Déclaration de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, sur l'organisation de réseaux de soins palliatifs par équipes mobiles entre ville et hôpital, Lyon le 3 avril 1998.

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Circonstance : Intervention de M. Kouchner au congrès national de la Société française de soins palliatifs, sur le thème "Soins palliatifs dans la société, enjeux et défis", à Lyon le 3 avril 1998

Texte intégral

Mesdames les présidentes,
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs,

Les médecins français ont pris tardivement conscience de la nécessité de prendre en charge les derniers jours de la vie et d’accompagner le mourant et ses proches.

Or, l’augmentation de l’espérance de vie, les changements de mode de vie, l’éclatement de la famille, la modification de l’habitat rendent indispensable une prise en charge cohérente et organisée des derniers jours de la vie. Une prise en charge médicale certes, mais aussi sociale et relationnelle.

Améliorer cette prise en charge, cet accompagnement est un devoir de notre société. C’est une mission que doit remplir notre système de santé. Car s’il incombe à celui-ci de prévenir la maladie, de la guérir, quand elle survient, il doit également ne pas abdiquer, disparaître lorsque la médecine ne peut plus agir face à la maladie.

Il y va de l’humanité de notre système de santé de permettre une mort digne.

Il s’agit d’ailleurs d’une obligation déontologique, qui figure précisément à l’article 38 du code de déontologie médicale : « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ces derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés, la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage ». Belle obligation, noble devoir qui fait de la médecine autre chose qu’une science ou qu’une technique, qui la rend humble et humaine.

Tout médecin se rappelle certainement qu’il ne s’est pas véritablement senti médecin avant son premier contact avec la mort. Moment terrible, lorsque l’on voit « son malade partir ». Pas seulement, parce que cette première mort peut être vécue comme un échec personnel, mais aussi parce qu’à ce moment prend un sens tout ce combat pour la vie, qui constitue une vocation.

Ceux qui ont, dans leur métier, côtoyé la mort, connaissent la différence fondamentale entre une fin paisible, accompagnée, une souffrance soulagée, et une mort dure, une mort agitée, une mort isolée. Ce ne sont pas les mêmes morts.

Cette possibilité d’offrir une belle mort – ou une mort si douce, comme l’écrivait Simone de Beauvoir – est un devoir à l’égard du patient. Elle l’est aussi à l’égard de ceux qui survivent, de l’entourage, des proches. Le travail de deuil ne sera pas le même selon la manière dont la vie de celui qu’on aime s’est arrêtée.

Accompagner la mort, l’entourage, comme le prescrit le code de déontologie, est donc aussi un devoir vis-à-vis des vivants.

D’où l’importance des soins palliatifs dont je reprendrai la belle définition qu’a donné Henri DELBECQUE dans le rapport qu’il m’avait remis en 1993 : « c’est un ensemble d’idées, de connaissances et de pratiques qui permettent aux malades en fin de vie de conserver jusqu’au bout leur personnalité, leur vie intérieure et l’essentiel des rapports humains pour une véritable mort dans la dignité ».

Idées, connaissance, pratiques. Et non pas techniques. Car c’est d’abord de la conception que nous avons de l’homme dont il s’agit. Pas de l’homme machine, pas de l’homme-l’objet, objet de soins mais bien de l’individu qui finit son parcours de vie.

À mes yeux, les soins palliatifs, leur nécessaire développement, ne correspondent pas à une préoccupation marginale, encore moins à un luxe, mais au cœur des enjeux et des défis de la santé.

Un système de santé plus proche de nos concitoyens doit savoir traiter la mort.

Vous le savez, les débats sur l’avenir de notre système de santé se sont éloignés des préoccupations directes, je dirais même, intimes des Français. Lorsqu’on leur parle « santé », on évoque le déficit de l’assurance maladie. Lorsqu’on leur parle « hôpital », on évoque son plateau technique. Lorsqu’on leur parle médecine, on en invoque les prouesses. Or, pour nous tous, le système de santé doit être une réponse possible à nos angoisses, aux préoccupations les plus lourdes, les plus fondamentales, les plus essentielles.

Savoir si notre système de santé permettra d’offrir une mort décente et s’efforcer de le promouvoir est aussi important à mes yeux C’est également une de nos responsabilités.

Notre système de santé, les principes qui le sous-tendent, les choix qu’il suppose ne peuvent être acceptés et compris que s’ils s’inscrivent dans le souci constant de satisfaire les besoins de la population.

Un système de santé qui négligerait la fin de vie ne saurait répondre aux attentes de nos concitoyens.

Car, tout le montre, nos concitoyens demandent une médecine plus humaine. C’est bien cela qui ressort de cette préoccupation de la proximité, de son attachement au médecin de famille, de son souci de préserver des petites structures, de ce refus de l’anonymat des grandes « usines à soins ».

Comme vous le savez, Martine AUBRY et moi-même, entendons redonner un sens à une réforme du système de santé qui, menée brutalement, n’aurait pas réconcilié les Français avec leur assurance maladie, avec un monde qu’ils comprennent mal. On leur a parlé de chiffres, de contraintes, de maîtrise, avec une arithmétique froide, que l’on pensait imparable.

Mais, si cette logique ne permet pas de répondre aux attentes de la population, la réforme est refusée toute entière. On l’a vu en ce qui concerne la naissance, c’est pourquoi nous nous efforçons de repart sur une nouvelle base. C’est l’idée des réseaux que nous mettons en place et qui reposent sur une idée simple : au lieu de s’arrêter à une opposition entre sécurité et proximité – avoir l’une ou l’autre, il faut choisir – il faut trouver le meilleur équilibre entre ces deux notions. Sécurité toujours, proximité quand cela est possible.

Ce que nous construisons pour le début de la vie, il nous faut le faire, avec la même exigence, pour la fin de la vie, Voilà, à mes yeux, les enjeux et les défis des soins palliatifs. Il s’agit bien d’un enjeu de société.

Depuis l’installation en février 85 du groupe de travail sur « l’aide aux mourants » par E. HERVE, de nombreux progrès ont été faits.

Cinquante unités de soins palliatifs et 70 équipes mobiles ont été créées, des réseaux de soins palliatifs se sont constitués ; des diplômes universitaires sont apparus ; la formation initiale des infirmiers en matière de soins palliatifs a été renforcée ; des formations médicales continues ont été mises en place.

Mais cet effort est encore insuffisant et doit être poursuivi. Ainsi, il n’y a pas d’unité de soins palliatifs dans les régions Centre, Limousin, Languedoc-Roussillon ni en Corse. Et quasiment pas d’équipes mobiles dans ces régions,

Alors qu’une majorité de nos concitoyens souhaitent mourir chez eux, le pourcentage des morts à domicile diminue régulièrement et se situe actuellement à 25 %.

Il est souhaitable de permettre à ceux qui le veulent et qui le peuvent de mourir à domicile. Il est indispensable de permettre au plus grand nombre de nos concitoyens de rester le plus longtemps possible à domicile.

Il nous faudra d’abord créer et diffuser une « culture » des soins palliatifs, chez les professionnels de santé certes, mais aussi dans le public.

La formation initiale des médecins sera revue, je m’y suis déjà engagé. Dans ce cadre, les soins palliatifs, mais aussi les rites sociaux et religieux de la mort, les différents aspects du deuil devront pouvoir leur être enseignés. Ces thèmes seront également développés dans la formation médicale continue – lorsqu’elle fonctionnera – et dans la formation initiale et continue de l’ensemble des professionnels de santé.

Des 1999, une brochure reprenant ces différents éléments sera réalisée par mes services et diffusée, à l’ensemble de professionnels de santé.

Il faut également informer le public, ce qui nécessite de dresser un état des lieux de l’existant, en matière de soins palliatifs et le diffuser.

Il existe en effet, à l’hôpital et en ville, une activité de soins palliatifs diffuse, en dehors des unités et des équipes mobiles de soins palliatifs, qui n’est pas identifiée et qui est donc méconnue.

J’entends confier, avec l’accord du Président du conseil national de l’Ordre, aux conseils départementaux de l’Ordre des médecins la mission de recenser l’offre de soins palliatifs et de la diffuser auprès du public. Ils recenseront également les associations de bénévoles qui jouent un rôle essentiel dans l’accompagnement de la fin de vie et dont je salue ici le travail remarquable.

De plus, la fin de la vie devra faire l’objet d’un débat dans le cadre des États généraux de la santé.

Enfin, pourquoi ne .pas demander aux partenaires des conventions collectives de réfléchir à un congé d’accompagnement ? Ce congé devrait, à mon sens, être institué pour permettre à un proche de s’occuper de son parent à domicile pendant une période de temps limitée. Car comment se remettre de n’avoir pu accompagner celui qu’on aime, dans les derniers moments de sa vie ?

Il nous faut également renforcer l’offre de soins palliatifs, tant en ville qu’à l’hôpital, et réduire les inégalités existantes.

La procédure d’accréditation des établissements de santé devra pouvoir prendre en compte l’existence de soins palliatifs.

Il faudra dans les trois ans qui viennent, créer des unités et des équipes mobiles de soins palliatifs dans les régions qui en sont dépourvues. Cela implique la création de postes de praticiens hospitaliers. Ces structures doivent, en outre, être reconnues comme des pôles de compétence, de lieux de formation, de coordination et d’expérimentation.

Il faut également donner aux équipes mobiles de soins palliatifs la possibilité d’être les pivots d’un réseau ville-hôpital. Elles doivent avoir la possibilité d’intervenir, à la demande des professionnels de santé, dans d’autres hôpitaux et dans le secteur libéral.

Un des obstacles majeurs au développement des soins palliatifs à l’hôpital est qu’ils sont longs et coûteux en soins d’infirmiers et d’aides-soignants. Il faut donc évaluer les besoins en personnel, aussi bien dans les services hospitaliers qu’en ville. Il faut également relancer l’évaluation des coûts liés à la dépendance, à la précarité et aux soins palliatifs. Un des quatre groupes de travail sur l’hôpital que nous avons mis en place, Martine AUBRY et moi-même, sera plus particulièrement chargé d’étudier ce point. Il doit en effet nous proposer des critères de mesure de l’activité à l’hôpital qui soient plus en rapport avec la réalité des pratiques médicales. Or on le sait, de telles pratiques ne sont pas valorisées. Il n’y a donc actuellement aucune incitation à les développer.

Les réseaux de soins palliatifs en ville doivent être organisés autour des médecins généralistes, des infirmiers, des services de soins infirmiers à domicile et des associations de bénévoles. Ces réseaux doivent être articulés et pouvoir s’appuyer sur les équipes mobiles de soins palliatifs.

Ces réseaux doivent prendre en charge les problèmes médicaux et socio-relationnels de la personne de fin de vie, mais aussi ceux de la famille et de l’équipe soignante.

Il nous faudra également étudier la possibilité de créer dans un cadre expérimental, un forfait de soins spécifique, identique à celui qui avait été créé pour le SIDA, pour les services de soins infirmiers à domicile.

Enfin, il semble nécessaire de susciter le développement de garde malades, ou d’accompagnants de fin de vie, qui puissent venir soulager la famille et les proches dans les derniers jours, et surtout dans les dernières nuits. Il nous faut sur cette question une grande ambition, car nous avons besoin d’une large mobilisation des professionnels de santé autour de cet enjeu. Vous en êtes convaincus. Sachez que je serai à vos côtés, dans les responsabilités qui sont les miennes, pour faire en sorte que cette idée progresse. Je vous remercie et je prendrai connaissance avec intérêt de la suite de vos travaux.