Discours de M. Jean Lecanuet, président de l'UDF, au congrès de l'UDF, sur la stratégie de l'UDF, Pontoise le 28 novembre 1982.

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Circonstance : Congrès de l'UDF les 27 et 28 novembre 1982 à Pontoise

Texte intégral


Monsieur le président et vous tous mes chers amis, je mesure plus que jamais la charge et l'honneur que vous me faites en parlant après tous ceux qui se sont exprimés, je ne veux y voir que la marque d'une seule qualité que je veux bien moi-même me reconnaître : la fidélité inébranlable à mon idéal et à mes amis… (applaudissements).

Je vais m'efforcer, en mesurant qu'il est impossible d'ajouter à la richesse des discours que nous avons entendus, de résumé en un certain nombre de jugements et de propositions pour l'avenir, ce qu'est l'UDF et comment le pays regardera l'UDF.

Elle regarde l'UDF d'abord par comparaison avec les dix-huit mois, longue et brève période. En dix-huit mois, le socialisme a entamé l'héritage et il a compromis l'avenir de la France. En dix-huit mois, la présence de la France, hélas, dans le monde, se fait moins rayonnante que dans le proche passé st les liens si importants de la France avec les départements et les territoires d'outre-mer se relâchent et soulèvent notre inquiétude. En dix-huit mois, l'effort de défense dont nous discuterons demain au Sénat, après l'Assemblée nationale, a fléchi. En dix-huit mois, la sécurité intérieure des Français n'est plus assurée. La justice, j'ai quelques droits à en parler, n'est plus équilibrée, et la police est démoralisée… (applaudissements). En dix-huit mois, l'économie française ploie sous les déficits de tous ordres et les entreprises françaises ploient sous les charges.

La France désormais emprunte à l'étranger, alors qu'elle lui prêtait. Elle dissipe ses réserves, sa monnaie fond, le chômage s'étend et le pouvoir d'achat baisse, les avantages sociaux régressent.

Voilà le stupéfiant renversement de l'ambition socialiste. (applaudissements).

Il y a plus grave encore : en dix-huit-mois, l'étendue et l'excès des nationalisations ont bouleversé nos structures au détriment de la production. En dix-huit mois, sur le plan de son inspiration, la France a entendu tour à tour le cri de la division, l'appel à la rupture et à la lutte des classes, et plus récemment l'appel, d'ailleurs sans écho et qui apparaissait comme un appel au secours : l'appel à l'union, mais le pays a perdu sa confiance, il découvre, jour après jour, le gâchis du désordre né de la démagogie socialiste. (applaudissements).

La France aspirait, et elle aspire toujours, à des formes de changement, mais elle ne comprend pas le changement qu'elle subit sans l'avoir voulu et qu'elle aimerait autrement ; elle a perdu confiance dans un gouvernement qui lui dit : je ne change pas de politique, mais je me vois contraint de faire le contraire de ce que j'avais promis, et M. Mitterrand lui-même n'ose plus, dans ses derniers propos, parler de socialisme, ni de peuple de la gauche. Quant à M. Mauroy, qui inverse sa route, il nous assure qu'il ne change pas de cap étrange navigateur, il s'embarquait pour Cythère et se retrouve à Usinor où il échoue. (applaudissements).

Dans ces conditions, les observateurs les plus rigoureux ne s'étonneront pas qu'ici, à l'UDF, nous fassions une comparaison au terme bref, net, et déjà suffisant de ces dix-huit mois : entre les deux septennats, l'ancien et le nouveau l'histoire jugera, elle est déjà en train de se prononcer. (applaudissements).

L'actuel président de la République paie son succès électoral de 1981 avec des promesses qui font nos malheurs, mais l'ancien président de la République… (applaudissements) aujourd'hui, comme hier, propose l'espoir par l'effort et il est parmi nous (vifs applaudissements). Il est parmi nous et nous combattons ensemble pour la dignité des Français, pour la grandeur de la France, contre la décadence qui nous menace.

Dix-huit mois après, il est possible de répondre à la terrible question : qui respecte et qui méprise le peuple ? Celui qui appelle à l'effort ou celui qui a promis l'impossible ? (applaudissements).

Naturellement, l'UDF déplore l'état où se trouve la France, elle ne se réjouit pas que les faits aient si vite confirmé ses prévisions, mais forte de sa lucidité, c'est elle qui porte l'espérance du renouveau de la France et riche et non encombrée de ses diversités, elle apparaît et elle apparaîtra de plus en plus comme le vrai rassemblement du pluralisme français, l'UDF puissant courant, démocrate et libéral, deviendra, j'en suis convaincu, et la fin de ce Congrès plus encore qu'il y a quelques mois, le plus grand mouvement politique de notre pays. (applaudissements).

J'étais heureux, cher président Giscard d'Estaing, de vous entendre dire que notre combat s'adresse à cette majorité des français qui compose ce que vous appelez le corps central. Oui, l'UDF est au centre, là où convergent les volontés de réconciliation et d'innovation pour la France moderne, elle n'est pas à droite, du côté des égoïsmes et des fermetures, l'UDF, quand elle gère avec rigueur, c'est pour le progrès économique et humain, alors que le socialisme, puni de son irréalisme par les faits, en vient à l'austérité pour la régression que nous constatons et que subissent les plus humbles des Français.

L'UDF, mouvement de l'espérance et de la fierté française, ne propose pas la revanche, mais la relève pour le redressement du pays et la justice ! (applaudissements).

La relève, quand, comment et pourquoi ?

Pourquoi ? J'ose dire que notre congrès a déjà répondu pour une large part à cette interrogation fondamentale ; adoption de deux textes, l'un de politique générale, l'autre sur les consultations prochaines municipales, dessine à larges traits l'action de l'UDF au service de la France.

Notre tâche ne s'achèvera pas avec ce congrès, il restera – selon moi, et je crois traduire ici la pensée de votre bureau national et de votre conseil – à prolonger ces premières réflexions et naturellement à les adapter selon l'évolution. Il appartiendra, je m'adresse à moi-même pour ne l'adresser à personne d'autre ce reproche, de mieux animer et plus utilitairement l'action de l'UDF, sur le terrain, en créant une commission d'animation des unions départementales et régionales pour provoquer le dialogue vivant entre toutes les formations qui composent l'UDF et leur rayonnement à travers les départements et la région. Il conviendra ensuite, c'est en tout cas l'objectif que votre président poursuit, au plan national, de redonner vigueur aux commissions d'études qui associent les socio-professionnels, les forces vives du pays, les syndicats réformistes, ceux qui ne veulent pas la destruction, mais au contraire l'avancée de la France, avec les milieux politiques. (applaudissements).

Et il conviendra, je n'aurai de cesse de le demander jusqu'au jour où cet objectif sera atteint, que se constitue autour de la présidence et du secrétariat général de l'UDF, la grande équipe qui s'exprimera sur tous les sujets face à l'opinion et qui montrera que l'UDF est le parti de l'imagination et de la création de l'avenir. (applaudissements)

Nous connaissons donc le chemin que nous suivrons : votre congrès l'a tracé et a ouvert les pistes.

La relève, quand et comment ?

Nous n'avons jamais élevé, à l'UDF, de critiques sur ce qu'il est convenu d'appeler la légitimité du pouvoir actuel. Cependant, nous ne pouvons pas exclure que l'aggravation à laquelle nous assistons.de la dégradation économique, ne puisse provoquer par malheur une explosion sociale. Pour l'instant, le Parti communiste la contient, pour combien de temps ? Jusqu'aux municipales ? Au-delà ? Pour quelle durée ? Si, par malheur, le désordre surgissait, il s'est produit en d'autres temps pour des causes moins profondes, nous assurerions la plénitude de nos responsabilités. (applaudissements). Mais après le président Giscard d'Estaing, je tiens à le redire, convaincu d'interpréter l'unanimité de vos sentiments, l'UDF ne spécule pas sur l'aventure, elle ne la recherche pas, parce que de l'aventure pourrait peut-être sortir le salut, mais aussi le pire, c'est-à-dire la violence et l'agitation la plus grave. (applaudissements).

La relève, quand ? Certainement pas, si vous partagez mon sentiment et si j'ai bien entendu l'expression des vôtres, par la voie obscure et immorale de ce que certains appellent le recentrage. Toutes les spéculations sur l'éventualité de je ne sais quel rapprochement occasionnel entre l'UDF et les socialistes sont vaines et absurdes… Je tiens à l'affirmer avec votre appui. (vifs applaudissements).

Pourquoi ? Parce qu'on ne change pas de camp en cours de route dans la Ve République.

Cela, c'est pour la morale. Et pour une autre raison qui va plus avant, plus au coeur des réalités, parce que le Parti socialiste n'est plus le Parti socialiste que certains d'entre nous ont pu connaître sous la IVe République, il veut construire une société de collectivisme, d'étatisation… (vifs applaudissements) que je souhaite à cet enfant de ne jamais connaître… (vifs applaudissements)… et parce que cette société socialiste de nationalisation, d'étatisation, de bureaucratisation, bon gré, mal gré, travaille au rétrécissement des libertés. Nous sommes le parti des libertés, de l'initiative, de l'imagination, de la responsabilité, de la solidarité volontaire et toute notre inspiration, tout notre projet politique s'oppose fondamentalement à projet socialiste tel qu'il s'est élaboré depuis un certain nombre d'années.

Par conséquent, aucun compromis n'est possible entre ces deux projets de société qui obéissent l'un et l'autre à des tables de valeur, de civilisation totalement différentes.

Si le Parti socialiste perdait son allié le Parti communiste, ou s'il s'en séparait, il faut envisager l'éventualité, bien qu'elle ne soit pas d'actualité, des deux hypothèses, que le Parti socialiste alors utilise la majorité dont il dispose et s'il ne peut plus la maintenir que la dissolution de l'Assemblée nationale soit la voie qui ouvre les solutions choisies par les Français et non par des combinaisons obscures d'états-majors politiques ! (applaudissements).

Et si aucune de ces hypothèses ne se produit après tout, le Parti socialiste est arrivé au pouvoir avec l'aide du Parti communiste, s'il se maintient, il a pour lui le nombre et la cuirasse des institutions qu'il avait jadis tant maudites, s'il dure par habileté, en se servant des moyens constitutionnels dont il dispose, nous le combattrons jusqu'à sa chute, parce que son action est néfaste pour la France. (vifs applaudissements).

La relève quand ? Il se trouve, que le calendrier républicain en soit remercié, que d'ici 1986, date des élections législatives, nous aurons chaque année une élection dont il nous appartient de faire une victoire ! (applaudissements).

En 1983, dans quelques mois, les élections municipales.

En 1984, les élections européennes et probablement les élections régionales.

En 1985, à nouveau les cantonales dont nous connaissons maintenant l'importance politique et l'enjeu dans l'oeuvre, hélas, mal esquissée, mais nécessairement orientée de la décentralisation,

Municipales, européennes, régionales, cantonales et, pour couronner la victoire, les législatives en 1986… (applaudissements)… Ces dates qui se succèdent, sont autant d'appels à une mobilisation permanente de l'opinion et du militant politique. (applaudissements).

Dans l'immédiat, tous mes amis du bureau l'ont souligné, l'enjeu, ce sont les élections municipales. Nous avons choisi et dès que le problème s'est posé, l'entente avec le RPR, nous n'y avons jamais failli… (applaudissements)… et l'opinion d'opposition et au-delà de l'opinion de l'opposition, tous ceux, fussent-ils seulement encore dans l'état de déception du socialisme, qui veulent donner une leçon à ceux qui les ont abusés, l'opinion veut que nous formions avec nos partenaires de l'opposition des listes d'union il n'y a aucun doute sur notre détermination à cet égard. Mais l'union pour être efficace électoralement, et morale politiquement, doit être équilibrée. Aucune des deux grandes composantes de l'opposition, l'UDF et le RPR, ne doit tenter d'imposer sa prépondérance, les Français se sont réjouis que finisse la rivalité apparente des chefs, les Français ne toléreraient pas que les petits chefs contre les leaders reconnus comme tels localement, soient mis en échec par des manoeuvres qui déséquilibreraient la nécessaire union. (vifs applaudissements).

Et, pour être clair, selon ma manière, en ayant formulé ce jugement, je dis que je pense en particulier à Lyon, à Metz, à Brest, à Montpellier, à Poitiers et à plusieurs arrondissements de Paris, notamment le 18e et le 20e, l'union doit être totale. (vifs applaudissements)

J'affirme en votre nom, après que nous en ayons délibéré pendant ces deux jours, que nous pourrons, comme nous en avions pris, voici des mois, l'initiative, tracer avec le RPR les grands axes d'une politique pour la France lorsque l'entente à la base se sera manifestée. Nous tenons à la manifestation de l'entente au sommet, mais elle ne sera crédible que si elle est réalisée à la base et sur le terrain. (applaudissements).

L'UDF et le RPR sont deux réalités, elles recouvrent deux conceptions et deux systèmes de valeur politique qui ont leur nécessité, mais l'important, pour nous, et j'en suis convaincu, désormais pour le RPR, c'est que l'UDF et le RPR se distinguent l'une de l'autre sans jamais s'affronter, afin de les allier contre le socialisme qui entraîne la France dans la décadence. (applaudissements).

En mars, cette stratégie de bonne alliance, dans le respect des différences, afin de refléter la richesse de la diversité française, cette stratégie de bonne alliance permettra si, comme je le crois, les Français le veulent, de congédier la politique conduite par le gouvernement Mauroy, les Français, j'en suis certain, saisiront l'opportunité des élections municipales pour manifester leur jugement sur cette politique qui a produit les méfaits que je me suis efforcé, après d'autres amis, de rassembler devant vous.

Oui, les Français ont jugé l'incohérence socialiste. Rappelez-vous 1981, l'apologie de la dépense et de la relance par la consommation, quelques-mois plus tard, timidement, le ministre de l'économie suggère la pause, elle lui est refusée par son Premier ministre. Quelques mois passent, et devant l'accumulation des déficits, c'est le mot de freinage qui devient le mot d'ordre du gouvernement, il annonçait le blocage dont nous sortons sans en sortir, qui entraîne la régression sociale avant, je le crains, de nous précipiter dans le protectionnisme qui serait mortel pour l'expansion française et pour l'Europe.

Le socialisme, ça ne marche pas… (applaudissements). Eh bien, permettez-moi, cher président, de vous dire, si audacieux que soit mon propos, qu'il faudrait légèrement mais à peine nuancer votre opinion, ça marche, mais en marche arrière, ça recule… (applaudissements)… ça recule, ça distribue ce que la main droite avait réuni et ça le reprend quelques mois après de la main gauche, après avoir cassé entre temps le moteur de la production, et cela les Français le perçoivent, ils le comprennent et ils le condamneront ! (applaudissements).

Il y a dans les rangs de la gauche une exception, si je puis citer sans provoquer trop de tumultes un auteur, je dirai que, pour M. Marchais, globalement, le gouvernement va dans le bon sens… Le Parti communiste perd en suffrages éphémères ce qu'il obtient en avancée collectiviste… Ne croyez pas qu'il est le perdant, il est plus durablement le gagnant… (applaudissements)… parce qu'il s'infiltre, parce qu'il tient au pouvoir et parce qu'il tient le pouvoir qui n'existe qu'avec son appui.

Alors, mes chers amis, devant l'ampleur du problème, le choix est clair : face aux décombres qui s'annoncent, il nous faut reconstruire ; face au socialisme de l'incohérence, de l'insécurité et, finalement, à l'étonnement de tant de salariés, face au socialisme de la régression sociale, nous proposons l'alternative libérale et démocrate, elle est l'espoir de la France pour son redressement. (vifs applaudissements).