Interview de M. Jean-François Mancel, secrétaire général du RPR, à France-Inter le 23 septembre 1996, sur le résultat de l'élection cantonale partielle de Toulon et la stratégie de front républicain contre le Front national, le débat sur le mode de scrutin, et la gestion du Conseil général de l'Oise.

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Média : France Inter

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A. Ardisson : À Toulon, hier, le candidat du Front national affrontait un RPR soutenu par l'ensemble des partis de gauche. Votre candidat a été élu en remontant un handicap de 12 points. Quels enseignements en tirez-vous, vous qui avez toujours été hostile à la stratégie de front républicain ?

J.-F. Mancel : Les enseignements sont simples. Il faut d'abord combattre le Front national sur le fond, c'est-à-dire sur les thèses ignobles qu'il profère. A. Juppé l'a fait remarquablement. Il faut également être très présent sur le terrain pour convaincre les électrices et les électeurs que c'est nous qui apportons des réponses à leurs problèmes. Je l'ai fait moi-même à côté de notre candidat mercredi, à Toulon, et j'ai constaté qu'il y avait dans tous les quartiers de son canton une écoute de l'action du gouvernement. Donc il faut continuer dans cette direction-là. Le Front national, c'est un combat d'idées, des valeurs nobles et républicaines comme les nôtres contre celles, ignobles, que développe M. Le Pen, et par ailleurs, un combat de terrain. Il faut reconquérir les électrices et les électeurs un à un.

A. Ardisson : Et la stratégie de front républicain, dans tout ça ?

J.-F. Mancel : Je reste toujours opposé à la stratégie de front républicain comme Madame Aubry d'ailleurs, que je viens de lire avec plaisir sur ce point - dans la mesure où je crois que, ce qui est important, c'est que les électeurs aient un choix entre d'un côté les idées qui sont les nôtres, qui sont celles de la majorité et de l'autre, une opposition avec notamment le parti socialiste. C'est devant un choix démocratique clair que les électeurs doivent se prononcer et pas pour une sorte de coalition hétéroclite qui aurait pour but de gagner à tout prix contre le Front national.

A. Ardisson : Mais elle peut se révéler utile, la preuve.

J.-F. Mancel : Au deuxième tour d’une élection, peu importe quels sont ceux qui votent pour un candidat. L'essentiel, c'est de gagner. La démocratie implique qu'on ne refuse aucune voix, d'où qu'elle vienne. J'espère bien qu'un jour ou l'autre, nous arriverons également à reconquérir les électrices et les électeurs du Front national qui auront compris qu'ils font fausse route avec Monsieur Le Pen.

A. Ardisson : Donc vous ne vous posez pas, pour l'instant, la question du renvoi d'ascenseur ?

J.-F. Mancel : Absolument pas.

A. Ardisson : A. Juppé a annoncé qu'il va engager le débat sur le mode de scrutin dans les deux mois qui viennent. La question est de savoir comment permettre l'entrée au Parlement pour les petites formations. Où en est votre propre réflexion sur ce sujet ?

J.-F. Mancel : On ne réfléchit pas qu'à ça. Nous réfléchissons à ce que l'on appelle la modernisation de la vie politique. Je dirais que c'est tout simplement plus de démocratie. Ça veut dire d'une part tout mettre en œuvre pour qu'il y ait beaucoup plus de femmes dans les assemblées élues. Aujourd'hui, nous sommes à la traîne en ce qui concerne notre pays. Ça veut dire aussi que nous allons réfléchir au cumul des mandats. On va réfléchir également au problème de la limite d'âge pour être candidat à une élection. On va réfléchir également, vous l'avez dit, au problème de la réforme du scrutin, d'abord le scrutin régional. Ça me parait prioritaire pour assurer aux conseillers régionaux une stabilité de leurs effectifs. Le cas échéant, effectivement, il y aura une réflexion sur le scrutin législatif.

A. Ardisson : Pour l'instant, les régionales sont à la proportionnelle ?

J.-F. Mancel : Oui, les régionales sont proportionnelles. Il faut actuellement chercher à donner aux exécutifs régionaux une stabilité pour qu'ils puissent gérer dans l'intérêt des populations et ne pas être soumis à des compromis permanents, par exemple pour faire adopter leur budget. Ça me paraît prioritaire que nous agissions avant 1998.

A. Ardisson : Donc un peu de scrutin majoritaire dans les régionales et un peu de proportionnelle dans les législatives ?

J.-F. Mancel : Ce n'est pas nécessairement ça et ce n'est pas nécessairement non plus avant 1998 qu'il faudra le faire. Autant pour la région, je pense que c'est indispensable autant pour les législatives, ça implique de notre part une réflexion. Nous allons la lancer. A. Juppé a d'ailleurs fixé un délai. Il faut que ce délai soit tenu car on ne doit pas modifier un scrutin avant de le voir se concrétiser.

A. Ardisson : C'est important ce que vous venez de dire : ça ne serait pas pour 1998 mais pour le tour suivant ?

J.-F. Mancel : Je vous dis que, pour l'instant, le débat est ouvert. Le Premier ministre l'a ouvert, il l'a ouvert au sein du RPR. Je vais le mener au RPR dans les prochaines semaines. Il l'a ouvert au sein de la majorité. Il l'a ouvert d'ailleurs dans tout le pays. Je crois que ça vaut la peine d'en discuter car vous savez bien que la réflexion sur une dose de proportionnelle dans le scrutin législatif n'est pas née hier matin. On en parle depuis très longtemps.

A. Ardisson : N’est-ce pas la contrepartie de cet élargissement que vous souhaitez, de manière à satisfaire un certain nombre de petites formations pour qu'elles rentrent dans la majorité présidentielle ?

J.-F. Mancel : Non, ce n'est pas du tout sous l'angle d'une combine électorale qu'il faut voir les choses. D'abord, parce qu'en ce qui concerne 1998, nous avons confiance dans la victoire, quel que soit le scrutin. Ce n'est pas en modifiant les scrutins qu'on arrange les affaires d'une formation politique. Ça n'est donc pas non plus pour nous élargir. L’élargissement, nous essaierons tout simplement de le concrétiser lorsque nous allons fêter les vingt ans du Rassemblement pour la République en y invitant toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans nos valeurs et dans nos idées. Je constate aussi qu'il y a aujourd'hui un certain nombre de personnalités, de formations qui ont soutenu J. Chirac à la présidentielle, qui n'appartiennent ni au RPR, ni à l'UDF, qui veulent se faire un peu plus entendre, qui veulent faire preuve, je pense, d'une certaine cohérence dans leur organisation. Je m'en félicite mais je n'ai pas à m'en mêler en quelque sorte ; ça les concerne.

A. Ardisson : Les Françaises sont intéressées par l'un des sujets que vous avez évoqués : la plus forte participation des femmes à la politique. On a l'impression qu'il y a une sorte de course de vitesse entre les uns et les autres : l'UDF a élaboré une proposition de loi qui prévoit que, dans les élections à la proportionnelle, les listes ne pourront comporter plus des deux tiers de candidats d'un même sexe ; de son côté, le PS fait de l'autodiscipline en réservant un tiers des circonscriptions à des candidates. Dites-vous mieux ?

J.-F. Mancel : Pour le PS, c'est facile : comme ils n'ont pratiquement pas de sortants, ils auraient pu même mettre beaucoup plus de circonscriptions au profit des femmes. En ce qui nous concerne, il faut être à la fois ambitieux et réaliste : nous partons de très loin, comme toutes les formations politiques. Nous avons la volonté d'aller très loin. Seulement, il faudra sans doute le faire par paliers. Nous avons deux solutions : la première, c'est de mettre en œuvre à l'intérieur de notre formation les dispositions nécessaires et j'ai déjà donné toutes les instructions nécessaires à nos cadres pour aller dans ce sens, pour que des femmes beaucoup plus nombreuses accèdent à tous les postes de responsabilité, et soient notamment candidates en position d'être élues sur les listes régionales ou lors des élections législatives. Ou l'autre solution mais qui, c'est vrai, heurte beaucoup, et qui consiste à dire : « Passons par la loi et mettons en place un système de quotas ». C'est sans doute la solution extrême. Si on peut l'éviter, ce serait mieux, car c'est quand même, sur le plan moral, un peu difficile à supporter pour les femmes de se voir ramener à être une espèce de quantité résiduelle qu'il faut inscrire dans la loi pour figurer sur des listes. Essayons donc de faire d'abord nous-mêmes, puis, si nous n'y arrivons pas, à ce moment-là, il faudra recourir peut-être à la loi. En tout cas, notre volonté est forte.

A. Ardisson : Efforts des partis, donc.

J.-F. Mancel : Un effort essentiel des partis : on ne peut plus continuer comme ça avec aussi peu de femmes qui exercent des responsabilités électives.

A. Ardisson : La proportion d'un tiers, ça vous semble, valable ?

J.-F. Mancel : Je pense que la proportion d'un tiers est raisonnable pour une première étape, sachant que l'égalité me paraît indispensable dans une seconde étape.

A. Ardisson : L’égalité, ce serait 50-50.

J.-F. Mancel : Je crois que c'est la représentation nationale.

A. Ardisson : Un sondage réalisé par l’IFOP pour Le Journal du Dimanche fait apparaître une importante chute de popularité du Président de la République et du Premier ministre. Ceux qui ont décortiqué ce sondage disent que c'est paradoxalement la conséquence de l'annonce de la baisse des impôts et que personne n’y croit. Comment expliquer que ça ne passe pas ?

J.-F. Mancel : D'une manière très simple : après quatorze années d'espoirs déçus et de fautes commises par les socialistes, les Français ne croient plus que ce qu'ils voient. En ce qui concerne la réforme de l'impôt sur le revenu qui est, je le rappelle au passage, la plus importante baisse de l'impôt sur le revenu qui n'aura jamais été engagée depuis qu'existe cet impôt, ils commenceront à en constater la réalité le jour où ils verront sur leurs feuilles d'impôt qu'ils vont payer moins que l'année précédente. C'est donc simplement au début de l'année 1997 qu'ils pourront faire ce constat. Ils sont comme Saint-Thomas, nos concitoyens. On les comprend bien : les socialistes leur ont tellement promis et les ont tellement déçus qu'aujourd'hui, ils veulent voir. Eh bien, avec nous, ils vont voir concrètement que nous avançons.

A. Ardisson : La Cour régionale des comptes de Picardie épingle votre gestion à la tête du conseil général de l'Oise. Grosso modo, on vous reproche d'une part d'avoir trop arrosé aux frais du contribuable local - 1,4 million de dépenses entre 1989 et 1992 et d'avoir fait prendre en charge par la collectivité le logement et les factures de fonctionnaires territoriaux. Vous contestez en partie ces affirmations.

J.-F. Mancel : C'est une procédure très simple : les chambres régionales des comptes contrôlent toutes les collectivités territoriales. Le conseil général de l'Oise, comme les autres, a bien évidemment été contrôlé. J'ai apporté toutes les réponses nécessaires aux observations qui avaient été faites par la chambre régionale des comptes. Pour l'instant, je ne peux pas en dire plus étant donné que ce serait manquer de respect par rapport à la loi et par rapport à la chambre régionale des comptes puisque c'est une procédure qui est totalement officieuse. Elle n'est publique que le jour où les observations définitives sont rendues devant l'assemblée délibérante. Ce jour-là viendra. Mais si je n'avais pas été secrétaire général du RPR, ça aurait fait dix lignes dans la presse. Il est bien évident qu'aujourd'hui, j'ai été la victime de ceux qui font commerce de la médisance.

A. Ardisson : Qui pourrait-ce bien être ?

J.-F. Mancel : Comment voulez-vous, lorsqu'on exerce une responsabilité politique, qu'on ne soit pas contesté quelque part ? Ce que je constate, c'est que j'ai les soutiens des militants et le soutien de mon président. Ça me paraît largement suffisant pour un secrétaire général de formation politique. En revanche, je regrette un peu qu'on ne respecte pas les procédures dans notre pays. C'est une dérive qui me parait inquiétante.