Texte intégral
Depuis plusieurs semaines s'est développé un mouvement des étudiants dans nos universités. J'ai écouté attentivement s'exprimer, autour des problèmes des moyens des universités, un grand nombre des difficultés, des attentes, des exigences et des angoisses des étudiants qui sont aussi souvent les problèmes des jeunes Français. Je souhaite vous dire ce que j'ai entendu au travers de ces revendications et vous présenter les orientations et les décisions que nous avons prises pour y répondre. En annonçant ces réponses, j'aurai à l'esprit aussi bien les étudiants qui en manifestant ont pris leur part de ce mouvement que ceux de leurs camarades qui ont continué à travailler normalement parce que leurs problèmes sont les mêmes. Ils participent à la même université et à la même société. Eux aussi doivent être entendus.
Les étudiants se sont beaucoup exprimé sur leurs conditions de travail et de vie. Ils sont membres d'une université qui, en changeant de dimension, a profondément changé de nature dans les dernières années. Vous savez qu'en une génération, leur nombre a été multiplié par 10, et qu'en 10 ans, il a été multiplié par 3. Les étudiants comprennent ou doivent comprendre que ce changement est difficile pour la Nation et difficile pour la communauté universitaire tout entière. La Nation doit assumer une charge particulièrement lourde, en croissance forte, à un moment où elle doit aussi remettre en ordre ses affaires budgétaires. Mais les questions que les étudiants posent méritent réponse : il n'est pas juste que les places dans les amphis soient difficiles à trouver ; il n'est pas normal que certains travaux dirigés soient bondés.
Pour répondre à cette difficulté qui naît du nombre, quelques esprits ont imaginé et commencent à dire qu'il serait plus facile de fermer à nouveau les portes des universités en interdisant à certains jeunes d'aller à l'université pour tenter leur chance. À droite et à gauche, on recommence à parler de sélection. Je veux le dire clairement : je ne serai pas le ministre qui fermera la porte de l'université aux jeunes Français. Tous les jeunes qui ont réussi au baccalauréat, spécialement au baccalauréat rénové que nous avons mis en place, ont droit à leur chance. Le baccalauréat est dans la tradition française, le premier titre universitaire. Il doit en conserver la dignité. Je me suis sans cesse opposé à ce qui pouvait le dévaloriser. Que ses épreuves soient améliorées, qu'elles permettent de garantir un niveau de maîtrise fondamentale et qu'elles permettent de vérifier une culture générale, je le souhaite. Tout est toujours perfectible. Mais qu'on veuille le transformer en un simple document de fin d'études secondaires, cela entraînerait, à mon avis, une baisse inéluctable et inexorable du niveau du lycée, et un enseignement secondaire à deux vitesses : d'un côté les lycées chics qui prépareraient aux universités chics et de l'autre des établissements de deuxième zone qui prépareraient à des universités parkings. Si travail d'approfondissement il doit y avoir, c'est au lycée de l'assumer pour que soit défendu et promu le modèle français d'égalité des chances et de justice devant l'école. Je veux donc le répéter devant vous : l'augmentation du nombre des jeunes Français qui choisissent de rencontrer à leur tour la chance de l'université hier réservée aux plus privilégiés ou aux plus chanceux, cette augmentation est un défi difficile à gérer, difficile à financer, mais est d'abord une chance pour les jeunes et pour la Nation.
Mais si nous voulons relever le défi, alors il nous faut refuser l'immobilisme et le laisser-aller dans lequel on a vécu, bon gré mal gré, depuis des années, en se satisfaisant des mouvements sporadiques et récurrents, annuels ou semestriels, que l'on calme avec quelques pincées de millions, dont les étudiants ne voient d'ailleurs jamais venir les résultats. Nous ne pouvons plus accepter que le choix d'une spécialité soit une loterie, et souvent une loterie à cartes biseautées, dans lequel les plus chanceux sont soigneusement guidés par leur famille ou des maîtres avertis, et où les plus nombreux s'en remettent à la chance ou à la mode. Les taux d'échecs dans le premier cycle disent plus éloquemment que tous les discours la dimension du défi que nous avons à relever.
C'est donc en amont que la réponse doit être d'abord apportée. C'est le premier volet du plan que je propose aujourd'hui. Dès cette année, j'ai décidé de mettre en place un programme de formation à l'orientation, en direction des lycéens, pour que dès la classe de seconde, et plus encore en première et en terminale, ils aient entre les mains les éléments de leur orientation, les chances de succès, telles qu'on peut les estimer, les débouchés professionnels qui peuvent s'offrir à eux au terme de leurs études s'ils réussissent, les réorientations possibles s'ils ne réussissaient pas. C'est dans cette éducation des choix, qui est une vraie éducation à la liberté, que se situe la seule alternative à la sélection brutale et aveugle.
Mais il faut aussi, deuxième volet de ce plan, que sans attendre nous réalisions la rénovation en profondeur de notre université. Aucun sujet ne doit en être écarté. Vous me permettrez d'en citer quelques-uns qui sont parmi les plus brûlants : il faut permettre aux étudiants d'être enfin accueillis comme ils le méritent dans les premiers cycles universitaires, de découvrir progressivement leur discipline, la spécificité du travail universitaire, de prononcer des réorientations précoces s'ils se sont trompés. Mais je veux indiquer nettement devant vous que c'est bien d'enseignement supérieur qu'il doit s'agir et non pas d'une secondarisation de l'université. Les premiers cycles, tels que nous les définirons, les premiers cycles nouveaux, devront donc à la fois être considérablement diversifiés pour que le talent particulier, les attentes particulières des étudiants y trouvent leur place mais ils devront aussi ménager des temps de rencontre avec la recherche de haut niveau. Cela aussi nous demandera de l'imagination et une grande capacité de novation.
Après la mise en place de cette formation à l'orientation pour éviter les erreurs et les échecs massifs, après la réforme des premiers cycles, l'élargissement de l'offre universitaire. L'absence d'une grande filière technologique supérieure ouverte sur la professionnalisation à tous les niveaux est un des traits frappants de notre enseignement supérieur. Nous devons définir l'architecture de cette filière, inventer un cahier des charges précis, fixer les conditions pour qu'elle conduise de manière crédible jusqu'au plus haut des formations d'ingénieurs et de docteurs. Filière générale et filière technologique devront se voir offrir une nouvelle politique d'insertion professionnelle., une redéfinition des stages et de l'alternance : c'est l'emploi qu'avant tout les jeunes souhaitent à la sortie de l'université. Et c'est pourquoi j'invite donc tous les acteurs à des États généraux de la rénovation de l'université qui, d'ici à la fin de l'année universitaire, devront apporter une réponse claire à toutes ces questions qui se posent et qui sont dans l'impasse depuis des décennies.
Troisième volet : le court terme. J'ai entendu les inquiétudes des étudiants et je veux vous dire que ces inquiétudes et ces angoisses, les questions qu'ils posent, ne resteront pas sans réponse. Depuis dix jours, nous avons négocié avec l'ensemble des présidents d'université pour apporter une réponse précise aux inégalités dont souffrent depuis de longues années certaines universités. Nous avons pu mobiliser, dès l'année qui vient, plus de mille postes d'enseignements et d'enseignants-chercheurs. Nous avons rempli l'objectif que j'avais fixé : toutes les universités françaises au-dessus de 85 % de leur dotation théorique pour les emplois, et au-dessus de 80 % pour les crédits. C'est un rattrapage sans précédent qui mobilise pour les crédits plus de deux cents millions de francs. Je veux vous indiquer que je suis naturellement prêt à inscrire cet effort dans un plan quadriennal pour que toutes les universités en retard aient la certitude que leur retard sera rattrapé à 100 %. Peut-on aller plus loin ? Ma réponse est : pourquoi pas ? La réponse du gouvernement est : pourquoi pas ?
Ceci est particulièrement vrai pour les personnels IATOS car cette mesure est juste et intelligente. Mais je souhaite qu'au lieu de saupoudrer les moyens nous ayons avec les universités une discussion précise, quasiment poste par poste, pour coller aux besoins des étudiants et des universités, pour voir de quelle manière dès maintenant et sur un plan en 4 ans, nous pourrons répondre aux problèmes qui se posent.
Mais tous les Français savent, les étudiants comme les autres, les difficultés extraordinaires que la France rencontre aujourd'hui. C'est pourquoi il faut que tout effort supplémentaire réponde précisément aux attentes et aux questions qui sont celles de la vie de tous les jours des étudiants. Partout où des difficultés précises seront repérées il est possible d'apporter des réponses par un plan de plusieurs années. Mais il ne faut pas que l'argent se perde dans le sable. Un leader de mouvement étudiant m'indiquait récemment : « il y a une dizaine d'années, le Président de la République c'était M. Mitterrand à l'époque, nous a donné 4 milliards de francs, personne n'en a vu la couleur ». Je comprends parfaitement cette inquiétude et c'est pourquoi afin que l'argent ne se perde pas dans les sables, j'ai pris la décision d'envoyer dans chacune des quatre-vingt-dix universités françaises un envoyé spécial pour discuter avec les étudiants des problèmes particuliers qui sont les leurs. Pour que les étudiants puissent discuter avec ces envoyés spéciaux, il faut qu'ils soient directement représentés auprès d'eux, pour que la base soit entendue, naturellement je compte sur le présidents d'université, les responsables d'UFR. Je sais que nous ne pourrons pas tout faire. Mais je sais aussi que partout des réponses précises peuvent être apportées, immédiatement ou en deux ou trois ans.
Chaque fois que des problèmes de locaux se poseront, qui pour être en voie d'amélioration ne sont pas tous réglés, le gouvernement proposera aux collectivités locales qui sont ses partenaires, une deuxième phase du plan Université 2000. Ce plan pluriannuel devra permettre la poursuite de l'effort commencé en 1991 et qui a permis cette année d'assurer la livraison de 500 000 m2 de locaux supplémentaires.
Je compte naturellement que nous intégrions les rénovations nécessaires dans ce nouveau plan. Des responsables de coordination d'étudiants se sont exprimés pour dire : nous souhaitons une mission qui puisse contrôler ce que sera l'utilisation des crédits et des décisions d'équipement qui seront prises. J'en suis d'accord. Je considère que la transparence est dans cette affaire, la première vertu. Chacun doit être assuré que si la démagogie est exclue, les réponses seront suivies d'effet. J'indique aussi que pour répondre à un certain nombre d'inquiétudes qui se sont exprimées sur la très grande difficulté qu'il y avait à connaître les conditions exactes de financement des universités et d'utilisation des ressources, j'ai accepté la proposition que m'a faite le Président de l'assemblée nationale, de mettre en place une mission parlementaire sur le financement et la gestion des ressources des universités. Ainsi, chacun aura l'écoute qu'il mérite, nous pourrons faire la liste des besoins précis, nous pourrons étaler ces besoins dans le temps, nous pourrons apporter des réponses budgétaires quand elles le méritent, d'équipement lorsqu'il le faut ; nous le ferons avec tous les partenaires qui sont ceux du gouvernement dans cette affaire, au premier rang desquels je place naturellement les présidents d'université, respectueux de leur autonomie, décidé que je suis à faire en sorte que la politique contractuelle soit ou redevienne quand il le faut, la pierre d'angle de la gestion de l'université française.
Voilà rapidement les orientations que je voulais vous indiquer. Elles sont directement dirigées vers les étudiants, vers leurs conditions pratiques de vie, vers les difficultés qu'ils rencontrent sur chacun des sites de notre université, et elles sont de nature, me semble-t-il, à montrer que chacune de leurs inquiétudes est entendue et que, dans la bonne foi, avec les moyens qui sont les nôtres, nous allons à la fois pouvoir apporter les réponses d'urgence et pratiquer la remise à plat du système universitaire qui s'impose.