Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à Europe 1 le 7 avril 1998, sur les réformes de la vie politique envisagées par le gouvernement et sur les relations entre la droite et le Front national à la tête des exécutifs régionaux.

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Média : Europe 1

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Europe 1 : Alors Lionel Jospin renonce à réformer la vie publique ?

François Hollande : Où allez-vous chercher cela ? Au contraire, il va – en fonction de ses objectifs économiques et sociaux qui sont prioritaires, parce que les Français nous attendent sur l’emploi intégrer un certain nombre de réformes institutionnelles. La première : la limitation du cumul des mandats, dès demain, sera présentée au conseil des ministres et puis il y a en aura d’autres : la parité homme-femme, un certain nombre d’harmonisation de durées de mandat, le plus de réformes possibles dans notre propre calendrier.

Europe 1 : Et sur quel projet Messieurs Chirac et Jospin se retrouvent-ils d’ores-et-déjà ?

François Hollande : Je ne le sais pas, mais en tout cas, on va voir chacun devant l’ouvrage. Par exemple, sur la limitation du cumul des mandats, il est important que le Premier ministre et le président de la République se mettent ensemble pour travailler de concert, pour convaincre notamment le Sénat qui, on le sait, est plus réticent que l’autre assemblée, pour aller aussi loin que possible dans la limitation du cumul des mandats. Chacun pourra être utile sur les siens. Pour le Parti socialiste, je crois qu’on n’aura pas de mal à être convaincu, peut-être que pour le RPR et l’UDF, l’intervention de Jacques Chirac sera souhaitable.

Europe 1 : Il y a accord entre eux pour réformer ou moderniser la vie publique, mais il y a encore beaucoup de choses qui les séparent ?

François Hollande : Sans doute qu’il y a des choses qui les séparent, parce que dès l’élection présidentielle, vous vous en souvenez en 1995, Lionel Jospin était favorable au quinquennat. Jacques Chirac ne l’était pas. Alors peut-être a-t-il changé, nous verrons bien.

Europe 1 : Et quel calendrier peut-on imaginer ?

François Hollande : Moi, je crois qu’il ne faut pas essayer de faire un bloc de tout cela. Il faut travailler en fonction du calendrier gouvernemental et, chaque fois qu’il est possible, comme on le voit avec la limitation du cumul des mandats, d’insérer un texte institutionnel, une réforme importante, il faut la faire.

Europe 1 : Et s’il y a une réforme, une révision de la Constitution, elle aura lieu quand ? Cette année ?

François Hollande : Le plus tôt sera le mieux. Pourquoi pas à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine, notamment sur l’objectif de parité homme-femme ? Je crois que cela serait bien que l’on puisse intégrer cette disposition dans notre Constitution.

Europe 1 : Avec ou sans la réforme de la justice ?

François Hollande : Pourquoi pas avec la réforme de la justice ? On pourrait faire bloc là d’un certain nombre de réformes institutionnelles, y compris pour le cumul des mandats, puisque l’on pourrait intégrer la disposition qui ne permettrait plus à un ministre d’être chef d’un exécutif…

Europe 1 : Les régions, la gauche a donc gagné deux régions de plus, la région Centre et Midi-Pyrénées ; l’UDF Monsieur Censi, élu avec le Front national, a démissionné une deuxième fois : la droite joue correctement le jeu démocratique. Finalement est-ce que la gauche n’est pas en train de gagner à cause du Front national ou grâce au Front national ?

François Hollande : D’abord, il aurait mieux valu que la droite ne présente pas de candidat. C’est ce que nous avons fait dans les régions où nous n’avions pas la majorité relative. Cela aurait évité au Front national de se placer comme arbitre. Monsieur Censi n’aurait pas été candidat la première fois, Monsieur Malvy aurait été élu et nous aurions gagné beaucoup de temps. Et je crois que le spectacle démocratique en aurait été amélioré. Deuxièmement, je suis au regret de le dire, mais la droite continue, à mon sens, dans certaines régions à faire fausse route ou plutôt à faire route avec le Front national. Quand on voit Monsieur Mérieux – que je ne connais pas – qui est RPR, se faire élire comme premier vice-président de la région avec les voix du Front national, on se dit que décidément, ils n’ont rien compris, notamment Monsieur Millon, dans cette région Rhône-Alpes. Deuxièmement, quand on voit qu’il y a des élus Front national qui sont désignés dans les lycées de la région Auvergne avec l’accord de Monsieur Giscard d’Estaing, je me dis que là encore, il y a des ambiguïtés qui ne sont pas levées. Quand je vois des élus RPR, UDF qui votent dans la région Haute-Normandie pour un vice-président Front national, et bien là aussi je me dis que c’est un front renversé ; c’est le cas peut-être de le dire, hélas, c’est-à-dire que des élus de droite votent pour une élu d’extrême-droite…

Europe 1 : Oui, mais on peut dire aussi…

François Hollande : Maintenant, que la gauche…

Europe 1 : En profite ?

François Hollande : Non ! … soit en situation de majorité relative, c’est une évidence parce que le mode de scrutin nous y conduisait, sinon il aurait fallu le dire devant les électeurs que la droite préparait des alliances avec l’extrême-droite.

Europe 1 : Mais il est vrai que vous avez intérêt à neutraliser les voix d’élus selon les règles démocratiques, même s’ils sont du Front national ?

François Hollande : Oui, mais pour cela peut-être qu’il faut changer les modes de scrutin. Si on ne veut pas que le Front national pollue le jeu, si on ne veut pas que la droite soit tentée de jouer avec l’extrême droite, alors on le sait bien, il faut changer la règle électorale pour le scrutin régional.

Europe 1 : Dans les régions comme à Paris, vous pensez que cela peut durer six ans encore comme cela ?

François Hollande : Si chacun a le sens de l’intérêt général, je pense notamment à la droite républicaine à Paris et en Île-de-France, je crois que c’est possible. Mais est-ce que la droite à Paris et en Île-de-France sera en mesure de constituer un noyau uni ? Je n’en sais rien, compte tenu de ce qui se passe au sein même de la Ville de Paris.

Europe 1 : Est-ce que vous êtes sujet au mal de mer ?

François Hollande : Pas spécialement.

Europe 1 : Non ? La majorité plurielle est en train de tanguer : vous appelez cela une crise, pas encore une crise, un malaise, un début de conflit ?

François Hollande : Je n’appelle pas cela finalement ni une crise, ni une tempête. Vous savez, la navigation gouvernementale est toujours en eaux agitées, c’est normal, mais je pense que la majorité se tient bien. Alors, bien sûr qu’il y a des divergences, on les connaissait dès le départ : il y avait deux divergences qui nous opposaient à nos partenaires dès la constitution même de ce gouvernement, c’était la question de l’euro, et vous le savez : nous, nous avons souhaité que l’euro se fasse avec des conditions, ces conditions sont réunies. Et la deuxième divergence que nous avions, notamment avec les Verts, était par rapport à la politique d’immigration et c’est notre politique qui s’applique, n’en déplaise à ceux qui voudraient qu’on en fasse une autre.

Europe 1 : « N’en déplaise à ceux qui… », ce sont les Verts ? Ils manifestent, y compris dans les églises aux côtés des sans-papiers. Est-ce que vous comprendriez que demain, à l’Assemblée, ils votent contre le projet Chevènement sur l’immigration ?

François Hollande : D’abord, ils ne sont que six à l’Assemblée nationale, ce ne serait pas de nature à modifier profondément…

Europe 1 : Donc ils peuvent…

François Hollande : Deuxièmement, je crois que la liberté de manifestation est un droit reconnu et enfin, ils appartiennent à une majorité. Et lorsqu’on appartient à une majorité, il faut bien sûr être solidaire avec ce que l’on pense utile et peut-être aussi solidaire même avec ce que l’on ne croit pas efficace. Et moi, je pense que les Verts devraient réfléchir, s’ils veulent que l’on soit solidaire à l’égard d’un certain nombre de projets portés notamment par un ministre Vert. Il faut peut-être qu’ils soient aussi solidaires avec d’autres projets portés par d’autres ministres.

Europe 1 : Par exemple, cet après-midi, dans le journal « Le Monde », des cinéastes, des acteurs, des artistes, qui s’en sont déjà pris à Jean-Louis Debré, vont prendre pour cible Jean-Pierre Chevènement. Est-ce que vous croyez que c’est juste ? Et est-ce que, finalement, il va falloir régulariser pour leur faire plaisir tous ceux qui le réclament ?

François Hollande : Je pense que c’est un procès injuste parce que Jean-Pierre Chevènement fait une autre politique que celle de Messieurs Pasqua et Debré. C’est justement parce qu’il a changé ces dispositions-là qu’il est attaqué, notamment par la droite et l’extrême droite. Il serait quand même paradoxal que certains – qui se sont à juste raison mobilisés contre les textes de Jean-Louis Debré – aujourd’hui s’en prennent à Jean-Pierre Chevènement, sauf à penser qu’il y a un droit à régularisation pour tous les sans-papiers, ce qui voudrait…

Europe 1 : … Et cela, vous l’accepterez ?

François Hollande : ... Et cela, nous ne l’acceptons pas. Il y a une régularisation pour ceux qui ont des droits à faire valoir, et notamment ceux qui ont fondé une famille ici, mais pas pour ceux qui sont venus depuis peu de temps et qui sont célibataires et qui sont – hélas pour eux, mais c’est la règle – sans-papiers. Et je ne crois pas non plus qu’il serait admissible que l’on puisse régulariser non seulement tous les sans-papiers, mais tous ceux qui ont vocation à venir ici parce qu’ils sont trop malheureux chez eux, et qu’ils voient un peu plus, un peu plus seulement, de richesses ici chez nous.

Europe 1 : Donc vous mettez en garde à la fois le Parti communiste sur un certain nombre de sujets et les Verts, vous venez de le faire. Mais si on ne vous entend pas, qu’est-ce qui se passe ?

François Hollande : Je crois que c’est l’opinion qui juge. Dans une certaine mesure, en démocratie, à un moment, c’est l’électeur qui fait son choix. Et je sais que, par exemple, pour les élections régionales, le choix a été du côté de la majorité contre l’opposition, et au sein de la majorité, chacun a pu mesurer les influences de ceux qui composent cette majorité.

Europe 1 : Cette conversation est enregistrée un quart d’heure avant son déroulement, parce que vous partez tout de suite pour Londres avec Lionel Jospin. Tony Blair veut créer un mouvement international de centre gauche qui inclurait les démocrates américains de Clinton, vous lui direz tout à l’heure oui ou non, « OK or no » ?

François Hollande : Nous lui dirons « OK » pour discuter, parce qu’il faut toujours avoir ce souci du dialogue notamment avec d’autres progressistes, pas simplement américains, mais aussi brésiliens, coréens. Mais nous lui dirons aussi que nous sommes socialistes, il ne faut jamais l’oublier.

Europe 1 : Lui l’oublie ?

François Hollande : Cela peut arriver mais, vous savez, personne n’a vocation à rappeler le socialisme à d’autres. Chacun appartient à cette mouvance-là, ce mouvement-là qui est historique, et je crois que c’est bien qu’il y ait des socialistes qui gouvernent en Grande-Bretagne.