Interview de M. Robert Badinter, ministre de la justice, dans "Le Quotidien de Paris" du 8 octobre 1982, sur la politique pénale.

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Média : LE QUOTIDIEN DE PARIS

Texte intégral

Le Quotidien de Paris : ... Monsieur le ministre, la presse nationale d'hier matin commentait de façon contradictoire les termes de la circulaire sur la politique pénale que vous avez adressé le 1er octobre aux procureurs généraux. Certains journaux y voyaient une « récidive dans le laxisme » et d'autres un changement de cap en direction de la fermeté. Comment avez-vous réagi à ces analyses divergentes ?

Robert Badinter : Avec étonnement. Ces réactions sont sans doute question d'optique ou de sensibilité. En fait, quiconque a lu cette circulaire retrouvera toujours les mêmes pensées et les mêmes lignes d'action depuis que je suis ministre : fermeté vis-à-vis de la criminalité et de la grande délinquance et recherche de sanctions diversifiées – comprenant, outre l'emprisonnement de courte durée, des mesures telles que la confiscation du véhicule ou du permis de conduire – vis-à-vis de la petite délinquance. Ceux qui estiment que je fais marche arrière se trompent. Mes propos sont toujours affirmés, toujours rappelés, mais singulièrement déformés ou méconnus. Avant d'être ministre, j'avais pourtant la réputation d'être convaincant. Il faut croire que je suis maintenant de ceux qui manquent de pouvoir de communication. Pourtant, au Sénat, en décembre 1981, en novembre à l'Assemblée nationale, lors de la discussion sur l'abrogation de la loi Sécurité et Liberté, en mars sur Europe numéro 1, dans nombre de déclarations ou d'interviews… et dans ma dernière circulaire, j'ai toujours défendu la même position. Et j'ajoute que je n'ai aucune raison de changer, même si ça ne fait pas monter ma cote dans les sondages.

Il ne s'agit pas seulement de dire, mais d'agir. Il suffit de constater à cet égard qu'il y a aujourd'hui dans les prisons françaises plus de grands criminels et moins de petits délinquants que du temps de mon prédécesseur.

En ce qui concerne la petite délinquance, quelle que soit l'angoisse naturelle et légitime des Français, la justice ne saurait être régie par des rations de l'opinion publique. Je ferai simplement remarquer que certains pas que l'on ne peut pas taxer de laxisme, comme l'Allemagne fédérale, ont supprimé les peines d'emprisonnement de moins de six mois, sauf circonstances exceptionnelles.

Le Quotidien de Paris : Votre appel à « une particulière fermeté contre les auteurs d'actes criminels dirigés contre les membres des forces de l'ordre » a pu paraître nouveau.

Robert Badinter : Pas du tout, là encore, je vous renvoie à mes déclarations précédentes qui, manifestement, circulent bien mal, ou à une circulaire prise à cet effet au printemps dernier. Les policiers assument la difficile mission de la sécurité publique. Ils doivent le faire dans le respect des règlements, et être protégés par toutes les rigueurs de la loi s'ils sont victimes d'actes criminels.

Le Quotidien de Paris : Vous mettez également l'accent sur l'aide aux victimes …

Robert Badinter : Je n'ai cessé, depuis mon arrivée à la Chancellerie, d'œuvrer au profit des victimes. Mais j'ai remarqué que l'information circulait mal et qu'elles ne savaient pas toujours ou s'adresser pour faire valoir leurs droits. C'est pourquoi nous avons mis en place un bureau chargé de la protection des victimes. Nous avons également décidé d'éditer un guide à leur intention, qui sortira dès le 22 de ce mois et sera disponible dans les palais de justice, les mairies, et en vente dans les librairies.