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Plusieurs événements récents, conjugués au renouvellement des autorisations de TF1 et de M6, doivent nous conduire à nous interroger sur le cadre actuel des relations entre les diffuseurs d'un côté, les producteurs de l'autre.
Mais au-delà de ces aspects factuels, je crois que l'on peut aujourd'hui, distinguer une tendance plus profonde dans l'évolution des rapports entre cinéma et télévision.
En effet le constat est double :
D'une part, notre pays a organisé depuis de nombreuses années un dispositif qui fait des chaînes de télévision un soutien et un partenaire essentiel pour le cinéma.
D'autre part, sans remettre en cause les grands principes et la philosophie de ce dispositif - qui a sans doute eu le mérite dans ce « mariage de raison » de bénéficier aux deux parties - ; sans s'arrêter aux antagonismes qui peuvent ici ou là exister ; sans revenir sur la nécessaire indépendance du cinéma qui est à mes yeux un gage de sa créativité, le temps est sans doute venu de réfléchir à l'évolution de ces relations. Faute d'une telle réflexion et de la définition d'une nouvelle évolution, le déferlement prochain des images et la constitution de puissants groupes de communication à vocation mondiale risquerait de marginaliser nos chaînes de télévision comme nos producteurs de cinéma.
Je vous proposerai de m'arrêter sur trois points, en ayant aujourd’hui plus le souci de tracer des lignes directrices, que d'arrêter des mesures :
1. En premier lieu le rappel des évolutions récentes.
2. Ensuite les orientations qui me semblent à privilégier.
3. Et enfin, les 2 voies qui pourraient être explorées.
Les diffuseurs ont sensiblement modifié au cours des dernières années leurs relations avec les producteurs. La création de nouvelles chaînes thématiques, qui sont pour un grand nombre liées à des diffuseurs hertziens, l'expansion du marché de la vidéo, la signature d'accords internationaux sont autant d'éléments qui ont conduit les diffuseurs à accroître leurs investissements dans la production et de l'acquisition de catalogues de films et d'œuvres audiovisuelles.
Les exemples d'une telle évolution abondent : fusion de catalogues Studio Canal +/UGC DA/lumière, relations toujours plus étroites entre CIBY 2000/TF1 Production et l'antenne de TF1, recours quasi systématique à des contrats englobant non seulement les droits de diffusion antenne mais aussi les droits satellites-câble, les mandants internationaux, voire les droits vidéo.
Enfin, je rappellerai qu'il n'est plus exceptionnel que les diffuseurs obtiennent par contrat une majorité de droits financiers au titre du fonds de soutien automatique généré par le C.N.C.
A terme, la contribution directe ou indirecte des diffuseurs au financement de la production cinématographique peut conduire, par le jeu de ces nouvelles pratiques, à transformer une part croissante des producteurs en de « quasi-prestataires de service ».
C'est une évolution qui peut d'ores et déjà être observée dans la production audiovisuelle où les diffuseurs sont en relation avec un grand nombre de fournisseurs de dimension petite ou moyenne, disposant de peu de fonds propres et dépendant d'eux pour les diffusions sur les autres supports ou à l'étranger.
Dans le cas du cinéma, la politique des diffuseurs paraît plutôt être de privilégier un nombre restreint de films français. Le plus souvent les plus importants et parfois au détriment de ceux qui sont mis en production par des indépendants.
Mais l'élargissement de l'influence des diffuseurs ne résulte pas seulement de leurs poids économique dans le financement des œuvres.
Bien souvent leur intervention s'explique aussi, et il ne faut pas se le cacher, par certaines carences au niveau des structures de la production :
- quasi-absence, en tout cas diminution du poids des investisseurs financiers dans la production ;
- tendance des groupes existants à se chercher une ouverture internationale et à mobiliser leurs fonds disponibles à l'étranger plutôt qu'en France ;
- faiblesse des structures de distribution en dehors de celles qui sont contrôlées par les grands groupes.
Sur ce dernier point, les initiatives de CIBY 2000, voire POLYGRAM ou HACHETTE, ne doivent pas dissimuler les tendances profondes à la concentration.
Face à ces évolutions, les orientations sont difficiles à concevoir et les remèdes délicats à administrer, en particulier, et je m'y attache, si l'on tient compte de l'environnement international.
Imposer des contraintes trop lourdes aux diffuseurs ou limiter à l'excès leur champ d'intervention pourraient avoir des effets négatifs pour l'industrie française si le relais n'était pas pris par d'autres groupes ou des capitaux neufs. Il faut, je crois, avoir le courage de le dire. Alors certes, on peut et il faut encourager les apports financiers extérieurs, européens ou non, soit sous forme de coproduction, soit sous forme d'investissements directs. Mais les chaînes de télévision resteront sans doute encore pour des années les principaux partenaires du cinéma.
Car n'oublions pas que dans la recherche de ces apports extérieurs, l'obligation de tourner en langue française peut-être aujourd'hui perçu comme un frein. En effet, les investisseurs étrangers comme français sont attirés avant tout par les talents français ; ils le sont moins par le marché francophone trop étroit, et encore moins par les capacités techniques et les coûts de production nationaux jugés souvent trop élevés. Les exemples récents de délocalisation ou d'investissement dans des films de langues étrangères par des groupes tels que le Studio Canal +, Gaumont, Pathé, Ciby 2000, témoignent de ces limites.
On ne saurait réglementer dans le domaine des relations diffuseurs-producteurs sans faire le maximum pour corriger ces handicaps. Tel est le sens des réformes étudiées actuellement par le C.N.C. sur l'agrément des films, les aides aux industries techniques et l'éventuelle renégociation des conditions d'emplois en France.
Mais je tiens aussi à dire, que si l'Etat continuera à soutenir la production indépendante car c'est son devoir sa vocation, et je crois l'intérêt du cinéma français, ce soutien a aussi ses limites.
En effet, soutenir les indépendants ne suffira sans doute pas. Ainsi pour prendre un exemple, on ne réglera pas les problèmes liés à la distribution internationale des œuvres françaises sans l'appui des grands groupes existants et tout particulièrement celui des chaînes de télévision.
A ce stade, je souhaiterais me contenter d'évoquer devant vous 2 voies qui pourraient être explorées :
a) La première consisterait à préserver l'accès des producteurs indépendants aux diffuseurs ; dans le domaine du cinéma, on pourrait s'inspirer des règles existant en matière de production audiovisuelle en réservant les 2/3 des obligations de production fixées aux diffuseurs à des producteurs indépendants des chaînes ou de leurs actionnaires principaux. On pourrait également envisager de demander aux chaînes d'affecter un pourcentage de l'ordre de 10 % de leurs obligations soit à des dépenses de développement de films y compris l'écriture, soit à des premiers films.
Dans le cas de Canal + et du Studio, un cadre déontologique pourrait être négocié visant à assurer l'égalité de traitement entre les producteurs adossés au Studio ou distribués par lui d'une part et les producteurs indépendants d'autre part.
Cela conduirait à déterminer avec plus de précisions le concept d'indépendance. A cet effet, un pourcentage plafond de 25 % du capital d'un producteur pourrait être fixé comme critère.
Si de tels critères devaient être retenus pour le cinéma, il conviendrait ensuite de les étendre aux producteurs audiovisuels.
b) Une autre piste envisageable consisterait à règlementer le cadre des rapports contractuels en prévoyant que les contrats de diffusion soient distincts de ceux qui portent sur la détention ou la distribution des autres droits (droits satellites-câble, droits vidéo, droits internationaux). Les seconds devraient comporter une valorisation équitable. En cas de mandat de commercialisation, celui-ci deviendrait caduc au terme d'un délai de 18 mois s'il n'a pas donné lieu à exploitation effective ou si un minimum garanti n'a pas été consenti au producteur.
Si ces règles n'étaient pas respectées, la transaction serait considérée comme ayant été effectuée avec un producteur dépendant des diffuseurs et son montant comptabilisé comme tel dans le calcul des obligations des chaînes.
Enfin, un dernier point doit recueillir toute notre vigilance. Il s'agit de la promotion à l'antenne d'œuvres coproduites par le diffuseur. Sur cette question, les chaînes doivent faire preuve de la plus grande déontologie.
Pour conclure, je souhaiterais indiquer que ces quelques pistes de réflexion ne peuvent être conçues que dans le respect d'un équilibre qui me semble essentiel.
En effet, il est essentiel que ces orientations ne revêtent pas le caractère de contraintes financières additionnelles mais qu'elles s'inscrivent dans une dynamique de marché. Le rôle économique des diffuseurs est tel qu'on ne peut plus se passer de leur concours.
Il ne s'agit donc pas une nouvelle fois d'opposer les intérêts du cinéma à ceux des chaînes de télévision, mais de trouver ensemble des évolutions, des améliorations susceptibles de renforcer notre industrie cinématographique et par là même, de fournir aux chaînes de télévision des films en quantité et en qualité suffisante, pour alimenter leurs antennes et satisfaire leurs publics.
C'est cette ambition qui doit aujourd'hui nous réussir.