Texte intégral
M. Denoyan : Bonsoir.
Le sondage Louis Harris qui sera publié samedi dans Valeurs Actuelles indique que 50 % des Français pensent que la Gauche reviendra au pouvoir en 1998. Les raisons tiennent aux mauvais résultats du Gouvernement Juppé, à la montée à nouveau du chômage, à l’annonce de plans massifs de licenciement. La peur du lendemain annonce d’ailleurs pour beaucoup des risques de conflit pour la rentrée d’automne.
Si on ajoute à ce climat qui s’alourdit les affaires politico-judiciaires qui continuent à faire la Une, on observe une tension tout à fait inhabituelle en ce début d’été.
Entre un pouvoir qui les déçoit et une opposition qui ne les séduit pas encore, les Français paraissent en plein désarroi.
Invite d’objections ce soir : Monsieur Laurent Fabius.
Laurent Fabius, bonsoir.
M. Fabius : Bonsoir.
M. Denoyan : Les sondages, s’ils ne sont pas encore euphoriques pour la Gauche, sont par contre plus moroses pour la Majorité. En ce début d’été, les Français s’interrogent. Nous allons le faire ici avec Dominique Brocard et Pierre Le Marc de France Inter, Fabien Roland-Lévy et Jean-Michel Aphatie du Parisien Aujourd’hui.
Les Français, je le disais à l’instant, sont, semble-t-il, en tous les cas c’est ce qu’ils disent à travers les sondages d’opinion, en plein désarroi et la classe politique n’apparaît plus en capacité de les séduire. Car même si on crie un peu trop à la victoire en 1998, très peu pensent que vous serez à même de répondre aux problèmes posés par la société.
Comment voyez-vous, vous, la responsabilité des Socialistes aujourd’hui dans ce désarroi que l’on constate dans l’opinion publique ?
M. Fabius : Le point qui me paraît d’abord fondamental est que la France est inquiète. Je définirai la situation ainsi : les Français sont inquiets et d’abord, évidemment, à cause du chômage, parce qu’il n’y a pas une famille qui ne soit, d’une manière ou d’une autre, frappée. Tous les milieux sont frappés, toutes les communes sont frappées. Cette inquiétude, c’est ce qui me touche d’abord.
J’ai le sentiment aussi qu’autour de cette notion d’inquiétude, il y a quelque chose qu’on ressent profondément : c’est une précarisation. Les ouvriers qualifiés n’ont pas de travail, les femmes seules sont dans des situations très difficiles. Même des gens qui ont un emploi et qui ont un certain revenu voient leur situation matérielle précarisée : que va-t-il se passer pour le logement ? Que va-t-il se passer pour la retraite ? Donc je me sens à l’unisson de ce que vous avez évoqué dans vos chiffres.
Votre question est : quelle est la responsabilité des uns et des autres, et des politiques ? Je répondrai d’abord, mais c’est une évidence, qu’on juge d’abord un gouvernement. Le Président de la République nouveau, le Gouvernement avaient fait naître pas mal d’espérances. La campagne avait été faite flamberge au vent. On est un an plus tard, on a le sentiment qu’il y a des années qui valent 10 ans et les gens sont déçus, parce que le chômage a augmenté les déficits ont augmenté, etc.
Nous-mêmes, en tant qu’opposition, en tant que socialistes, nous avons commencé de remonter la trajectoire. Je crois que nous sommes crédibles dans notre fonction critique, mais pas encore suffisamment crédibles dans notre fonction de proposition. Et a un an et demi de réfection législative, toute notre tâche dans les mois qui viennent va être de conforter, de préciser nos propositions. J’espère qu’on va pouvoir le faire au cours de cette émission.
Mais l’analyse est là : une inquiétude, un sentiment d’unisson par rapport aux critiques qui sont faites par l’Opposition, mais un certain doute par rapport aux propositions.
M. Le Marc : Inquiétude certes, mais pensez-vous qu’on est dans un climat pré-révolutionnaire, comme on le lit dans les magazines, un climat qui conduit au rejet des contraintes, c’est-à-dire celle de la mondialisation, mais aussi celle des réformes ? Pensez-vous que nous sommes déjà dans ce climat-là ?
M. Fabius : C’est un peu plus compliqué à mon avis. D’abord, je crois qu’une étincelle sociale, une explosion sociale peut advenir à tel ou tel moment. Je sens cela, je me déplace pas mal en province ; peut y avoir dans tel ou tel quartier d’une ville, il peut y avoir à la suite d’un conflit social, il peut y avoir pour tel ou tel motif, une explosion sociale.
M. Roland-Levy : On l’a connue au mois de décembre dernier.
M. Fabius : On l’a connue au mois décembre.
M. Le Marc : On a vu aussi la très grande nationalité de la société française au mois de décembre et sa prudence.
M. Fabius : D’habitude, lorsqu’on approche des élections législatives ou présidentielles, la tradition est de dire qu’il ne peut pas y avoir de conflit parce que le débouche normal est dans l’élection. Là, c’est un peu plus compliqué parce que, comme le disait Gilbert Denoyan, pour le moment, les gens n’espèrent pas grand-chose des résultats de l’élection. Donc cette conflictualité sociale, elle est là.
Personne ne peut s’en réjouir, bien au contraire, parce que personne ne peut souhaiter une explosion. Et le problème est d’arriver rapidement proposer des solutions par rapport aux problèmes qui existent. Quand on entend jour après jour les charretées de licenciements qui sont annoncées – en venant dans vos studios, j’entendais encore plusieurs centaines de licenciements à Turbo Meca, après Moulinex, après ce qui se passe dans les Chantiers navals, après ce qui se passe dans le domaine de l’armement, et dans toute une série de petites et moyennes entreprises : 10 licenciements ici, 20 suppressions d’emplois là –, les gens sont paniques et je crois qu’il ne faut pas jouer là-dessus. Il faut, en tant que responsables, dire : « Voilà quelle peut être la façon de s’en sortir ».
M. Aphatie : Dans ce contexte d’inquiétude, le Gouvernement prépare un budget dont on dit qu’il sera un budget d’une très grande austérité, avec des sommes très importantes qu’il faut économiser sur l’actuel budget, on parle de 70 milliards, et ceci est notamment dû au déficit très important que nous avons. Est-ce que vous comprenez la nécessité, malgré les difficultés des temps présents, d’accroître encore les économies budgétaires à réaliser, probablement les privations encore pour les Français ?
M. Fabius : Si vraiment le Gouvernement veut aller dans cette direction-là, je crains que cela n’ait des effets économiques et sociaux extrêmement négatifs. Pourquoi ?
M. Aphatie : Il y a une nécessité d’arriver à ce niveau-là ou pas ?
M. Fabius : Non. D’abord des effets sociaux extrêmement négatifs parce que si vous supprimez toute une série de professeurs dans les classes, si vous supprimez toute une série d’appuis au logement, si vous supprimez toute une série de soutiens dans différents domaines, il y a des gens qui vont en souffrir.
Ensuite, sur le plan économique aussi, parce qu’une des graves erreurs faites par le Gouvernement Chirac-Juppé a été, d’entrée de jeu, de prélever massivement sur la consommation, ce qui fait que les quelques perspectives de croissance qu’on avait ont été tuées par ces prélèvements. Donc c’est une erreur gravissime des politiques économiques qui ont été conduites.
Si maintenant on surajoute à nouveau des prélèvements, non seulement on tuera la confiance qui n’est pas là, mais en même temps on va avoir une espèce de cycle de la déflation sur le plan économique, et ce sera très mauvais.
Je comprends évidemment la nécessité de lutter contre des déficits excessifs, encore que, peut-on dire, il n’aurait pas fallu les créer. Mais il ne faudrait pas qu’on emploie des remèdes qui aggravent encore plus les déficits. Regardez ce qui s’est passé en matière de sécurité sociale. On nous a présenté un plan qui, paraît-il, devait résoudre tous les problèmes et qui devait arriver à réduire les déficits à une quinzaine de milliards en 96. Résultat : on en est à 50 milliards.
Il faudrait que le Gouvernement fasse attention : au bout d’un certain moment, les économies créent du déficit au lieu de combler le déficit et on risque de se trouver dans cette situation-là.
M. Roland-Levy : Face aux plans de licenciements que vous évoquiez il y a un instant, la réponse du PS que j’ai entendue, c’est : « Remettons en ordre de marche l’autorisation administrative de licenciements ». Pensez-vous que cette réponse va suffire ?
M. Denoyan : C’est ce qu’on avait entendu à la convention socialiste.
M. Fabius : Elle ne peut pas bien sûr être suffisante, Monsieur Roland-Levy, et là-dessus je crois qu’on sera facilement d’accord. Comment se pose le problème ?
M. Brocard : Est-elle nécessaire ?
M. Fabius : Je pense qu’il est nécessaire qu’il y ait un droit de regard des pouvoirs publics, parce que sinon vous allez avoir en chaîne toute une série d’opérations dans une psychologie où maintenant on considère que le bon manager est celui qui va licencier massivement, quand l’entreprise ne va pas ou quand l’entreprise va bien. C’est impossible d’aller dans ce sens-là. Et il est normal qu’il y ait un droit de regard, qu’on l’appelle autorisation administrative ou autrement, mais qu’il y ait un droit de regard.
M. Aphatie : Les gens qui licencient ne le font pas par plaisir, ils le font parce que la compétition mondiale les y obligent, peut-être.
M. Fabius : Pas seulement. Ils le font parce qu’on est entre dans une espèce de conception économique ou la seule chose qui compte désormais, c’est de dégager un compte d’exploitation maximal et que si vous voulez que votre titre en Bourse monte, il faut des plans de licenciements massifs. Et ce n’est pas propre à la France : vous avez vu dans d’autres pays qu’au moment où il y a des milliers de licenciements qui sont annoncés, les titres en Bourse au contraire galopent. Les gens ne peuvent pas accepter cela, ne peuvent pas comprendre cela.
M. Denoyan : Quand l’emploi augmente, par exemple comme aux États-Unis, la Bourse baisse.
M. Fabius : C’est le même phénomène et c’est là où on dit que la société est un peu folle. Je crois qu’une approche de Gauche consiste non pas à nier la réalité de la Bourse ou à nier les réalités économiques, mais faire en sorte que la valeur humaine se retrouve au premier rang. Ce n’est évidemment pas ce qui se passe en ce moment.
Vous preniez, Monsieur Roland-Levy, tout à l’heure l’exemple de telle ou telle entreprise qui licencie. Que faut-il faire ? On ne peut pas dire dans tous les cas qu’on empêchera les licenciements ; cela ne peut pas fonctionner comme ça. Simplement, il faut qu’il y ait à la fois une conjoncture qui soit plus porteuse ; or en ce moment la conjoncture en France est dramatique, pour des raisons notamment d’erreurs de politique économique que j’ai signalées avec les prélèvements sur la consommation. Et structurellement, je pense qu’on ne fait pas ce qu’il faut pour essayer de relancer l’emploi.
Si vous souhaitez que j’indique quelques pistes…
M. Denoyan : On va y venir.
M. Le Marc : Est-ce que l’Etat doit donner l’exemple en renonçant à un certain nombre de réformes qui mettent en cause des emplois, comme par exemple la réforme de la défense nationale ?
M. Fabius : Prenons cet exemple-là. Qu’il y ait une réforme à faire en matière de défense nationale, et en particulier dans tout le domaine des industries d’armement…
M. Le Marc : Où il y a un sureffectif notable.
M. Fabius : ... je pense que c’est incontestable ; il y a des réformes à faire. Seulement la réforme qui est proposée, ou plutôt la purge qui est proposée, souffre de deux graves défauts. D’une part, elle vient en contradiction absolue avec ce qu’on avait laissé entendre aux salariés. Rappelez-vous que Monsieur Chirac, au moment de sa campagne présidentielle, disait que non seulement il ne faut pas opérer des réductions, mais il faut augmenter massivement le budget de la défense. C’est exactement l’inverse qu’on a fait. Quand vous prenez des mesures comme celle-là, par rapport à toute une série de salariés qui attendaient exactement l’inverse, c’est d’autant plus dur.
D’autre part, il y a le problème du rythme. Je pense que dans des régions comme la région de Cherbourg, la région de Tarbes ... Je parlais d’explosion sociale : cela peut se produire dans des coins comme ceux-là. Quand c’est 25 % d’une population, 30 %, 40 % d’une population qui est concernée, c’est insupportable. Il y a donc le problème de l’étalement. Et à la fois on n’a rien prévu au départ et on le fait sur un rythme, sans concertation, qui est inacceptable pour les gens. Évidemment, cela rend les gens encore plus furieux et la situation encore plus tendue.
M. Denoyan : Sur l’emploi quand même, Laurent Fabius, cela fait vraiment 20 ans que chaque leader de l’Opposition annonce que lorsqu’il sera au pouvoir, il réglera le problème du chômage. Il y a même des élections présidentielles qui ont été gagnées là-dessus, et on a vu le résultat. Est-ce que franchement il y a des recettes aujourd’hui pour réduire le chômage ?
M. Fabius : Je pense qu’il n’y a pas une seule recette, sinon, comme vous le soulignez implicitement, elle aurait été trouvée et, tous les dirigeants étant de bonne volonté…
M. Denoyan : On l’espère.
M. Fabius : … il faut le supposer, ils s’en seraient saisis. Mais il y a des choses dont on sait maintenant qu’elles seront plus efficaces que d’autres et on a le courage ou pas, on a le choix ou pas, de les appliquer.
Je pense très clairement qu’il y a 4 ou 5 pistes qui ne sont pas empruntées aujourd’hui, qu’il faut emprunter.
M. Denoyan : Par exemple ?
M. Fabius : Premièrement, à la différence du Gouvernement actuel, je pense qu’il n’y a pas de relance possible de l’emploi s’il n’y a pas un certain soutien de la consommation et de la demande. C’est une option de politique économique. Le Gouvernement actuel dit non, qu’au contraire il faut serrer les freins. Nous nous pensons, je pense en particulier qu’il y a un certain soutien…
M. Denoyan : Ça, c’est un peu Maastricht, c’est la nécessité d’arriver aux convergences de Maastricht.
M. Fabius : Oui, mais attention : vous avez vu, puisqu’il y a eu des articles publiés là-dessus récemment, ce qu’on appelle le partage salaire – profit : c’est un mot bien compliqué pour dire que quand il y a des richesses qui sont créées, une partie va aux salaires et une partie va aux profits. Depuis plusieurs années, la part des salaires est la part étroite, alors que la part des profits ne cessent d’augmenter. Sans changer le volume global, la répartition entre salaires et profits, à notre avis, devrait être modifiée.
Deuxième point : il y a toute la question de la réduction de la durée du travail. Là-dessus, on l’a vu encore récemment, le Gouvernement tergiverse. Au départ, il était carrément contre ; maintenant il ne peut pas nier qu’il faille y aller, mais il n’y va pas. Nous pensons, nous, qu’il faut y aller, et y aller d’une façon ferme et audacieuse…
M. Roland-Levy : Et légiférer ?
M. Fabius : ... et s’il n’y a pas de résultat, comme c’est le cas aujourd’hui, aller vers la législation.
M. Roland-Levy : C’est exactement la position qu’a énoncée Juppé hier.
M. Fabius : Non, Monsieur Roland-Levy, parce que, comme vous avez comme chacun de nous ici de la mémoire, vous vous rappelez sans doute que le Gouvernement, après les mouvements de novembre-décembre, avait fait un sommet social et il avait dit : « Il y aura six mois plus tard un rendez-vous – celui qu’on vient d’avoir hier ou avant-hier – où on fera le bilan et si le résultat n’est pas satisfaisant, à ce moment-là, on légifèrera.
M. Roland-Levy : Ils donnent quelques mois de sursis aux partenaires sociaux.
M. Fabius : Résultat : six mois plus tard, on se rencontre et sur 128 branches économiques, il y en a 12 qui ont fait des accords, et encore dans ces 12, il n’y a pas de création d’emplois. Et le Gouvernement dit : « On verra encore dans six mois ». C’est une des formules principales de Monsieur Juppé. Juppé à deux formules pour gouverner : « Après-demain on rase gratis » et « Ce n’est pas moi, c’est les autres ».
Je crois qu’il faut aller d’une façon plus hardie vers une réduction de la durée du travail.
Troisième point : tout ce qu’on appelle les emplois de proximité, les emplois d’utilité collective, on en parle, mais on ne fait rien. Je pense qu’il faudrait que soient regroupées toute une série de sommes qui aujourd’hui sont consacrées inutilement – on a parlé des aides à l’emploi, etc. – dans une nouvelle approche : une dotation…
M. Brocard : C’est ce que dit aussi le Gouvernement.
M. Fabius : Attendez ; on ne peut pas le dire alors que je ne me suis pas encore exprimé. Une dotation en direction des collectivités locales : le Gouvernement ne parle pas de collectivités locales, il se contente de les ponctionner. Je pense qu’il faudrait regrouper toute une série qui existe, pour créer une dotation globale de créations d’emplois en direction des collectivités locales et des associations parce qu’il y a – tout le monde le reconnait mais on ne fait rien – en matière d’aides aux personnes âgées, d’appuis aux jeunes, de toute une série de services aux personnes, des dizaines de milliers d’emplois à créer, soit par les collectivités locales, soit par les associations, alors qu’aujourd’hui au contraire on ampute toutes les ressources disponibles.
Quatrième et avant-dernier point : il y a effectivement une réforme de la fiscalité et des cotisations sociales à faire. Aujourd’hui elles pénalisent l’emploi, notamment dans les PME. Il faut évidemment modifier ce système pour encourager l’emploi, notamment chez les artisans et PME.
Dernier point, c’est un de mes dadas : je crois qu’il y énormément d’emplois à créer dans tout le domaine du logement, de la rénovation urbaine, parce que vous avez en France des centaines de milliers de gens qui ne sont pas logés ou mal logés. Ce point, tout le monde le reconnaît, peut créer, dans toute une série de communes françaises, beaucoup d’emplois.
Donc je réponds ainsi à ce que disait Monsieur Denoyan : il n’y a pas un remède unique, mais si ces 4 ou 5 points étaient mis en application, tout en ayant une gestion rigoureuse des finances publiques, je pense qu’on pourrait enfin décoller.
Objections
M. Denoyan : Objections de Monsieur Michel Péricard, président du Groupe RPR à l’Assemblée nationale.
Bonsoir, Monsieur Péricard.
M. Péricard : Bonsoir, Monsieur Denoyan;
M. Denoyan : Vous avez présidé justement une commission sur les problèmes de l’emploi. Je crois que vous pouvez objecter à Monsieur Fabius.
M. Péricard : Je ne suis pas persuadé que c’est sur ce sujet-là que j’objecterai davantage. Je l’ai écouté avec l’attention qu’il mérite. C’est vrai, je suis d’accord avec lui, que la France est inquiète et que l’élection du Président de la République a fait naître beaucoup d’espérances. Quel aveu dans sa bouche, de reconnaître que les Français avaient besoin d’avoir envie d’autre chose !
Je ne veux pas ici faire une bataille de chiffres, mais je pense qu’il peut quand même être d’accord avec moi pour reconnaître que le déficit public nous a été en grande partie légué par les coins de ses gouvernements.
Ce que j’aimerais bien déjà lui demander, c’est comment, s’il ne faut pas réduire la dépense, on réduit le déficit. Une dette, chaque ménage comprend ce que cela veut dire, mais comment on ne la rembourse pas et comment on peut ne pas l’augmenter ?
Je voudrais aussi savoir pourquoi, si l’autorisation administrative de licenciements à toutes les vertus qu’il lui trouve, ne l’ont-ils pas rétablie ? Elle a été supprimée, je vous le rappelle, par le gouvernement de Jacques Chirac, pendant la période où il était Premier ministre. Et les Socialistes avaient une large majorité avec les Communistes pour pouvoir la rétablir : pourquoi n’a-t-elle pas été rétablie ? C’est comme la renationalisation de TF1 : cela fait partie des serpents de mer dont on parle quand on est dans l’Opposition et dont on ne parle plus quand est au pouvoir.
Je m’arrête là, mais je suis prêt à en dire d’autres.
M. Fabius : Je suis heureux de bavarder avec Monsieur Péricard que je retrouve chaque semaine puisqu’il est président du Groupe RPR. Nous avons une réunion des présidents de Groupe. Je suis président du Groupe socialiste, donc nous nous retrouvons à cette occasion.
Monsieur Péricard soulève deux questions et je veux – ne voulant pas le laisser sur sa faim, surtout à cette heure de la soirée – lui répondre.
En ce qui concerne les déficits, c’est vrai – il a raison – que le déficit public qui est important a été pour une part légué par les prédécesseurs. Mais Monsieur Péricard qui est un observateur très avisé de la vie politique a sans doute noté que cela fait trois ans que la Majorité au pouvoir et que, pendant deux années avant Monsieur Juppé, il y avait eu Monsieur Balladur avec des déficits très, très importants.
Deuxièmement, comment peut-on réduire ces déficits ? Monsieur Péricard sait certainement que lorsqu’on regarde attentivement le budget, comme nous le ferons à l’automne, le principal problème, c’est le manque de recettes. C’est cela qui crée les déficits. Et le manque de recettes vient de la faiblesse considérable de la croissance. Cette faiblesse de croissance vient d’une insuffisance de soutien de la demande et de soutien de la consommation.
Tous les économistes vous diront que la première orientation à retenir pour essayer de réduire les déficits, c’est de faire repartir la croissance par une politique économique différente. Notre intention n’est absolument pas, évidemment, d’augmenter les déficits, si possible de les réduire, mais d’abord par une relance de la croissance.
Enfin dernier, si vous me le permettez, en ce qui concerne l’autorisation administrative de licenciement, je crois que c’est Monsieur Chirac qui l’avait supprimée, de même qu’il l’avait créée...
M. Péricard : Ah ! Dans d’autres époques, c’est possible.
M. Fabius : Comme la taxe professionnelle qu’il avait créée à d’autres époques. Je pense qu’il faut s’adapter à une nouvelle situation, que nous avons en ce moment des charretées – je ne sais pas si c’est ce mot qu’il faut employer – mais en tout cas des licenciements massifs opérés par toute une série d’entreprises et qu’il faut bien – quel que soit le terme qu’on utilise – que les pouvoirs publics aient un certain droit de regard.
Cela ne suffit, bien sûr, comme politique économique et comme politique de l’emploi, tout le monde est d’accord là-dessus. Mais abandonner ce droit de regard, ce serait impossible. D’ailleurs, ce droit de regard, le gouvernement l’exerce...
M. Péricard : … Donc, il existe.
M. Fabius : Quand il s’agit d’entreprises publiques. Il faudrait que ce droit de regard, sans tomber dans un système bureaucratique dont personne ne veut, en tout cas pas nous, puisse être exercé dans d’autres secteurs.
M. Péricard : Excusez-moi, mais pour MOULINEX, ce n’est pas une entreprise publique, le Gouvernement a dit que le plan n’était pas acceptable. Il le dira sans doute pour d’autres.
M. Fabius : Je crois que le Gouvernement a dit que le plan n’était pas acceptable après que, si mes informations sont exactes, le ministre qui est président du conseil général de ce département ait dit, au départ, que ce plan lui paraissait censé.
M. Péricard : Je ne suis pas sûr de cela.
M. Fabius : La situation de MOULINEX est extraordinairement difficile, mais amputer comme ça sans mesures sociales particulières plus de 20 % de l’activité et du personnel, c’est quelque chose qui ne peut pas être accepté dans aucune région.
M. Péricard : En tout cas, moi, je veux dire, ce que d’ailleurs a dit le journaliste, que sur le partage du temps de travail, sur le recours aux collectivités, je crois qu’on ne peut pas retirer à Alain Juppé de l’avoir dit et redit. Les leaders de la Majorité déjeunaient chez lui à midi, il l’a redit. Je crois, Monsieur Fabius, que ce sont des idées qui sont finalement partagées par beaucoup de gens censés – je veux croire que vous en faites partie – et donc on ne peut pas se les jeter à la figure. J’ai dit l’autre jour dans un dîner-débat que dans, ce que disait Rocard, il y avait des idées qui me paraissaient très intéressantes. Je crois que le sujet est trop grave pour qu’on puisse simplement là-dessus ou polémiquer ou faire des recherches en paternité.
M. Fabius : Monsieur Péricard, si Monsieur Juppé l’a dit à déjeuner et que vous l’avez répété à dîner, nous sommes sauvés.
M. Denoyan : Merci à Michel Péricard.
Jean-Michel Aphatie.
M. Aphatie : Vous avez évoqué quatre ou cinq pistes pour résoudre le problème du chômage, mais lorsque vous regardez à l’extérieur d’autres pays occidentaux, l’Angleterre, les Etats-Unis, notamment, qui ont su être créatifs sur le marché de l’emploi, au prix – en Angleterre, c’est assez visible, aux États-Unis aussi – sans doute de drames sociaux. Mais que retirez-vous de bien dans ces expériences telles qu’on les a vécues ? Et est-ce que vous ne vous dites pas que tout de même, en France, le marché du travail est peut-être un peu corseté à l’heure actuelle pour être créatif ?
M. Fabius : Monsieur Aphatie, vous définissez très bien la problématique telle qu’elle est. Ou bien on retient le système américain, le système américain, je le décris en deux mots : il y a une proportion de pauvres considérable, qui n’ont rien, et même chez les gens qui travaillent, qui ont un emploi, il y a des emplois rémunérés tellement bas qu’une partie de ces emplois coexiste avec la pauvreté. Donc, c’est un système dans lequel il n’y a pas de protection sociale – Monsieur Clinton s’est fait élire là-dessus en disant : « Il faut qu’il y ait une protection sociale », que nous avons en Europe –, c’est un système dans lequel il y a énormément de pauvres et c’est un système dans lequel, à la fois, on peut travailler et être pauvre.
Comme en plus vous avez quatre milliards d’individus dans des pays dits émergents qui, maintenant, travaillent dans des conditions de plus en plus productives, avec des salaires qui, chez nous, sont de misère, ce que nous dit la pensée, réputée unique, c’est : « mais il y a une solution pour s’en sortir, mais il y a une solution pour créer des emplois, c’est supprimer les protections sociales, baisser les salaires et vous créerez des emplois »...
M. Aphatie : … Sans tomber dans la caricature, il n’y a rien de bon dans ces expériences ?
M. Fabius : Ce n’est pas une caricature...
M. Aphatie : … Il n’y a rien de bon qui pourrait vous inspirer, soit en Angleterre, soit aux États-Unis ?...
M. Fabius : ... Non, ça, c’est un type de modèle. Moi, je considère que nous ne devons pas l’accepter, ni en Europe, ni en France, parce que ce serait une régression considérable. Et donc il faut adopter d’autres systèmes où il y a effectivement, contrairement à ce que souvent nous reproche la Droite, des réformes à opérer. Il y a des réformes à opérer dans le service public, il y a des réformes à opérer sur le plan de l’emploi, il y a certaines réformes à opérer sur le plan économique, sur le plan du chômage. Il y a toute une série de réformes à opérer, mais ces réformes doivent aboutir à une modernisation, doivent aboutir à une plus grande équité, à une plus grande efficacité, mais pas à démanteler le système. Et donc là vous avez deux approches différentes.
Vous me dites : « De quoi faut-il s’inspirer ? », par exemple, je crois qu’aux États-Unis il y a, dans certains domaines, une approche beaucoup plus dynamique que la nôtre, dans une perspective de projets que nous n’avons pas. Quand vous allez vous balader, soit en Californie, soit en Floride, peu importe ! Il y a un redéveloppement d’un certain nombre de zones économiques en liaison avec la recherche qui se fait et qui ne se fait pas au même rythme en France.
Mais le problème fondamental n’est point-là. Le problème fondamental, c’est : dit-on, face à ces quatre milliards de personnes dans des pays émergents, que la seule manière de s’en sortir, c’est de démanteler nos protections sociales et d’abaisser nos salaires ? Ou y arriverons-nous en nous réformant nous-mêmes, en réformant le mode d’intervention de l’État ? En reformant un certain nombre de modalités sociales, arriverons-nous tout de même à développer l’emploi et à préserver un certain nombre de valeurs ?
M. Le Marc : Devant le développement, je passe à un autre sujet, des affaires, le Parti Socialiste joue un peu le rôle du procureur, c’est d’ailleurs son rôle. Mais ne craignez-vous pas qu’il soit emporté dans le jugement négatif porté par les Français, tout simplement parce qu’il n’a pas été totalement un exemple dans le passe, y compris dans ses relations avec la justice ? Est-ce que tout cela ne contribue pas au désarroi de l’opinion ? Et est-ce que tout cela, finalement, ne renforce pas le Front national ?
M. Fabius : J’ai trouvé que le Parti socialiste était extrêmement mesuré dans ses observations et que la critique la plus forte venait de vos confrères de la presse, et de vous-mêmes d’ailleurs, qui jugent ce qui se passe, enfin « jugent » sans mauvais jeu de mots, qui analysent ce qui se passe.
Le Parti socialiste, pour sa part, le reproche qu’on pourrait lui faire, que lui font certains, d’après les journaux que j’ai lus, c’est de rester très mesuré. Moi, je pense qu’il a raison de rester mesuré.
Mais qu’est-ce qui se passe ? Il se passe, et je pense que vous en avez pleine conscience, qu’on assiste à une confiscation sans précédent des pouvoirs. Le pouvoir exécutif, parce que les Français en ont décidé ainsi, est totalement dans la main du RPR et un petit peu de l’UDF. Le pouvoir législatif est totalement domine par la Droite...
M. Denoyan : .Parce que les Français l’ont voulu la aussi.
M. Fabius : Oui, bien sir. Le Pouvoir économique est, en grande partie, dominé par la Droite. Le Pouvoir médiatique, d’après les informations qui me sont parvenues, y compris dans ce studio, est aussi...
M. Denoyan : Cela veut dire quoi, Monsieur Fabius ?
M. Fabius : Non, je plaisante. Le pouvoir médiatique est aussi, dans une large mesure, sous l’influence de la Droite. Et voilà que ce Gouvernement voudrait mettre sous influence le pouvoir judiciaire qui résiste et qui a bien raison de résister. Je me disais : « C’est sans précédent », mais ce n’est pas tout à fait exact que ce soit sans précédent, c’est que nous avons oublié, parce que c’était il y a assez longtemps, ce qu’on appelait « l’État RPR »...
M. Denoyan : … Il y a bien eu « l’État socialiste », me souvient-il, Monsieur Fabius, à une époque ?
M. Fabius : Vous savez, la mainmise des socialistes sur le pouvoir économique, je crois qu’il a été assez limité.
M. Le Marc : Et les rapports justice-politique sous les deux précédents septennats ont été exemplaires ?
M. Fabius : Peut-être que tout n’a pas été exemplaire...
M. Brocard : ... Le carrefour du développement, l’affaire URBA, il y a tout de même eu des choses...
M. Fabius : ... Oui, tout n’a pas été exemplaire, loin de là. Mais s’il y avait une compétition malsaine qui devait s’instaurer, actuellement elle serait gagnée haut la main par ce qu’on voit.
M. Brocard : Vous ne croyez pas que cela risque finalement de nuire profondément et au Parti socialiste et à la Majorité ? Et la classe politique n’est-elle pas en train de s’auto-détruire ?
M. Fabius : Que voulez-vous dire par « cela va nuire » ?
M. Brocard : À la classe politique en général. N’y a-t-il pas un phénomène d’auto-destruction à force de critiquer quand on est dans l’Opposition, de critiquer les uns et les autres...
M. Fabius : ... Vous voulez que je vous dise que ce qui est en train d’être fait à la mairie de Paris est merveilleux ? Donc, je me tais. C’est ce que je peux faire de plus aimable.
M. Denoyan : Non, non, qu’en pensez-vous justement de la mairie de Paris, Monsieur Fabius ?
M. Fabius : J’en pense ce que tout le monde en pense. Vos auditeurs, sur ce point je vous rejoins, Monsieur Brocard, ne seront même pas sensibles à ce que vous-même ou moi-même pourrons dire, ils ont déjà fait leur jugement. Ils savent bien qui était autrefois à la mairie de Paris. Ils savent bien comment ce Gouvernement est constitué. Et je crois qu’ils se posent la question : Pourquoi à ce point tord-on les textes ? Qu’est-ce qu’il y a derrière ? C’est cela la question qui est posée.
M. Denoyan : Vous avez une idée, vous ?
M. Fabius : Peut-être un certain nombre de gens renvoient dos à dos et, ça, c’est la réaction facile, entretenue d’ailleurs par certains, mais, moi, je n’entre pas là-dedans...
M. Brocard …Vous ne croyez pas que c’est la réaction du simple citoyen ?
M. Fabius : Ne faisons pas de poujadisme. Nous sommes tous ici très informes sur ce qui se passe et ce qui se passe aujourd’hui, dans la plupart des pays, serait difficilement concevable, non ? Je vous interroge à mon tour.
M. Denoyan : Vous avez posé la question...
M. Fabius : ... À la cantonade.
M. Denoyan : Voilà.
Jean-Michel Aphatie.
M. Aphatie : Pour tenter de remédier sans doute un peu au problème que connaît la démocratie française, le Parti socialiste, en rénovant son projet, a réfléchi justement au problème de démocratie. Il s’avance dans ce débat d’une façon assez singulière parce que, par exemple, il dit : « Il faudra arrêter de cumuler les mandats, mais pas tout de suite, pas pour 1998 », donc, on va continuer à présenter aux élections législatives des gens qui, comme vous, sont déjà maire. Trouvez-vous qu’il y a une clarté dans la démarche qui est la vôtre aujourd’hui ?
M. Fabius : Vous voudriez que je ne sois plus maire ou que je ne me présente pas aux élections ?
M. Aphatie : Je me pose la question de savoir si quand vous serez devant un choix, ce que vous ferez ?
M. Denoyan : Hein, Monsieur Fabius, chacun son tour.
M. Aphatie : Qu’est-ce que vous choisiriez ? Et est-ce bien sain de dire aux citoyens : « on va interdire le cumul des mandats, mais ce coup-ci encore on va les cumuler ? ». Est-ce une bonne façon de faire de la politique ?
M. Fabius : Quand j’étais Premier ministre, à l’ère glaciaire, en tout cas quaternaire...
M. Denoyan : C’est vous qui le dites.
M. Fabius : J’avais fait voter, en dépit de l’Opposition, de beaucoup de monde, une réforme sur le cumul du mandat. Vous vous rappelez qu’à l’époque on pouvait cumuler je ne sais pas combien de mandats et on ne peut plus en cumuler que deux. Mais cela avait été déjà difficile. Et nous souhaitons aller plus loin. Je pense que nous avons raison parce que les journées n’ont que 2’ heures, parce que, maintenant, l’administration d’une grande ville est devenue est très prenante et parce que si on veut redonner au Parlement toute sa force – j’ai été, moi-même, président de l’Assemblée nationale – je crois qu’il faut d’abord que les députés soient là. C’est la première réforme à opérer, et pour qu’ils soient là, Monsieur de La Palice aurait dit « qu’il ne faut pas qu’ils soient ailleurs ». S’ils ont trop de fonctions, ailleurs, importantes, évidemment, ils n’ont pas le don d’ubiquité cher à Marcel Aymé. Je crois que la réforme du cumul est une bonne chose.
M. Roland-Levy : Lors du 14 juillet, attendez-vous quelque chose de la déclaration du Président de la République ? Qu’attendez-vous ? Pensez-vous que ce sera le moment pour lui et pour nous qu’il prenne une initiative politique forte ?
M. Fabius : Je n’ai pas de conseils à donner au Président de la République. La tradition, effectivement, a été instaurée depuis quelques années qu’à l’occasion du 14 juillet le Président s’adresse, d’une manière ou d’une autre, aux Français et, à la fois, recadre son action et trace des perspectives. Eh bien, je l’écouterai sans a priori...
M. Le Marc : ... A-t-il des marges de manœuvre ? A-t-il de vraies marges de manœuvre, sur le plan institutionnel, sur le plan politique et sur le plan économique ?
M. Fabius : Le Président de la République a de grandes marges de manœuvre. La situation économique n’est pas facile pour les raisons qu’on a dites tout à l’heure. Mais, comme je vous le rappelais, lorsqu’on domine le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, une partie du pouvoir économique, du pouvoir médiatique, on a tout de même quelques marges de manœuvre ou alors c’est à désespérer !
M. Roland-Levy : Partagez-vous l’avis d’Édith Cresson sur Jacques Chirac ? Elle trouve qu’il se débrouille très bien en politique étrangère, sur la Bosnie, que c’est bien d’aller en Arable saoudite en ce moment...
M. Denoyan : ... Et que le gouvernement d’Alain Juppé, précisément, n’est pas plus mauvais que les précédents ? Peut-être qu’elle se compte dedans ?
M. Fabius : Moi, je serais plus spécifique : que le précédent.
M. Roland-Levy : Excusez-moi, je reviens à ma question, elle fait des compliments assez nets sur l’action de politique étrangère de Jacques Chirac. Et elle dit d’ailleurs qu’elle est mal vue, elle-même, de la Gauche caviar. Je ne sais pas si elle anticipe votre réponse ? Enfin, voilà ! Partagez-vous les compliments...
M. Fabius : ... Non, ne soyez pas désagréable, sinon je pourrais l’être.
Je ne vais pas me situer par rapport au jugement de telle ou telle personnalité du Parti socialiste, fut-elle éminente. Si vous me demandez ce que je pense de la politique étrangère de Monsieur Chirac, il y a des points que j’approuve. J’ai approuvé, en son temps, l’initiative qu’il avait prise vis-à-vis de la Bosnie, en 1995. Moi-même, d’ailleurs, je l’avais souhaité en août 1992 et, à l’époque, je dois dire qu’à la fois mes propres amis et l’Opposition de l’époque avaient dit que ce n’était pas raisonnable. C’est ce qu’on a fait trois ans plus tard mais entre-temps il s’était passé malheureusement de graves choses. Donc, sur la Bosnie, sa volonté d’aller de l’avant, de défendre un certain nombre de valeurs au nom de l’Europe, c’était une bonne chose.
Sur le reste, question européenne, on ne savait pas si Monsieur Chirac allait choisir une voie européenne ou pas au moment où il a été élu Président de la République. Il a, semble-t-il, dans les discours et même dans les faits, choisi, après son élection, une voie européenne. Mais, voilà, je suis inquiet parce que je ne vois pas grand-chose qui bouge. Avec les Allemands, les liens se sont distendus, et c’est grave ! Et en ce qui concerne la Conférence inter-gouvernementale, qui est l’objet de tous nos travaux, je ne vois rien avancer. Donc, je crois que le choix du Président est un choix européen, je m’en réjouis, mais je ne vois pas encore ça très concrètement.
Quant à la question arabe, oui, Monsieur Chirac fait toute une série de voyages, il a raison d’ailleurs de se déplacer parce que cela fait partie de ce que doit faire le Président de la République, maintenant, qu’est-ce que cela recouvrira exactement ? J’ai senti une certaine distance vis-à-vis de l’attitude des États-Unis, pourquoi pas ! Mais la politique arabe telle qu’on l’entendait dans le passé, c’était pour une bonne part une politique hostile à Israël. C’était cela tout de même l’élément de définition. Je ne le crois pas, je ne souhaite pas que ce soit cela que reprenne le Président de la République actuel.
Mais laissons cela de côté, je pense que ce n’est pas sur ces points, principalement de la politique extérieure que peut porter la critique, même si on peut dire telle ou telle chose. Je crois que l’essentiel, en tout cas, tel que je le ressens ou que le ressentent beaucoup de Français, voilà un Président de la République qui, par le suffrage universel, tient dans ses mains des pouvoirs immenses, porte de grandes espérances, eh bien, un an après, record du chômage, record des impôts, record du déficit.
M. Denoyan : Cela veut dire que, pour vous, la rentrée sera difficile pour le Gouvernement Juppé ?
M. Fabius : Je ne sais pas... Mais, pour les Français, elle l’est.
M. Denoyan : Merci, Laurent Fabius.
C’était donc la dernière émission d’OBJECTIONS pour cette saison. Une autre émission sera là, à cette même place, mercredi prochain.
Bonsoir.