Lettre de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, adressée à M. Jacques Chirac, président de la République, publiée dans "L'Humanité" du 27 juillet 1996, sur la situation des prisonniers politiques grévistes de la faim en Turquie et les atteintes aux droits de l'homme notamment au Kurdistan.

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Circonstance : Grève de la faim depuis début juin 1996 de prisonniers turcs, entraînant, au 27 juillet 10 morts.

Média : L'Humanité

Texte intégral

« Je me permets de m'adresser à vous de façon pressante, au sujet de la situation dramatique des prisonniers politiques et, plus généralement, des atteintes aux droits de l'homme en Turquie. Comme vous le savez, des centaines de prisonniers ont entamé, depuis des semaines, une grève de la faim pour protester contre les mauvais traitements dont ils sont l'objet, dans plusieurs prisons de ce pays. A ce jour, six d'entre eux sont morts et des dizaines sont menacés de perdre la vie, dans les prochains jours.

Les protestations des militants des droits de l'homme en Turquie ou au plan international n'ont pas fait fléchir le gouvernement turc, qui, au contraire, impose une brutale répression et intensifie la guerre contre les Kurdes.

Mme Leila Zana - à qui le Parlement européen a attribué le prix Zakharov des Droits de l'homme - est toujours incarcérée, comme trois autres de ses collègues anciens parlementaires. Le président de l'ordre des médecins de Diyarbakir, le Dr Seyffettin Kizitkan, a été condamné par la Cour de sécurité de l'État à plus de trois ans de prison.

Plusieurs dizaines d'intellectuels sont poursuivis pour leur opposition à la guerre. C'est le cas notamment de l'écrivain Yachar Kemal, condamné à vingt mois de prison parce qu'il dénonce "l'épouvantable et sale guerre où des gens sont brûlés, des millions d'hommes et de femmes contraints à l'exil, des millions d'hectares de forêts réduits en cendre".

La signature de l'accord sur l'Union douanière avec l'Union européenne avait été présentée par ses promoteurs comme un facteur de stabilité face à l'intégrisme et d'ouverture sur le terrain des droits de l'homme. Force est de constater que le résultat est aujourd'hui à l'opposé de ces prédictions : un islamiste a été porté à la tête du gouvernement et la situation des libertés s'est aggravée. Il y a quelques jours encore, l'armée turque a lancé une nouvelle offensive dans le Sud-Est anatolien et a pénétré dans le Kurdistan d'Irak.

Dans ces conditions, je m'associe aux demandes d'amnistie générale, d'arrêt des tortures et des mauvais traitements, de libération de Leila Zana et de ses collègues, ainsi que de tous les prisonniers politiques. Et, de toute urgence, compte tenu de l'état de santé devenu extrêmement précaire de plusieurs centaines de prisonniers en grève de la faim, il est absolument indispensable que soit prise en considération leur exigence d'un traitement humain.

En m'adressant à vous, monsieur le président de la République, j'attends de votre part une ferme condamnation de cette situation et une action urgente pour obtenir que soit mis un terme à la répression et aux opérations militaires. Je souhaite que vous preniez les initiatives appropriées pour faire entendre la volonté de la France de voir engager sans tarder des négociations en vue d'un règlement politique équitable répondant aux droits fondamentaux du peuple kurde. »