Texte intégral
Valeurs Actuelles : Est-il si nécessaire d’aménager les rythmes scolaires ?
Guy Drut : Oui, c’est indispensable à l’épanouissement de l’enfant. Cette réforme est un plaidoyer pour une tête bien faite plus que pour une tête trop pleine.
Valeurs Actuelles : est-il nécessaire d’aménager les rythmes scolaires ?
Guy Drut : Oui, c’est indispensable à l’épanouissement de l’enfant. Cette réforme est un plaidoyer pour une tête bien faite plus que pour une tête trop pleine.
Il existe des disciplines « cognitives » (le français, les mathématiques, l’histoire, etc.) et des disciplines dites « de sensibilité ». Mais il n’y a pas à mes yeux de matières principales et de matières secondaires. Développer l’agilité intellectuelle, c’est bien. Mais n’est pas aussi nécessaire de favoriser les capacités d’initiative et le goût de la découverte ? Si oui, il faut que les enfants aient du temps à consacrer à des activités trop négligées jusque-là : activités culturelles (musique, théâtre, travaux manuels) et sportives. Bref, il faut consacrer un peu de temps à l’éducation, et pas seulement à l’instruction.
Geneviève Zehringer : Les élèves n’étudient pas à l’école primaire toutes les spécialités de la musique, ni toutes les disciplines sportives. Mais on y apprend le chant, le modelage, on y pratique la culture physique.
En fait, la distinction entre les matières « cognitives » et les disciplines « de sensibilité » me paraît très fragile.
L’étude du français ne développe-t-elle pas différentes formes de sensibilité ? Étudier la fable le Loup et l’Agneau, par exemple, n’est-ce pas favoriser la sensibilité à l’injustice ?
La formation de l’esprit n’est quand même pas étrangère à l’épanouissement. Je crois que nous ne posons pas la vraie question : quelle est la mission de l’école ? N’est-ce pas de former l’intelligence de l’enfant ? C’est bien là l’obligation de l’école de la République : instruire chaque enfant.
Guy Dry : Il ne s’agit nullement de mettre en cause l’école de la République ! Ce que je souhaite, c’est une République qui instruise, mais aussi qui éduque. Le monde change. L’école de Jules Ferry, nous voulons la préserver, mais il faut aussi réfléchir à l’école de l’an 2000.
Valeurs Actuelles : Comment concevez-vous la journée scolaire aménagée ? Sera-t-elle calquée sur le modèle allemand ?
Guy Drut : Il ne s’agit pas de copier un modèle, même s’il est vrai que les pays anglo-saxons offrent plus de facilités aux enfants pour la pratique d’un sport ou d’une activité culturelle.
En fait, les expériences menées seront très différentes d’une ville à l’autre. La volonté de tous est d’aménager la journée scolaire en se fondant sur les rythmes de l’enfant. Donc en tenant compte des pics d’attention et de la fatigue des élèves. Mais ce qui sera fait à Dunkerque sera sans doute très différent de ce qui se fera en Martinique, par exemple. Certains sites ont choisi de consacrer deux demi-journées aux activités sportives et culturelles, d’autres tous les débuts ou toutes les fins d’après-midi.
Geneviève Zehringer : Je reconnais qu’un élève ne peut pas se concentrer sur un travail, quel qu’il soit, au moment de la digestion. Mais il a tout autant besoin de vigilance pour faire de l’escalade que pour faire une dictée !
Tous les chronobiologistes n’approuvent d’ailleurs pas cette répartition du temps : matières « fondamentales » le matin, matières d’éveil l’après-midi. Les uns disent une chose, les autres pensent le contraire !
Notre système de formation scolaire ne prétend pas tout donner à l’enfant, mais il est le fruit de réflexions attentives sur ce que l’on doit enseigner, et pendant combien de temps. L’enfant est ainsi mis à l’abri d’initiatives malencontreuses des adultes, où chacun suivra son idée et compromettra une formation systématique et équilibrée.
Guy Drut : Rassurez-vous, Madame, il ne s’agit pas de faire des élèves des champions ou des petits génies ! Il s’agit au contraire de prendre en compte les rythmes propres aux enfants : il est quand même curieux qu’on ne cesse d’alourdir leur tâche quotidienne alors qu’on parle réduction du temps de travail pour leurs parents ! La semaine de quatre jours profite aux parents et aux enseignants, mais les enfants doivent supporter des journées beaucoup plus denses. Et, pendant les trois jours de repos, les plus fortunés se voient offrir par leur famille toutes sortes d’activités sportives ou culturelles, tandis que les autres sont dans la rue !
Geneviève Zehringer : Qu’on se préoccupe des enfants lorsqu’ils ne sont plus à l’école, et qu’on leur propose des activités sportives pour qu’ils ne soient pas livrés à la rue, j’y suis très favorable. Je souhaite vivement que vous montriez la grandeur de l’athlétisme et que vous popularisiez ce sport, mais je voudrais être assurée que cela ne se fera pas au détriment de l’instruction que tout élève est en droit de recevoir.
Valeurs Actuelles : Les écoliers ont 936 heures de cours par an dans le primaire. Cet horaire sera-t-il réduit au profit des activités sportives et culturelles ?
Guy Drut : La réforme des rythmes scolaires n’est pas la réforme des programmes scolaires ; ce sont là deux choses bien différentes, et je n’ai pas l’intention de réduire les programmes de français ou de calcul. Je veux simplement que les journées soient moins chargés, les heures de cours mieux réparties dans la journée, la semaine et l’année.
Les conséquences des réformes Jospin
Les expériences menées sur le terrain montrent qu’il est possible de concilier le respect des programmes et l’aménagement de larges plages horaires pour les activités sportives et culturelles.
Geneviève Zehringer : En fait, le temps consacré à l’enseignement ne se compte pas aujourd’hui sur l’année mais en semaine. Ces 936 heures correspondent à 36 semaines de 26 heures. Voilà la base réglementaire. Or, dans les expériences que vous décrivez, le temps d’instruction est ramené à 22 h 30, voire 20 heures par semaine ! Conséquence : on en peut terminer le programme qu’en allongeant l’année scolaire, donc en réduisant les vacances, ce qui me semble peu réaliste : les parents ne pourront pas partir tous les vacances en août. Je crains fort que cet aménagement n’induise une diminution du temps consacré à l’instruction.
Or, d’après les études de la direction de l’évaluation et de la prospective de l’éducation nationale, 26 % des enfants qui entrent en sixième ne savent pas lire ou ne savent pas compter. C’est la conséquence des récentes réformes de M. Jospin, qui permettent de passer dans la classe supérieure même si les connaissances ne sont pas acquises. C’est à cela qu’il faut porter remède.
Guy Drut : La pratique des activités sportives et culturelles ne fera pas au détriment de l’instruction ! Au contraire, ces enseignements seront complémentaires. Mon souci est de « donner aux enfants les moyens d’être les propres partisans de leur formation », selon une maxime que j’ai faite mienne depuis longtemps.
Valeurs Actuelles : Les activités prévues dans le cadre « périscolaire » ou extrascolaire seront-elles obligatoires ?
Guy Drut : Celles qui se dérouleront dans le temps périscolaire ne le seront pas. Mais les expériences menées à Laxou ou à Marseille, par exemple, montrent que même dans les quartiers difficiles le taux de participation des enfants aux activités facultatives de l’après-midi ou du début d’après-midi est très élevé.
Geneviève Zehringer : C’est curieux ! Ou ces activités sont indispensables à l’épanouissement de l’enfant, et l’on ne voit pas pourquoi elles seraient facultatives, ou elles sont obligatoires, et l’on en voit pas comment on pourrait en assurer le coût…
Valeurs Actuelles : Cet aménagement suppose que l’on recrute des animateurs chargés d’encadrer les enfants. Quelle sera leur formation ?
Geneviève Zehringer : C’est un point important. Les instituteurs et les professeurs sont recrutés très soigneusement : ils passent un concours, puis ils font un stage de formation qui leur permet de voir s’ils sont faits ou non pour ce métier. Leur casier judiciaire doit être vierge et ils subissent un contrôle médical, si nécessaire par un spécialiste. Je crains que les moniteurs chargés des animations ne présentent pas les mêmes garanties.
Guy Drut : Il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Les diplômes délivrés par le ministère de la jeunesse donnent lieu à une sélection rigoureuse et sont reconnus par le monde sportif et éducatif. Les textes réglementaires prévoient explicitement que les titulaires du brevet peuvent, sous réserve d’agrément par l’inspecteur d’académie, intervenir dans les écoles.
Geneviève Zehringer : Quand il s’agit de personnes approchant des enfants, je ne suis pas pour la confiance, je suis pour le contrôle. Je ne conteste pas la qualité des moniteurs de la jeunesse et des sports, mais on a connu certaines déconvenues avec les personnes recrutées localement, par les mairies ou les conseils généraux.
Ne doit-on pas craindre, aussi que certains mouvements, peu respectueux de la conscience des enfants, ne tentent de les approcher par le biais ?
Guy Drut : Madame, je comprends votre préoccupation : vous aimez votre métier, et vous ne souhaitez pas que l’on fasse n’importe quoi avec eux. Vous avez mille fois raison ! La confiance n’exclut pas le contrôle. Croyez-moi : les directeurs départementaux de la jeunesse et des sports, ainsi que les inspecteurs d’académie suivront de près le déroulement de ces expérimentations.
Valeurs Actuelles : Cette réforme sera partiellement financée par les collectivités locales ; N’est-ce pas courir le risque que les enfants ne bénéficient pas tous les mêmes infrastructures, ni des mêmes animations ?
Guy Drut : Le coût de ces aménagements variera sans doute d’une commune à l’autre, mais l’État participera au financement de l’opération. À hauteur du tiers en règle générale, à hauteur des deux tiers dans les zones franches. Les caisses d’allocations familiales pourront aussi participer à ce financement, parfois substantiellement. Globalement, on peut estimer que cette réforme, si elle était généralisée, coûterait 5 à 10 milliards de francs. Si l’on pense qu’elle est importante pour la jeunesse, cela en vaut la peine ! Mais, en tout cas, il est hors de question de faire payer les parents.
Geneviève Zehringer : Cette réforme peut-elle se faire à l’impôt constant ? Si l’on ne veut pas aggraver la pression fiscale, je doute que tous les enfants puissent bénéficier, partout, des mêmes animations. Et si l’on veut offrir un équivalent à tous, je pense qu’il y aura une révolte contre l’alourdissement des impôts locaux.
Guy Drut : Non, car il y aura redéploiement de crédits si l’aménagement des rythmes scolaires constitue une priorité budgétaire. Mais on ne discutera de tout cela qu’en phase trois ou quatre de l’expérience. Car – faut-il le rappeler ? – il ne s’agit encore que d’expérimentations ! Et c’est aussi dans leur diversité qu’on trouvera des réponses.
Nous nous sommes bornés à préciser des orientations. C’est tout ! Nous n’avons pas réuni quelques « experts » dans un bureau parisien pour dicter aux collectivités locales leur conduite. Surtout pas !
Geneviève Zehringer : Mais n’y a-t-il pas là une inversion des priorités. L’instruction publique est conçue pour être « absorbée » de la même façon par tout le monde. On propose à l’enfant un ensemble cohérent qui ne néglige aucun aspect de la formation humaine. Quand il a satisfait à ces obligations de jeune enfant devenant un futur citoyen instruit, on peut ensuite lui proposer des activités pour qu’il cultive d’autres centres d’intérêt. Mais ensuite seulement.
Guy Drut : Personne ne conteste que l’instruction soit nécessaire. Mais ne devrait-on pas parler aussi d’éducation ? C’est ce que je souhaite.