Texte intégral
O. Mazerolle : Le projet de budget présenté, hier, par D. Strauss-Kahn qui prévoit une réduction du déficit global à 2,3 % du PIB vous paraît-il bénéficier à plein du retour de la croissance ?
J. Lang : D'abord, il faut se réjouir que nos finances publiques soient entre de bonnes mains, celle de D. Strauss-Kahn et celle de Claude Sautter. Je crois que ce qui a été annoncé, hier, est un premier pas dans la préparation du budget qui, j'imagine, va se préciser encore un peu plus au cours des prochaines semaines. Mais pour vous dire mon sentiment personnel, je crois que notre pays doit clairement et nettement et vigoureusement décider de tourner le dos à l'endettement. Un de nos voisins, l'Italie, était écroulé sous les dettes et courageusement, en deux ans a réussi à faire baisser spectaculairement sa dette publique. Pourquoi ? Parce que la dette publique, quand elle est trop élevée et vous avez rappelé tout à l'heure les chiffres, 240 milliards ce qui est un énorme budget à soi seul, presque l'Education nationale, plombe l'économie, plombe les comptes publics, asphyxie la société. Quand on dit 3 %, comme cette année, du PNB, c'est en réalité 16 % du budget. Donc, si on veut redonner à notre société de l'oxygène, de la liberté et de l'initiative, il faut baisser la dette publique.
O. Mazerolle : 2,3 %, ce n’est pas assez ?
J. Lang : Cette dette publique pénalise les générations futures c'est-à-dire que l'on fait peser sur les jeunes qui, demain, travailleront le poids du financement de cette dette par des impôts. Je crois qu'il faut prendre exemple sur un certain nombre de pays, sur les collectivités locales qui, depuis quelques années en France, gèrent très bien leurs finances et font baisser leur dette. Comme on l’a rappelé, notre pays qui a fait de grands efforts depuis un an - grâce à cela nous sommes dans l'euro et il faut donner un coup de chapeau à D. Strauss-Kahn sur ce plan comme sur beaucoup d’autres -, demeure néanmoins un peu le wagon de queue dans ce domaine alors qu'il devrait être la locomotive. Personnellement, je pense que nous devrions viser plus haut c'est-à-dire nous fixer comme objectif en 1999, 2 % de déficit du PIB et en l'an 2000, 1 %. C'est à ce prix et à ce prix seulement que nous pourrons inverser le cours de l'évolution de la dette.
O. Mazerolle : Beaucoup de formations de gauche et même beaucoup de députés socialistes disent qu'il faut quand même financer les minima sociaux, la loi sur l'exclusion, bref un certain nombre de choses.
J. Lang : Il faut choisir. Il faut choisir de se tourner clairement vers le futur, de ne pas plomber le futur avec une dette publique insupportable. Ce qui veut dire qu'il faut décider d'aller avec une volonté forte et claire dans le sens indiqué par D. Strauss-Kahn, vers la diminution de la dette et en même temps, ne pas oublier au passage la réforme fiscale dans un sens d'une plus grande justice. De même, si on pouvait baisser certains prélèvements qui sont trop lourds et notamment pour certains ménages.
O. Mazerolle : Où réduisez-vous les dépenses alors ?
J. Lang : Il faut s'attaquer à des réformes de structures. Par exemple, nous avions dit que nous passerions à la radiographie les exonérations considérables accordées à des entreprises pour la création d'emploi. Nous avions dit que c'était le plus souvent du bois jeté au feu en vain. Qu'on regarde de près et qu'on remette en cause ces exonérations si elles ne s’avèrent pas utiles. De même, il faut prendre à bras le corps la question de l'équilibre des comptes sociaux. Il me semble que sans créer aucun conflit politique entre le Président et le Gouvernement, on pourrait tout de même envisager un étalement des dépenses militaires. Bref, il faut s'attaquer…
O. Mazerolle : Là, le Gouvernement dit qu'on ne peut entrer en conflit avec le Président.
J. Lang : Il ne s'agit pas d'entrer en conflit mais il s'agit de voir si d'une manière raisonnable, on ne peut pas étaler plus lentement dans le temps les dépenses militaires. Bref, il faut engager des réformes de structures. Et en même temps, avoir de vrais choix. On ne peut pas annoncer dix, douze priorités, donc il n'y a pas plus de priorité ! Pour moi, il y a deux priorités prioritaires, si j’ose dire, les jeunes d'une part et la sécurité et la justice d’autres parts. Les jeunes, c'est d'abord l'éducation et là, il faut mettre le paquet et pas seulement en moyens financiers mais aussi par une véritable révolution de l'éducation notamment à l'école et au collège pour vaincre l’échec scolaire et faire en sorte qu'aucun jeune de ce pays ne soit laissé à l'abandon et qu'il puisse être encadré aussi bien par l'Education, par des mouvements d'associations, par un nouveau système d'internat, etc. Cette situation dans laquelle beaucoup de jeunes de 10 ans à 15 ans sont abandonnés sur le carreau à quatre heures de l’après-midi a des conséquences fâcheuses pour eux-mêmes et pour les autres.
O. Mazerolle : Il y aurait des contraintes et des règles à observer ?
J. Lang : Je pense qu'il faut rénover très profondément la pédagogie. Il faut que l'on redonne une motivation aux jeunes et il y a un effort d'imagination à accomplir.
O. Mazerolle : Mais vous mêlez éducation et sécurité là !
J. Lang : Je crois qu'en effet, des jeunes qui sont à l'abandon, qui n'ont pas de perspectives, qui n'ont pas de motivation, qui « glandouillent » comme on dit et ils se livrent à quelques menues activités qui parfois peuvent avoir des conséquences fâcheuses pour leur entourage. Je crois que de ce point de vue, la priorité des priorités et de faire que les jeunes d'aujourd'hui retrouvent une motivation, une raison de s'éduquer, de se préparer à l'avenir. L'autre aspect est évidemment la sécurité et la justice. Ce qui est annoncé par E. Guigou et J.-P. Chevènement est excellent. La parole publique est excellente, les réformes proposées vont dans le bon sens mais en même temps, localement, on s'aperçoit du dénuement de l'État, du dénuement des moyens de l'État en magistrats, en policiers ! S’il y a une priorité à retenir pour le prochain budget, c'est celle-là, sécurité et justice, avec celle que j'ai indiqué pour les jeunes, pour l'éducation des jeunes.
O. Mazerolle : D'une manière générale, est-ce que vous avez l'impression que la France est prête à rentrer dans l'euro ? Hier, la commission des finances à l'Assemblée nationale a adopté un certain nombre d'amendements pour exiger que les ministres européens de l'Economie et des Finances soient davantage associés aux travaux de la Banque centrale européenne. Si ces amendements ne sont pas adoptés, la France doit aller dans l'euro quand même ?
J. Lang : C’est un autre sujet.
O. Mazerolle : L’euro implique des contraintes budgétaires.
J. Lang : Je termine sur ce qu'on disait à l'instant. Je souhaite que, collectivement, les uns et les autres, quelles que soient nos responsabilités, nous ne nous laissions pas enivrer par le retour à la croissance. C'est une bonne chose mais la croissance ne résoudra pas l'ensemble des problèmes qui se posent à notre pays et qu'il faut régler avec une détermination très forte. En particulier, il faut juguler l'endettement et le faire baisser.
O. Mazerolle : L’euro peut servir de guide ?
J. Lang : L'euro, naturellement, nous invite à une plus grande rigueur et disciple collective. En même temps, nous aurons d'ailleurs ce débat à la fin du mois d'avril, sur le plan de la construction de l'Europe, je crois qu'il faut donner à l'Europe un contenu beaucoup plus fort. Il faut renforcer les institutions politiques pour les rendre plus efficaces. Il faut que sur le plan des harmonisations, de l'harmonisation fiscale, de l'harmonisation des lois sociales, l’Europe puisse avoir une vision par le haut du développement économique. Je crois que c'est un autre sujet que nous aborderons à la fin du mois d'avril.