Extraits des interviews de M. Charles Millon, ministre de la défense, à France 2 le 22 février 1996, France info et la chaine info le 23, sur le projet de réforme des armées, les restructurations dans l'industrie d'armement et le débat sur le service national.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déclaration télévisée de M. Jacques Chirac sur la réforme de l'armée et du service national et la restructuration de l'industrie d'armement le 22 février 1996

Média : Emission la France en direct - France 2 - France Info - La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Propos sur la Défense – N° 57 - 22 février 1996

Entretien du ministre de la Défense sur « France 2 » dans l’émission « La France en direct » (21 h 20) (Extrait)

Réforme des armées

Q. : Se dirige-t-on vers une professionnalisation de l’année ou une armée professionnelle ?

R. : Tout d’abord, je voudrais revenir sur l’annonce de cette réforme, fallait-il l’attendre ? Je voudrais simplement indiquer que Jacques Chirac a mis un terme à des années de solutions différées, de décisions reculées et d’un certain immobilisme et que ce soir il a marqué son action par deux mots : anticiper – premièrement, il prend six ans d’avance c’est-à-dire qu’il dit à la France et aux Français, nous allons préparer ensemble durant les six ans à venir notre industrie d’armement, notre armée, notre défense nationale – et deuxièmement nous allons débattre ; nous allons en débattre tout simplement durant les semaines et les mois qui viennent car c’est un sujet qui touche au cœur de la France, qui touche à votre avenir, qui touche à votre cohésion sociale. C’est à vous de dire, par un certain nombre de mode de discussion à déterminer, c’est à vous de donner votre avis et ainsi d’influencer la décision nationale.

Armée professionnelle

Mais revenons à la professionnalisation :
    – elle paraît totalement évidente ; je crois que c’est véritablement se voiler la face que de ne pas constater qu’aujourd’hui qu’existe la force de dissuasion, les missiles et les sous-marins nucléaires ;
    – la prévention c’est-à-dire tout le système satellitaire, les satellites qui tournent actuellement autour de la terre et qui permettent à la France d’avoir de l’information, des renseignements ;
      – la projection. On constate aujourd’hui que la menace sur la France ce n’est pas l’invasion. Ce sont plutôt des menaces extérieures et il faut projeter des troupes même si Monsieur Chevènement ne le souhaite pas. En Bosnie les droits de l’homme étaient atteints, il y avait un racisme évident qui était en marche, il y avait une épuration ethnique qui était affirmée et la France ne pouvait éviter d’y aller sauf à se renier ;
    – et enfin, quatrièmement, il y a la question de la protection du territoire.

Ces quatre missions exigent une professionnalisation et d’autre part on s’aperçoit que le service national – on y reviendra sans doute tout à l’heure – ne correspond plus à sa vocation traditionnelle, c’est la raison pour laquelle la professionnalisation s’impose.

Relations armée-nation

Q. : Même si le service national, le service militaire dans sa forme d’aujourd’hui date du début du siècle, l’idée armée-nation-conscription date de deux siècles. C’est vraiment une rupture avec deux siècles de tradition républicaine ; est-ce que ça ne pose pas un problème ?

R. : Vous savez, je suis très attaché à l’histoire de France et j’ai vibré au sang de Valmy, de Verdun et de toutes ces périodes de l’histoire effectivement il y avait besoin de la levée en masse. Mais aujourd’hui il faut regarder les choses en face ; ce n’est plus en fait la levée en masse qui va permettre de protéger nos frontières, de résoudre les problèmes militaires, c’est au contraire une armée très spécialisée, très professionnelle qui nous permettra d’avoir l’efficacité que nous attendons et c’est la raison pour laquelle ce n’est pas une rupture, c’est la prise en compte d’une réalité...

Armée

Q. : Le service militaire, c’est clair, le Président de la République l’a dit tout à l’heure : c’est fini. Alors ?

R. : Ce n’est pas parce que le Président de la République a proposé une réforme qu’il faut critiquer tout ce qui se passe ou tout ce qui s’est passé ; l’armée française est une belle et grande armée, je crois que les ministres qui sont ici peuvent en porter témoignage, deuxièmement il y a des appelés, il y a beaucoup d’appelés heureux et il y a un encadrement qui a le sens de la nation, qui a le sens de la cohésion sociale et qui assume sa mission. Cela n’empêche que, comme je l’ai dit tout à l’heure, l’armée doit être professionnelle si elle veut répondre à ses missions et deuxièmement, le service national, qu’on le veuille ou non aujourd’hui, n’est plus le creuset social. Pierre Messmer l’a rappelé : 25 % des jeunes ne font plus leur service militaire...

Q. : Sur la défense du territoire français notamment, sur les attentats par exemple, que fera-t-on pour continuer « Vigipirate » ?

Mission de prévention (terrorisme, trafic de drogue...)

R. : D’abord pour ce qui est des attentats, le problème est simple ; le Président de la République ce soir a posé un problème et il a répété à plusieurs reprises qu’il était attaché à une mission de prévention. Cette mission de prévention, il y a la gendarmerie, la police, la sécurité civile et qu’il souhaite, il l’a dit, il a dit qu’il souhaitait que les jeunes Français puissent aller effectuer un service national dans la gendarmerie, dans la police, dans la sécurité civile.
C’est vrai que les menaces ont changé, qu’aujourd’hui les menaces sont très souvent intérieures au pays, qu’il existe le terrorisme, les mafias, les trafics de drogue, les trafics de tous genres et qu’il est nécessaire d’avoir à l’intérieur même du pays des moyens comme Vigipirate pour y accorder la sécurité. Cela c’est le premier point.

Le deuxième point concerne le coût financier ; il y aura 100 milliards de francs pour le fonctionnement, 85 milliards pour l’investissement et l’équipement durant la loi de programmation...

Restructurations

Pour ce qui est des restructurations il y a une coordination interministérielle qui est mise en place et les restructurations s’étaleront sur six ans... Je veux bien qu’on critique les annonces qu’a faites le Président de la République mais lui, au moins, il a pris la peine d’anticiper de six ans. Aujourd’hui, les arsenaux ne nous posent pas de problème de plan de charges mais il faut prévoir le plan de charges des arsenaux pour Cherbourg dans cinq ans, pour Lorient dans deux ans, pour Brest dans trois ans. C’est la raison pour laquelle je le dis très franchement, le problème de l’aménagement du territoire, de la revitalisation de certains bassins d’emplois, ça ne relève pas de la défense, ça relève d’une politique globale et que je suis contre les confusions entre les budgets...

Service national

Q. : Un mot maintenant sur le service : qu’est-ce qu’on en fait, s’il n’y a plus le service militaire. Il y a un service national, il y a un service civil, on le remplace par quoi ? Est-il obligatoire ou non obligatoire ?

R. : Je crois que le Président de la République a ouvert deux pistes ; il a dit soit il y a un service national obligatoire, soit il y a un service national volontaire et ce, à côté d’une armée de métier. Les Français actuellement ont le dossier en main, il va y avoir débat, il y aura ensuite un vote au Parlement puisque le référendum n’est pas possible.

Service national (deux options)

On optera soit pour le maintien d’un service national obligatoire avec des formes qui sont attachées à la sécurité et à la défense, à la cohésion sociale et à la solidarité et enfin à la coopération humanitaire et à la coopération internationale, soit il y aura un service volontaire qui prendra exactement les mêmes formes.

Référendum ?

Q. : Est-ce que vous pourriez nous expliquer en quoi, quand même, l’organisation du service national qui est un enjeu majeur de l’aisance du pays, ne relève pas de l’organisation des pouvoirs publics auxquels l’article 11 donne le droit d’accès au référendum ?

R. : Il y a eu un certain nombre d’experts qui ont été interrogés. Parmi les douze experts de la République qui ont tous répondu qu’il n’était pas possible, compte tenu des délibérations du Sénat, concernant la réforme constitutionnelle, de soumettre à référendum les dispositions qui touchent à la défense nationale. C’est ce qu’a expliqué le Président de la République...

Convention européenne des droits de l’homme

Q. : Va-t-on organiser les chantiers de jeunesse avec le, service civil obligatoire ?

R. : Le service national a été instauré sous une forme civile en 1972 et le Président de la République ce soir a proposé, soit le volontariat, soit le maintien du service national tel qu’il existe aujourd’hui avec les développements des formes civiles. Je veux bien croire qu’on se réfère constamment à la Convention européenne des droits de l’homme mais dans ce cas-là, il faudrait s’interroger sur ce qui se passe actuellement en Allemagneù55 % de ceux qui sont mobilisés dans la conscription vont effectuer, parce qu’ils sont objecteurs de conscience, des activités de forme civile. Le problème existe. Il a été résolu. Deuxièmement, pour ce qui est du financement et du budget, je précise simplement que le Président de la République a pris l’engagement que les dépenses inscrites en autorisation de programmes donneront lieu à un crédit de paiement ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé...

Réforme des armées (coût)

Je voudrais dire les choses très clairement, c’est qu’actuellement, les crédits se montent à 185 milliards dans les prévisions qui sont effectuées et qui ont été annoncées par le Président de la République. Il y a un certain nombre de décisions qui ont été prises, elles seront soumises au Parlement dans la loi de programmation. Si le Parlement, et j’ai l’impression que c’est en fait son esprit, a envie d’augmenter les crédits militaires, il faudra expliquer où il prendra les ressources. Ça c’est le premier point.

Le deuxième point, pour ce qui est du coût de ce qui a été proposé par le Président de la République ; il n’y aura pas d’augmentation du coût car le format de l’armée professionnelle sera inférieur au format de l’armée de conscription et qu’à partir de ce moment-là, on aura un coût équivalent, 100 milliards d’un côté, 100 milliards de l’autre. Que ce qui va coûter, je le sais, je ne m’en cache pas, c’est le passage de l’un à l’autre, c’est-à-dire de l’armée de conscription à une armée professionnelle...

Mission de projection

Q. : Est-ce important que pour le genre de missions que nous avons en ex-Yougoslavie, l’armée française soit en mesure de transporter comme ça des dizaines de milliers d’hommes rapidement ?

R. : Cela me paraît une évidence, je ne voudrais pas revenir sur les quatre missions de l’armée : dissuasion, prévention, projection et protection, mais c’est évident que pour assurer les missions de projection, il faut une armée professionnelle avec des moyens techniques qui soient à la disposition de cette armée professionnelle, on vient de le rappeler...

Q. : Il y a un autre coût qu’on va aborder, c’est le coût social et la fermeture des casernes ; alors coût budgétaire, moins cher, plus cher ?

R. : Le même, je l’ai dit tout à l’heure, nous allons réduire le format de 150 000 personnes ; nous aurons le chiffre indique au niveau des engagés et à partir de ce moment-là, une fois la transition passée, je suis très clair, vous aurez exactement, à peu près, le même coût, 100 milliards avant, 100 milliards après, par an, pour avoir une armée professionnelle, au lieu de l’armée de conscription que nous avons aujourd’hui.

Q. : S’il y a 100 000 hommes de moins dans l’armée de terre, ça veut dire combien de régiments en moins ?

R. : Je voudrais qu’on arrête de faire du catastrophisme ou même de la sinistrose, car je crois que d’abord il y a un phénomène nouveau, sur le plan de la méthode, c’est sans doute la première fois ou un Président de la République, anticipe six ans à l’avance et dit très clairement ce qu’il veut faire durant les six années à venir, qu’il annonce donc ce qu’il veut faire, au niveau de l’industrie, au niveau des régiments, au niveau de l’aménagement du territoire.

89 régiments dissous (1989-1995)

Je dois le dire, depuis 1989 jusqu’à aujourd’hui, il y a eu 89 régiments dissous.

70 régiments à dissoudre
Aujourd’hui, si l’on veut passer à l’armée professionnelle, il faudra, en six ans, dissoudre 70 régiments.

Q. : Le Président a dit, il a 124 régiments aujourd’hui, il y en aura à la fin de la transformation, 83, 85, c’est ça ?

R. : Il a parlé des régiments de combat. Il y a des régiments de soutien aussi, c’est la raison pour laquelle, vous voyez je suis encore plus clair et je vais encore plus loin que les informations qu’il a données, c’est-à-dire que c’est 70 régiments par rapport aux 89 qui ont été dissous depuis 1989. Donc c’est une évolution auxquelles ont présidé un certain nombre de ministres, ici présents.

Armées (format)

Q. : Puisqu’on parle de l’implantation des régiments, des casernes, des buses aériennes, des bases maritimes, etc., regardons justement des cartes qui ont été faites tout à l’heure, vous allez voir tout d’abord sur une première carte, les implantations qui sont de la marine, des implantations aériennes, pour voir an petit peu ce que ça représente en France. Vous voyez que c’est quand même relativement conséquent, qu’il y a quand même beaucoup de bases à la fois aériennes et maritimes en France ; nous allons voir maintenant sur une autre carte les implantations, la densité des implantations de bases, enfin de casernes, de régiments de l’armée de terre, un peu partout sur le territoire français. Vous voyez que là aussi, c’est assez impressionnant. Alors si on supprime 140 000 soldats dans l’armée professionnelle de demain, ça va dire quoi ? Combien de fermetures de sites va-t-il y avoir ?

R. : Aucun gouvernement n’a pu annoncer, du jour au lendemain, où les régiments allaient être fermés, dissous, ou les bases aériennes allaient être fermées, etc. C’est une programmation qui se fait, j’allais dire, en continu, de deux ans en deux ans ; je le dis tout à fait clairement ce soir à votre antenne, j’annoncerai en temps voulu, une fois que la loi de programmation sera votée, comment on procédera à ce reformatage, excusez-moi de cette expression un peu extraordinaire, ce reformatage des armées, mais c’est l’expression utilisée habituellement.
Et je précise tout de suite que nous mobiliserons des moyens dans le domaine de l’aménagement du territoire pour favoriser les reconversions, le redéploiement d’un certain nombre d’activités économiques, ou même l’essaimage, c’est-à-dire la création de petites et moyennes entreprises, à partir de grandes entreprises. Actuellement nous sommes en train de mobiliser des fonds européens, des fonds régionaux, lorsque les régions sont disposées à passer des conventions avec l’État, des fonds nationaux, le FRED, des entreprises de défense, ainsi qu’un certain nombre de crédits...

Industrie d’armement

Q. : Je voudrais juste un mot sur les inquiétudes, par ce que nous avons en direct, le maire de Brest, qui craint pour les chantiers navals, donc pour des suppressions d’emplois dans sa ville et qui va intervenir ; alors, sidérurgie ou non ?

R. : Non, mais très rapidement, quelques réflexions ; d’abord je voudrais dire que depuis trente ans, il n’y avait eu aucune réforme de structure dans l’industrie d’armement; Or, depuis hier vous pouvez constater que ce gouvernement, dans lequel j’ai l’honneur de m’inscrire, prend les décisions et les applique et pour Thomson, même s’il ne vous plaît pas et pour le pool aéronautique comme l’a dit le Président de la République.
Deuxièmement, quand j’entends parler de recapitalisation, il faut avoir perdu son capital ; or, nous sommes aux affaires depuis neuf mois et on n’a pas perdu le capital en neuf mois, il y a bien longtemps qu’il aurait fallu recapitaliser un certain nombre d’entreprises. Alors je le dis très clairement, oui il y a urgence dans la restructuration de l’industrie de l’armement mais il n’y a pas de sinistrose à avoir, car je voudrais aussi rappeler aux derniers intervenants, que 10 000 emplois par an ont disparu durant les six dernières années, ce qui fait 60 000 emplois.

Arsenal de Brest

Q : Sur Thomson et cette privatisation qui a été annoncée hier ?

R. : Permettez-moi d’abord de dire au maire de Brest, que j’ai rencontré tout à fait récemment, qu’il ne faut pas être inquiet pour être inquiet car l’arsenal de Brest, je comprends qu’il soit préoccupé, qu’il suive les activités, mais l’arsenal de Brest a du travail pour les années qui viennent et il le sait d’ailleurs. Aujourd’hui, le Président de la République a annoncé que nous prendrions des décisions qui permettraient aux arsenaux français de continuer à avoir un plan de charge à la hauteur des ambitions. C’est le premier point.

Groupes industriels (Thomson...)

Deuxièmement, Thomson, on en a décidé la privatisation, car nous souhaitons la constitution d’une industrie européenne de l’armement. Nous souhaitons qu’autour du pool électronique, qui s’est constitué en France et qui pourrait passer un certain nombre d’alliances soit en France soit en Europe. Je ne vais pas faire la description d’un certain nombre d’accords qui pourraient se dessiner dans les semaines ou les mois qui viennent, vous m’accuseriez après d’être à l’origine de délit d’initié. Donc aujourd’hui, il y a un groupe qui va être privatisé. Je souhaite qu’il y ait un groupe électronique qui soit en place. Je souhaite qu’il y ait un groupe aéronautique qui soit en place, je souhaite que le groupe nucléaire continue à avoir son rayonnement et je souhaite effectivement qu’il y ait un groupe électromécanique et mécanique qui se mette en place à partir d’un certain nombre d’activités.

Groupes européens

Q. : Est-ce que ces fusions auront des conséquences sur l’emploi en revanche ?

R. : J’espère que non. Je suis dans le domaine de l’économie. Si aujourd’hui je vous disais « i1 n’y aura aucun licenciement, il n’y aura aucune évolution du personnel dans telle ou telle entreprise », dans ce cas-là vous diriez « il est vraiment archaïque » ou alors vous diriez  « il est complètement utopique ». Je pense à la constitution de pools français qui, je l’espère, deviendront demain membres du pool européen, d’une industrie européenne de l’armement. Car ce qu’il faut savoir, c’est qu’aujourd’hui on a à faire face à une concurrence agressive des industries américaines, pour une raison simple, c’est que les Américains ont eu leur budget de défense qui a baissé et qu’à partir de ce moment-là les industries de défense américaines se sont tournées vers l’extérieur et vers les marches que nous exploitions. Et qu’aujourd’hui, on a à faire face à une concurrence redoutable et qu’il va falloir que nous nous armions...

Accompagnement économique et social

Q. : J’écoute avec attention les propos des uns et des autres et en particulier ceux du ministre de la défense et j’aimerais savoir dans ce plan – puisqu’il a des choix à faire et tout le monde en convient, il faut l’admettre s’il était prévu qu’il y ait une sorte de justice respectée entre les régions, afin de ne pas voir une désertification de l’armée, comme on voit une désertification rurale ; la Picardie ne peut plus s’offrir cela aujourd’hui par exemple.

R. : Cela me paraît évident.

Q. : Ça sera équilibré et bien reparti en France ?

R. : II y aura une répartition équitable et avec des compensations équitables.

Q. : Compensations plus fortes pour les régions qui souffrent le plus ?

R. : Je ne vais pas, ce soir, établir un plan d’accompagnement économique et social, j’ai dit que deux ans avant, j’étudierai avec tous les élus, les élus régionaux, les élus départementaux, les élus locaux, au cas par cas, avec les représentants des institutions européennes, comme avec les représentants de l’État, chargés de l’aménagement du territoire, le redéploiement et la reconversion des sites qui seraient atteints par une dissolution de régiments, ou une fermeture de base.

Q. : Monsieur Bordat, vous avez 47 ans. Vous avez an garçon de 23 ans qui a été exempté. Sur quoi voulez-vous intervenir par rapport au débat ici ?

Q. : (M. Bordat) : La première chose que je voudrais dire, c’est que j’ai du mal à y voir clair. J’ai un deuxième fils qui a vingt ans qui don partir normalement, Si toutes ses études se terminent bien, dans un an au service national. Si j’ai bien compris Monsieur Chirac, il va faire un service militaire normal comme c’est le cas aujourd’hui puisqu’il y a des jeunes appelés dans les commissariats, dans l’enseignement et même à l’ANPE. Je suis chômeur longue durée. Donc, aujourd’hui, on peut faire également un service en qu’objecteur de conscience. Tout existe aujourd’hui. Je ne comprends pas tellement le problème.

La deuxième chose que je voudrais dire, c’est qu’on a entendu beaucoup de ministres, de députés, etc. Mais le problème doit être un problème de citoyen. Qu’est-ce que les Français veulent faire de leur armée ? Quel type de service national veut-on ? Apparemment, vous avez tout à l’heure eu l’air de poser le débat mais est-ce que les décisions sont prises comme certains qui sont sur le plateau semblent le dire ou est-ce qu’au contraire il peut y avoir débat et s’il y a six ans pour faire ce débat, je ne comprends pas pourquoi ce soir on inquiète encore plus les Français qui ont du mal à s’y retrouver tant au niveau de la crise économique que pour les repères sociaux.

Réforme du service national après l’an 2000

R. : Tout d’abord, je dirais à ce monsieur que son fils qui partira dans un mois partira dans le service national tel qu’il existe aujourd’hui et que la réforme, si elle doit intervenir pour ce qui est du service, n’interviendra que dans six ans en 2002, pas avant, parce qu’il y a nécessité de la préparer, de la mettre en œuvre car il y a professionnalisation de l’armée d’un côté et de l’autre côté la mise en œuvre d’un service national où l’on voit en réalité la partie service militaire baisser et la partie service civil monter, transformée soit en service volontaire, soit augmenter en service obligatoire. Cela, c’est le premier point.

Débat national et local après les décisions du Président de la République

Le deuxième point, c’est qu’il va y avoir débat. Le débat, il est ouvert ce soir. Le Président de la République a pris parti sur la professionnalisation de l’armée. Cela relève de son autorité. Il est chef des armées. Il a été élu Président de la République il y a moins d’un an. Il a assumé ses responsabilités. Il annonce qu’il est favorable à l’armée professionnelle.

Quant au service national, il vient d’annoncer qu’il ouvrait le débat, qu’il y avait à son avis deux possibilités, soit la possibilité du service obligatoire, soit la possibilité du service volontaire et qu’il demande aux parlementaires, aux hommes politiques, aux associations de jeunes, aux associations de réservistes, aux militaires d’en débattre dans le pays pour pouvoir demain avoir une réponse qui soit claire.

Q. : Monsieur Bordat, est-ce que ces réponses vous satisfont ? Vous aviez l’air de dire que vous, vous regrettiez presque d’ailleurs que le service soit en voie de disparition ?

R. : (Monsieur Bordat) : Oui, effectivement. Le poids d’un service citoyen me semble quelque chose de fondamental dans une société mais je pense que des services civils peuvent aussi être mis en place. Le seul problème, c’est qu’il ne faut pas que ça soit en contradiction avec les problèmes de politique d’emploi car si demain les appelés qui font du civil prennent la place de vrais emplois, on risque d’aller vers une catastrophe économique encore plus grande que celle qu’il y a aujourd’hui.

Q. : (un autre intervenant) : C’est un reproche qu’on va vous faire ou en tous cas une interrogation. Le service civil ne va-t-il pus occuper des postes qui pourraient être des emplois ?

R. : Je crois que c’est la raison pour laquelle il faudra que ce qui sera l’humanitaire, de la cohésion sociale ou de la prévention ne s’inscrive pas dans le secteur marchand et ne relève effectivement d’une adhésion à un pacte républicain qu’à travers un acte de générosité. Tout à l’heure, je crois que c’était Paul Quilès ou Jean-Pierre Chevènement qui parlait de la générosité de la jeunesse française. Elle peut l’exprimer à travers un acte d’adhésion à la République durant six mois, sous l’angle obligatoire ou volontaire.

Q. : Sur le problème du service civil. Comment effectivement pourrait-il intégrer autant de personnes et sur six mois ?

R. : Je vais donner une seule illustration. Actuellement, il y a 20 % d’une classe d’appelés qui sont considérés comme illettrés et il y a parmi les appelés de nombreux jeunes qui ont eu la chance de faire des études supérieures, d’être formés, d’avoir un milieu culturel et éducatif qui soient de bon niveau et qui pourraient être le tuteur accompagné de l’éducation culturelle, ce durant six ou douze mois.

Q. : C’est-à-dire chaque appelé, ou chaque ancien appelé aurait son tuteur ?

R. : Non, je donne cette illustration-là, je dis simplement qu’il y a 20 % d’illettrés et qu’un pays comme la France ne peut pas se permettre d’avoir 20 % d’illettrés. C’est ça la fracture sociale. Ne serait-il pas intelligent, judicieux, de demander à ceux qui ont eu de la chance dans leur éducation, dans leur vie d’étudiant, dans leur vie scolaire, d’apporter six, huit ou douze mois aux autres ? Le Président de la République a parlé de six mois de référence et il a expliqué que pour un certain nombre de fonctions, il serait nécessaire d’avoir une autre durée. J’ai l’impression que ce soir, ça vous ennuie de rentrer dans le débat, mais le débat il est là…

Q. : Et les jeunes filles ? Ont-elles le droit au service ?

R. : Je crois qu’il faut reposer le problème. Il faut rappeler que c’est dans six ans que cette réforme aboutira. Il faudra que la représentation nationale choisisse entre le service obligatoire ou volontaire.

Q. : (Jean-Pierre Chevènement) : Vous introduisez quand même une ambiguïté certaine par rapport à ce qu’on a entendu dans la bouche du Président de la République. Vous ne dites pas la même chose.

R. : Le Président a parlé de prévention et dans la prévention il a inscrit la gendarmerie et toutes les actions de sécurité et de prévention. Donc c’est clair, il y a un certain nombre de tâches qui relèveront du service actuel...

Service national (à revaloriser)

Q. : (Jean-Pierre Chevènement) : Le Président de la République a dit « armée professionnelle plus de service militaire, et par conséquent peut-être une conscription qui sera obligatoire. Alors vous dites à ce moment-là c’est naturellement un service civil. Personne ne croit qu’on pourra faire un service civil obligatoire pour 300 000 jeunes ou même davantage. Ca ne tient pas la route. Vous vous rendez compte des inconvénients de la suppression du service national qui a quelque chose avec la République. Mais je suis quand même frappé de vous entendre dire « On peut garder le système actuel ou on peut choisir un système de volontariat ». Ce n’est pas le système actuel que le Président de la République a proposé que l’on conserve, à supposer que cela fut désirable, je pense qu’il faudrait le moderniser, revaloriser le service militaire à l’intérieur du service national.

Service national (deux hypothèses - participation des jeunes-filles)

Q. : On a compris la question de Monsieur Chevènement. Peut-on avoir une réponse à la fois sur les jeunes-filles et puis sur cette question-là puisque Monsieur Chirac a parlé d’un service national avec peut-être 10 % de militaires.

R. : Je vais remettre les choses au point parce que j’ai l’impression que c’est absolument indispensable. Il y a :
    – soit un service obligatoire, tel qu’il est en application maintenant et il y aura effectivement 10 % des appelés, à peu près 20 000 pour une classe d’âge, qui iront dans des fonctions de nature militaire. Ça c’est le maintien ;
    – soit un service volontaire qui prendra les formes civiles essentiellement car ceux qui voudront rentrer dans l’armée seront ce qu’on appelle des engagés. Pour ce qui est des jeunes filles, je le dis très clairement, ça pose un très grand problème d’encadrement et de financement. Le Président de la République a fait savoir qu’il était favorable au service volontaire pour les jeunes filles donc dans le second cas, le problème est déjà réglé. Dans le premier cas, le volontariat est déjà autorisé actuellement puisqu’il y a des jeunes filles qui effectuent leur service. Pour ce qui est de le rendre obligatoire, c’est un autre problème, le débat est ouvert.

Restructurations (information préalable de deux ans)

Q. : En ce qui concerne les restructurations des sites touchés, quand comptez-vous les annoncer ?

R. : Premièrement, j’ai dit tout à l’heure que j’annoncerai deux ans à l’avance les restructurations qui devront être engagées. On aura deux ans pour préparer la reconversion, le redéploiement, l’accompagnement économique et social. Deuxièmement, je ne pense pas que ce soit utopique : tous les grands pays au monde ont mené ce type d’opération. Les ministres qui sort ici, ont aussi accompagné ce type d’opération, ils pourraient vous en parler mieux que moi, car ils ont eu une expérience dans ce domaine et que c’est des exigences que l’on doit, en fait, assumer.

Q. : Le Chef de l’État a parlé de compensations. Que pouvez-vous dire à des élus, comme le maire de Noyon, ici présent ?

R. : Il est tout à fait clair que nous prendrons un certain nombre de dispositions en mobilisant des fonds européens, des fonds nationaux, des fonds régionaux, pour pouvoir mettre en place des mesures d’accompagnement économique et social, lorsqu’on sera amené à revoir le format des armées, à supprimer telle base, ou à dissoudre tel régiment. Je crois qu’il faut arrêter la démagogie, tous les ministres de la défense qui se sont succédés, ont fait ce qu’il est envisagé. Tous les budgets des pays comme l’Angleterre, l’Allemagne, les États Unis, le Canada, ont baissé ces dernières années. Il n’y a que la France qui l’a voulu plus élevé que les autres. Comme on ne peut plus continuer comme cela, il va falloir s’adapter aux conditions modernes, il va falloir réviser notre budget militaire, revoir le format de nos armées, avoir un coin inférieur, pour une efficacité supérieure.

Accompagnement économique et social

Q. : (Paul Quilès) : J’étais ce matin à la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui vient de publier un rapport excellent sur le coût justement de la professionnalisation de l’année et qui disait, je vous cite les chiffres : qu’il faudrait en terme d’aménagement du territoire, pour compenser les fermetures de sites, les dissolutions de régiment, il faudrait dépenser quatre milliards de francs par an, pendant quatre à cinq ans. La question que je vous pose est : êtes-vous prêt et de quelle façon, à engager des dépenses à hauteur de quatre milliards de francs par an, pour compenser le départ de ces régiments. Voilà, une réponse précise et elle est posée par la Commission des finances de l’Assemblée nationale.

R. : Question précise, réponse précise : nous mettrons en œuvre toutes, je dis bien toutes les mesures d’accompagnement économiques et sociales pour éviter les conséquences sur l’emploi et sur la vie quotidienne, des habitants des communes, comme celle de Noyon. Je prends un engagement, c’est que je regarderai dossier par dossier, pour mobiliser mes collègues au gouvernement, l’Europe, les institutions européennes et régionales...

Conventions régionales

Q. : Vous êtes ministre de la défense, on l’aura compris, vous êtes aussi président d’une région ; alors par exemple que va demander le président de la région Rhône-Alpes au ministre de la défense, parce qu’il y a des villes qui sont menacées. Roanne par exemple ?

R. : Il y a une convention qui est en cours de négociations et vous comprendrez que je n’y participe pas, car je crois que dans certains cas il faut avoir la distance par rapport aux conventions qui vont être conclues entre l’État et une région où nous avons des responsabilités, ou j’ai des responsabilités, donc le vice-président de la région Rhône-Alpes négocie actuellement avec le ministère pour mettre une convention au point, afin que chaque bassin d’emploi, qui sera concerné, soit par la reconversion des industries d’armement, soit par la fermeture de bases, soit par la dissolution de régiments, puisse profiter d’un plan d’accompagnement économique et social, avec mobilisation des fonds européens, nationaux et régionaux.

Q : Quelle que soit la couleur politique des élus locaux ?

R. : Vous pouvez penser quand même que j’ai un assez grand respect pour l’État, pour ne pas prendre en considération la couleur politique, afin de décider des mesures d’accompagnement dans ce genre d’opération.

Livre blanc 1994 – cohabitation institutionnelle

Q. : Monsieur Millon, vous aviez voté je crois le Livre blanc de Monsieur Léotard. Vous étiez d’accord à l’époque en 1994. Ce n’était pas tout à fait les orientations du jour.

R. : Je crois qu’il y a eu une évolution qui est politique d’abord. Il y a un Président de la République qui a été élu et il y a un Président de la République et un gouvernement qui tirent dans le même sens. On n’est plus en période de cohabitation. À partir de ce moment-là, vous pouvez approfondir une politique de défense. François Léotard comme la majorité qui avait voté sa loi de programmation savent bien qu’il y avait des limites qui ne pouvaient être franchies compte-tenu du fait que le chef des armées, François Mitterrand, ne permettait pas d’aborder la question du service national, ne permettait pas d’aborder la question de la dissuasion et François Léotard peut en porter témoignage puisqu’à l’époque, lui-même avait fait part de ses regrets à propos des essais nucléaires.

Arsenal de Brest

Q. : (M. le maire de Brest) : Monsieur le ministre. Est-ce que je pourrais vous poser deux questions ? La première concerne l’emploi dans les arsenaux de la marine, dans le rapport qui a été récemment produit par le délégué général Henri Conze, est évoquée la faiblesse, disons, de la productivité de ces établissements. Puisque vous dites « il n’y aura pas de licenciements, on va maintenir l’emploi », est-ce qu’il y a réellement des options de diversification de l’activité qui permette de maintenir l’emploi dans les arsenaux et dans les villes concernées et dans les bassins d’emplois concernés ? La deuxième question,

Monsieur le ministre, vous avez évoqué tout à l’heure la construction d’une grande industrie française et européenne, est-ce que vous pensez que la France à l’intention de défendre l’atout construction-réparation navale dans les ports français ?

Marchés extérieurs (recherches)

R. : Je réponds évidemment oui à vos deux questions. À votre première question, nous ferons tout et j’ai commencé, comme mes prédécesseurs d’ailleurs avaient engagé la bataille économique, pour trouver des marchés extérieurs. C’est la raison pour laquelle nous mettons tout en œuvre pour faciliter l’exportation et que l’un des enjeux de la réflexion engagée aujourd’hui, c’est de savoir comment mettre sur pied des structures qui porteront cette exportation des arsenaux. C’est le premier point.

Le deuxième point, concernant les arsenaux et l’Europe, il est bien évident que le gouvernement français aidera à ce que les arsenaux s’inscrivent dans une démarche européenne. On l’a déjà fait puisque, le maire de Brest le sait bien, il y a un certain nombre de frégates qui actuellement sont fabriquées dans les arsenaux français et qui sont le résultat de programmes européens.

Q. : (un journaliste du « Parisien ») J’aurais aimé poser une question à Monsieur Million mais avant j’aurais aimé faire une petite parenthèse et rappeler à Monsieur Quilès qu’il y a un groupe de travail qui va étudier pendant deux ans le rapprochement Dassault/Aérospatiale. Bref, Monsieur Millon, comment comptez-vous financer la restructuration de l’industrie de l’armement ?

Q. : Autrement dit combien ça coûte et comment on fait ?

Industrie et armement

R. : Actuellement, nous mettons en œuvre un certain nombre de procédures pour que se constituent des groupes et qu’il y ait un plan stratégique qui soit défini par les partenaires économiques.

Ensuite, évidemment, si cela est nécessaire, l’État participera à la recapitalisation des entreprises où elle est soit majoritaire, où elle est majoritaire soit à 100% soit pour un pourcentage très important. Et je l’ai dit aux salariés du Giat, je l’ai dit à un certain nombre d’entreprises, telles qu’Aérospatiale ou convient d’abord qu’un débat s’engage en France et ensuite le Parlement tranchera.

Q. : Est-ce un service civil général légal ou pas ?

R. : Jacques Chirac n’a pas proposé un service civil général. Le Président de la République a évoqué la première solution : le maintien de conscription telle qu’elle existe aujourd’hui avec une augmentation des affectations civiles. Il y aurait, mettons 80 % d’affectations civils et 20 % d’affectations militaires ou de défense. Et puis l’autre solution, le volontariat.

Service national (activité civile)

Q. : Une petite minorité fait quelque chose de franchement militaire et les autres s’occupent soit de sécurité, soit d’intégration sociale, ou de formation. A-t-on le droit de le faire ?
R. : Bien sûr que c’est possible. Il suffit de regarder ce qui se passe dans les pays étrangers. Au début de la semaine, j’étais en République fédérale allemande qui à la conscription. L’Allemagne est attachée à la conscription pour des raisons historiques. Or, on constate que 55 % des jeunes Allemands sont objecteurs de conscience, on les trouve dans les hôpitaux, les services sociaux, les travaux forestiers...

Je crois que le problème ne se pose pas ainsi. Il convient aujourd’hui de décider de l’obligation ou du volontariat. Je crois que c’est la question fondamentale qui est posée aux Français et ensuite, quand on aura choisi l’obligation ou le volontariat, il y aura une déclinaison des tâches soit militaires, soit civiles qui pourront être assumées par les appelés.

Conscription française

Q. : La conscription ne fait-elle pas partie du patrimoine français ?

R. : Bien sûr que si la conscription fait partie du patrimoine français, c’est la raison pour laquelle il y a débat. Si la conscription était simplement une formule administrative, il n’y aurait pas eu, il n’y aurait pas ce grand débat en France. La conscription, c’est Verdun, les levées en masse qui ont marqué l’histoire de France et qui ne correspond plus à des besoins stratégiques.

Aujourd’hui, il n’y a plus une menace d’invasion de notre territoire. Il y a par contre des menaces, telle la déstabilisation de l’Europe qu’on a vue en Bosnie,

Snecma, c’est que nous assumerions toutes nos responsabilités en matière de recapitalisation dès que nos plans stratégiques auront été définis.

Pacte républicain

Q. : Vous allez faire, vous, « la tournée des popotes », comme l’on dit, organiser un débat dans votre région ?

R. : Je vais organiser le débat dans le pays tout entier en tant que ministre de la défense, et il est bien évident que je souhaite que les Français puissent donner leur avis et qu’ensuite le Parlement puisse s’exprimer dans la plus grande clarté car c’est un sujet très important, c’est de savoir comment on va faire vivre ce pacte républicain, qui avait pris la forme militaire durant un siècle, qui actuellement prend d’autres formes. Comment est-ce qu’on va être capables de faire vivre ce pacte républicain ?

Q : Et tout sera tranché avant l’été ?

R. : La loi de programmation militaire sera votée avant l’été ; pour ce qui est de la loi sur le service national, soit avant l’été, soit au cours du dernier trimestre de cette année.

 

Propos sur la Défense – N° 57 - 23 février 1996

Entretien du ministre de la défense à « France Info » (18 h 15)

Armées (missions)

Q. : Vous étiez ce matin à l’école militaire avec le chef de l’État qui a demandé aux 500 cadres de l’armée réunis en ce lieu une adhésion sans failles à la réforme annoncée hier soir. Avez-vous perçu la moindre faille sous les képis ?

R. : Non pas du tout. Vous savez, l’armée s’est réinterrogée sur les missions qu’elle devait assumer dans le monde moderne. Elle y a beaucoup réfléchi et ce depuis plusieurs années. Elle a participé à la rédaction du Livre blanc en 1994. Elle sait aujourd’hui qu’elle a quatre missions essentielles :
      – dissuader, c’est la force de dissuasion ;
      – prévenir, c’est le renseignement, c’est l’information ;
      – se projeter sur les théâtres extérieurs contre des déstabilisations ou des déséquilibres qui pourraient apparaître, c’est ce qu’elle a fait dans le Golfe et en Bosnie-Herzégovine ;
      – et enfin, assurer la protection nationale, c’est une mission qui est assumée par la gendarmerie nationale.

Service national

Elle a très bien compris qu’il fallait se diriger vers une armée professionnelle et aujourd’hui, elle réfléchit avec tous les Français à l’évolution du service national. Doit-on aller vers un service national obligatoire, mais rénové, ou doit-on alter vers un service civil national, volontaire de la part des filles et des garçons ?

Droit d’expression des militaires

Q. : L’un de vos prédécesseurs à l’Hôtel de Brienne, Paul Quilès souhaite que les militaires expriment ouvertement leurs inquiétudes : « Ils doivent pas, a-t-il dit, se contenter de rester au garde-à-vous devant leur ministre ». Est-ce-que l’on a beaucoup claqué les talons devant vous ce matin à l’école Militaire ?

R. : Je suis étonné de ce propos et de ce jugement de la part de Paul Quilès ; il est ancien ministre de la défense et il sait très bien qu’à travers leur hiérarchie, à travers aussi les organismes représentatifs tels que le conseil supérieur de la fonction militaire (CFSM), les militaires s’expriment et font connaître leurs analyses, leurs inquiétudes, leurs espoirs, leurs propositions. Ils l’ont déjà fait, ils continuent à le faire et j’espère bien qu’ils continueront dans le débat que le Président de la République a appelé de ses vœux permettant aux représentants parlementaires de trancher sur la forme du service national.

Débat national et local

Q. : Pour ce début, le parti socialiste réclame des « États généraux de la défense ? Cette idée vous séduit-elle pour que le début prenne de l’ampleur ?

R. : Actuellement, le Président de la République a proposé un début général dans le pays. Il a demandé que toutes les associations se saisissent de cette question. Il a souhaité que partout, les élus s’engagent, prennent l’initiative de confrontations, de débats, d’états généraux, si l’on veut reprendre l’expression, au niveau de leur circonscription ou de leur département ou de leur commune. Alors je réponds au parti socialiste oui, vous avez vu un certain nombre d’élus, vous avez des élus dans tous les départements. Prenez l’initiative ! Permettez à chacune des opinions de s’exprimer. Ainsi, la représentation nationale pourra se faire l’écho des inquiétudes, des opinions ou des espoirs qui se seront exprimés dans toutes ces réunions, tous ces forums et tous ces états généraux.

Réforme des armées (1997-2002)

Q. : J’imagine que ce matin, à l’école Militaire, on n’était pas sans émotion chez les officiers à la perspective de voir certain régiments disparaitre. Le général Massu parle un peu de désastre qu’est la dissolution d’un régiment et souhaiterait que l’on épargne les régiments titulaires de la Croix de la Libération. Est-ce un paramètre que l’on petit prendre en compte ?

R. : Je comprends très bien la position du général Massu. Il veut rendre un hommage tout à fait particulier à des régiments qui se sont illustrés durant la guerre de 40 à 45. Je précise simplement : la grande novation de la réforme annoncée par le Président de la République est qu’elle prend ses distances par rapport au temps. C’est une réforme qui est anticipée sur six ans. Le passage entre l’armée de conscription et l’armée professionnelle prendra six ans et les élus locaux, nationaux, les responsables militaires vont réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour que la dissolution des régiments, la fermeture des bases se fasse dans la meilleure harmonie.

Le Président de la République a pris un engagement personnel de veiller à l’aménagement du territoire, à l’équilibre qui doit exister dans les villes moyennes où sont implantés les régiments. Je suis sûr que l’on parviendra à trouver une bonne procédure pour que la France puisse rentrer dans le monde moderne sans pour autant subir des catastrophes.

Défense du territoire (rôle de la gendarmerie nationale)

Q. : On a reproché au Président d’avoir privilégié dans ses propos les forces projetables au détriment de la défense du territoire. La gendarmerie verra-t-elle son rôle accru dans ce domaine ?

R. : La gendarmerie a pour mission d’assurer la sécurité des biens et des personnes sur le territoire national. Elle verra ses effectifs augmentés, le Président de la République l’a annoncé ; bien évidemment, on l’a vu lors du plan Vigipirate et de la lutte anti-terrorisme, elle assumera la défense des biens et des personnes contre de nouvelles menaces qui sont en train aujourd’hui d’apparaître : je pense au terrorisme, aux trafics (de drogue et en tous genres), aux mafias, au grand banditisme. La France aujourd’hui a besoin d’avoir une force comme la gendarmerie et qui est admise et même respectée par la population pour assurer cette protection qui est la quatrième mission de nos armées après la dissuasion, la prévention et la protection.

Réforme des armées (rôle des appelés)

Q : Annoncer la mort de la conscription déclenche une débandade chez les jeunes appelés. Plus personne ne voudra faire un service voué à disparaître sous sa forme actuelle ! Est-on déjà prêt dans l’institution à voir le nombre d’exemptes et de réformes croître de façon exponentielle tout de suite ?

R. : Mais pourquoi voulez-vous appeler à la débandade comme vous le précisez ? Les jeunes Français sont responsables, ils savent qu’une réforme ne peut être mise en œuvre qu’avec le temps. Qu’une réforme est progressive et nous allons faire évoluer peu à peu le service national pour qu’il prenne en charge de nouvelles formes civiles qu’a décrit hier le Président de la République : la prévention en matière de sécurité, la solidarité et la cohésion sociale, la coopération internationale et l’humanitaire. Car, à partir de ce moment-là, je suis convaincu que les jeunes appelés de demain viendront participer à cette transformation qui est extraordinaire ou l’on va avoir un service national rénové, qu’il soit obligatoire ou qu’il soit volontaire, qui devient et qui restera garant de la cohésion sociale.

 

Propos sur la Défense – N° 57 - 23 février 1996

Entretien du ministre de la défense sur « LCI » (19 h 15) (extraits)

Service national (deux hypothèses)

Q. : Nécessaire explication de texte après l’intervention du Président de la République, hier soir et ce matin, sur la réforme du service militaire et sur des réformes qui concernent évidemment tout notre outil de défense. Alors je voudrais vous poser un certain nombre de questions, qui sont presque des questions de définition. S’agit maintenant d’une armée de métier ? Cette fameuse armée qui va se mettre en place dans six ans, est-ce une armée de professionnels à l’anglaise, c’est-à-dire des hommes qui sont engagés pendant quinze ans et qui font une vraie carrière. Est-ce que, par exemple, mon fils qui a 14 ans, qui sera éventuellement volontaire a 20 ans c’est-à-dire dans six ans, pourra faire quatre ans de service militaire ou cinq ans ou une sorte de service à la carte ? Parce qu’on n’a pas très très bien compris.
R. : L’armée professionnelle mise en place progressivement, qui sera définitivement installée en 2001 sera une armée de 350 000 hommes. Si le service national rénove, obligatoire est retenu par la représentation nationale, il y aura environ sur ces 350 000 hommes, 20 000 appelés. Si cette hypothèse n’est pas retenue et qu’on va vers un service volontaire, à ce moment il y aura des engagés volontaires pour trois ans, pour cinq ans, pour six ans, la tout dépendra du règlement qu’on instaurera.

Q. : Mettons qu’il ait 12 ans, je vais le rajeunir de deux ans, est-ce que oui ou non il est débarrassé de l’idée du service militaire s’il ne veut pas le faire ? Je veux dire, si lui considère que ça ne l’intéresse pas, peut-il penser à l’horizon de 2001, qu’il n’y aura plus de service militaire ?

R. : En 2001, il n’y aura quasi plus de service militaire pour une raison simple c’est que si le service est volontaire, votre fils qui ne veut pas faire de service militaire mais qui a envie de faire un service national c’est-à-dire apporter quelque chose à la nation, fera un service volontaire civil et on verra les formes tout à l’heure si vous le voulez ou alors, si le service reste obligatoire, ce qui est possible, à ce moment-là, il y aura à peu près 80 % des formes de service national qui seront civiles et il choisira parmi ces formes-là 20 % seulement seront militaires et à partir de ce moment-là, il n’y aura pas à mon avis d’imposition pour votre fils d’y aller.

Réforme du service national (vote du Parlement)

Q. : Alors, pardonnez-moi parce que ça fait évidemment un petit peu grotesque, quand entre les deux formules, c’est-à-dire la formule du volontariat ou la formule du service national rénové ?

R. : C’est la représentation nationale qui tranchera après le dépôt d’un projet de loi. Le Président de la République l’a annoncé, il y aura d’abord un grand débat, ce débat commence ici, il aura lieu dans tous les départements, on rencontrera tous les mouvements de jeunesse, on rencontrera toutes les personnes concernées, les associations de réservistes, les associations familiales, les élus locaux. On va donc prendre en compte le point de vue de chacune et de chacun pour savoir, pour se faire une idée. Ensuite, il va y avoir un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Q. : Quand ?

R. : Au plus tôt en mai-juin, au plus tard en octobre-novembre.

Q. : Mais vous qui êtes ministre de la défense, vous ne devez pas être totalement étranger au projet de loi qui sera débattu...

R. : Bien sûr...

Q. : Donc vous savez très bien quelle sera celle des deux versions qui va être retenue ?

R. : Non, non, pas du tout, très franchement. Il est depuis hier soir, il est quand même très intéressant d’écouter les radios ou de regarder les télévisions car on s’aperçoit qu’il y a déjà un débat, qu’il y a déjà des arguments qui tombent sur la table et je suis convaincu qu’il y a déjà une évolution de l’opinion publique.

Sondages sur le service national

Q : La SOFRES va sortir demain un sondage. Pour 79 % des gens, le service militaire ça ne les intéresse plus.

R. : Vous savez, les sondages, on l’a vu pour Maastricht pour l’élection présidentielle, ils correspondent à une photo d’un moment.

Q. : Oui mais c’est massif.

Menaces (fracture sociale)

R. : Ce que je souhaite, ce que souhaite le Président de la République, c’est que débat aille jusqu’au bout, c’est qu’on se pose le problème de la cohésion sociale. Est-ce qu’il est nécessaire d’avoir un service national au profit d’une certaine solidarité qui vienne mettre un terme à une menace qui est la menace de la fracture sociale. Le service militaire tel qu’il existe aujourd’hui pour un certain pourcentage de la jeunesse doit-il être modernisé et adapté pour toujours ? Donner des possibilités de service militaire à la jeunesse ? Tout ce débat va avoir lieu et puis à la fin, il sera clos, il sera clos, soit obligatoire, soit volontaire. Ce sera un vote de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Armée professionnelle (décision du Président de la République)

Q. : Un vote de l’Assemblée nationale, vous dites débat mais en fait, quand le Président de la République est arrivé hier soir à la télévision, il avait quand même un certain nombre d’idées arrêtées, c’est normal, c’est son rôle, c’est le Président de la République, il n’y avait pas eu de début, avant ?

Armée professionnelle (choix du Président de la République)

R. : Il y a des décisions... il y a des décisions qui relèvent du chef des armées et ces décisions-là, le Président de la République les a fait connaître, c’est le choix de l’armée professionnelle pour 2001. Il a dit, à partir d’aujourd’hui jusqu’en 2001, je demande au ministre de la défense et aux forces armées d’évoluer pour pouvoir mettre en place une armée professionnelle. Là, il n’y a pas de choix, il y a une décision.

Q. : Oui, il pouvait dire, j’ai décidé.

R. : Oui mais je crois qu’il l’a dit.

Deuxièmement, il a décidé pour le plateau d’Albion, le démantèlement du Hadès et la définition d’un nouveau format de nos forces de dissuasion reposent sur deux composantes, une composante aéroportée et une composante sous-marine.

Troisièmement, il a annoncé d’une manière très claire qu’il y aurait une politique d’aménagement du territoire qui serait mise en œuvre pour pouvoir accompagner les dissolutions de régiment ou les fermetures de base.

Et il a abordé un problème qui n’est plus un problème du chef des armées mais qui est enfin un problème, un débat de société : est-il est souhaitable à la fin du XXe siècle d’avoir un geste obligé du citoyen français par rapport à son pays ? C’est la forme du service national obligatoire. Où ce geste doit être un geste volontaire que la communauté nationale doit inciter, alors c’est la forme du service volontaire.

Q : Vous savez on va aboutir au volontariat finalement ?

R. : Pas du tout...

Q : Dans l’opinion, le renouveau d’intérêt pour le service militaire viendra du fait que c’est quelque chose de volontaire ou pas ?

R. : Non mais attendez, vous avez peut-être raison mais sans doute que durant toute cette période-là, il va y avoir un débat sur les modes d’incitation au volontariat donc ce débat aura déjà été intéressant sous cet aspect-là.

Peut-être que vous avez tort quant à choisir le service obligatoire et à partir de ce moment-là, on va voir comment le service obligatoire peut avoir des formes très diverses pour pouvoir répondre au problème du moment.

Menaces

La France pourra-t-elle résister à des menaces extérieures, car avant c’était l’envahisseur et à ce moment-là, il fallait une armée de levée en masse. Les menaces de déstabilisation comme en Bosnie, en Arabie Saoudite ou au Koweït, en Afrique, d’où la nécessité d’avoir des forces que l’on peut projeter avec des hommes qualifiés, des techniciens, d’où la nécessité de l’armée professionnelle reste la menace qui petit aussi venir à l’intérieur du pays, et on l’a vu avec le terrorisme, il faudra bien penser à ce qu’on appelle la fonction de protection et la gendarmerie aura sans doute un rôle majeur à jouer dans ce domaine-là.

Exception française

Q. : Alors justement, ce n’est pas le modèle britannique du type de celui qui pendant quinze ans va faire une carrière dans l’armée, ou un modèle particulier ?

R. : Personnellement, je suis convaincu que le modèle qui sortira du débat sera un modèle qui correspondra à l’exception française. La France a toujours été capable d’avoir une armée en harmonie avec la nation. Là, on est en train de chercher un mode nouveau pour mettre en harmonie les missions de l’armée avec son intégration dans la Nation.

Q. : Vous venez d’aborder une deuxième partie qui me paraît fondamentale. Pour l’avenir, on parle de professionnels, il va y avoir en gros la gendarmerie, institution militaire, qui va s’occuper au fond de la protection du territoire national et puis les fameux régiments qui seront professionnalises ce seront eux qu’on retrouvera sur les terrains internationaux.

R. : Ils vont s’occuper des trois autres missions. C’est vrai que la gendarmerie aura pour mission essentielle la protection du territoire national. Elle assurera un certain nombre de missions de sécurité avec d’autres institutions telles que la police, la sécurité civile, les pompiers, etc. Et puis, il y aura trois autres missions que l’armée doit assumer :
    – ou la première mission, c’est la dissuasion, dissuader l’adversaire éventuel et ceci explique toute la démarche des essais nucléaires, de la redéfinition du format de la force de dissuasion qu’a annoncé le Président de la République hier ;
    – ou la deuxième mission, c’est la mission de prévention. Il faut dire les choses telles qu’elles sont. Aujourd’hui, l’information, le renseignement est essentiel pour se protéger et la France est très en avance dans ce domaine-là.

DGSE – DRM – Renseignements spatiaux

Q. : On va avoir une nouvelle réforme de la DGSE ? C’est prévu ? Réforme ou pas réforme.

R. : Il y aura sûrement les moyens de la DGSE et de la DRM (direction du renseignement militaire) mais il y a surtout toute l’information spatiale qui a été mise en place, c’est HELIOS I, le satellite qui tourne autour de la terre et qui donne des renseignements actuellement non seulement à la France mais aussi aux alliés de la France, quand on a des accords avec eux. Et la seconde partie du programme qu’on appelle HELIOS II ou le radar HORUS où là il y a un accord franco-allemand.

Et enfin la troisième mission, c’est la projection à laquelle on faisait référence tout à l’heure.

Armée professionnelle (coût)

Q. : Alors, on va parler de tout ça dans la deuxième partie. Je voudrais m’entretenir des coûts, d’économie. Est-ce qu’on peut donner deux, trois chiffres significatifs sur les enjeux ou le coût ou éventuellement les économies que va engendrer la défense nationale ?

R. : Le Président de la République a expliqué hier qu’il voulait une défense moins coûteuse et plus efficace.

Q. : Ça, ce n’est pas des chiffres.

R. : Il propose aujourd’hui que les dépenses de fonctionnement ne varient pas entre l’armée de conscription que nous avons aujourd’hui, 100 milliards par an, et l’armée professionnelle qui aura un format différent mais qui aura une technicité affinée qui sera mise en place en 2001, 100 milliards par an. Pour l’équipement, il y aura une baisse de 15 % qui sera enregistrée dès l’année prochaine car on va faire baisser non pas l’équipement mais les prix, on va essayer d’améliorer la compétitivité au niveau de l’équipement de nos armées et c’est la raison pour laquelle il y aura une baisse de 15 %.

Q : 185 milliards de francs au lieu de 205 ou 200 milliards de francs. On a vu, pendant les menaces terroristes en France, qu’à un certain moment l’instauration du plan Vigipirate avait duré pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Est-ce que vous avez l’impression qu’avec 350 000 hommes, si jamais on se retrouve dans cette situation-là, avec au même moment, un territoire extérieur, la Bosnie, à traiter, est-ce qu’avec 350 000, ça suffira ?

R. : Je précise que dans le plan qu’a exposé hier le Président de la République, il est prévu une augmentation des hommes dans la gendarmerie.

Gendarmerie nationale

Q : Aux alentours de quoi ? 100 000 ?

R. : La gendarmerie passera aux alentours de 100 000 hommes, oui. À partir de ce moment-1à, il y aura, je l’espère, un certain nombre de personnes qui accepteront, soit volontairement si c’est le service volontaire, soit dans le cadre de l’obligation si c’est un service national obligatoire, de venir dans la gendarmerie pour effectuer une période donnée. C’est la gendarmerie qui va être chargée de cette mission de protection pour lutter contre les nouvelles menaces : terrorisme, trafics, trafics de drogue, mafias, qui apparaissent dans le monde moderne malheureusement.

Q. : Les supers spécialistes, ils seront comme en Grande-Bretagne bien payés ? C’est qu’ils n’ont pas de problème de recrutement parce que ce sont des emplois qui sont bien payés par rapport au reste de la nation.

R. : Il y aura en fait une rémunération qui correspondra à leurs compétences et qui permettra à nos armées de pouvoir faire face d’abord à leurs besoins de recrutement mais surtout aux tâches qui leur seront assignées.

Équipements militaires (char Leclerc, avion Rafale)

Q : Alors, je voudrais terminer sur sous les détails. Gérard Dupuis dans Libération ce matin disait « sur le char LECLERC, ce n’est pas très clair), Le RAFALE, on ne sait pas très bien combien d’avions vont être commandés et à partir de quand. Est-ce qu’on peut avoir pour ces deux programmes, par exemple, l’exact calendrier ?

R. : Il y aura une loi de programmation militaire qui sera votée par l’Assemblée nationale et le Sénat à la fin du deuxième trimestre. Je présenterais donc un projet de loi en mai. Dans ce projet de loi de programmation militaire, on connaîtra exactement le nombre de chars, le nombre d’avions, la nature des équipements qui sera programmé pour les années à venir.

Projet de la loi de programmation

Q. : Il n’y aura pas de flou ?

R. : Il n’y aura aucun flou. Le président de la République s’est engagé personnellement à garantir lui-même et le montant des sommes budgétaires engagées et deuxièmement le suivi de la loi de programmation militaire. Je peux quand même préciser que le programme char LECLERC sera poursuivi et le programme RAFALE sera poursuivi.

Q : Justement, à propos du programme RAFALE, ça nous amène au rapprochement entre Dassault et l’Aérospatiale. On ne sait pas très bien au fond comment cette intégration entre une entreprise privée et une famille va se faire ?

R. : Je crois d’abord qu’il faut se rappeler que la société Aérospatiale et la société Dassault ont un capital qui est détenu à 46 % par l’État.

Société Dassault

Q. : Ça reste le problème d’Olivier Dassault.

R. : Dans ce cas-là, il va y avoir un rapprochement. Soit Dassault restera capitaliste au niveau de l’ensemble puisqu’il y aura fusion des deux sociétés, soit Dassault essaiera de négocier et de vendre ses parts à un autre capitaliste qui voudra bien se présenter sur le marché. Mais on n’en est pas là, puisqu’on a une échéance de deux ans pour pouvoir organiser ce pôle aéronautique qui ensuite devra être un des piliers essentiels de la défense européenne à travers l’industrie européenne d’armement...

Thomson

Q. : Qui va reprendre Thomson ? C’est Alcatel, c’est Lagardère ? La privatisation. Il va bien falloir que ça tombe dans l’écho de quelqu’un.

R. : Je n’associerai ni mon nom, ni mon action à des mouvements boursiers ou des délits d’initié. Il y a un président qui a été nommé en conseil des ministres qui s’appelle le président Roulet. Le président Roulet a pour mission maintenant d’organiser la privatisation de Thomson. C’est de sa responsabilité. Ni de loin, ni de près, je me mêlerai de cette privatisation.

Q. : Je voudrais qu’on continue et qu’on aborde maintenant un aspect qui est un peu plus politique. Je vous disais tout à l’heure, c’est vrai que la SOFRES va sortir demain un sondage qui montre très favorablement que la réforme du service militaire était quelque chose qui était très souhaitée par les Français et je voudrais qu’on découvre les réactions qui ont été signifiées ce matin essentiellement par Lionel Jospin et François Léotard et votre réaction après.

R. : (M. Lionel Jospin) Je crois qu’il serait dangereux de fonder notre défense pour plusieurs décennies sur une vision de menaces qui ne reposerait que sur l’analyse de l’instant. Et ce qui m’a beaucoup surpris dans l’intervention du Président de la République, c’est qu’au fond on ne parle pas dans son propos de défense nationale. Le territoire français est censé être protégé par la dissuasion nucléaire, armes lourdes, armes faites pour ne pas s’en servir mais nos forces sont faites et définies uniquement pour être projetées à l’extérieur comme si c’était des forces expéditionnaires.

R. : (François Léotard) J’émets pour ce qui me concerne et à titre personnel une réserve forte sur le passage, même en quelques années, à l’armée professionnelle. Pourquoi ? Je crois d’abord que la conscription continue à être dans notre pays, même si elle doit être réformée profondément, un outil d’intégration, de formation professionnelle et de civisme et que la France a besoin de cet outil. Deuxièmement, je crois que, l’exemple britannique le montre, la dépense publique lorsqu’elle est affectée à une armée de métier bascule dans le fonctionnement au détriment de l’investissement.

Q. : Voilà, les réactions. D’abord Lionel Jospin, ensuite François Léotard.

R. : (Charles Millon) Je crois que Lionel Jospin n’a pas écouté attentivement le Président de la République. Le Président de la République a rappelé les quatre grandes missions des armées. Il n’a fait que reprendre que ce qui est inscrit dans le livre blanc et dans la loi de programmation que les socialistes ont voté, la loi de programmation qui avait été présentée en 1994. Donc, ces quatre grandes missions, c’est, je rappelle la dissuasion, la prévention, la projection, la protection. Et il est clair que le Président de la République propose une armée professionnelle pour accomplir ces quatre missions et non pas simplement la projection comme a l’air de le suggérer Lionel Jospin. Je crois que Lionel Jospin n’a pas saisi qu’aujourd’hui nous n’étions pas menacés d’invasion mais que nous étions menacés par une déstabilisation en Europe et dans le monde. Ça, c’est ma réponse à l’objection de Lionel Jospin. Pour ce qui est de la remarque de François Léotard, il donne raison au Président de la République qui a dit clairement hier « je ne tranche pas, je veux l’ouverture d’un débat ». Certains seront pour le service national obligatoire, d’autres seront pour le service national volontaire. François Léotard a fait savoir qu’il était favorable au service national obligatoire. Eh bien maintenant, il va y avoir un débat avec ceux qui seront favorables au service national volontaire et ensuite la représentation nationale, Assemblée et Sénat trancheront.

IFOR – police internationale

Q. : Je voudrais terminer sur l’affaire de la Bosnie parce que c’est aussi l’actualité. La grande interrogation qu’on trouve ce matin dans la presse, c’est ce Tribunal international de la Haye. Alors, je sais bien que c’est un tribunal international voulu par les organisations internationales. Mais ils se demandent vraiment si un jour on va mettre la main sur ceux qui sont maintenant officiellement recherchés, à savoir MM. Milosevic, Mladich, Karadzic et les autres, sans compter aussi les Croates et un certain nombre de bosniaques qui font partie des 52 personnes recherchées. Est-ce qu’il faut que les soldats de l’IFOR sur place les arrêtent ou est-ce qu’il faut que ces gens-là leur tombent dans les mains par hasard ? Est-ce que vous croyez qu’un jour, ils seront traduits devant la justice internationale ?

R. : Dans les accords de Dayton, il est prévu une force multinationale appelée IFOR et il est prévu une police internationale. Je souhaite que la police internationale soit mise en place le plus rapidement possible pour pouvoir assumer sa fonction de police car ceux qui sont présumés criminels de guerre doivent être arrêtés par une police et non pas par des forces armées. Car les forces armées ont pour mission de garantir et de maintenir la paix, la police a pour mission de poursuivre les criminels, de les arrêter et ensuite de les déférer devant le tribunal international.

Q : Vous y croyez ?

R. : Aujourd’hui, la France a assumé ses obligations. Elle a envoyé ses 100 gendarmes. Je souhaite que tous ceux qui ont pris des engagements les respectent et qu’à ce moment-là, la police internationale puisse assumer sa mission et ses fonctions.

Q. : Pardonnez-moi de prendre encore une minute mais on voit par exemple les Serbes qui sont en train d’évacuer actuellement massivement le territoire bosniaque parce qu’ils ne veulent pas se mettre sous l’administration bosniaque. Est-ce qu’on petit imaginer et là, je m’excuse d’être simpliste, mais des policiers internationaux qui font « toc, toc, toc » en bas de chez Milosevitch « vous êtes prisonnier » etc. ? Est-ce que ça vous paraît dans le contexte actuel, crédible étant donné la fulgurance du nationalisme serbe ?

R. : C’est une question j’allais dire hors du temps. Lorsque la police internationale sera en place, elle assumera ses missions. Il n’y aura pas en fait de sanctuaire protégé pour Monsieur Untel ou pour Monsieur X. À partir de ce moment-là, elle ira rechercher car ça sera sa mission, elle ira rechercher ceux qui sont accusés de crimes de guerre.