Interviews de M. Eric Raoult, ministre délégué à la ville et à l'intégration, à France 2 le 6 août 1996 et dans "Le Parisien" du 29 août, sur l'opération "Ville, vie, vacances" et sur la "réconciliation" au sein de la majorité.

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Média : France 2 - Le Parisien - Télévision

Texte intégral

France 2 - mardi 6 août 1996

R. Roche : Cet été, vous sillonnez la France, de camp en camp, de site en site, pour visiter cette opération « Villes-vacances » que vous avez lancé. C'est un peu le préfet aux champs ?

E. Raoult : Non, c'est simplement le ministre qui va voir les jeunes des quartiers difficiles car les vacances, c'est fait pour tout le monde. Certains d'entre eux ne seraient pas partis si nous n'avions pas aidé les associations, les collectivités locales à les sortir de leurs cages d'escaliers.

R. Roche : Quel est le vrai but de l'opération ? Est-il comme disent certains, d'essayer de faire baisser la température qui a tendance à monter un peu plus encore l'été dans les cités ?

E. Raoult : Non. D’abord ce n’est pas nous qui avons inventé ce concept des départs de vacances populaires, de vacances des plus jeunes. Il y a une dizaine d’années, il y a eu quelques milliers de jeunes qui étaient partis. Nous, nous avons fait ça, à la demande du Premier ministre, sur une grande échelle : plus de 850 000 jeunes cette année quitteront leur quartier. Ce que nous ne voulons pas, c'est déplacer les problèmes, mettre les mômes des quartiers dans les cités balnéaires et les voir mettre parfois le bazar. Nous avons voulu faire un effort d'encadrement, d'information, et de concertation.

R. Roche : N’a-t-on pas tendance, de façon générale, pour les banlieues, à traiter le symptôme car les problèmes de fond sont trop graves et qu'on a pris trop de retard sur ceux-ci ?

E. Raoult : Sur les banlieues, on avait l'habitude de beaucoup parler et pas assez d'agir. Depuis quelques mois, nous avons proposé le Pacte de relance pour la ville qui apporte une relance économique différente à la réponse sociale et urbaine qui existait avant. Et puis nous n'avons pas voulu, avec J.-C. Gaudin, supprimer quoi que ce soit de ce que nos prédécesseurs avaient fait. Dans les quartiers et dans les villes, toutes les initiatives sont bonnes à prendre. Nous en ajoutons une nouvelle et je crois qu'aujourd'hui, nous avons fait le diagnostic : nous avons vu les symptômes et nous apportons non pas la solution mais une solution, modestement, de manière pragmatique.

R. Roche : Y a-t-il une fatalité à ce que les « quartiers difficiles » restent difficiles ?

E. Raoult : Il faut que les quartiers difficiles, que l'on dit aussi sensibles, puissent devenir demain ou redevenir des quartiers populaires. Il y aura toujours des gens qui ont plus de problèmes que d'autres, qui vivent plutôt dans les banlieues que dans les quartiers bourgeois des villes. Mais on peut faire en sorte que les quartiers difficiles ou sensibles se rapprochent de la moyenne pour devenir des quartiers de développement et d'espoir.

R. Roche : Vous avez lancé un nouveau, un énième, plan banlieues au début de l'année.

E. Raoult : Ce n'est pas un énième plan, ce n'est pas le mien, mais celui du Gouvernement.

R. Roche : Ça n'était pas le premier en tout cas lancé par un gouvernement et vous aviez fixé des échéances, fin mars pour les emplois-villes et début de l'été pour les zones franches. Pour les emplois-villes, l'objectif est 100 000 sur quatre ans et 36 ont été signés. C'est peu.

E. Raoult : 36, c'était avant l'été, signés avec J.-C. Gaudin, à Marseille. Mais depuis la date de cette signature, il y en a plusieurs dizaines et plusieurs centaines. Nous nous fixons un certain nombre d'objectifs à la rentrée de septembre, où ça va redémarrer. Dans la mesure où le contrat que nous avions proposé sous la forme d'emplois de villes a en effet pu être signé pour ces jours de juillet Mais en septembre, nous tiendrons sur l'année 96-97 le cap des 25 000 que le Premier ministre nous avait fixé.

R. Roche : J. Chirac reçoit beaucoup ces temps-ci à l'Elysée. Il a reçu la semaine dernière A. Madelin, F. Léotard, P. Séguin. Il reçoit aujourd'hui C. Pasqua. Croyez-vous à la grande réconciliation au sein de la majorité ?

E. Raoult : Je crois que la réconciliation est faite. La réconciliation, ça va être de se mettre en ligne de bataille pour 1998. On a fait gagner un président de la République, on doit faire réussir son septennat maintenant. Si J. Chirac ne recevait personne, on dirait qu'il est cloîtré dans sa tour d'ivoire à l'Elysée. Il reçoit les anciens Premiers ministres socialistes. Regardez, P. Mauroy est venu défendre le projet de Lille 2004, M. Rocard est venu défendre son projet d'aménagement du temps de travail, les leaders de la majorité sont venus aussi auprès du Président, qui n'est pas le Président de la majorité mais celui de tous les Français. C'est vrai qu'en 1998, il faudra une majorité pour le Président Je suis persuadé qu'avec le Premier ministre, on va se mettre en ordre de bataille.

R. Roche : Tout de même, les mots ont été très durs lors de la campagne et même après, contre É. Balladur, y compris dans votre bouche. Cette réconciliation n'est-elle pas simplement une façade car la rentrée sera difficile et qu'il faut s’y mettre tous ?

E. Raoult : On a dit beaucoup de bêtises du côté de ceux qui soutenaient J. Chirac parce que c'était le candidat légitime du RPR et de la majorité ; et parfois aussi du côté de ceux qui soutenaient É. Balladur. Il y a eu parfois un certain nombre de choses blessantes et je le regrette. Comme je souhaite aussi que ceux qui ont pu le dire de l'autre côté le regrettent aussi. C'est vrai que la rentrée ne sera pas facile. Il est important aussi d'expliquer à nos compatriotes qu'en 1993, ils ont chassé les socialistes. Veulent-ils les voir revenir aujourd’hui ? En 1995, ils ont dit « non ! » à Jospin. Veulent-ils voir, devant J. Chirac, un Premier ministre socialiste de cohabitation, qui ramènerait J. Lang, C. Nucci, H. Emmanuelli ? Ça, les Français n'en veulent pas !

R. Roche : Pensez-vous qu'il est temps que, si ce n'est tous les poids lourds, en tout cas toutes les grandes tendances de la majorité soient enfin représentées au sein du Gouvernement. C'est pour quand ?

E. Raoult : Ce n'est pas une décision qui m'appartient.

R. Roche : Vous la souhaitez ?

E. Raoult : C'est le président de la République qui choisit de demander au Premier ministre de recomposer son gouvernement Je crois que la majorité est diverse. Il faut que toute la majorité soit représentée. Mais le remaniement, ce n'est pas un ministre qui le décide.

R. Roche : C'est pour bientôt ?

E. Raoult : Ce n'est pas une décision qui appartient à un membre du Gouvernement. Il est évident que des hommes comme F. Léotard ou C. Pasqua auront un rôle déterminant à jouer en 1998. Qu'ils le jouent dans leur formation politique ou dans le Gouvernement, ce n'est pas à moi de le dire.

 

Le Parisien - 29 août 1996

Le Parisien : Des milliers de jeunes des cités ont bénéficié des opérations Ville Vie Vacances (VVV). Quel bilan tirez-vous en cette fin d’été ?

E. Raoult : L’été 1996 n’est pas encore terminé mais pour le moment ça baigne ! Le premier bilan est déjà très positif. Quasiment pas d’incident à déplorer. Cette année, 200 000 jeunes d’Ile-de-France auront participé aux VVV, contre 150 000 l’an passé. Toutes les tranches d’âge ont participé à ces actions. De plus, les jeunes filles sont venues beaucoup plus nombreuses que l’année dernière. C’est donc, en restant modeste, un succès. Les jeunes ont répondu présent aux initiatives proposées par les villes de la région parisienne qui ont mis l’accent sur des projets innovants, éducatifs et enrichissants. Ces jeunes des quartiers n’ont pas été des consommateurs, ils ont été des acteurs. 1 200 projets ont été menés à bien dans la région. A la suite des incidents de l’année dernière, j’avais demandé un renforcement de la sécurité et de l’encadrement et cela a porté ses fruits.

Le Parisien : L’enveloppe de 81 MF que vous aviez prévue a-t-elle été suffisante ? Beaucoup d’associations s’étaient plaintes avant l’été de ne pas voir leurs projets retenus par vos services.

E. Raoult : On peut toujours faire plus ! Avec Jean-Claude Gaudin, nous avons d’abord voulu faire mieux ! En ce qui concerne les financements l’État dépensait 36 MF en 1992, nous atteindrons 81 MF en 1996. Les associations ont été plus nombreuses que l’année dernière à nous proposer des projets. Cela nous a permis de choisir les meilleurs. C’est un peu la rançon du succès. Aux associations de faire preuve d’originalité si elles veulent être retenues au cours des prochaines vacances. Néanmoins, certaines ont réclamé un plus de transparence dans les décisions, nous allons la développer, mais dans les deux sens, pour l’utilisation aussi.

Le Parisien : A la lumière de ce bilan, allez-vous profiter du pacte de relance et des moyens qu’il vous confère pour maintenir les VVV après la rentrée scolaire ?

E. Raoult : Oui, nous ne voulons pas limiter les VVV à une opération « vacances actives » durant l’été. En 1995, nous avons dégagé 20 MF supplémentaires pour financer les VVV au-delà de l’été pendant les autres congés scolaires. Cela n’a jamais été fait auparavant. Malgré les contraintes budgétaires, nous avons maintenu cet effort en 1996. A la Toussaint et à Noël, les jeunes des quartiers pourront à nouveau bénéficier des VVV. Il n’est pas question de casser la dynamique établie pendant l’été. Nous encourageons d’ailleurs les initiatives qui s’inscrivent dans la durée.