Texte intégral
Chers amis,
Certains d'entre vous ont fait un long voyage pour venir ici, et si cela ne se voit pas, quelques-uns sont peut-être un peu fatigués. Vous devez être impatients et curieux de vous lancer à la découverte du Palais Bourbon. Nous allons voir tous ces dessins, ces panneaux, dont certains sont de véritables oeuvres d'art, que vous avez réalisés. Dans quelques minutes, le peintre Hervé Télémaque lancera la première émission du très beau timbre gravé pour aujourd'hui. Dehors, si le temps le permet, il y aura tout à l'heure de la musique, des chants, des groupes, de la danse et de la joie. L'exposition que vous verrez est en partenariat avec la fondation RATP, le timbre est une association avec la Poste, deux entreprises de service public symboles de notre démocratie. Exposition, visite, musique, tout cela vous attend. Je n'aime pas les longs discours, laissez-moi cependant vous dire quelques mots.
Car les 150 ans de l'abolition de l'esclavage, c'est un grand symbole. Parce que cet événement – avril 1848 – met à jour une injustice qui ne fut pas seulement pendant des centaines d'années un outrage fait aux victimes, mais une insulte à l'humanité tout entière. La France à travers l'esclavage et la traite négrière a en effet arraché de leur terre et de leur famille, des hommes, des femmes, des enfants, les a jetés comme du bétail dans des navires, les a marqués au fer, les a asservis à un travail forcé, à humilier leurs corps et mutilé leur esprit, en définitive pour du profit, pour de l'argent. La patrie des droits de l'homme a donc été aussi en son temps – elle n'était pas la seule – un Etat qui transformait des êtres humains en bêtes de somme, en créatures privées de toutes libertés jusqu'à celle d'avoir même une identité. Pour respecter la vérité, il faut le dire, il faut en avoir le souvenir et le repentir.
L'esclavage fut aboli en 1794 mais rétabli – on l'ignore souvent – par Napoléon au début du dix-neuvième siècle. Jusqu'en 1848, notre déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'était donc qu'une déclaration sélective, des centaines de milliers d'hommes et de femmes n'étaient ni libres ni égaux en droit. Ils étaient asservis à cause de leur couleur.
Grâce au décret du 27 avril 1848 – c'est ce décret que nous fêtons –, cette tyrannie disparut enfin à l'initiative de Victor Schoelcher, un homme à peu près inconnu à l'époque et qui identifia sa vie à deux grandes causes, l'abolition de l'esclavage – il réussira –, l'abolition de la peine de mort – obtenue par la Gauche et François Mitterrand plus d'un siècle après, en 1981 –. L'abolition de l'esclavage fut une victoire du peuple français tout entier. Car l'esclavage était non seulement une abomination pour les victimes, mais aussi une honte pour les bourreaux.
Ce n'est qu'après cette abolition que “liberté, égalité et fraternité”, trois mots qui sont fronton de toutes nos écoles, de toutes nos mairies, devinrent la devise de tous les Français, sans distinction de race, d'origine ou de couleur. C'est en ce sens que les luttes menées par les esclaves pour libérer de leurs chaînes se sont identifiées au combat pour la République, pour que l'homme et la femme soient considérés comme des êtres méritant dignité et respect. Comme toujours, une liberté ne se construit que dans le combat des hommes, la victoire de l'esprit, et la légitimité du droit.
Est-ce à dire que, depuis lors, tout est réglé et qu'on peut laisser place aux historiens en s'occupant d'autre chose ? Je réponds quatre fois non :
Non, parce que nous ne devons pas oublier ce que fut le crime d'hier si l'on veut construire aujourd'hui et demain. La haine, l'intolérance, la bêtise ne sont pas l'apanage des temps révolus ou des contrées lointaines. Dans nos rues, il y a par exemple la menace que fait peser un parti qui prône l'inégalité des peuples et des races, c'est-à-dire le fondement théorique de l'esclavage.
Non, aussi, parce que subsistent d'autres servitudes à travers le monde, je songe à ces enfants qui ont votre âge et qui assemblent durant des jours jouets et vêtements, à ceux des “domestiques” qui sont traités comme en servage, aux prisonniers qu'on oblige à un travail forcé, ou dont on fait le trafic des organes, aux femmes encagées dans des voiles par le fanatisme, aux peuples asservis aux folies de leurs dictateurs. Les esclavages, ce sont aussi ceux qui liés à la misère et au désespoir, ou bien la drogue et la prostitution.
Non, tout n'est pas réglé, puisqu'il manque un Tribunal pénal international permanent, pour punir ceux qui se rendent coupables de ce crime imprescriptible et universel contre l'humanité qu'est l'esclavage. Il faudra créer ce Tribunal.
Non, enfin, parce que nous sommes toujours redevables à l'Afrique de la souffrance que nous lui avons infligée et dont les traces demeurent souvent dans les sociétés et dans les têtes. Je recevrai cette année, à l'Assemblée nationale, Abdou Diouf, le Président du Sénégal, et – je l'espère – Nelson Mandela, qui libéra ses frères sud-africains. Il est juste que ce soient des représentants aussi symboliques de l'Afrique de notre temps qui viennent ici, au coeur même de la République, porter témoignage de leurs attentes vis-à-vis de l'Europe qui leur doit réparation.
Non, tout n'est donc évidemment pas réglé, mais des progrès s'accomplissent comme par exemple aujourd'hui le remarquable accord en Nouvelle-Calédonie.
Chers amis, grâce à votre présence la France, en particulier celle d'outre-mer, est aujourd'hui l'honneur. L'Outre-mer, l'Outre-France, c'est une chance pour la France, qui salue l'Afrique et les Caraïbes, le Pacifique et les Amériques, la France de demain, qui fera que nous ne serons pas simplement un petit bout de l'Europe, mais un territoire que j'espère fraternel, uni et multiple au 2lème siècle.
Pour toutes ces raisons, j'ai souhaité que l'Assemblée nationale ouvre aujourd'hui ses portes pour accueillir vos discussion, vos chants, vos voix.
Vive la République, vive la liberté, vive la France.