Interview de M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans "Libération" du 19 juin 1996, sur la mise en oeuvre des réformes prévues pour l'enseignement supérieur telle que l'allocation sociale d'études.

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Libération : Votre projet contient beaucoup de mesures, mais on ne voit pas la philosophie générale qui les soutient.

François Bayrou : Sa philosophie, c'est la réorganisation de l'université autour de l'étudiant, de sa place, des pouvoirs nouveaux qu'il doit y trouver. Pour l'étudiant, une nouvelle organisation des études. Un statut aussi, qui recherche la justice dans les aides, et un nouvel équilibre des formations. Pour l'étudiant enfin, une insertion professionnalisante. Autrefois, le diplôme valait emploi. Aujourd'hui, l'emploi est plus rare et le diplôme ne vaut plus emploi. Il faut donc construire, à côté de la mission de formation et de recherche, une mission de professionnalisation.

Libération : La concertation avec les partenaires continue. Un an d'états généraux, ce n'était pas assez ?

François Bayrou : Ce n'est pas encore un an de discussions, mais un an de mise en oeuvre. Nous allons mettre en place un calendrier. Les échéances majeures sont les rentrées 1997 et 1998. Ce que nous avons fait pendant ces états généraux, c'est une oeuvre d'architecte. J'ai défini des principes qui vont commander la mise en oeuvre d'un très grand nombre de microdécisions. Mon souhait n'est pas de bâtir une de ces cathédrales législatives mais de procéder par adaptation.

Libération : Vous évitez de parler des moyens ?

François Bayrou : C'est une réforme sur le long terme, son coût doit s'apprécier sur le long terme. Nous sommes dans des circonstances budgétaires difficiles, mais je défends l'idée qu'il faut une programmation concertée avec les acteurs, de manière à se donner des rendez-vous qui permettront de mettre en place cette réforme.

Libération : Allez-vous déshabiller l'enseignement secondaire pour habiller l'enseignement supérieur, en recourant massivement aux professeurs agrégés ?

François Bayrou : Pas du tout. Je ne prévois pas de changer l'équilibre au sein de l'université. Les engagements que j'ai pris, je les tiendrai. Mais il n'est pas interdit d'imaginer de profiter de la baisse démographique qui touche les autres secteurs de l'Éducation nationale.

Libération : Quelle mesure entrera le plus rapidement en vigueur ?

François Bayrou : Tout ce qui tourne autour de la réorganisation de la vie des étudiants. L'orientation notamment et le tutorat par exemple. D'ici à 1997 ou 1998, nous pouvons aussi obtenir la réorganisation de l'année universitaire.

Libération : Qu'est-ce qui prendra plus de temps ?

François Bayrou : La filière technologique. C'est une oeuvre de longue haleine puisqu'il faut notamment construire un appareil de recherche. Il faudra de six à dix ans pour assurer l'édifice.

Libération : L'organisation en semestres a été expérimentée à Marne-la-Vallée et à Jussieu. Elle est coûteuse et ses performances pédagogiques sont contestées.

François Bayrou : Ce n'est pas vrai. Il y a peut-être des surcoûts marginaux, mais je ne vois pas pourquoi ça coûterait plus cher. La France est le seul pays européen qui fonctionne avec un seul semestre dans l'année. On ne peut pas continuer. Je souhaite que l'organisation en semestres permette une rentrée en septembre et une sortie à la fin juin.

Libération : Vous parlez de réduire le nombre de filières en premiers cycles. Reprenez-vous l'idée du RPR des quatre grandes filières ?

François Bayrou : Il ne faut pas confondre le semestre initial, avec un petit nombre de filières qui permettront d'explorer plusieurs voies disciplinaires, et puis les Deug, les trois semestres suivants, qui doivent être simplifiés mais qui garderont un contenu disciplinaire fort. Il ne s'agit pas de refaire des propédeutiques.

Libération : L'allocation d'étude, vous le mettez en place quand ?

François Bayrou : C'est sans doute le problème le plus compliqué que l'on ait à régler. On aide aujourd'hui les plus pauvres et on aide massivement les plus riches. Entre les deux… Il faut construire une aide plus équitable en essayant de prendre en compte toutes les aides existantes, les bourses, les aides au logement, les aides fiscales. Il faudra s'harmoniser avec la réforme fiscale. C'est très difficile. Le risque de blocage est fort. Mais il n'est pas acceptable de cumuler une aide publique et un avantage fiscal. On gagne sur les deux tableaux. Il y a là quelque chose qui ne marche pas.

Libération : On a parlé d'une allocation de 30 000 francs par an.

François Bayrou : C'est l'évaluation par l'observatoire de la vie étudiante de ce que dépense un étudiant par an. On est passé un peu rapidement de ce constat à l'idée, avancée de manière imprudente, que tous les étudiants devaient bénéficier de 30 000 francs par an. C'est un manque évident de sérieux.

Libération : La commission Fauroux rend demain son rapport à Alain Juppé. Quelle utilisation en fera le gouvernement ?

François Bayrou : Le rapport de la commission Fauroux est un rapport d'information et de suggestions. Le gouvernement n'est évidemment pas lié à ses propositions. Je suis persuadé qu'il y aura des propositions évidentes et reçues comme telles. D'autres seront discutables.

Libération : Serez-vous le ministre qui mettra en oeuvre la réforme ?

François Bayrou : Je l'espère. Après, il est vrai que la vie d'un ministre est par nature précaire. Mais je crois être en situation de faire évoluer l'université pour qu'elle réponde mieux à ses missions.

Libération : Vos rapports avec Jacques Chirac sont-ils toujours aussi tendus ?

François Bayrou : Ils sont de grande confiance, marqués par sa volonté de voir évoluer le système vers plus de justice. Une volonté que je partage.