Interview de M. Pascal Clément, secrétaire général du PR, à RMC le 24 septembre 1996, sur la baisse des impôts, le projet de réforme du mode de scrutin, les relations entre le gouvernement et la majorité et la stratégie de front républicain contre le Front national.

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Texte intégral

P. Lapousterle : La situation politique n'apparaît pas très bonne, après l'annonce de la baisse des impôts, ce qui d'habitude fortifie un peu le gouvernement en place. Le Président de la République, le Premier ministre voient leur cote baisser. Cela vous inquiète-t-il ?

P. Clément : Non, mais je trouve que c'est quand même dommage d'avoir fait en quelque sorte une annonce historique - car je ne connais pas beaucoup de pays qui ont fait ça, en tout cas pour la France, c'est du jamais vu -, qu'un gouvernement annonce une baisse des impôts et que ça ne provoque pas en effet un petit mouvement de bonne humeur.

P. Lapousterle : Pourquoi ?

P. Clément : On se pose tous un peu la question. Semble-t-il, le message a été brouillé, puisque dès le lendemain, des fuites venant d'un déjeuner à Matignon laissaient entrevoir un changement de scrutin. Les Français détestent ça. Ça sent la manœuvre politique, ça rappelle ce qu'a fait la gauche, même si ça peut être fondé comme argumentation. Le présenter le lendemain, comme message qui vient se superposer au premier qui annonce une baisse des impôts, ce qui, encore une fois, était peu crédible car ça n'est jamais arrivé en France, donc l'ensemble donne un sentiment d'insatisfaction. En plus, j'ajoute que la baisse des impôts sur le revenu fait aussi problème puisque la moitié des Français ne le paient pas et donc il y a déjà la moitié de ceux-ci qui ne peuvent pas s'en réjouir. Le tout réuni, plus un certain scepticisme sur un gouvernement qui annonce qu'il baisse les impôts, fait que ça n'a pas marché.

P. Lapousterle : Inquiétant ?

P. Clément : C'est inquiétant plus largement, car ça veut dire qu'une classe politique, aujourd'hui en France, n'est plus crue, et à mon avis quelle qu'elle soit Quand on annonce une bonne nouvelle, ce n'est pas cru. On ne croit plus que les mauvaises.

P. Lapousterle : Pour la majorité, ce n'est pas beaucoup mieux. Elle apparaît très désorganisée. Chacun parle en son nom, des petits groupes se forment, on n'a pas l'impression qu'elle soit en ordre de bataille pour les législatives de 98 qui s'annoncent quand même difficiles.

P. Clément : Je suis persuadé que vous allez considérer que je pratique la langue de bois, mais vraiment je ne pense pas comme vous. L'UDF se porte bien et elle l'a démontré il y a dix ou quinze jours, lors des universités politiques d'été de La Baule. Pourquoi ? Car c'est la première fois que des universités politiques existaient pour tout l'UDF, ça n'était pas séparé par des familles politiques. C'était la première fois que nous étions tous rassemblés et l'UDF, visiblement, a approfondi son union. Sur le RPR : ils ont deux voix dissonantes.

P. Lapousterle : Plus les silences...

P. Clément : Oui, mais enfin les deux voix dissonantes sont très connues, puisqu'il s'agit de C. Pasqua et peut-être... d'autres.

P. Lapousterle : E. Balladur ?

P. Clément : Oui, encore qu'E. Balladur, depuis la baisse des impôts, va plus dans le sens du gouvernement qu'auparavant, l'année d'avant surtout, où ça a été l'inverse. Ce qui a aussi contribué à brouiller le message. Mais, globalement, le RPR est uni, c'est clair, l'UDF s'entend aussi globalement très bien et même dans le détail, avec le RPR. Nous marchons assez bien. Avoir un régiment avec une seule voix, non ! Imaginez : nous sommes environ 480 députés, tout le monde dirait la même chose et sur le même ton. Ça serait effrayant.

P. Lapousterle : Je lisais hier M. Millon évoquant un mille-pattes en parlant de la majorité ?

P. Clément : Oui, j'avoue que C. Millon a un peu surpris ses amis de l'UDF. Il nous a pris un peu à contre-pied parce…

P. Lapousterle : Il appartient toujours à l’UDF ?

P. Clément : Il nous a rassurés puisqu'il nous a dit que nous étions encore ses amis, qu'il appartenait à notre famille. Mais si j’ai bien compris son papier, il veut une structure commune de la majorité.

P. Lapousterle : Un parti présidentiel ?

P. Clément : Un parti présidentiel. Alors il ne l'a pas dit, je crois, tout à fait comme ça mais c'est un peu ça qu'on l'a tous compris. Or, venant particulièrement de lui, c'est un peu stupéfiant, en tout cas surprenant puisque je rappelle qu'en 1995, il voulait des primaires systématiques contre le RPR aux législatives, qu'en 1995 il voulait qu'un porte-drapeau représente les idées de l'UDF, considérant que c'était une erreur de ne pas les représenter. Il était même prêt à se dévouer pour cette cause-là puisqu'il a proposé sa candidature. Et aujourd'hui, il est pour la suppression de l'UDF parce qu'il s'agit quand même, il faut bien être clair, d'un parti unique : c'est le RPR qui se met à grossir ! Or, je ne crois pas que ça soit l'intérêt de la majorité ni l'intérêt du Président de la République. Automatiquement, ce grand groupe majoritaire réduirait à la cuisson et serait, à mon avis, extrêmement périlleux sur le plan électoral.

P. Lapousterle : Si j'ai bien compris, vous n'êtes pas favorable - pour revenir une seconde en arrière - à la dose de proportionnelle que propose M. Juppé ?

P. Clément : Très honnêtement, la dose de proportionnelle est un système d'abord juridiquement un petit peu complexe puisque les députés ne seront pas élus de la même manière et pas dans le même type de circonscription. Deuxièmement, on a le sentiment qu'on aurait là des députés élus, ceux que l'on connaît traditionnellement, puis des députés nommés - ceux qui sont à la proportionnelle. Et enfin, on a du mal, pour certains, à comprendre que, à juste titre, on montre, on stigmatise la dérive profondément raciste de J.-M. Le Pen et dans le même temps, on explique que ça n'a rien à voir mais qu'on trouve normal que le terrain démocratique soit occupé par M. Le Pen au sein de l'Assemblée nationale. Et là, je crains encore que les Français comprennent mal. C'est vraiment une affaire de spécialistes et je crains que ce projet, même s'il correspond à un raisonnement que l'on peut comprendre - et c'est pour cela que l'on regarde au Parti républicain cette affaire avec circonspection -, je pense que l'on aura du mal à l'expliquer aux Français.

P. Lapousterle : La majorité et l'opposition se félicitent ensemble que leurs efforts conjugués aient abouti à la défaite du candidat du Front national à Toulon. Chacun des deux grands partis dit qu'il ne faut pas répéter ce geste à l'avenir. Comment comptez-vous faire lors des législatives de 98, lorsqu'il y aura plusieurs dizaines de circonscriptions où le cas va se poser ?

P. Clément : D'abord, un préalable, je crois qu'il est important pour la compréhension de tous : il n'y a pas de front républicain.

P. Lapousterle : Je ne vous ai pas parlé de front républicain.

P. Clément : Certes, mais si vous permettez, je voudrais en parler, moi, un court instant. Il n'y a pas de front républicain parce qu'il n'y a pas d'accord entre les partis, c'est-à-dire entre le RPR, l'UDF et le parti socialiste. Bref, ce ne sont pas les états-majors qui se sont appelés et qui ont fait décider au candidat socialiste de se retirer, c'est le mouvement personnel du candidat socialiste, très bien. Deuxième observation : tous les cas ne se présentent pas de la même manière. Vous avez cité le cas de Toulon, j'observe d'ailleurs que c'est assez dangereux. On se réjouit du résultat, oui, mais moi, je me réjouis avec un bémol. Je constate que le Front national arrive à près de 47 %. Autrement dit, la résultante de ce qu'on appelle un peu à tort le front républicain a pour conséquence l'élargissement de l'audience du Front national. On devrait s'interroger, quand un parti arrive à 47 %, sur la technique utilisée pour y arriver. C'est quand même une observation grave que je fais. Donc, vous voyez bien que ce n'est ni la solution, ni la panacée, à terme.
Je rappelle que les problèmes sont différents. Aux municipales, je vous rappelle qu'à Toulon, les mêmes socialistes, qui viennent de se retirer pour les cantonales, s'étaient maintenus. Parce que les socialistes de Toulon s'étaient maintenus, nous avons aujourd'hui un maire Front national. Alors, ils ont fait d'autant plus de bruit sur leur retrait aux cantonales que, s'étant maintenus aux municipales, ils sont responsables de l'élection de J.-M. Le Chevallier, maire Front national de Toulon. Exemple inverse, à Vitrolles, dans les Bouches-du-Rhône - tout à fait la même région : si la liste, menée à l'époque par un membre du Parti républicain, ne s'était pas maintenue, nous aurions eu un face-à-face PS-Front national. Le Front national aurait probablement gagné. Il fallait le maintien. Donc, vous voyez bien que le maintien systématique n'est pas toujours la solution. Dernier exemple qui me vient à l'esprit, ce sont les législatives qui ont eu lieu dans l'Orne, après la mort d'H. Bassot. Sa femme, Sylvia, s'est présentée. Au deuxième tour, le Front national a appelé à voter socialiste, ça n'a pas marché. Les électeurs ont préféré voter S. Bassot C'est vous dire que chaque cas, chaque géographie, oblige à une tactique qui n'est pas la même.

P. Lapousterle : Le PS a laissé 30 % des circonscriptions valables à des femmes comptez-vous suivre cet exemple ?

P. Clément : Valables ? C'est eux qui le disent D'ailleurs, je crois que Mme Roudy ne pense pas comme vous, mais oublions ça. Je rappelle que les socialistes doivent être 60 députés à l'Assemblée nationale, il y a donc un peu plus de 500 circonscriptions à distribuer. En distribuer 30 %, je trouve que c'est peu. Au niveau de la majorité, c'est un peu différent : nous avons un peu plus de 480 députés sortants. En sortir 30 %, c'est beaucoup. Vous voyez bien qu'on ne se place pas du même point de vue. Il y a un effort à faire de la part de toutes les familles politiques ; et que personne ne se croie meilleur que les autres. D'abord, on vérifiera tous le succès des uns et des autres à la fin et pas au niveau des intentions. Il est clair qu'il faut faire quelque chose, d'ailleurs le groupe UDF a déposé une proposition de loi de Mme Ameline, cosignée par beaucoup - dont moi-même -, qui va dans ce sens. Je crois que c'est souhaitable pour la démocratie.