Interviews de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, à France 2 le 5 avril 1998 et dans "La Vie" le 9 avril, sur la situation scolaire en Seine-Saint-Denis, et la lutte contre l'échec scolaire et la violence.

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Média : CFTC La Vie à défendre - France 2 - La Vie - Télévision

Texte intégral

Date : 5 avril 1998
Source : France 2 - Émission « Polémiques »

Michèle Cotta : Bonjour. Après les élections régionales, la droite s’interroge sur elle-même. Doit-elle se fondre en un parti unique, doit-elle rester comme elle est aujourd’hui, divisée entre RPR et UDF et dans ce cas, quelle est la place du Front national ? Le président de la République a consulté cette semaine les responsables des différentes formations politiques sur la modernisation de la vie publique mais pendant que les chefs étaient consultés au sommet, l’opposition à la base a laissé la place à de nombreux appels de rénovateurs. Nous en avons une bonne partie sur ce plateau pour la deuxième partie de cette émission. Mais tout de suite, notre invitée est Ségolène Royal, ministre déléguée auprès du ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement scolaire. Ségolène Royal, bonjour et merci de bien vouloir répondre aux questions que nous allons vous poser avec Sylvie Pierre-Brossolette du Nouvel Économiste. Alors, première question sur Saint-Denis, vous vous y attendez. Comment va-t-on sortir de cette affaire ? Les appels à la grève se multiplient, nous prenons connaissance maintenant d’un nouvel appel pour le 7 avril. Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que vous proposez ?

Ségolène Royal (ministre délégué chargé de l’enseignement scolaire) : D’abord, je pense que c’est un défi tout entier qui est posé au système scolaire en Seine-Saint-Denis et que nous allons réussir à le relever, ce défi. Car le gouvernement de Lionel Jospin, dès sa mise en place, a fixé comme l’une de ses priorités, la lutte contre les inégalités scolaires. Et donc, si nous avons été amenés avec Claude Allègre à annoncer un plan de rattrapage pour ce département avant même qu’il y ait une mobilisation dans la rue, c’est bien parce que nous voulons anticiper les difficultés et donc ne pas attendre aussi qu’il y ait la révolte dans la rue pour agir.

Sylvie Pierre-Brossolette (Le Nouvel Économiste) : Mais justement, comment vous expliquez qu’annonçant des réformes, des crédits et des postes, il y ait une telle mobilisation défavorable ? Est-ce qu’il y a eu une maladresse, une faute de communication ? Et quand Claude Allègre dit à propos des profs qui manifestent : « ils feraient mieux de retrousser leurs manches plutôt que de défiler, c’est comme cela que l’on nourrit le Front national », est-ce que c’est la bonne méthode ?

Ségolène Royal : Je pense qu’il y a dans cette expression d’abord une sorte de cri d’espoir. C’est-à-dire qu’à partir du moment en effet où le Gouvernement a pris conscience de ces difficultés, du rattrapage dû à un abandon pendant plusieurs années des établissements en éducation prioritaire, à ce moment-là, il y a une force de – comment dirais-je ? – de demande de dignité de la part des établissements scolaires, des enseignants mais aussi des élèves qui sont descendus dans la rue parce qu’à partir du moment où, en effet, on a soulevé le couvercle de l’espoir, à ce moment-là, il y a une mobilisation qui se fait parce que les communautés scolaires veulent voir maintenant concrètement dans les établissements l’effet des annonces ministérielles et d’une certaine façon ils ont raison. Donc nous sommes aujourd’hui face à un mouvement de demande d’écoles et moi je crois que c’est positif quand on est face à un mouvement de demande d’écoles. Ce défi-là est un défi difficile parce qu’il interpelle la société tout entière à partir du moment où dans l’école il y a une irruption de l’ensemble des problèmes de société – la déstructuration des familles, le chômage, la précarité – à la fois on demande tout à l’école et en même temps, c’est tout le reste aussi que doit avancer avec nous pour pouvoir trouver des solutions.

Michèle Cotta : Vous ne répondez pas tout à fait à la question qu’on vous posait sur les maladresses de départ. Est-ce que vous pensez qu’il y a eu des maladresses, qu’il y a eu une exacerbation des conflits ? Qu’est-ce qui s’est passé parce que quoi que vous proposiez maintenant puisqu’on voit que vous proposez quand même 160 agents supplémentaires, 40 personnes de plus pour le primaire, 60 pour le second… rien ne passe finalement, alors…

Ségolène Royal : Je ne crois pas. Je pense, pour être souvent dans les établissements scolaires, que ça passe mais que, au-delà des mesures quantitatives qui sont à lancer, qui sont nécessaires parce qu’on sait bien que dans les établissements scolaires où émerge la violence, c’est qu’il y a un nombre d’adultes insuffisant pour encadrer les enseignants… pour encadrer les enfants et pour épauler les enseignants. En revanche, je crois qu’il n’y a pas seulement une réponse quantitative. Il y a aussi une soif de réponse qualitative et de pilotage établissement par établissement. Donc, le rétablissement de la qualité des relations humaines dans les établissements scolaires, c’est cela aussi qui est évoqué dans les différentes manifestations. Donc, c’est ce travail-là qui est en train de se reconstituer à la base. Il n’y a pas de réponse unanime pour l’ensemble des établissements scolaires…

Michèle Cotta : Mais vous fixez un terme à la réponse quand même ? Parce qu’à un moment donné, il faudra bien que cela redémarre non ?

Ségolène Royal : Je pense qu’on peut aller assez vite. Moi, j’ai bon espoir parce que je dis aux enseignants que nous écoutent et aux élèves qui nous écoutent que nous avons les mêmes ennemis. Les mêmes ennemis, c’est-à-dire l’échec scolaire, la violence, la désespérance et qu’à partir du moment où nous avons les mêmes ennemis, nous arriverons à répondre à ces défis qui nous sont posés. Nous y arriverons d’abord parce que moi, je tiens à dire quand même que la Seine-Saint-Denis comme dans tous les secteurs où il y a des difficultés, il faut arrêter aussi de stigmatiser ces secteurs-là parce qu’on accable la difficulté.

Sylvie Pierre-Brossolette : Oui, on peut constater… c’est vrai que quand les élèves de Seine-Saint-Denis sont venus voir leurs collègues d’Henri-IV, ils ont constaté qu’en moyens et en résultats, il y avait une différence formidable par rapport à leurs établissements. Alors, est-ce qu’il n’y a pas une forme d’éducation à deux vitesses de facto dans ce pays et est-ce qu’on peut y remédier ? Est-ce qu’on a les moyens budgétaires d’y remédier ?

Ségolène Royal : C’est bien la raison pour laquelle aujourd’hui on donne plus à ceux qui ont le moins, que Lionel Jospin a décidé de relancer l’éducation prioritaire, à la fois les zones d’éducation prioritaires que l’on va élargir en réseaux d’éducation prioritaires mais qu’au-delà des moyens, il y a aussi un travail considérable qui est fait et qui va permettre à la réussite scolaire parce que là où c’est mis en place, ça réussit. Là, il y a des établissements où la violence a émergé qui ont réussi à rétablir le lien citoyen dans les établissements dont, des solutions existent. Elles existent parce qu’aussi nous recentrons les enseignements sur l’acquisition des savoirs de base parce que nous élargissons aussi l’accueil des enfants malades dès le plus jeune âge donc, nous donnons plus d’école là où il y a plus de besoins.

Michèle Cotta : Beaucoup d’enseignants parlent de zones d’éducation pourries. C’était le titre d’un article de Libération. Donc, est-ce que vous n’avez pas quand même à répondre à ce critère, à ces différences d’écoles, ces différences d’éducation liées largement à la ghettoïsation d’un certain nombre de banlieues.

Ségolène Royal : Bien sûr, mais c’est le principe même des zones d’éducation prioritaires et des réseaux d’éducation prioritaires…

Michèle Cotta : Il faut sortir de la géographie des banlieues ?

Ségolène Royal : Il faut donner plus à ceux qui ont moins. Il faut mettre en place des réseaux d’éducation prioritaires à taille humaine. J’ai par exemple proposé au président du conseil général de Seine-Saint-Denis de diviser en deux les gros collèges parce que lorsqu’un principal a 1 200 élèves, il ne peut pas les connaître individuellement et que la lutte contre la violence, c’est aussi la mise en place d’équipes éducatives stables et solides. Donc, il y a toute une série de mesures qui sont actuellement en train d’être prises établissement par établissement dans l’objectif de donner un droit à la réussite scolaire aux élèves qui ont le moins.

Sylvie Pierre-Brossolette : Cette lutte contre la violence, est-ce que vous pouvez la limiter aux établissements scolaires eux-mêmes ou est-ce qu’elle n’existe pas dans un contexte de banlieue difficile à fort taux d’immigration… est-ce qu’on peut le dire sans avoir l’air de lever un tabou… et comment peut-on régler ce problème de violence qui est dans toutes ces zones et qui du coup se reflète à l’école ?

Ségolène Royal : D’abord, on peut la régler en renforçant l’éducation civique à l’école ce qui est en train d’être fait dès l’école maternelle parce que les adolescents qui sont aujourd’hui dans les collèges sont des adolescents qui n’ont jamais eu l’apprentissage d’un certain nombre de points de repère parce qu’ils ne sont plus donnés dans la famille ni dans le quartier. Donc, nous ne voulons pas que ce soit la loi de la rue qui soit la loi de l’établissement scolaire. Et ce rattrapage-là, il doit être fait à la fois à partir des plus jeunes générations mais aussi à partir de celles qui n’ont pas reçu ces règles de référence. Donc, nous renforçons de façon considérable l’instruction civique, l’éducation civique, les initiatives citoyennes dans les établissements scolaires.

Michèle Cotta : Est-ce que cela suffira ? Notamment, nous avons vu cette semaine ce jeune-homme qui est mort à Tourcoing parce qu’il avait amené une arme à l’école. Est-ce que maintenant, vous pensez qu’il faut à la rigueur mettre des portiques à l’entrée des écoles, des portiques détecteurs d’armes ? Est-ce qu’il faut fermer ces écoles ? Est-ce qu’il faut, comme François Bayrou le disait, faire de l’école un sanctuaire ? La fermer pour que les bandes ne puissent plus y rentrer ? Est-ce vous êtes acquise à cette idée-là ou est-ce que cela vous choque ?

Ségolène Royal : Je suis acquise à l’idée que la loi de l’école n’est pas la loi de la rue et qu’à partir de là, il faut redonner des règles claires en particulier aux chefs d’établissement car on voit très souvent que l’ambiance dans un établissement scolaire dépend de l’équipe de direction – chef d’établissement, professeur principal, conseilleurs principaux d’éducation et qu’ils sont en demande, je les ai rencontrés la semaine dernière, de règles claires de comportement par rapport à la levée de la loi du silence qui doit être faite dans les établissements scolaires. Beaucoup d’élèves connaissent l’introduction d’armes dans les établissements scolaires mais ne parlent pas parce qu’il y a aujourd’hui une confusion entre la délation et le signalement.

Sylvie Pierre-Brossolette : Mais vous ne voulez pas de fouilles, des portiques, des mesures carrément de répression supplémentaires ?

Ségolène Royal : Dans certains cas, sur des opérations ponctuelles, pourquoi pas ? Je ne vois pas pourquoi on fouillerait à l’entrée de certains grands magasins et pas à l’entrée de certains établissements scolaires où il a eu des signalements de détention d’armes ou d’introduction dans les collèges et dans les lycées de matériel dangereux. Pourquoi pas ?

Michèle Cotta : C’est plus facile peut-être de mettre de mettre des portiques parce que ça au moins, on ne fouille personne.

Ségolène Royal : Je pense qu’il n’y a pas de fatalité à la violence et que si l’on commence à mettre des portiques partout, cela veut dire que l’on a abdiqué et que l’on a renoncé à lutter contre la violence. Je pense qu’il n’y a pas de fatalité et que c’est possible, que l’on va donner aux chefs d’établissement des guides de conduite par rapport aux articulations entre éducation, justice et police. Ils sont en demande de clarification de ces procédures, que l’on va développer les procédures de médiation dans les établissements scolaires et que la meilleure piste de lutte contre la violence, c’est quand même l’apprentissage de la responsabilité et du respect mutuel et je crois que c’est un pari…

Michèle Cotta : C’est un pari optimiste ça !

Ségolène Royal : C’est un pari que nous devons gagner si l’on veut refuser aussi la dérive d’un système scolaire vers des modèles de société qui ne sont pas les nôtres et ma conviction profonde c’est que le système scolaire français qui a répondu à des défis autrement plus important, hein, il y a 50 ans, on a scolarisé l’ensemble des élèves de toutes les régions de France, on a scolarisé des enfants du milieu rural qui chez eux n’entendaient jamais parler français mais entendaient des langues régionales ou des patois régionaux. On a réussi à construire la Nation grâce à l’école de Jules Ferry. On a réussi ensuite à relever le deuxième défi dans les années Jospin de la massification de l’enseignement scolaire – 12 millions et demi d’élèves aujourd’hui – on est passé en quelques 10 à 15 années de 40 % de… moins d’un élève sur deux au baccalauréat à près de 70 % des élèves au baccalauréat. Et, aujourd’hui, le défi qui est posé à l’école et c’est pour cela que nous devons réussir en Seine-Saint-Denis et que nous réussirons, c’est un pilotage individualisé de chaque établissement scolaire et à l’intérieur de chaque établissement scolaire un contrat de réussite pour chaque élève. C’est cela le nouveau défi qui est posé aujourd’hui à l’enseignement scolaire et nous le réussirons parce qu’en réussissant en Seine-Saint-Denis, nous réussirons pour tous les élèves défavorisés de ce pays.

Michèle Cotta : Eh bien, on vous souhaite beaucoup de chance. On peut peut-être passer à d’autres problèmes politiques, des problèmes de modernisation donc de la vie politique. Est-ce que vous pensez que l’on peut régler les problèmes graves de la politique actuelle uniquement en changeant le mode de scrutin ou même en établissant la parité homme/femme ? Est-ce que vous pensez que c’est à la hauteur du défi ?

Ségolène Royal : Ce que je pense en tout cas, c’est qu’il faut le régler vite parce que lorsque des jeunes regardent à la télévision ce qui se passe par rapport à l’élection des présidents de conseils régionaux, je vous assure que derrière, ce n’est pas facile de faire de l’éducation civique, de l’instruction civique et de dire aux jeunes qu’il faut aller voter. Or, dans ces élections, il y a déjà eu un taux d’abstention extrêmement inquiétant et si la politique continue à donner ce spectacle des combinaisons de présidents de région qui prennent le pouvoir alors qu’ils sont minoritaires, d’élections surprise de vice-président de front national dans les urnes, je pense que nous aurons beaucoup de mal à élever le sens civique des élèves. Donc, il faut faire vite par rapport au rétablissement de la dignité de la politique française.

Sylvie Pierre-Brossolette : Très vite, deux petites réponses concrètes. Pour ce mode de scrutin régional, est-ce que vous le préconisez comme semble s’être établi un consensus, le mode de scrutin municipal ? Et pour le mode de scrutin européen qui semble aussi être en débat aujourd’hui, vous êtes favorable à des listes régionales plutôt que nationales ?

Ségolène Royal : Je n’ai pas de réponse technique. Je crois que ces deux propositions-là en effet vont dans le bon sens dans la mesure où elles permettent l’émergence de majorité stable. Tout ce qui permettra cette émergence, tout ce qui permettra à chaque citoyen lorsqu’il vote de savoir pour quelle politique il vote, à ce moment-là, je crois que les réformes seront bonnes, encore un mot…

Michèle Cotta : Vous voulez dire un contrat…

Ségolène Royal : Un contrat de gouvernement avec des objectifs politiques clairs car ce qui est très choquant dans ce qui s’est passé et ce qui se passe actuellement dans les élections des présidences de région, c’est qu’à aucun moment n’a émergé le débat sur l’objectif des régions. Or, au cœur de la politique régionale, il y a les lycées, il y a la formation professionnelle, il y a l’apprentissage, donc les jeunes sont doublement sanctionnés lorsqu’ils regardent ce spectacle de la dégradation de la politique. C’est que d’un côté, ils n’ont pas eu droit au débat de ce qui les concerne plus c’est-à-dire leur avenir, et de l’autre, ils ont une image de la politique faite par les adultes qui ne va pas leur donner envie d’être citoyen. Donc, je le répète, il y a vraiment urgence.

Sylvie Pierre-Brossolette : La dernière mesure dont on ne parle pas encore mais on commence à en parler : réduire le mandat présidentiel. Est-ce que c’est une des solutions ? Est-ce que l’on peut parler de modernisation de notre système sans parler du quinquennat auquel les gens sont massivement favorables ?

Ségolène Royal : C’est une proposition claire qu’avait faite Lionel Jospin, donc la majorité parlementaire qui a été issue des urnes a aussi d’une certaine façon voté sur un certain nombre de mesures de modernisation de la vie politique dont le quinquennat, dont la parité homme/femme, dont un certain nombre de mesures qui doivent… dont le non-cumul des mandats… qui doivent en effet aujourd’hui moderniser notre vie politique.

Michèle Cotta : Alors, une question qui anticipe un peu sur le débat que nous allons avoir tout à l’heure, vous pensez que… on parle beaucoup de crise politique. Pour vous, est-ce que c’est une crise de la droite uniquement ou est-ce que c’est une crise plus générale de la représentativité des élus et du monde politique ?

Ségolène Royal : C’est d’abord une crise de la droite, c’est clair, parce que la façon dont elle s’est exprimée au sein des exécutifs, du choix des exécutifs régionaux, il y a une crise profonde de la droite mais qui touche par ricochet l’ensemble de la politique parce que la bonne santé d’une vie politique, c’est d’abord une clarification des enjeux d’une alternance politique. C’est comme cela que la démocratie est vivante et à partir du moment où les enjeux sont confus, où on ne sait plus quelle est l’identité de l’opposition, d’une certaine façon, c’est toute le vie politique qui est touchée.

Michèle Cotta : Bien. Ségolène Royal, merci. Au moment où l’UDF fait tout pour éviter l’éclatement, au moment où le RPR tente de remobiliser ses troupes, plusieurs jeunes élus, jeunes députés et autres personnalités des partis de l’opposition multiplient les appels pour une rénovation de la vie politique. Il faut dire que la semaine passée a été particulièrement difficile, on en voit le résumé avec Jean-Michel Mercurol.


Date : 9 avril 1998
Source : La Vie

Q. Comment expliquer la persistance des revendications en Seine-Saint-Denis et l’occupation pacifique du lycée Henri-IV, jeudi 2 avril ?

R. Cette mobilisation me semble avant tout traduire une forte demande d’école. Elle est la manifestation positive d’une confiance dans l’institution scolaire et dans sa capacité à jouer ce rôle de promotion sociale que lui a conféré Jules Ferry. Les lycéens ne rejettent pas l’école, ils en demandent plus. Ils veulent s’en sortir par l’école parce qu’ils savent qu’il ne saurait y avoir d’égalité réelle sans égalité d’éducation. Cette demande est entendue par un ministère qui compte faire de la lutte contre les inégalités culturelles sont principe d’action. Il n’est pas possible, bien entendu, de réparer en un jour toutes les injustices liées pour beaucoup aux abandons, ces dernières années, de la politique des ZEP. La mise en place des « réseaux d’éducation prioritaires » devrait permettre de rétablir l’équité, tout en évitant les effets de stigmatisation.

Q. Le dernier plan anti-violence de novembre 1997 a-t-il déjà donné des résultats concrets ?

R. La mise ne place de ce plan est encore trop récente pour établir un bilan exhaustif de ses effets. Mais nous pouvons déjà constater que la présence de renforts, au titre des emplois-jeunes, dans les établissements est de nature à diminuer les phénomènes de violence et la fréquence des comportements d’incivilité. Cela me conforte dans la conviction que la lutte contre la violence requiert l’étroite collaboration de tous les acteurs du système éducatif. Il n’y a de dissuasion efficace que là où la violence se heurte à un front commun et à une mobilisation sans faille d’équipes éducatives stables et soudées.

La lutte contre la violence est cependant un combat de longue haleine que le système éducatif ne saurait gagner seul. Éducation, justice et gendarmerie doivent apprendre à unir leurs efforts. Un texte précisant les termes de cette coopération est en préparation. Outre ce partenariat, les parents doivent mieux faire face à leurs responsabilités. Au besoin en étant soutenus pour cela.

Par ailleurs, les acteurs qui sont en première ligne – je pense aux chefs d’établissement – doivent être aidés. Ils ont demandé des instructions claires pour décider de la conduite à tenir devant les comportements de violence ou d’incivilité auxquels ils sont confrontés et pour pouvoir départager les cas où l’engagement d’une procédure pénale s’impose de ceux où une sanction disciplinaire suffit. Mes services travaillent avec eux à la rédaction d’un guide qui servira d’appui à leur décision.

Q. Un lycée en a tué un autre à Tourcoing, le 31 mars. La solution est-elle d’installer des portiques détecteurs d’armes à l’entrée de tous les établissements ?

R. L’installation systématique de portiques détecteurs d’armes à l’entrée des établissements scolaires serait un constat d’échec. On ne peut, certes, se contenter de dénoncer la violence sans rien faire, mais on ne combat efficacement la violence qu’en s’attaquant à ses causes et non pas en traitant simplement ses effets. La solution éducative doit être préventive même si, dans certains cas, la défense du droit exige la mise en place de mesures urgentes et exceptionnelles. La liberté suppose la sécurité et l’éducation, la confiance. C’est pourquoi l’ordre démocratique que veut instituer l’école doit essentiellement procéder du civisme et de l’apprentissage de la responsabilité.