanctionnées, qu'elles soient l'œuvre de politiques, d'industriels ou d'éleveurs.

Le Point : Le mouton est lui aussi mis sous surveillance. Est-on à la veille d'une nouvelle catastrophe pour les éleveurs ?

Luc Guyau : La mise d'une production sous surveillance est toujours négative. La filière ovine risque à son tour de connaître des baisses de consommation. Des mesures nuisant aux producteurs ne devront pourtant être prises que si la santé des consommateurs est en jeu. Ce qui n'a pas encore été formellement établi.

 

Le Figaro Magazine - 22 juin 1996

Catherine Nay : Quelle est la situation actuelle des éleveurs français ?

Luc Guyau, président de la FNSEA : Les éleveurs sont aujourd’hui partagés entre le désespoir et un sentiment d’injustice. Désespoir parce que les éleveurs qui veulent vivre de leur métier ne le peuvent plus. Les pertes qu’ils subissent sont considérables : entre 3 F et 4 F par kilogramme, soit entre 1 500 F et 2 000 F par bête. Et un sentiment d’injustice parce que les agriculteurs français subissent une crise dont ils ne sont pas responsables.

Catherine Nay : Combien sont-ils ?

Luc Guyau : En France, cent vingt mille agriculteurs vivent uniquement de la production de viande bovine. Et près du quart d’entre eux sont aujourd’hui sur le point de mettre la clef sous la porte. C’est en priorité vers ces producteurs que les efforts des pouvoirs publics doivent porter. N’oublions pas qu’avant la crise le revenu des éleveurs bovins était au plus bas de l’échelle des revenus agricoles. La production bovine française représente à elle seule le quart de la production totale européenne. Elle joue aussi un rôle primordial en terme d’aménagement du territoire et d’occupation de l’espace. C’est ce type de production que nous voulons sauver à tout prix.

Catherine Nay : Combien de temps, selon vous, peut durer cette crise ?

Luc Guyau : À l’heure actuelle, nul ne peut le dire. Ce que les agriculteurs de la FNSEA souhaitent, c’est qu’elle dure le moins de temps possible. Car les décisions traînent. En effet, depuis un mois et demi, Bruxelles repousse de conseils en commissions et de commissions en conseils les décisions urgentes à prendre. La campagne gronde.

Catherine Nay : Les éleveurs ont manifesté ces jours-ci dans toute la France. Comment sortir de cette crise ? Suffira-t-il d’augmenter les primes, de baisser les charges, de maîtriser la production ?

Luc Guyau : Il faut bien distinguer deux sortes de mesures à mettre en œuvre. Tout d’abord des mesures d’urgence : les trésoreries des exploitations affichent aujourd’hui un solde négatif, nul dans le meilleur des cas. Bruxelles nous propose entre 160 F et 200 F d’indemnité par bête. C’est largement insuffisant. Revaloriser le montant de ces aides et les coupler avec des mesures d’urgence sur le plan national permettrait de nous dégager de l’ornière. Il faut aussi des mesures structurelles : la maîtrise des productions et un plan de solidarité.

Catherine Nay : Sommes-nous, pour la viande bovine, à un tournant de civilisation ? Les Européens mangeront-ils moins de viande à l’avenir ?

Luc Guyau : La crise de l’ESB (encéphalite spongiforme bovine) a accentué le phénomène de désaffection à l’égard de la viande bovine chez les consommateurs. Aujourd’hui, on constate un repli de cette consommation sur les productions nationales. En situation de crise, ce réflexe quasi pavlovien de protectionnisme joue à plein.

Catherine Nay : Le logo VBF suffira-t-il à calmer les inquiétudes du consommateur, dès lors qu’il n’est pas dit avec quoi sont nourries les vaches ?

Luc Guyau : Les efforts des producteurs pour identifier l’origine des viandes, quelles qu’elles soient, ne datent pas d’hier. Le logo VBF est le fruit d’une réflexion de près de deux ans. La crise n’a fait qu’accélérer son application. Notre objectif principal est de satisfaire le consommateur sur la qualité des produits et la sécurité alimentaire.

Catherine Nay : Le soir, maudissez-vous les Anglais ?

Luc Guyau : Je ne maudis pas tant les agriculteurs anglais, qui subissent la crise, que les dérives des gouvernements anglais successifs, qui n’ont pas su maîtriser la situation.