Interviews de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, dans "La Provence" le 27 mai 1998, dans "Paris-Normandie", "La Croix" et "L'Humanité hebdo" le 4 juin et dans "Le Monde" le 5 juin 1998, sur les mesures en faveur des ZEP.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - L'Humanité Hebdo - La Croix - La Provence - Le Monde - Paris Normandie

Texte intégral

Mercredi 27 mai 1998 : LA PROVENCE

La Provence. – Vous avez adressé une circulaire aux recteurs dans laquelle vous annoncez le retrait des lycées des zones d'éducation prioritaire. Confirmez-vous cette décision ?

Ségolène Royal. – Les recteurs procèderont à la révision de la carte des ZEP dans chaque académie et leurs décisions seront effectives pour la rentrée 1999. Mais il ne s'agit pas seulement de procéder aux ajustements nécessaires, il s'agit aussi de mettre en place des réseaux d'éducation prioritaire afin d'atténuer les frontières entre ZEP et d'accentuer les liens entre établissements.

En ce qui concerne les lycées, leur classement en ZEP ne se justifie pas en principe. En effet, contrairement aux collèges et aux écoles, leur recrutement ne s'opère pas sur une base géographique mais dépend des choix d'orientation.

Dans l'académie de Versailles, par exemple, plusieurs sections post-bac­calauréat sont classées en ZEP. Ceci dit, il peut y avoir des exceptions, il appartient aux recteurs d'examiner chaque cas en toute transparence. De plus, il est clair que les lycées doivent participer aux réseaux d'éducation prioritaire. En effet, les ruptures éducatives sont souvent plus difficiles à vivre pour les enfants de milieux défavorisés.

La Provence. – Quels enseignements tirez-vous des forums sur les zones d'éducation prioritaire qui se sont tenus dans chaque académie ?

Ségolène Royal. – En premier lieu, je voudrais saluer la mobilisation et l'engagement de l'ensemble des acteurs qui ont participé à ces forums. Nous avons réussi à réunir près de dix mille personnes pour travailler ensemble, et je tiens à souligner que les enseignants sont venus en grand nombre alors que ces forums se tenaient le mercredi. Ceci montre bien à quel point ceux qui travaillent dans les ZEP ont besoin d'échanges et de reconnaissance. Il nous faut poursuivre cet effort par la suite et j'invite les recteurs, qui se sont montrés particulièrement présents dans ces forums, à mettre en œuvre un accompagnement attentif de leurs équipes de terrain. Si la priorité en termes de moyens, doit bien sûr être maintenue, il faut également une priorité en terme de formation, de disponibilité, d'écoute et d'aide. Les enseignements de ces forums sont extrêmement riches, ceci fera partie du bilan que nous tirerons aux assises nationales à Rouen.

La Provence. – En juin, les assises nationales programmées à Rouen seront-elles l’occasion de lancer le grand chantier de la refonte des ZEP ?

Ségolène Royal. – Ces assises nationales sont avant tout l'occasion de travailler pour la réussite scolaire des élèves de milieu défavorisé. Des questions telles que la maîtrise de la langue, l'éducation à la citoyenneté, les mesures à prendre pour les élèves en grande difficulté au collège, les relations entre l'école et les parents ou l'accompagnement et la reconnaissance des équipes de terrain me semblent primordiales. Le grand chantier des ZEP, c'est le défi à relever de l'égalité des chances.

Ségolène Royal ouvre aujourd'hui les Assises nationales des ZEP à Rouen. La ministre déléguée à l'Enseignement scolaire évoque pour Paris-Normandie ce chantier prioritaire.

Quel bilan faites-vous, quinze ans après leur création, des zones d'éducation prioritaires ?

Ségolène Royal. – J'ai fait réaliser une enquête approfondie auprès de 700 collèges et de 250 écoles pour préparer ces Assises. Une grande majorité d'enseignants estime Que les ZEP leur ont permis d'améliorer les résultats scolaires, et ont évité une dégradation des situations existantes. Le nombre d'enseignants qui déclare que cela ne sert à rien est minime, de l'ordre de 2 à 7 %. Il y a un attachement au dispositif, qui peut apporter davantage. Mon souci, en relançant la politique des ZEP, consiste, à partir des réussites, à fixer des priorités pédagogiques, pour accentuer les résultats positifs et apporter la réussite scolaire au plus grand nombre possible d'élèves. C'est à l'école que se mène le combat contre les inégalités et contre les incivilités, et que se noue le pacte social.

En quoi consiste l'évolution annoncée ?

Ségolène Royal. – Je souhaite lutter contre l'échec au collège, en améliorant la maitrise des langages, lu,
écrit, parlé. Dès la maternelle, on peut déjà repérer les difficultés à l'oral. Au cours de l'école élémentaire,
il faut examiner d'année en année les problèmes et intervenir au moment même où on repère ces
difficultés. J'ai déjà rétabli, en fonction de cette urgence, l'évaluation annuelle de CE2 et de sixième. Il faut
renforcer le lien entre l'école primaire et le collège. Et les nouveaux collèges ne devront pas dépasser 600 à
700 élèves. Pour les gros établissements existants, on mettra en place une action de séparation du collège
en deux pour en faire une structure à taille humaine.

Quand faut-il attendre les premiers changements dans le cadre de la réorganisation des ZEP ?

Ségolène Royal. – À la rentrée 98, les recteurs vont commencer à organiser des réseaux d'éducation prioritaire. Chaque collège classé en ZEP sera conduit à mettre en place ce réseau, sur un territoire restreint. Le rapport initial aux Assises montre que les résultats sont meilleurs dans tes ZEP de petite taille. Ensuite il faudra répondre à l'attente de l'enquête, une demande de pilotage, de soutien pour les équipes éducatives. Près de 70 % des enseignants atten­dent de la formation, du temps, du suivi.

Dans les quartiers très en difficultés, où la violence existe, la lutte contre l'échec scolaire n'est-elle pas mission impossible ?

Ségolène Royal. – La lutte contre le grand échec scolaire est un sujet majeur. Les élèves en grande difficulté et perturbateurs ne doivent pas tirer vers le bas les autres élèves, ni dégrader les conditions de travail des enseignants. Il faut multiplier les classe­s-relais, avec un encadrement ren­forcé, pendant quelques semaines et jusqu'à plusieurs mois. Le renforcement de toutes les actions de soutien scolaire sera
également recherché.

Cela nécessite des moyens...

Ségolène Royal. – Oui, ainsi qu'une meilleure utilisation de ce qui existe. Ce qui est attendu des enseignants, ce sont des moyens pour l'établissement, en fonction de ces priorités.C'est ce qui sera fait dans le cadre du contrat de réussite quchaque collège avec son réseau d'écoles sera appelé à mettre en place.

On parle beaucoup de citoyenneté à l'école : les patents n’en sont-ils pas les premiers garants ?

Ségolène Royal. – Le souhait de pouvoir agir avec les parents apparait comme une demande massive. L'attente est réciproque les parents peuvent réellement devenir partenaires en coéducation. L'éducation civique sera renforcée et les initiatives citoyennes généralisées.

Que répondez-vous aux enseignants qui craignent de perdre les avantages qui vont avec le travail en ZEP (Indemnité, plan de carrière) ?

Ségolène Royal. – Le nombre d'établissements qui peuvent sortir des ZEP n'est pas très élevé et correspond à un classement incohérent de départ. Les établissements qui obtiennent de très bons résultats en ZEP, je ne veux pas les fragiliser, car j'ai besoin de garder des locomotives en réseau d'éducation prioritaire. Quelques-uns ne contestent pas d'en sortir, cela peut être le signe d'une réussite.
Ces Assises sont déjà un élément de la relance des ZEP on est dans l'action et non dans la théorie. Dans les forums académiques, les gens se sont mobilisés de façon militante. Il n'y a pas d'un côté les théoriciens, de l'autre les acteurs de terrain : nous sommes tous au coude à coude pour tirer les élèves vers le haut.

4 juin 1998 : LA CROIX

Que peut-on dire de l’évolution des établissements classés « zone d’éducation prioritaire » depuis leur création ?

Ségolène Royal. – On peut considérer aujourd’hui qu’il y a trois catégories de ZEP qui sont en situation de fragilité, mais qui en définitive ont résisté aux risques de dégradation. Il y a enfin les ZEP qui n’arrivent pas à faire face aux difficultés scolaires. La relance de l’éducation prioritaire consiste à remettre en mouvement tous les établissements en ZEP autour de la reconnaissance du travail accompli et de la mise en commun des savoir-faire.

Votre critère, c’est toujours la réussite scolaire ?

Ségolène Royal. – Oui. Il résulte de nos enquêtes approfondies que les équipes de terrain croient aux ZEP. Ainsi, pour 52 % des directeurs d’école, pour 48 % des principaux de collèges, le classement en ZEP à sensiblement amélioré les choses, ou permis de stabiliser la situation. C’est déjà considérable. Deuxième observation : les enseignants estiment que la proposition des élèves bons ou très bons est la même en ZEP que hors ZEP. En revanche, ce qui baisse la moyenne des résultats des ZEP, c’est que les élèves qui ont des problèmes scolaires ont des difficultés beaucoup plus profondes qu’ailleurs. Il faut donc prendre cette situation à bras-le-corps, prévoir un traitement spécifique afin que les élèves moyens qui sont dans des établissements de quartiers difficiles ne soient pas tirés vers le bas.

La proportion d’élèves en grands difficultés scolaires est-elle plus importante qu’il y a quinze ans ?

Ségolène Royal. – Il faut être prudent dans les comparaisons à quinze ans : l’exigence de réussite scolaire a monté dans la société. Disons que cette difficulté scolaire s’est peut-être concentrée. Mais s’il n’y avait pas eu les ZEP, nous aurions assisté à une rupture du lien scolaire. Il y a néanmoins des endroits en grande difficulté puisque 8 % des enseignants estiment, par exemple, que les problèmes de violence sont devenus insurmontables ou insupportables. Finalement, on a une vision assez claire de ce qui se passe en ZEP. Les établissements qui réussissent sont ceux qui ont su mettre en
place des projets d’établissement, des équipes solides, ceux qui ont des responsables capables d’animer une équipe pédagogique.

Toujours une affaire de qualité des personnes ?

Ségolène Royal. – Elle est déterminante. Ce qui est intéressant dans l’étude dont nous disposons, c’est que
le recrutement des chefs d’établissement sur profil et sur motivation spécifique n’est plus contesté, il est même réclamé. Cette année, pour la première fois, on a nommé dans des endroits sensibles des chefs d’établissement après un entretien individuel avec le recteur. Parallèlement, aux chefs d’établissement qui avaient consacré cinq ans, huit ans, dix ans de leur vie professionnelle dans les ZEP, qui y avaient réussi mais avaient envie d’en sortir, nous avons donné de bons établissements de centre-ville pour la rentrée 1998, ce qui ne s’était jamais fait. C’est une démarche que nous allons développer.

Quelles mesures incitatives comptez-vous prendre pour encourager les (illisible) à demander des postes en ZEP ?

Ségolène Royal. – Mon idée est la suivante : nous pourrions permettre aux chefs d’établissement en fin de carrière, c’est-à-dire chevronnés et qui sont dans des collèges ou des lycées prestigieux de centre-ville, de venir en ZEP, parce qu’ils auraient envie de faire profiter de leur expérience, sans voir leur rémunération baisser. Nous devons aussi développer l’accueil des enseignants qui arrivent en ZEP. Enfin, nous devons prendre en compte dans la carrière des enseignements la période passée en ZEP.

Vous allez annoncer l’organisation de ZEP en réseaux sur le modèle de ce que le gouvernement est en train d’instituer pour les hôpitaux. Que peut-on en attendre ?

Ségolène Royal. – On passe d’un classement purement géographique et individuel à une organisation fondée sur la mise en commun de projets éducatifs d’établissements regroupés autour d’un collège tête de réseau. Dans les contrats de réussite qui seront mis en place dans ces réseaux d’éducation prioritaire, il y aura en outre un thème portant sur le projet éducatif en coéducation avec les parents. J’observe que l’intervention avec des parents joue à tous les niveaux, pas seulement à celui du comportement et de l’éducation civique – ce qui est déjà très important – mais également à celui de l’apprentissage de la lecture, par exemple.
Cela oblige à inventer de nouveaux modes de relations avec les familles qui ne franchissent pas le seuil de l’école. On peut organiser par exemple des réunions de parents d’élèves dans les quartiers, dans les appartements. Avec les associations de quartier comme « L’école des parents », nous devons favoriser les réseaux de solidarité familiale, notamment pour soutenir les femmes seules qui rencontrent un sérieux problème d’autorité vis-à-vis de leurs enfants adolescents. Un établissement qui parvient à réunir ou à rencontrer 60 à 70 % des parents a déjà gagné.

Formellement, quand sera donné le véritable coup d’envoi de la mise en réseau ?

Ségolène Royal. – Dans certaines académies, cela a démarré. Mais après ces assises, les recteurs disposeront d’une base pour lancer les appels à projet servant de base aux contrats de réussite, auprès de ceux qui ont vocation à entrer dans le réseau. En septembre, les établissements qui seront prêts pourront travailler en réseau. Mais je me donne l’année scolaire 1998-1999 pour que l'ensemble du dispositif soit mis en place, chaque réseau à son rythme.

Les établissements privés ont aussi des attentes en ce qui concerne leur intégration dans les réseaux ZEP. Où en est-on ?

Ségolène Royal. – Ils s'inscriront dans le processus des appels à projet. Les établissements privés seront sur le même plan que les établissements publics, à partir du moment bien sûr où les mêmes critères de difficulté existent.

Dans les quartiers les plus difficiles, que préconisez-vous pour lutter contre la violence des jeunes ?

Ségolène Royal. – Il faut traiter à part les élèves qui perturbent la vie scolaire. Cela veut dire les retirer de la classe pour les mettre dans les classes relais qui sont tenues à parité par les enseignants et les éducateurs à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement. Il y en a une trentaine aujourd’hui, il devrait y en avoir 100 à la rentrée, mon objectif étant d’en créer 250 sur la durée de l’année scolaire. On ne peut plus faire supporter aux enseignants le poids de l’angoisse et surtout faire porter aux autres élèves la charge de la gestion des perturbateurs.

Il y a également le problème de la drogue qui circule soit à l’intérieur soit à l’extérieur des lycées et quelque fois même dans les collèges. Que préconisez-vous ?

Ségolène Royal. – Le plus urgent est de donner un code de conduite aux chefs d’établissement. Je me suis attelée à la rédaction d’un guide destiné à prévenir les conduites à risques et notamment la toxicomanie. Les principaux et les proviseurs sont demandeurs du guide et de clarification des procédures. A chaque fois qu’il y a un cas avéré de trafic, je suis favorable à la saisine du procureur.

Les établissements qui ne rencontrent pas de gros problèmes ne vont-ils pas avoir l’impression d’être un peu délaissés.

Ségolène Royal. – Je suis le ministre de l’ensemble de l’enseignement scolaire. Et donc lorsque je m’occupe des ZEP, je m’occupe de tous les systèmes scolaires. Même dans les quartiers favorisés, il y a des enfants en difficulté,certains jeunes se retrouvent en situation d’abandon psychologique. Ils bénéficient des progrès pédagogiques qui sont faits dans les ZEP. Concrètement, pour ne donner qu’un exemple, nous devons multiplier nos efforts en classe de sixième, afin d’assurer une aide aux élèves présentant des insuffisances dans la maitrise des savoirs des base, parce que beaucoup se joue à ce moment-là. Autrement dit, on arrive dans une période où il faut faire du pilotage de proximité à la fois au niveau de
chaque établissement – c’est la logique des réseaux d’éducation prioritaire – et au niveau de chaque enfant.
La priorité du système scolaire, c’est de lutter contre l’exclusion, mais sans oublier de permettre aux élèves
moyens de devenir bons ou très bons et aux élèves très bons d’accéder à l’excellence. C’est-à-dire d’offrir à chacun la possibilité de progresser par rapport à ses acquis.

4 juin 1998 : L’HUMANITÉ HEBDO

Pourquoi présenter maintenant un plan de relance ?

Ségolène Royal. – La politique des zones d’éducation prioritaire (Zep) a connu une interruption ces quatre dernières années. Le précédent titulaire du ministère de l’Éducation nationale mettait un point d’honneur à ne jamais évoquer ces Zep. Il contestait le fait de donner plus à ceux qui ont moins. Il faut au contraire redonner corps à cette logique et conforter les équipes pédagogiques, qui ont poursuivi leur travail sur le terrain en dépit de l’absence de pilotage national. Certaines équipes sont gagnées par la lassitude. Il faut les remettre en confiance.

Après quinze ans d’existence, le bilan des Zep semble pourtant mitigé…

Ségolène Royal. – Selon un sondage que nous venons de réaliser, une grande partie des enseignants et des chefs d’établissement estiment que le classement en Zep a amélioré la situation ou a permis de la stabiliser, ce qui est encourageant au regard de la dégradation économique et sociale de certains quartiers. Les Zep forment une sorte de ligne de résistance. C’est un constat très porteur pour la relance de l’éducation prioritaire.

Comptez-vous prendre des mesures vraiment nouvelles ?

Ségolène Royal. – J’ai demandé aux recteurs de mettre en place des « réseaux d’éducation prioritaire ».
Les Zep, trop grandes, qui ont des difficultés, vont devoir se ressourcer dans ces réseaux à taille humaine.
Et il faut davantage reconnaître la spécificité du travail en Zep afin de stabiliser les équipes pédagogiques.
Les enseignants qui y travaillent pourraient profiter d’une accélération de leur carrière et, par la suite, être prioritaires dans le choix de leur affectation. Ils attendent aussi de disposer du temps nécessaire à la mise en place du travail d’équipe, qui est le fondement même de la réussite. Les établissements, et en particulier les collèges, pourraient bénéficier d’un crédit de temps qu’ils utiliseraient selon leurs choix. Soit pour le travail en commun des enseignants, soit pour le dédoublement des classes dans certaines matières, ou pour toute autre forme de modulation des effectifs. Tout cela pourrait s’effectuer dans le cadre de « contrats de réussite ».

Et les personnels non enseignants ?

Ségolène Royal. – J’ai créé autant de postes d’infirmières et d’assistantes sociales en une fois qu’il en avait été depuis cinq ans. J’espère que les prochains arbitrages budgétaires me permettront de continuer cet effort.

Vous n’en êtes pas sûre ?

Ségolène Royal. – Non, pas encore. Pas tant que ces arbitrages ne sont pas rendus. En tout état de cause, j’ai l’intention de redynamiser les Zep grâce à des moyens supplémentaires, mais il y aura aussi des redéploiements classés en Zep pour lesquels un tel classement ne se justifie pas.

Allez-vous faire un effort particulier en faveur de la Seine-Saint-Denis ?

Ségolène Royal. – La Seine-Saint-Denis sera traitée comme tous les autres départements.

Que retenez-vous du mouvement de grève de mars-avril ?

Ségolène Royal. – Je n’aime pas les conflits :je pense qu’ils sont préjudiciables à tout le monde, aux élèves en premier lieu. Il a fallu un peu de temps pour prendre la mesure des problèmes soulevés et pour trouver le chemin du dialogue social. Mais on ne rattrape pas en quinze jours une situation qui s’est dégradée pendant plusieurs années. Aujourd’hui, les conditions sont réunies pour une reconquête de la confiance
éducative.

5 juin 1998 : LE MONDE

« Quel message avez-vous l’intention d’adresser aux personnes des ZEP, dont le travail a été passablement négligé ces dernières années ?

Ségolène Royal. – Tout d’abord un message fort de reconnaissance, dans tous les sens du terme. Le travail en ZEP est plus difficile qu’ailleurs. Et comme c’est à l’école que se joue, pour les années qui viennent, le maintien du lien social, il faut reconnaître la diversité des situations et la variété des réussites pédagogiques. En même temps j’ai la volonté de définir de grandes orientations nationales qui donnent une unité à la politique scolaire. Les ZEP font partie d’une dynamique d’ensemble. Mon objectif est de faire en sorte qu’à partir des éléments déterminants de leur réussite, nous tirions des leçons pour l’ensemble des élèves qui ont moins de chance au départ dans tous les établissements. C’est vrai, par exemple, pour la préscolarisation à deux ans, le travail sur les relations avec les familles, la démarche de projet, le travail en équipe des enseignants, la maîtrise de la lecture et de l’expression orale, l’éducation citoyenne, l’accès à la culture. Avec la chance de pouvoir s’appuyer sur un réseau solide de « militants de l’éducation » qui croient à leur travail comme le montre l’enquête (lire ci-dessous) et sur quinze années d’expérience de cette politique.

C’est donc un bon bilan ?

Ségolène Royal. – Tout n’a pas bien fonctionné dans les ZEP, mais, sans elles, tout aurait pu mal tourner.
Elles ont constitué une ligne de résistance pour empêcher la dégradation des conditions d’études des élèves les plus exposés à la dégradation des conditions d’études des élèves les plus exposés à la détérioration socio-économique et leur ont permis de réussir. Le niveau et la proportion des bons élèves et des très bons élèves sont les mêmes dans les établissements en ZEP et hors ZEP, on l’oublie trop souvent.
En revanche, la difficulté scolaire y est beaucoup plus profonde qu’ailleurs. Un des axes pédagogiques majeurs que je voudrais valider dans les contrats de réussite que chaque réseau d’éducation prioritaire bâtira est le recentrage sur les savoirs et les apprentissages.

Sur quelles mesures concrètes comptez-vous vous appuyer ?

Ségolène Royal. – Ces assises sont déjà dans l’action, ainsi que l’ensemble des forums académiques qui les ont précédées, parce qu’elles déclenchent un mouvement, un espoir et des propositions. Je voudrais notamment les prolonger par une mise en commun des actions qui ont réussi, en créant des centres de ressources dans les académies. Cela permettra d’éviter certains tâtonnements, mais surtout aux « équipes éducatives de bâtir leur projet en s’inspirant d’expériences qui ont fait leurs preuves. J’attache également la plus grande importance au nouveau pilotage des ZEP, au plus près des établissements, puisque les recteurs leur attribueront des moyens pour réaliser leurs projets. La liaison école-collège fait aussi partie de mes priorités, pour accompagner au mieux les élèves dans leur parcours scolaire, dès la maternelle. Les évaluations de CE2 et sixième doivent être mieux utilisées dans ce but. L’audit en cours sur les collèges me permettra de compléter ces actions.

Claude Allègre et vous-même avez débloqué 3000 postes sur trois ans pour la Seine-Saint-Denis. Pourrez-vous faire un effort significatif pour les ZEP, et de quel ordre ?

Ségolène Royal. –L’effort sera fait à la hauteur des besoins des élèves, dans le cadre des arbitrages budgétaires normaux. Dans le budget 1998, les crédits pédagogiques pour les ZEP ont augmenté de 26 %, cet effort devrait être poursuivi et nous agirons également par redéploiement.

La constitution de « réseaux » d’éducation prioritaires, au lieu de la notion fermée de zones, ne risque-t-elle pas en particulier d’aboutir au partage de moyens constants ?

Ségolène Royal. – Non, les réseaux ne seront pas créés en diminuant les moyens actuels des ZEP. Je souhaite donner du temps aux enseignants pour le travail en équipe, pour le soutien à effectifs réduits, les études dirigées, le temps de concertation, celui du dialogue personnalisé avec les élèves sous forme de crédits d’heures attribués aux établissements dans le cadre de leur contrat. Libre aux équipes de les répartir comme elles l’entendent, en fonction de leurs objectifs de réussite scolaire. Il me semble important de reconnaître la difficulté du travail en ZEP, par le déroulement de carrière, la formation, le prise en compte de la difficulté du rôle de chef d’établissement.
D’autres mesures sont à l’étude comme l’amélioration des perspectives de carrière pour les enseignants. Nous avons également, pour la première fois cette année, recruté des chefs d’établissements sur profil et sur entretien individualisé dans les ZEP.

Comment attirer et stabiliser les enseignants motivés dans les ZEP ?

Ségolène Royal. – Plus de 80 % des enseignants des ZEP n’ont pas demandé de mutation cette année. Mais il est vrai qu’un va-et-vient trop important persiste dans certains établissements, en particulier parce qu’ils comptent un nombre élevé de maîtres-auxiliaires et de titulaires académiques. Je vais veiller à les stabiliser dans ces établissements qu’ils doivent parfois quitter contre leur gré, en demandant le renouvellement automatique de leur affectation. Je vais également répondre de façon plus précise à la très forte demande de formation des enseignants qui ne s’estiment pas préparés à enseigner en ZEP. Le volet formation devra explicitement être prévu dans les contrats passés entre les établissements et les recteurs.

Comment envisagez-vous de traiter le problème de la carte scolaire, dont le contournement renforce l’effet de ghetto dans les ZEP ?

Ségolène Royal. – C’est un problème très délicat, car on ne maintiendra pas la mixité sociale par la contrainte. La reconquête doit donc se faire par le haut en encourageant les pôles d’excellence dans les ZEP. Je souhaite ainsi qu’un cheminement soit prévu pour les bons et les très bons élèves. Nous étudions la possibilité de créer une bourse de la vocation, à partir d’un concours passé en fin de troisième, pour leur permettre de devenir enseignants. Ensuite, nous allons poser fermement, avec Claude Bartolone, le ministre délégué à la ville, les bases d’un nouveau partenariat entre l’école et la ville. Il n’est évident que l’école ne peut pas tout en matière de mixité scolaire. Je souhaite notamment mettre en place avec lui des « foyers du collégien », appellation que je préfère à elle d’internant, puisqu’il s’agit de rester dans le quartier en utilisant des appartements dans des logements sociaux, avec l’accompagnement de personnels qualifiés. Les élèves les plus motivés pourraient ainsi trouver les bonnes conditions de travail qui leur font parfois défaut. Lorsque la pauvreté ne sera plus l’obstacle insurmontable de la réussite scolaire, alors nous aurons gagné.