Texte intégral
conférence de presse du ministre délégué aux affaires européennes, M. Michel Barnier (Majuro, 8 septembre 1996)
Q. : Pourquoi est-ce que la France est venue si rapidement, puisque l’invitation n’a été transmise que mercredi et vous avez pu arriver très vite ?
R. : C’est le président de la République française, Jacques Chirac, qui a lui-même décidé mercredi de répondre par ce geste à la décision du Forum et d’envoyer un membre du gouvernement pour reprendre immédiatement ce dialogue et, ainsi, tourner définitivement la page des mois des mois passés.
Cette décision, nous l’espérions. Le Président de la République a veillé à ce que la France tienne rigoureusement tous les engagements qu’elle avait pris. Nos essais sont maintenant définitivement terminés depuis huit mois. Nous avons adhéré en mars dernier au Traité de Rarotonga. Nous avons fermé notre centre d’expérimentation. Nous avons agi avec la détermination promise pour la conclusion du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Nous avons été les premiers à demander que cette interdiction soit totale et s’appuie sur l’option zéro. Enfin, nous avons ouvert les portes aux missions de l’AIEA pour vérifier et contrôler ce qui s’est passé sur notre site d’expérimentation.
J’avais déjà eu l’occasion d’exprimer tous ces engagements, à la demande du président de la République à Brunel au mois d’août dernier lors de la réunion de l’ASEAN.
Nous sommes heureux que tous les pays du Forum du Pacifique sud, et même du Pacifique nord aient bien compris que la France avait une position claire et sincère.
Maintenant la page est tournée et nous voulons relancer notre coopération dans cette région avec tous les États.
Q. : Le Pacifique est tout petit et très éloigné de la France. Pourquoi était-ce important ?
R. : Parce que la France est présente dans cette région du monde, avec trois territoires qui appartient à la République, et où la présente française n’est pas imposée, où elle est fondée sur la volonté majoritaire de la population de ces trois territoires.
Parce que la France n’est indifférente à aucune région du monde. Nous sommes membre du Conseil de sécurité aux Nations unies et la diplomatie française ne veut pas, aujourd’hui, sous l’impulsion de Jacques Chirac, laisser aucune région du monde de côté.
J’observe enfin que plusieurs États de cette région du Pacifique Sud bénéficient des crédits du Fonds européen de développement, que la France a contribué à renouveler pour le 8ème Fonds au mois de juin 1995 quand nous avions la présidence de l’Union. La France assume 25 % des crédits de ce fonds et nous sommes décidés à utiliser efficacement cet argent pour le développement et l’environnement dans cette région.
Q. : Il y a eu au début de la semaine dernière lors du Forum un incident sur un double aspect de la politique de la France. Ce n’était pas très clair. Pouvez-vous préciser cette position ?
R. : Ce qui s’est passé est lié à un malentendu. Je suis tout à fait persuadé que la présence de ces deux responsables du gouvernement du territoire de la Polynésie partait d’une bonne intention. Et le président des Iles Marshall, qui m’a reçu hier, a lui-même dit à Gaston Flosse, qui est à mes côtés aujourd’hui pour ce dialogue avec le Forum et qui fait partie de la délégation de la France, que cet incident était clos.
Q. : Dans un contexte plus large, on a le sentiment que le Forum était vraiment assez satisfait de ses relations avec la France. Est-ce que c’est votre sentiment également ?
R. : C’est tout à fait le sentiment que j’ai et qui est confirmé par les contacts que j’ai eus ici avec le président des Iles Marshall par exemple, avec la délégation de Vanuatu et d’autres délégués que nous avons rencontrés. Chacun est heureux que la page soit tournée et chacun sait que l’attitude de le France est, aujourd’hui comme hier, claire et sincère. Et maintenant nous allons travailler ensemble car il y a dans ces territoires, dans ce pays, énormément à faire pour le développement et l’environnement. Vous vous rappelez peut-être que j’ai été ministre de l’Environnement dans le précédent gouvernement, avant d’être ministre en charge des Affaires européennes.
Q. : Une autre chose qui n’est pas claire c’est que vous avez indiqué qu’il y aurait un Sommet à Paris avec les dirigeants des États du Pacifique sud. Apparemment cela ne s’organise pas. Donc qu’en est-il ?
R. : La France garde l’idée d’accueillir à Paris les chefs d’État et de gouvernement de la région du Pacifique. Nous travaillons toujours à l’idée de ce sommet, de cette réunion mais il n’était probablement pas possible de la mettre en œuvre avant la décision qui a été prise mercredi dernier. Donc je pense qu’une telle rencontre pourra avoir lieu à partir de l’année prochaine.
Cette idée, dont Gaston Flosse est à l’origine, est une bonne idée.
Q. : (Sur la déclaration que va prononcer M. Bernier).
R. : Je ne suis pas venu dans l’intention de faire des annonces, des coups d’éclat ou de l’esbroufe. Je vais annoncer que l’effort budgétaire que la France réalise dans cette région sera probablement augmenté dans les années qui viennent, et que nous souhaitons, soit à travers les crédits européens, soit à travers nos propres ressources, travailler maintenant à la stabilité politique, à l’épanouissement économique, culturel et social de cette région.
Mais, au-delà, ce que je peux dire, ce qui est important, c’est le geste que le président de la République française a voulu faire à l’égard de tous ces pays et de tous ces peuples en envoyant immédiatement un ministre français.
Comme je le dirai tout à l’heure, Jacques Chirac connaît bien cette région du Pacifique, il l’aime et c’est aussi cela que signifie ce geste. Ma délégation tout à l’heure sera composée de Gaston Flosse et des deux ambassadeurs.
Discours du ministre délégué aux affaires européennes, M. Michel Barnier (Majuro, 8 septembre 1996)
Mes premiers mots seront pour remercier et féliciter les Iles Marshall qui organisent cette rencontre, et la présidence. J’exprime ces remerciements au nom de tous les membres de ma délégation et tout particulièrement au nom de M. Gaston Flosse, président du gouvernement de la Polynésie française et des ambassadeurs Bressot et Frassetto.
J’ai cette année une raison particulière de me réjouir d’avoir l’honneur de représenter la France au dialogue pos-Forum, puisque mon arrivée à Majuro a suivi de quelques jours votre décision de réadmettre la France en qualité de partenaire du dialogue.
1. Le président de la République française, M. Jacques Chirac, est d’autant plus heureux de cette décision qu’elle répond aux engagements que la France a pris et respectés.
Nos essais sont terminés depuis huit mois. Nous avons adhéré le 25 mars dernier aux protocoles du Traité de dénucléarisation du Pacifique sud signé par M. Gaston Flosse. Et surtout nous avons définitivement fermé notre centre d’expérimentation. La France est la première et la seule des puissances nucléaires à avoir adopté une telle décision.
La France a agi avec détermination, en faveur de la conclusion du CTBT (traité d’interdiction complète des essais). Elle soutient la résolution présentée à l’Assemblée générale des Nations unies pour assurer son adoption et signera le traité dès qu’il sera soumis à la signature des États.
Enfin, la mission de contrôle de l’innocuité écologique des essais sur l’atoll de Mururoa, dirigée par l’AIEA se poursuit, et là encore nous sommes les seuls à permettre un tel accès de notre ancien site à des experts internationaux indépendants. M. Flosse peut vous le confirmer.
En matière de désarmement, nous n’avons pas seulement tenu nos promesses, nous sommes allés plus vite et plus loin que les autres pays.
Notre présence à ce dialogue a une signification qui est plus essentielle encore : la France appartient à la région, à cet ensemble que vous me permettrez d’appeler la grande famille du Pacifique. Dès le dix-huitième siècle, le Pacifique faisait partie de notre culture. Notre présence dans le Pacifique sud n’est pas une présence opportuniste, liée par exemple à nos essais, comme l’ont dit très injustement au cours de l’année passée certains de nos détracteurs.
Cette présence n’est pas imposée. Elle est au contraire fondée sur la volonté et l’attachement des populations de nos trois territoires régulièrement consultés.
Nos essais sont terminés, notre aide au développement demeure et nous souhaitons dans le contexte budgétaire difficile qui est actuellement celui de la France, non seulement maintenir notre aide mais également, dans la mesure du possible, la développer. Au cours de ces dernières années, notre aide annuelle moyenne a été, je vous le rappelle, de 130 MF, soit 26 millions de dollars. Ce chiffre inclut l’aide européenne apportée à la région par le FED : notre contribution au FED est actuellement la première (24,37 %, soit 40 MF).
Les principes qui régissent notre aide sont conformes à l’objectif du développement durable que vous avez adopté il y a deux ans au Forum de Brisbane préconisant la préservation des ressources naturelles et le développement des ressources humaines. Sans négliger les projets d’équipement lourd (aéroports par exemple), nous nous attachons à l’éducation, à la santé, au développement agricole. Nous avons sélectionné en 1996 deux types de projets que nous entendons favoriser : l’électrification solaire, et le relevé bathymétrique satellitaire des fonds marins, très utile aux activités de pêche. Plusieurs projets relevant de ces domaines vont être ou ont été réalisés (relevé bathymétrique : Fidji, États fédérés de la Micronésie, Vanuatu ; électrification solaire : îles Marshall). Nous sommes prêts à recueillir vos nouvelles demandes.
Ayant été ministre de l’Environnement dans mon pays pendant deux ans, je veux souligner l’intérêt et le soutien que nous continuerons d’apporter au SPREP.
Les projets ponctuels de taille petite ou moyenne sont financés par le Fonds pacifique. Une institution que vous connaissez bien, créée en 1986 par M. Gaston Flosse. J’observe que la dotation de ce Fonds a plus que doublé en 2 ans (11 MF en 1994) pour atteindre cette année 25 MF. Nous essaierons de renforcer encore ses moyens en 1997.
La Caisse française de développement assure principalement le financement des projets d’équipement lourd (18 MF par an en moyenne).
Le ministre des Affaires étrangères assure le financement de notre coopération culturelle et technique, notamment la présence de nos experts.
Je voudrais mentionner la participation essentielle des institutions scientifiques françaises du Pacifique (CIRAD, ORSTOM, IFREMER) dans ce dispositif et le rôle éminent de nos Territoires, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie Française, dont nous souhaitons qu’ils développent leur action extérieure, notamment en concluant leurs propres accords de coopération avec les États de la région (accord Nouvelle-Calédonie-Vanuatu de novembre 1993).
Les organisations régionales du Pacifique sud retiennent toute notre attention. Je souhaite que notre participation aux programmes du Forum (1 MF ; 6 projets) puisse être renforcée. Des crédits encore non employés existent à cette fin.
Nous sommes heureux aussi que le nouveau siège de la Commission du pacifique sud, à la construction duquel la France, la Nouvelle-Calédonie et l’Australie ont participé, ait été maintenu à Nouméa. Une réforme visant à rendre encore plus efficace le fonctionnement de la CPS est mise en œuvre : nous la soutenons.
En 1995 le Programme régional océanien pour l’Environnement est devenu une organisation distincte de la CPS dont il est issu : nous avons eu la satisfaction de rejoindre cette nouvelle organisation du Pacifique, en ratifiant le 3 juillet dernier la Convention qui la fonde.
2. Je viens d’évoquer brièvement le rôle croissant de nos territoires dans la région. Je sais que leur évolution est pour vous un sujet d’intérêt majeur. Une délégation de plusieurs pays du Forum (PNG, Fidji, Salomon) s’est rendue du 27 juillet au 3 août en Nouvelle-Calédonie pour y rencontrer les différentes composantes politiques du Territoire. Le 29 juin dernier, plusieurs hauts dirigeants des pays de la région (Fiji, Vanuatu, Cook, Samoa Occidentale) ont été reçus par le président Gaston Flosse à l’occasion du 12ème anniversaire de l’autonomie.
Ces différents contacts ont pu, je le crois, permettre aux États de la région de constater que les populations françaises du Pacifique étaient maîtresses de leur destin.
1) En ce qui concerne à la Nouvelle-Calédonie, les discussions préalables commencées en février dernier, destinées à rechercher une solution consensuelle dans la perspective de la consultation de la population prévue par les Accords de Matignon associent trois partenaires : l’État français, le RPCR et le FLNKS.
La nature du lien entre la Nouvelle-Calédonie et l’ensemble français, l’accroissement de la responsabilité locale, les moyens d’assurer à la Nouvelle-Calédonie un développement économique et social équilibré sont les principaux sujets discutés.
L’État élaborera dans ces différents domaines des propositions qui seront étudiés en commun à la fin de cette année ou au début de 1997.
Le dispositif mis en place fonctionne donc dans de bonnes conditions et doit permettre de dégager les convergences mais aussi les compromis indispensables pour définir la solution consensuelle garantissant à la Nouvelle-Calédonie un avenir harmonieux.
2) Dans l’histoire de la Polynésie française, 1996 a été une année majeure marquée par l’adoption en mars du nouveau statut d’autonomie, succédant à celui de 1984. Selon ce nouveau statut, des transferts de compétence ont été effectués au profit du Territoire, qu’il s’agisse de l’exploration et de l’exploitation des ressources de la mer, des communications, du régime des investissements étrangers, ou de la négociation relative aux dessertes maritimes ou aériennes intéressant exclusivement le Territoire. Le président du Territoire a également, dans des conditions prévues par le nouveau statut, de nouveaux pouvoirs de négociation et de signature des accords internationaux.
On peut donc dire qu’un nouveau pas vient d’être franchi en faveur de l’affirmation de la personnalité et de la responsabilité de la Polynésie française. Ses habitants l’ont compris et ont montré par leur vote qu’ils aspiraient majoritairement à trouver leur épanouissement dans l’appartenance à la République française.
Je voulais vous donner ces quelques indications sur l’action et la présence de la France dans le Pacifique. Vous constaterez que notre bilan dépasse, et de très loin, la question des essais nucléaires, qui appartient d’ailleurs maintenant à un passé révolu. Notre priorité dans nos relations avec les pays de la région est et restera le développement, mais un développement durable. Je serais plus particulièrement heureux d’entendre vos vues dans ce domaine au cours du dialogue qui va s’engager entre nous, et de répondre à vos questions.
Le président de la République française m’a chargé de vous redire l’attachement qui restera le sien pour le Pacifique, pour les femmes et les hommes qui vivent dans cette région, qu’il connaît et qu’il aime. C’est aussi la signification de la présence d’un ministre français aujourd’hui pour ce dialogue que nous sommes très heureux de renouer avec tous de manière constructive confiante et amicale.