Interview de Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, dans "Les Echos" du 22 décembre 1999, sur son projet de réforme de la formation professionnelle, notamment l'attitude des partenaires sociaux et le refus du Medef de participer aux discussions.

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Intervenant(s) : 
  • Nicole Pery - Secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle

Média : Energies News - Les Echos - Les Echos

Texte intégral

Les Echos : Dans quel esprit se sont déroulées les rencontres qui s’achèvent aujourd’hui avec les partenaires sociaux ?

Nicole Pery : Commençons par les éléments négatifs : le Medef, qui avait déjà refusé de participer à une rencontre le 6 novembre dernier, n’est pas venu, préférant poursuivre sa grève du dialogue social. J’ai été déçue par ce second refus. Du coup, j’ai changé la nature de l’exercice, en remplaçant ces rencontres multilatérales et thématiques par une succession de rencontres bilatérales.
En revanche, j’ai rencontré la CGPME et l’UPA. Côté positif, les entretiens que j’ai eus avec les syndicats mais aussi avec les régions et les chambres de commerce se sont très bien passés. Les régions, en particulier, apprécient le fait que j’essaie de trouver un équilibre entre les branches et la dimension territoriale. Il s’agit pour moi d’une vraie satisfaction : une majorité de régions, de gauche comme de droite, souhaitent engager des expérimentations – qui forment l’acte I de la réforme – avec l’État. L’idée que l’on peut faire mieux, dans le cadre des institutions actuelles, commence à être comprise.

Les Echos : La mise en œuvre d’un droit nouveau suscite manifestement beaucoup de réticences. Jusqu’où les partenaires sociaux se sont-ils montrés prêts à aller ?

Nicole Pery : Je constate en effet qu’il y a des incompréhensions à lever, des résistances au niveau national qui sont, je pense, d’ordre culturel ou idéologique et que je ne rencontre pas sur le terrain. Lorsque j’explique ce que représente concrètement ce droit individuel, transférable et garanti collectivement, que je démontre la nécessité d’améliorer les outils, comme la validation des acquis professionnels, et d’établir des passerelles entre toutes les certifications existantes, des compétences jusqu’aux diplômes, tout le monde comprend et même adhère. Au niveau national, le discours est moins dynamique.

Les Echos : Que valent ces rencontres sans la participation du Medef ?

Nicole Pery : Elles ont la vertu du dialogue social. Cela dit, je ne crois pas possible qu’une prochaine rencontre se fasse sans la présence de tous les partenaires sociaux. Les confédérations m’ont affirmé qu’elles souhaitaient s’asseoir autour d’une table : certaines m’ont même dit avoir des propositions à formuler sur le sujet. Le Medef, qui parle soi-disant au nom des entreprises, doit reconnaître que les entreprises bougent sur le terrain. Le dialogue est aussi dans les régions et dans les branches.

Les Echos : Vous seriez donc prête à vous contenter d’aménagements sur le terrain ?

Nicole Pery : Je garde l’ambition de mettre en place ce droit individuel qui est une grande ambition sociale. Mais j’affirme qu’il y a au moins deux façons de cerner le même sujet. Ainsi les PME et les très petites entreprises font appel à la nécessité de former une main-d’œuvre qualifiée : même si l’on bâtit rapidement des formations, les jeunes ne suffiront pas à combler les pénuries dont se plaignent aujourd’hui certaines branches professionnelles. Si, comme on peut légitimement l’envisager, la croissance continue à ce rythme, la seule réponse possible consiste à requalifier la population active actuelle.

Les Echos : Envisagez-vous une réforme à moyens constants ?

Nicole Pery : Je suis mandatée pour cela. Les crispations nationales viennent aussi en partie de la crainte que l’on surdimensionne les financements. Or, je le répète : la réforme devra s’opérer dans le cadre des 140 milliards de francs (21,34 milliards d’euros) que la France dépense pour la formation professionnelle. Mais de cela, je n’ai pas pu commencer à discuter ! Par ailleurs, il faudra un certain temps pour que le nouveau dispositif atteigne une certaine vitesse de croisière, l’objectif pouvant être de multiplier par 10 le nombre actuel de congés individuels de formation (environ 25 000 actuellement, NDLR).

Les Echos : Sans négociation ni, a fortiori, accord interprofessionnel, votre projet de réforme n’est-il pas mort-né ?

Nicole Pery : Beaucoup de choses peuvent se faire, même si le Medef ne vient pas autour de la table. Ce que je peux vous affirmer, c’est que la réforme de la formation professionnelle est un projet du gouvernement et qu’il y a une vraie volonté de la voir aboutir. Lionel Jospin a annoncé en septembre l’organisation d’assises de la formation, avec tous les acteurs concernés. Elles auront lieu quoi qu’il arrive. Nous ferons tout pour privilégier la négociation.