Interviews de M. Jacques Godfrain, ministre délégué à la coopération, dans "Le Figaro" du 26 août 1996 et à France inter le 29, sur l'expulsion des sans-papiers africains et l'aide française au développement local en Afrique.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Expulsion par la police des Africains sans papiers de l'église Saint-Bernard à Paris (18ème arrondissement) le 23 août 1996

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - France Inter - Le Figaro

Texte intégral

Entretien du ministre délégué à la coopération, M. Jacques Godfrain, avec « Le Figaro » -  26 août 1996

Le Figaro : Le ministre de la coopération que vous êtes peut-il se satisfaire d’un renvoi pur et simple des sans-papiers africains chez eux ?

Jacques Godfrain : La principale préoccupation pour nous, Français, comme pour les responsables africains, est que leurs ressortissants vivant en France et qui respectent nos lois aient droit à la protection du gouvernement français. Ce que nous ne voulons pas, les uns et les autres, c’est qu’à cause d’une minorité en état d’illégalité, l’ensemble de la communauté africaine en France soit rejetée. Au fond, c’est pour protéger ceux qui respectent nos lois que nous nous sommes obligés d’être sévères avec ceux qui ne les respectent pas. Nous avons des problèmes, en particulier avec les Zaïrois, qui tentent de rentrer en Belgique grâce aux accords de Schengen.

J’ajoute que tous les ressortissants africains dont il est question rentrent dans des pays démocratiques où existent une opposition et une presse libre. En ce qui concerne les droits de l’homme, nous n’avons donc pas à nous en mêler. Certains pays d’Afrique, comme la Côte d’Ivoire ou l’Afrique du Sud, connaissent eux aussi une immigration très forte venue des pays voisins. Je dois me rendre au Mali à partir du 24 septembre, dans la région de Kayes, qui est un centre traditionnel d’immigration. Les pouvoirs publics, là-bas, comprennent très bien notre position, car ils connaissent les mêmes problèmes.

Le Figaro : Que deviendront les expulsés lorsqu’ils rentreront dans leur pays ?

Jacques Godfrain : Ils retourneront tout simplement dans leur village ! Notre objectif est que ces villages soient plus actifs, mieux adaptés, mieux équipés. La coopération française est faite pour cela, pas pour financer des projets somptuaires, ni pour des Carrefour de développement. Car l’argent qui a manqué au développement s’est peut-être évaporé lors de quelques affaires sous les précédents gouvernements. Notre action en Afrique est de continuer et de renforcer la politique de proximité qui peut changer la vie – dans le bon sens. Il ne s’agit pas d’occidentaliser les populations, mais de les aider à produire ce qui est dans leurs traditions : le coton, la pêche, les produits vivriers. Et aussi de faciliter leur accès à l’eau, à l’électricité…

Le Figaro : Les aides internationales de la coopération ont pourtant été revues à la baisse…

Jacques Godfrain : Les fonds publics américains sont, en effet, hélas, en forte baisse. Les fonds du ministère de la coopération, soit 7,5 milliards de francs, et ceux de la Caisse française de développement, de 35 à 40 milliards, existent bel et bien, et ce n’est pas de l’argent jeté par les fenêtres, car il assure la présence des entreprises françaises en Afrique. Nous avons aussi des partenariats avec les États africains eux-mêmes, avec des pays européens et avec le Japon. Et, je fais appel à l’épargne des Africains résidant en France pour le développement de leur village. Un peu comme les patrons de cafés parisiens aident à faire construire des salles de fête en Aveyron.

 

Entretien du ministre délégué à la coopération, M. Jacques Godfrain, avec « France Inter » - 29 août 1996

France Inter : En tant que ministre de la coopération vous êtes plus spécialement chargé des relations avec les pays d’Afrique. Hier, deux nouveaux charters ont quitté la France avec certains des immigrés qui se trouvaient dans l’église Saint-Bernard. Pouvez-vous nous faire un point officiel de la situation parce que c’est quelquefois difficile de s’y retrouver ?

Jacques Godfrain : Le point officiel est simple. Je relève que le Conseil d’État a bien fixé le cadre juridique et légal dans lequel nous avons agi. Je remarque aussi qu’il n’y a pas eu de recours contre l’évacuation de l’église Saint-Bernard. Vous savez que précédemment, à Saint-Ambroise, il y avait eu un recours contre l’évacuation de cette église, ce qui veut dire que tout ce qui avait été fait, avait été complètement annulé du fait de la méthode. Et aujourd’hui, nous sommes, sur 89 personnes, à 64 qui sont déclarées hors la loi, en quelque sorte ou contre la loi.

France Inter : C’est-à-dire 64 qui sont expulsables de façon imminente ?

Jacques Godfrain : Oui, qui sont expulsables.

France Inter : Et combien l’ont été déjà ?

Jacques Godfrain : Jusqu’à présent, je n’ai pas le chiffre exact, je ne suis pas comptable.

France Inter : Cela veut-il dire qu’il y aura d’autres charters ?

Jacques Godfrain : Mon problème est surtout de faire en sorte que la coopération française soit préventive. C’est cela ma préoccupation. C’est que nous fassions de la coopération, du développement local, que nous investissions dans des projets de proximité liés à la santé, à l’éducation, et qu’ainsi, il n’y ait pas de sortie illégale de ces pays, qu’il n’y ait donc pas d’entrée illégale chez nous. Et, j’ajoute une chose qui n’a pas été assez dite pendant toute cette période, c’est qu’en faisant ce que nous faisons en ce moment, nous asséchons ce marché ignoble des passeurs, des marchands de rêve et des gens qui font de l’illusion en vendant des passages vers la France à des malheureux qui arrivent ici, croyant trouver un eldorado.

France Inter : Alors, justement, qui sont ces passeurs ? Quelles sont ces filières, puisque, apparemment, en tout cas en ce qui concerne le Mali, vous connaissez pertinemment la région de ces Maliens…

Jacques Godfrain : Oui, tout à fait.

France Inter : Qui est une région, d’ailleurs, où les industriels de l’automobile, dans le passé, sont venus faire en quelque sorte leur marché ?

Jacques Godfrain : Oui. Le terme est un peu rude, parce que c’était des gens qui venaient en situation régulière, qui avaient des permis de travail, des autorisations d’entrer en France, et qui étaient en situation tout à fait légale. D’ailleurs, aujourd’hui, lorsque nous faisons ce que nous faisons vis-à-vis des illégaux, c’est parce qu’il y a des légaux et parce qu’il y a des hommes et des femmes du Mali et d’autres pays africains qui, eux, acceptent nos lois, les respectent, et qui ont donc droit à notre protection. Et, je tiens à dire à tous les amis africains qui sont en France et en Afrique, que dès lors qu’on est en situation régulière en France, en situation légale, ces hommes et ces femmes ont droit à notre protection. Et pour les protéger, nous évitons cette contamination de ceux qui sont en situation illégale. C’est pour les protéger, eux, que nous faisons cela aussi…

France Inter : Alors, concernant le Mali justement, vous allez y aller ?

Jacques Godfrain : Oui.

France Inter : Vous êtes invité à y aller. Les réactions, sur place, ne sont pas bonnes à ce qui s’est passé, aux images qui leur sont parvenues. Qu’est-ce que vous allez leur dire et surtout, qu’est-ce que vous allez faire concrètement ?

Jacques Godfrain : Il faut quand même relativiser les choses parce que les Africains, eux-mêmes, savent ce que c’est que l’immigration clandestine. Ils en souffrent eux-mêmes, au sein du continent africain. Je veux dire par là qu’hier, l’Angola a renvoyé vers d’autres pays africains, vers la Guinée, je crois, 180 ou 200 Africains en situation irrégulière. Ce sont des Africains eux-mêmes qui l’ont fait. Si je vous disais qu’aujourd’hui, la Côte d’Ivoire souffre d’immigrations illégales, je vous surprendrais, et pourtant, c’est la réalité. Il y a, à l’intérieur de l’Afrique, des migrations d’un côté à l’autre des frontières qui posent d’énormes problèmes aux chefs d’État africains. Et, ils sont donc tout à fait aptes à comprendre ce qui nous arrive en Europe alors qu’eux-mêmes vivent la même chose chez eux. Les réactions sont simples. Les hommes politiques africains savent très bien que leur premier devoir, comme le nôtre, est de protéger ceux qui sont en situation régulière, car ils n’ont pas intérêt à ce que leurs ressortissants vivant en Europe soient mal vus. Et pour être bien vus, je crois qu’il vaut mieux, ils le savent, qu’ils soient eux-mêmes en situation régulière.

France Inter : Ce qui est encore mieux, c’est que leurs ressortissants puissent rester, vivre et se nourrir sur place ?

Jacques Godfrain : Bien entendu, quand ils respectent nos lois, il n’y a aucun problème.

France Inter : Sur place, dans leur pays ?

Jacques Godfrain : Sur place, bien entendu.

France Inter : D’où votre voyage ?

Jacques Godfrain : Et, c’est cela la coopération française, effectivement. Ce n’est pas nouveau chez nous. J’étais aux Comores il y a quelque deux mois. Je suis allé dans l’île d’Anjouan, dans laquelle il y a tant de Comoriens qui veulent aller à Mayotte pour ensuite venir en métropole. Je leur ai dit clairement : « je viens chez vous pour inaugurer un nouveau réseau de soins, d’hospitalisation, de dispensaires, mais votre vie doit être là, chez vous. N’essayez pas de franchir l’océan Indien pour venir chez nous, parce que je fais en sorte que vous soyez mieux chez vous pour y rester ».

France Inter : Est-ce que la coopération va prendre une nouvelle inflexion dans le type de projet développé ?

Jacques Godfrain : Cela a été ma préoccupation dès mon arrivée au ministère de la coopération. Ce projet était déjà engagé par mes deux prédécesseurs, Michel Roussin et Bernard Debré, en particulier Michel Roussin, de faire une coopération de proximité. Et je dis clairement, aujourd’hui, qu’il n’y a pas de gaspillages dans la coopération. Sans doute y a-t-il eu, à une certaine époque, des projets un peu fastueux. Y a-t-il eu des dépenses un peu excessives sur du monumental ? Je peux vous dire aujourd’hui, qu’en aucun cas, un franc dépensé par le ministère de la coopération est caché. Tout est transparent. Et dans les dépenses que nous faisons, il y a principalement la santé et l’éducation, qui sont nos deux préoccupations.

France Inter : Êtes-vous aussi pour le développement de micro-projets ?

Jacques Godfrain : Oui, c’est cela. C’est-à-dire qu’à tel endroit, des femmes s’associent pour faire une petite coopération d’artisanat. J’ai vu cela l’autre jour au Niger, en pays touareg, et nous appuyons ce genre de projet. Plus récemment, j’ai visité une exploitation cotonnière au Burkina Faso, et je puis vous dire que nous appuyons beaucoup la filière de production de coton dans les pays subsahariens. Cela a créé des milliers d’emplois. Je voudrais aussi dire à cette occasion que l’Afrique se porte beaucoup mieux qu’on ne le dit. Il y a aujourd’hui des milliers d’emplois dans l’agro-alimentaire, dans la filière agricole. Il y a aujourd’hui des taux de croissance de 5 à 6 % par an aux Maldives, au Burkina, au Niger, au Sénégal et 8 à 9-10 % en Côte d’Ivoire. Ne nous montrons donc pas toujours pessimistes sur l’Afrique. Au contraire, il faut, je crois, être à fond optimiste.