Texte intégral
Dans tous les discours électoraux, dans toutes les réunions professionnelles, chacun s’accorde à dénoncer l’excès des charges pesant sur l’économie française, en particulier sur les salaires, et à les tenir pour responsables du niveau élevé du chômage et de la trop faible croissance économique. Rien de plus urgent, entend-on proclamer, que de les réduire !
Voici qu’une circonstance précise va permettre de tester la sincérité de ces déclarations.
Le système des Assedic a été mis en place pour assurer l’indemnisation des chômeurs. Il est géré paritairement par le patronat et les syndicats. Son financement est assuré par des cotisations assises sur les salaires, et mises à la charge des employeurs et des salariés.
La bonne gestion de ce système, les réformes intervenues en temps opportun pour en limiter les abus, et la réduction récente du nombre des chômeurs indemnisés, permettent d’escompter, en 1996, un excédent de l’ordre de 12 à 13 milliards de francs.
Alors, bonne nouvelle, allez-vous penser ! On va réduire d’autant les cotisations, et entamer sur ce point la réduction des charges ! Détrompez-vous ! Les responsables s’interrogent sur la manière de dépenser cet excédent. Les uns proposent de l’utiliser à améliorer un dispositif de préretraite, permettant d’inciter à l’embauche de jeunes demandeurs d’emploi. D’autres, du côté de l’État, recherchent la manière de faire main basse sur cet excédent pour réduire le déficit prévisible des régimes sociaux. Et l’allègement des charges sociales qui le propose ? Motus !
Si j’interviens dans ce débat, c’est que je sais par expérience que les cotisations des Assedic ont été augmentées exclusivement pour assurer l’indemnisation du chômage.
Elles n’étaient en 1973 que de 0,56 % pour les employeurs, et 0,08 % pour les salariés. Jusqu’en 1980, grâce à l’action de mes deux premiers ministres, Jacques Chirac et Raymond Barre, nous avions pu limiter leur augmentation à 2,76 % pour les employeurs, et à 0,84 % pour les salariés, soit un total de 3,60 %. Elles atteignent aujourd’hui 5,47 % pour les employeurs, et 3,22 % pour les salariés, ce qui représente un niveau de 8,69 % des salaires, avec un calcul complexe de déplafonnement ! Et on hésite à les réduire…
Je pense à la phrase sévère que j’ai entendu prononcer récemment à Washington par un des plus hauts dirigeants des institutions financières internationales : « Tant que vous vous obstinerez en France à préférer un chômeur indemnisé à un travailleur peu payé, vous n’avez aucune chance de vous en sortir ! »
Qui paye en effet ces cotisations ? Ce sont ces travailleurs, souvent au voisinage du Smic, qui assurent aujourd’hui la survie des entreprises françaises, et dont l’honnêteté d’esprit oblige à reconnaître que le pouvoir d’achat a baissé, depuis trois ans, sous le poids de l’aggravation des charges sociales.
Dernier argument des adversaires de l’allègement : « Avec dix à douze milliards d’excédents, vous ne réduirez pas beaucoup les cotisations. Personne ne vous en aura de reconnaissance ! »
Sans doute ! Mais n’ai-je jamais entendu un gouvernement renoncer à une augmentation fiscale sous le prétexte qu’elle ne rapporterait que dix à douze milliards de francs ?
Et de toute manière, cet allègement, même minime, nous le retrouverons intégralement sous la forme de pouvoir d’achat chez les salariés, pour alimenter une consommation toujours exsangue ou, dans les entreprises, pour financer des investissements dont dépend leur survie.
On invoquera peut-être la contrainte des critères de Maastricht. Le traité de Maastricht invite à réduire les déficits, nullement à confisquer les excédents ! Et la convergence des situations économiques concerne aussi le niveau des charges. Or, de tous les grands pays candidats à l’union monétaire, la France est celui qui supporte, et de loin, le niveau de charges le plus élevé.
Pour rester concret, je répète ma proposition : profiter de l’excédent annoncé de l’assurance-chômage pour amorcer, même modestement, la baisse des taux de cotisation.
Et si vous n’arrivez pas à décider ou à programmer la baisse des cotisations, alors au moins cessez de nous parler de l’allègement des charges ! Et laissez l’économie française glisser, sans plus de discours, vers son déclin.