Interview de M. Michel Péricard, président du groupe RPR à l'Assemblée nationale, à France-Inter le 5 juillet 1996, et article dans "La Lettre de la nation magazine" du 19 juillet intitulé "Réformer les aides à l'emploi", sur la nécessaire simplification des aides à l'emploi, la révision du CIE, et l'autorisation administrative de licenciement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Michel Pericard - Président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale

Média : France Inter - La Lettre de la Nation Magazine

Texte intégral

France Inter - vendredi 5 juillet 1996

France Inter : L. Le Floch-Prigent sous les verrous pour la gestion d'Elf. Les cheminots pourront-ils lui faire confiance demain ou va-t-il devoir démissionner ?

M. Péricard : D'abord, il faut savoir s'il va rester longtemps en prison. Ce que je voudrais dire, c'est que M. Le Floch-Prigent, tout le monde le sait, est un patron de gauche. Je ne vois pas pourquoi nous ne lui appliquerions pas les mêmes règles que celles que nous revendiquons pour les autres, c'est-à-dire la présomption d'innocence. M. Le Floch-Prigent, à nos yeux, à mes yeux, est innocent tant qu'il n'a pas été condamné. Il y a un problème physique d'empêchement qui est tout à fait regrettable. Ça pose aussi le problème de la détention provisoire un peu rapide. Mais si M. Le Floch-Prigent ressort rapidement, je ne vois pas pourquoi il abandonnerait ses fonctions. Si naturellement il ne ressort pas, je ne vois pas comment il les exercerait.

France Inter : L. Jospin était hier soir sur TF 1. Vous l'avez sûrement regardé ?

M. Péricard : En partie, c'était un peu long.

France Inter : Il a dit que « le tête-à-queue des promesses gouvernementales avait tué la confiance ».

M. Péricard : Je vais rendre destinataire M. Jospin d'un document auquel nous donnons la dernière main et qui est en deux colonnes, tout bêtement. D'un côté, ce qui a été annoncé par J. Chirac ; de l'autre, ce que nous avons voté dès la première année. M. Jospin sera surpris. Mais il est vrai que M. Jospin a une singularité : il n'est pas élu. Il n'a pas réussi à se faire élire. Donc il n'est pas à l'Assemblée, il ne voit pas ce qui s'y passe, ce qui s'y vote. Comme il ne s'entend pas non plus très bien avec ceux qui représentent le Parti socialiste à l'Assemblée, je crois qu'il a besoin d'être informé et je vais m'empresser de le faire.

France Inter : Dans la majorité, vous êtes de ceux qui estiment que le Premier ministre devrait légèrement infléchir sa politique. Vous avez même rencontré J. Chirac. D'autres membres de la majorité sont critiques.

M. Péricard : J'ai rencontré hier J. Chirac, A. Juppé et ça a eu l'air d'être un événement Mais je les rencontre régulièrement Il est bien normal que le président du groupe parlementaire le plus important ait des relations fréquentes et suivies avec les responsables de la vie politique. Qu'est-ce que nous nous disons à chaque fois ? On fait ce qu'on appelle un tour d'horizon et puis je leur dis l'état d'esprit des parlementaires. Il est assez comparable à celui de l'opinion publique qu'ils représentent. Il y a des hauts, des bas, des difficultés, il y a des satisfactions. Mais il n'y a pas d'explication particulière à donner à ces rencontres.

France Inter : Les Français voient en ce moment un chômage qui grimpe, des comptes sociaux ...

M. Péricard : En ce moment, nous sommes dans une zone de turbulences, ça me paraît indiscutable. Nous avons discuté pour savoir comment on pourrait en sortir. Le président de la République m'a écouté. Quand je dis m'a écouté, ça ne veut pas dire qu'il va faire nécessairement faire ce que je lui demande. Il a ses responsabilités, j'ai les miennes. Les siennes sont beaucoup plus éminentes et il n'a pas à me suivre. Mais j'ai l'impression qu'il connaissait bien la situation de la France et des Français. C'était assez impressionnant. Ce qui ne l'était pas moins, c'était ce que je vous disais : à côté de lui, en lui parlant je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de chefs d'État au monde à qui on puisse parler avec une telle franchise.

France Inter : On a l'impression que la majorité doute de la politique du Gouvernement. Dans votre rapport, vous parlez par exemple du CIE, la solution présentée pendant la campagne pour endiguer le chômage. Finalement, vous-même, vous ne trouvez pas cela très efficace ?

M. Péricard : Si. Mais toutes les aides à l'emploi nous permettent de faire le même constat. On observe une situation à laquelle on veut remédier. Je le dis parce que je l'ai écrit dans ce constat. Ce n'est pas un réquisitoire, ce n'est pas le procès pour tel ou tel gouvernement : ça fait vingt ans que c'est comme ça et personne n'a été beaucoup plus malin que les autres. On constate une situation. J. Chirac a constaté que les chômeurs de longue durée étaient laissés au bord du chemin. Donc on a créé le CIE. Il a eu un succès considérable. Mais, comme toutes ces aides à l'emploi, il y a immédiatement un effet pervers qu'il faut corriger. Au bout d'un an, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'on veuille l'adapter. Quel est cet effet pervers ? C'est que, massivement, les chômeurs de longue durée ont eu des CIE. Réjouissons-nous. Mais les chômeurs de très longue durée n'en ont pas eu, parce que les entreprises se sont plutôt jeté sur ceux qui avaient douze mois, treize ou quatorze mois de chômage et pas sur ceux qui avaient 18, 20, 24 mois, 36 mois parfois de chômage.

France Inter : Il était mal ciblé ?

M. Péricard : Non. On n'avait sans doute pas prévu, et sans doute ne pouvait-on pas prévoir cette déviation. Nous proposons une modulation de la prime qui accompagne le CIE en fonction de la durée de chômage de celui qui en sera bénéficiaire et ce sera corrigé. Je sais que ça fait bien plaisir à la presse, un RPR qui dit que le CIE du président de la République n'est pas quelque chose de terrible. Ça, c'est un bel événement Ce n'est pas du tout ce qui a été dit Ce n'est pas du tout ce qui a été écrit et ce n'est pas du tout ce qu'on pense.

France Inter : En ce moment, on voit à la télévision une campagne nationale qui fait la publicité des contrats d'apprentissage et autres. Votre rapport ne les trouve pas très efficaces non plus.

M. Péricard : C'est exact Sur l'apprentissage, nous ne disons que du bien et nous ne demandons que l'augmentation de l'apprentissage. La formation en alternance est une formation qui, elle, a fait ses preuves.

France Inter : Elle est chère quand même.

M. Péricard : Oui, mais elle débouche sur quelque chose. Le problème des aides que nous discutons, que nous contestons, c'est qu'elles ne débouchent sur rien la plupart du temps. Il y a ces fameux stages parking qu'on connaît, ces formations qui sont destinées à occuper les gens beaucoup plus qu'à leur apprendre quelque chose. Cela, c'est à remettre en cause. Mais l'apprentissage tel qu'il est généralement pratiqué et tel qu'il commence à se développer très fortement, il coûte cher mais il ne faut pas le regretter. Tout coûte cher, vous avez les chiffres.

France Inter : Alors vous dites : 300 milliards de francs, on pourrait au moins en économiser 20 milliards. Qu'est-ce qu'on supprime et qu'est-ce qu'on fait à la place ?

M. Péricard : Trois cents milliards de francs, c'est l'ensemble des dispositifs d'aide aux chômeurs, il y a là-dedans aussi les sommes données pour ceux qui ont droit aux primes. Mais il y a un certain nombre de dispositifs qui n'ont pas fait la démonstration de leur efficacité. Combien y a-t-il d'aides pour l'emploi en France ? Personne aujourd'hui n'est pas capable de répondre avec exactitude. Nous estimons qu'il y en a une soixantaine.

France Inter : Les patrons ne s'y retrouvent pas, d'ailleurs ?

M. Péricard : Bien sûr. Personne ne s'y retrouve. Nous sommes allés en province, ce qui est assez rare pour une commission d'enquête, et nous avons vu des patrons qui préfèrent renoncer d'avance. Il faut supprimer les dispositifs qui ne servent à rien. Ils ont parfois des titres très sympathiques : l'aide au premier emploi des jeunes. On dit : ça c'est bien. C'est bien, mais ça ne marche pas ; tel que c'est prévu, ça ne marche pas. L'aide à la création d'entreprises par les chômeurs : ce n'est pas une bonne mesure. Il y en a 2 000 qui ont été données et généralement dans des conditions telles que ceux qui reçoivent la subvention la touchent quand leur entreprise a déjà disparu. Donc, tout ça est à revoir. Notre objectif n'était pas de chercher les économies mais il n'est pas non plus de demander la continuation des gaspillages.

France Inter : Est-ce qu'il faut revenir à l'autorisation administrative de licenciement pour, justement, combattre le chômage ?

M. Péricard : C'est l'autre politique, c'est la grande idée de M. Jospin. Je voudrais dire que l'autorisation administrative de licenciement a été supprimée et quand elle a été supprimée, il a été annoncé que le chômage allait se propager. C'est le contraire qui s'est produit, car les entreprises ont osé embaucher, sachant qu'elles pourraient... bon. La gauche est revenue au pouvoir entre 1988 et 1993 et ses hurlements se sont mystérieusement éteints, dégonflés diriez-vous. Ils se sont éteints parce que la gauche s'est aperçue que revenir là-dessus, c'était une sottise considérable et elle l'a maintenue. Et aujourd'hui où elle ne prend aucun risque et où elle veut montrer son gauchissement, elle suggère de la rétablir, chiche ! Mais comme elle ne viendra pas au pouvoir, on ne pourra même pas le vérifier.

France Inter : Comment obliger les entreprises à embaucher aujourd'hui, en maintenant les aides qui ne sont pas efficaces ?

M. Péricard : Non, sûrement pas, en abaissant les charges surtout sur les emplois peu qualifiés et les bas salaires et en facilitant au contraire la suppression de l'autorisation administrative de licenciement, en facilitant encore l'embauche et la débauche dans les petites et moyennes entreprises. Cela aura du succès pour l'emploi.

France Inter : La flexibilité donc.

M. Péricard : Voilà.

 

La Lettre de la Nation Magazine – N° 352 - 19 juillet 1996

La commission d'enquête sur les aides à l'emploi créée à l'initiative du groupe RPR a procédé à un état des lieux de ces aides afin d'en mesurer l'efficacité et d'en proposer une simplification. Il était grand temps de remettre à plat l'ensemble du système qui représentait en 1995 près de 4 % du PIB (300 milliards de francs).

Quatre orientations nous ont guidés dans nos travaux. La première priorité consiste à rendre la politique de I' emploi plus simple, plus claire, plus lisible, plus cohérente et plus accessible. Il s'agit de clarifier les compétences entre l'État et les collectivités locales. Pour simplifier le schéma institutionnel du service public de l'emploi, il conviendrait de l'unifier, de le déconcentrer et d'en confier le pilotage à I' ANPE. Le regroupement des acteurs au sein du « guichet unique emploi » répond lui aussi à une meilleure rationalisation des réseaux.

Ainsi, le contrat d'orientation et le contrat d'adaptation, de même que l'APEJ (Allocation premier emploi des jeunes), mal ciblée et coûteuse, pourraient être remplacés par le « passeport pour l'emploi », mieux adapté à la diversité des difficultés d'insertion que rencontrent nos jeunes.

* Recentrer les dépenses

Pour éviter certaines dérives, un meilleur ciblage des aides s'impose. Les stages de formation professionnelle pour les chômeurs, le stage d'accès à l'emploi et le stage d'insertion et de formation à l'emploi devraient être recentrés sur les personnes les plus en difficulté et les chômeurs de très longue durée. Il serait également opportun d'améliorer les garanties des salariés travaillant à temps partiel et de réfléchir aux nouvelles possibilités du temps partiel choisi.

La formation en alternance constitue un des moyens les plus efficaces pour assurer une bonne insertion. L'apprentissage doit devenir une véritable voie de formation complète pleinement reconnue. À moyen terme, l'objectif d'un million d'apprentis est à notre portée ! Dans cette optique, le contrat de qualification devrait être développé et mieux contrôlé. Par ailleurs, I'UNEDIC pourrait se voir confier la gestion des dispositifs de pré-retraites. Il conviendrait également de lisser la dégressivité de l'allocation unique afin d'éviter les effets d'escalier.

* Redéployer les aides

Au-delà des aides directes liées à l'embauche, il faut favoriser l'initiative. Le développement des emplois de services aux personnes pourrait être accéléré par la transformation d'une partie de la réduction d'impôt en une exonération de charges patronales. Une croissance créatrice d'emplois passe par une politique ambitieuse de création d'entreprises. À cet effet, l'ACCRE, qui bénéficie aux seuls chômeurs, pourrait être remplacée par un système plus ouvert de soutien en quasi-fonds propres sous la forme d'une avance remboursable accessible à tout créateur d'entreprise.

Les différentes propositions de simplification, de recentrage, d'activation et de redéploiement formulées par la commission d'enquête se fondent sur la mobilisation générale les acteurs de terrain et sur la dynamisation de l'économie. La fracture sociale n'est pas inéluctable ! Une politique économique de l'emploi permettra la libération et la multiplication des initiatives créatrices de richesses et d'emplois. C'est le combat quotidien du gouvernement d'Alain Juppé et de sa majorité. Seule une action structurelle à l'efficacité optimale assurera l'avenir et garantira un développement durable et harmonieux de la société française.