Déclaration de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, sur la consultation nationale sur les lycées, la fonction du lycée et l'image de la jeunesse, Lyon le 28 avril 1998.

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Circonstance : Colloque national "Quels savoirs enseigner dans les lycées?", organisé par Claude Allègre au Palais des Congrès de Lyon les 28 et 29 avril 1998

Texte intégral

La consultation initiée par Claude Allègre représente un évènement qui fera date pour l’enseignement scolaire. Elle portait, on le sait, sur les savoirs au lycée, et le colloque qui commence doit nous fournir des orientations importantes sur la question des programmes. Il va permettre de répondre à la question posée « Quels savoirs enseigner au lycée ? » et de s’interroger aussi sur la manière de les transmettre afin d’en garantir l’accès au plus grand nombre. Les savoirs et la vie scolaire, les contenus d’enseignement et la pédagogie ne peuvent être séparés et la réflexion sur l’un des deux aspects intègre la prise en compte de l’autre. Mais, afin de ne pas anticiper sur ce qui va être débattu, je préfère insister sur ce qui s’est dégagé des questionnaires, et qui a fait de ce colloque sur les lycées un évènement de société, pédagogique, institutionnel et politique.

C’est un évènement de société auquel la presse, notamment la presse régionale, s’est beaucoup intéressée. On le sait, les lycées sont des services publics structurants de la vie régionale. Pour la première fois les élèves ont été interrogés sur la formation qu’ils reçoivent. A travers les réponses au questionnaire qui leur a été proposé, à travers le travail des Conseils académiques de la vie lycéenne, ils se sont mobilisés avec sérieux, ils ont réfléchi sur le lycée, exprimé leurs attentes et fait de multiples suggestions. Ils démontrent une maturité réconfortante. A leur manière, les élèves ont ainsi rendu hommage à ce qu’ils ont reçu de l’enseignement et qui a contribué à leur donner cette capacité de réflexion.

On aurait pu s’attendre à une accumulation de critiques. Certes, il y a bien eu ici ou là quelques protestations ou récriminations, mais massivement, la demande des élèves traduit une soif d’éducation : deux cours magistraux mieux équilibrés par le dialogue et par le travail en petits groupes ; des savoirs abstraits mieux connectés à la vraie vie, pour s’investir plus largement dans les apprentissages ; s’ils veulent une moins grande pression de l’examen, c’est parce qu’ils souhaitent pouvoir passer plus de temps à approfondir les connaissances de manière moins anxiogène. Les lycéens ne demandent pas moins d’école, mais davantage d’école, une école complète. Une tête bien faite et pas seulement bien pleine, un lieu de vie où l’on apprend aussi à se parler et à se comprendre, à structurer ses opinions, à construire des repères, à devenir des femmes et des hommes libres.

Ce colloque est aussi un évènement pédagogique. Au-delà du problème de l’organisation du lycée, la consultation a montré que les jeunes ne se plaignent pas aujourd’hui d’un excès de pression ou d’intervention de la part des adultes mais, plutôt, d’un besoin d’adultes plus proches. Ni confidents, ni complaisants, ni démagogues mais des interlocuteurs pour faire écho à leurs questions sur la vie et pour les accompagner dans leur travail. Cette attente s’adresse à tous les éducateurs, parents et enseignants, car nous savons les uns et les autres qu’il n’est parfois guère rassurant d’être confronté à leurs questions essentielles, qui furent à leur âge aussi les nôtres, portant sur les valeurs, la raison des injustices et la quête de sens qui tenaille naturellement tout être humain.

La question des savoirs, n’est pas, en effet, une simple question technique qui pourrait être tranchée par les seuls experts : à travers les contenus d’enseignement, c’est le profil « d’honnête homme ou femme » que nous voulons pour la société de demain qui doit être défini. Et c’est pourquoi il faut se réjouir que les membres du Conseil scientifique présidé par Edgard Morin comme ceux du Comité d’organisation, présidé par Philippe Meirieu – qu’ils soient ici chaleureusement remerciés pour leur travail – aient approfondi cette question. Des journées disciplinaires ont été organisées qui ont complété les réflexions des enseignants. On y a vu émerger une grande volonté de trouver, au-delà de l’ensemble des connaissances nécessaires à la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur ou l’insertion professionnelle, des référents culturels communs, notamment à travers l’histoire, la littérature, les sciences et les techniques. Trop de jeunes abordent aujourd’hui leur entrée dans le monde des adultes sans disposer de ce socle de savoirs qui leur permettrait de se comprendre et de se parler. Trop d’entre eux se sentent démunis, disent-ils, pour capter autant qu’ils le voudraient l’information juridique, économique ou culturelle de l’actualité. Trop se sentent en situation d’infériorité parce qu’ils ne parlent pas les langues vivantes qui leur permettraient de se vivre comme de véritables « citoyens européens ». Trop s’inquiètent d’avoir des difficultés à accéder à l’emploi s’ils ne maîtrisent pas les nouvelles technologies. Il faut étudier ces demandes et réfléchir à la meilleure manière d’y répondre sans faire éclater la cohérence de la formation au lycée. C’est là l’objectif de ce colloque : organiser une scolarité au lycée qui fasse droit à des demandes multiples et parfois même contradictoires sans basculer dans un empilement ou une juxtaposition de disciplines hétéroclites.

C’est donc bien la fonction du lycée sur laquelle il faut s’interroger, et la fonction de tous les lycées. Le lycée doit viser la formation de la quasi-totalité d’une classe d’âge. Les jeunes, qu’ils effectuent un parcours en enseignement général, professionnel ou technologique, doivent s’y sentir accueillis, encouragés au travail, reconnus dans leurs talents et leurs points forts, soutenus dans leurs points faibles. S’ils savent qu’ils occuperont des fonctions évidemment diverses dans le monde de demain, ils doivent être convaincus de l’égale dignité de celles-ci. Ne nous y trompons pas : c’est bien l’avenir de la démocratie et du dialogue social qui est en jeu dans la lutte contre toutes les formes de relégation et d’exclusion ; c’est cet avenir que je prépare par exemple à travers le plan de relance des ZEP et la mise en place des réseaux d’éducation prioritaires. Et c’est cet avenir que nous devons préparer tout au long de ce colloque : le lycée doit voit sa place redéfinie c'est-à-dire renforcée dans l’ensemble de l’institution scolaire.

C’est pourquoi ce colloque est aussi un évènement institutionnel qui s’inscrit dans la cohérence d’une politique globale du ministère de l’Education nationale : il s’articule aussi bien à la table ronde sur les enseignements technologiques et professionnels, qu’au plan de renforcement de l’efficacité de l’école maternelle et élémentaire qu’au travail accompli sur le renforcement de l’éducation citoyenne : former des citoyens lucides et capables d’assumer les incertitudes de l’avenir. Former les jeunes, tous les jeunes, et leur donner les moyens de s’intégrer dans la cité. Être attentif à toutes les conditions de leur développement, conditions physiques, psychologiques, sociales. Eviter toute forme d’exclusion qui abîme les personnes. On peut ajouter que les réponses apportées pour le lycée enrichiront le travail actuellement engagé sur le collège tant sur la vie scolaire que sur la pédagogie, notamment sur la question de l’hétérogénéité des collégiens. Une démarche approfondie d’audit sur le collège va s’engager. Nous réfléchissons, nous organisons des consultations et nous ferons de nouvelles propositions sur le collège.

Sur le lycée comme sur le collège, la question qui nous est posée est éminemment politique. Et c’est là la quatrième dimension de ce colloque. L’école et son avenir ne peuvent pas être l’objet de négociations à huit clos entre l’Administration, les acteurs et les usagers. L’école de la République est l’affaire de tous. Et la démocratisation de l’école, celle de l’accès au savoir sont des priorités pour tout le gouvernement. Il ne nous est pas possible aujourd’hui de laisser une partie de la population dans la désespérance, persuadée qu’elle est condamnée à l’échec social à travers l’échec scolaire de ses enfants. Il ne nous est pas possible de laisser une partie des élèves au bord du chemin, désarmés, ne comprenant pas ce que l’on attend d’eux, sans autre soutien ni appui que le recours à des officines privées. Il ne nous est pas possible de laisser s’installer une école à deux vitesses. L’école de la France doit être aussi une école solidaire et tolérante, unie et généreuse. En ces temps où de tristes échos nous rappellent de tristes époques et suscitent d’ailleurs d’heureuses mobilisations de lycéens, il est essentiel de rappeler que la générosité est une valeur politique. C’est notre valeur et je souhaite qu’elle s’incarne à travers tout ce colloque.

Dans quelques minutes je vous laisserai pour que vous puissiez débattre librement avec Edgard Morin et Philippe Meirieu. Je dois rejoindre l’Assemblée nationale pour répondre aux questions des parlementaires mais je reviendrai tout à l’heure. Avant de vous quitter, comment pourrais-je alors que nous voici réunis pour parler en mai 1998 du lycée, avec les lycéens, ne pas évoquer trente ans après, mai 1968. Quel sens auraient mes propos si je n’évoquais pas avec vous ce qui s’est passé ce mois-là et en quoi nous lui sommes redevables. J’ai entendu dans cette consultation les valeurs autour desquelles vous voulez, vous les élèves, baser vos vies : la liberté, la culture, l’ouverture au monde, la liberté des autres et la vôtre propre. C’est l’écho des slogans d’hier et il a pénétré les murs de cette enceinte comme il résonnait hier boulevard Saint-Michel, à Strasbourg ou à Marseille.

Hier vos aînés se dressaient contre un savoir transmis à sens unique par des adultes qui prétendaient tout savoir et qui n’avaient pas toujours vu l’essentiel.

Aujourd’hui, et sans doute heureusement, il n’y a plus de pavés mais votre demande est la même sous d’autres formes, avec d’autres mots, mais c’est la même légitimité.

Comme la génération d’hier, la vôtre devra exister par elle-même sans référence empruntée.
Elle devra, elle est déjà unique.

Je ne serai pas complaisante et je ne vous dirai pas que vous savez tout et que nous ne savons rien. Il y a une chose que je sais et que jour après jour vos enseignants vérifient, c’est que le monde adulte, parce qu’il les détient, doit vous transmettre ses connaissances, son expérience, son savoir-faire.

Alors que savez-vous que nous ne savons pas ? Lorsqu’une image de brutalité vous choque dans votre lycée ou partout ailleurs dans le monde, lorsque votre sensibilité et votre sens de la liberté vous rendent l’injustice plus insupportable qu’elle ne le semble pour nous, alors c’est vous qui avez raison.

Vous devez sans cesse nous le rappeler, sans tyrannie mais vous êtes la jeunesse et vous occupez dans l’histoire des générations et dans notre société un rôle d’alerte sans lequel l’endormissement qui nous saisirait serait le prélude de notre perte.

J’ai envie de vous dire que votre demande massive de respect, votre désir de connaître le droit, le fonctionnement de nos institutions, les débats politiques majeurs qui traversent la société, votre souci d’y participer pleinement, nécessitent que vous vous en empariez pour les faire vivre dans vos classes, dans vos associations et dans votre vie scolaire.

La manière dont vous vivez ensemble dans votre famille, avec vos parents, entre filles et garçons, les relations que vous tissez avec vos maîtres sont pour vous essentielles. Et vous avez raison car c’est à ce niveau là que se vérifient la valeur des grandes promesses et la qualité effective des relations entre les personnes, je pense notamment aux progrès que nous devons faire sur la parité entre hommes et femmes, c’est aussi au lycée qu’elle se construit.

C’est en étant exigeant là, que les grands débats seront enrichis et nos discussions d’adultes moins défigurés par les faux-semblants et les hypocrisies.

Avec vos professeurs, avec vos administrations dans vos lycées vous apprenez à être des citoyens. J’ai envie de vous dire soyez exemplaires et faites de vos communautés scolaires un lieu de vie, qui soit un signe d’encouragement lancé à tous ceux qui vous observent et qui vous écoutent. Nous vous y aiderons par la reconnaissance de la démocratie lycéenne, par l’amélioration du fonctionnement des conseils de classe auquel l’élève concerné doit pouvoir assister afin d’être acteur de son évaluation, par la mise en valeur des talents d’expression lycéens.

J’ai compris aussi en lisant vos questionnaires que vous vouliez bannir la violence dans les relations sociales.

J’ai compris que là où il y avait du mépris vous voulez qu’il y ait du droit, que là où il y avait la force vous vouliez qu’il y ait la justice. Merci de me l’avoir fait comprendre et il va de soi qu’une interpellation aussi forte sera suivie d’effets. Les initiatives citoyennes en constituent les prémices, comptez sur moi pour accomplir jusqu’à son terme ce mouvement.

Je voudrais maintenant m’adresser plus directement aux professeurs, aux chefs d’établissement et à tous les personnels des lycées.

Voyons nos résultats qui sont d’abord les vôtres. Ils sont bons. Notre niveau éducatif est envié hors de nos frontières.

Alors pourquoi ce sentiment perceptible, chez certains, de lassitude ? Je pourrais vous dire que la marque que vous laissez sur vos élèves durera toute la vie, comme celle de nos professeurs, continue de nous marquer. Cela vous confère une responsabilité éminente. Vous le savez. Cela vous a déjà été dit.

Votre mission est plus compliquée aujourd’hui qu’elle ne l’était hier. Aux facilités du savoir transmis ont succédé l’échange, l’incertitude de l’utilité sociale du savoir appris, vérité difficile avec les adolescents que l’on ne peut assurer de trouver un travail à l’issue du diplôme.

Ne pas pouvoir répondre avec certitude à cette question toute simple de vos élèves : est-ce que ce que vous m’apprenez m’aidera à trouver une place dans la société ? provoque, c’est évident, une remise en cause profonde.

Alors que le système subissait cette crise qui lui était imposée vous avez fait face. Le Service public de l’éducation a su en quinze ans, comme aucune des plus grandes entreprises privées n’aurait su le faire, intégrer au lycée des millions d’élèves des nouvelles générations et porter en quinze ans de moins de 40 % à près de 70 % d’une classe d’âge le nombre des bacheliers.

Vous pouvez avec une fierté légitime revendiquer d’avoir gagné cette grande conquête de l’éducation comme hier, malgré les cyniques et les ricaneurs, nous avions gagné la grande bataille de l’Instruction publique, laïque et obligatoire pour les garçons comme pour les filles. Faut-il rappeler qu’en 1919, c’était hier, il y a moins d’un siècle, ce qu’il a fallu surmonter d’opposition et de quolibets pour créer le premier baccalauréat féminin, et qu’il a fallu surmonter d’opposition et de quolibets pour créer le premier baccalauréat féminin, et qu’il a fallu attendre 1938 pour que les femmes accèdent à l’université sans l’autorisation du mari ? Vous êtes aux avant-postes de la société car lorsque les familles se déstructurent, lorsque les enfants ne suivent plus, vous êtes celles ou ceux à qui le plus gros effort est demandé. Vous êtes pour beaucoup d’enfants l’unique chance de ne pas être exclus du savoir aujourd’hui et du travail de demain. Vous êtes, dans certains cas, le seul modèle d’adulte valorisant qui permet à un adolescent d’envisager avec espoir son futur statut d’adulte. Vous méritez un respect sans faille de toute la société, qui d’ailleurs vous estime massivement, et je vous demande donc de vous faire respecter, par les élèves, qui doivent aussi comprendre que la première forme du respect qu’ils demandent est d’apprendre à le partager.

Les adultes, au sein de l’école, doivent avec les élèves, construire une communauté scolaire, imprégnée de civilités, d’apprentissage civique et de paix. Sans cela, c’est la transmission des savoirs qui ne s’exerce plus.

Vous connaissez comme moi le résultat du questionnaire élèves. Il est plein de promesses. Cette demande de respect, de dialogue, d’écoute, d’attention, d’encouragement, presque d’affection est le meilleur soutien que vous pouvez trouver pour vous faire à votre tour entendre afin de pouvoir obtenir les moyens de formation et les conditions de travail à la hauteur de votre mission.

Le gouvernement de Lionel Jospin est attentif à vos attentes car nous avons les mêmes objectifs : transmettre les connaissances, éduquer, donner le goût de la culture, donner aux filles et aux garçons une force intérieure qui leur permettra de progresser toute leur vie durant.

Nous rêvons tous d’un monde solidaire dont l’école serait la première manifestation exemplaire. Nous avons tous rêvé de pouvoir tout apprendre, tout connaître, tout échanger, tout vivre au lycée, parce que c’est là que nous apprenons la vie, que nous découvrons la musique, l’amitié solide, les regards furtifs et que nous sommes amoureux pour la première fois.

Cette communauté scolaire merveilleuse nous l’avons tous, à un moment ou à un autre, imaginée à défaut de l’avoir totalement vécue.

Mais qu’est-ce que cette nostalgie sinon la preuve d’un désir qui ne disparaît pas et qui doit nous aider à construire l’avenir du lycée 30 ans après mai 1968. J’ai encore envie de vous dire, ou plutôt envie que nous disions ensemble : « prenons nos désirs pour des réalités. »

Merci de votre attention…