Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur l'art contemporain, notamment le financement et les aides publiques, les galeries d'art et la diffusion des oeuvres d'art contemporain, Paris le 18 octobre 2010.

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Circonstance : Ouverture de la FIAC à Paris le 18 octobre 2010

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Chers ami(e)s,


« L’œuvre d’art, disait Marcel Duchamp, est un rendez-vous ». Nous voici donc réunis une nouvelle fois à l’occasion de la FIAC et des événements qui y sont associés. Je pourrais faire un discours de convenance. Je ne le ferai pas car c’est un rendez-vous que j’aime et que j’apprécie particulièrement. Je ne le ferai pas non plus car je mesure ce que sont vos attentes, et je veux vous dire combien je suis attaché à ce « monde de l’art » auquel vous appartenez. Dans un contexte de globalisation, il me semble, de fait, qu’on ne pourra pas aider à la promotion de nos artistes, notamment à l’étranger, si on ne promeut pas, en même temps, le travail de tous les acteurs qui contribuent à leur vitalité en France. Il n’y a pas d’artistes forts et visibles sans un monde de l’art lui-même fort et visible : avec et pour les artistes, il compte les musées, les centres d’art, les fonds d’acquisition, les fondations, les écoles d’art, les résidences, bien sûr, mais aussi les éditeurs de livres d’art et de revues d’art, les commissaires d’expositions, les critiques d’art, les collectionneurs, les organisateurs d’événements comme ceux-ci, les mécènes, les amis des musées, et vous, les galeristes. C’est vous tous qui formez cet univers complexe, cet « écosystème », qui êtes les interlocuteurs naturels du Ministère. Vous êtes ici chez vous et c’est pour moi un immense plaisir de vous accueillir.

Je sais que l’année qui s’est écoulée a pu être difficile pour beaucoup. La reprise est là, elle est encore fragile, elle doit nous inviter à la prudence. Pour moi, cette année a été une année de travail que j’ai voulu consacrer à des actions fondatrices. Mon Ministère est en bon ordre de marche, comme en témoignent le budget 2011 que m’a accordé le Président de la République, en nette hausse pour les arts plastiques ; mais aussi la réorganisation réussie de la Direction générale de la Création artistique, désormais dirigée par Georges-François Hirsch ; la réforme exigeante et ambitieuse des écoles d’art ; et la préservation de la culture à l’occasion de la réforme de la clause de compétence générale. Ce travail accompli nous permet aujourd’hui d’accompagner les dynamiques des institutions et de développer des opportunités pour les artistes : cela figure parmi mes priorités.

On me dit que l’année qui s’ouvre s’annonce plus favorable : je l’espère. Je sais la grande qualité de cette Foire emmenée par Jennifer Flay, seule désormais aux commandes, depuis le départ de Martin Béthenod pour le Palazzo Grassi. L’agrandissement de nombreuses galeries françaises, comme les galeries Emmanuel Perrotin, Loevenbruck, Chantal Crousel, ou prochainement Eric Dupont, la création de nouvelles galeries, notamment dans le nord et l’est parisien, l’arrivée de galeries étrangères, comme Larry Gagosian et Tornabuoni, la multiplication des foires de qualité en marge de la FIAC, mais aussi la présence de nos galeries et de nos artistes à l’étranger, comme Tatiana Trouvé ou Adel Abdessemed en marge de Frieze, constituent un signe de vitalité dont je me réjouis, tout comme le nombre de manifestations et d’événements produits par les acteurs publics et les acteurs privés depuis la rentrée.

Parmi les établissements, Versailles, une fois encore, a su se faire remarquer, et a attiré à Paris de nombreux collectionneurs internationaux. Je salue l’exposition d’Adam McEwen qui ouvrira bientôt au Palais de Tokyo, ainsi que la proposition de Sophie Calle qu’on pourra voir par la même occasion ; les expositions Arman et Orozco au Centre Pompidou ; le « contrepoint » des artistes russes au Louvre ; mais aussi les autres initiatives parisiennes, franciliennes et régionales qui sont trop nombreuses pour être citées : la très belle exposition inaugurale du Centre Pompidou-Metz dont le succès ne se dément pas ; l’exposition du Mac/Val qui fête ses cinq ans ; l’exposition La route de la Soie au Tri Postal de Lille ou l’exposition Jean-Michel Basquiat… Et je n’oublie pas, dans ce bouillonnement, les initiatives qui associent étroitement établissements publics et opérateurs privés. Je tiens à saluer Ida Tursic et Wilfried Mille, les lauréats du Prix Ricard, et aussi Saadane Afif, lauréat du prix Marcel Duchamp, exposés au Centre Georges Pompidou. Ces prix illustrent les partenariats vertueux tissés entre collectionneurs, entrepreneurs et institutions, au bénéfice des artistes contemporains de la scène française. Enfin, ce tour d’horizon serait incomplet si je ne citais pas les initiatives remarquables comme le Printemps de Septembre à Toulouse, qui fête ses vingt ans, L’expérience Pommery à Reims, qui fête ses dix ans, la Maison Rouge, qui s’est, en peu de temps, durablement implantée dans notre paysage ou encore les toutes nouvelles fondations SAM et Rosenblum. Tout cela traduit une vitalité et une effervescence qui place, à mes yeux, la France dans une situation très favorable dans le monde de l’art.

Mais je n’ignore pas qu’il reste encore beaucoup à faire, alors que le monde anglo-saxon, et demain la Chine, l’Amérique Latine et l’Inde, entre autres, deviennent nos « nouvelles frontières ». Ainsi, j’ai voulu lancer un travail de fond en réunissant ce matin même, au Ministère, l’Observatoire du marché de l’art. J’ai conscience des profonds changements dans le monde de l’art en général, et dans le marché de l’art en particulier. A l’heure de la mondialisation, la galerie d’art, entreprise culturelle, tend souvent à se rapprocher d’une ingénierie, voire d’une industrie culturelle. Un galeriste, aujourd’hui, est de plus en plus amené à accompagner ses artistes en produisant ses œuvres. Celles-ci sont de plus en plus nombreuses, de plus en plus complexes, parfois de plus en plus importantes, et le plus souvent destinées à voyager bien au-delà de nos frontières. Faire ce constat suppose de modifier notre approche de ces métiers et notre politique des arts visuels.

Selon moi, trois chantiers doivent être poursuivis, en concertation avec le Comité professionnel des galeries d’art que j’ai tenu à recevoir avant la FIAC et que je reverrai régulièrement.

Un chantier juridique tout d’abord. Je considère que mon rôle consiste, de concert avec les autres ministères concernés, à remédier aux désavantages compétitifs dont pâtissent la place de Paris et ses acteurs. C’est dans cet esprit que j’ai écrit à Michel Barnier, Commissaire européen compétent sur ce sujet, pour que le bilan de l’application de la directive « droit de suite » soit établi. Nous avons obtenu gain de cause : la préparation de ce rapport va être engagée. Il doit être l’occasion d’engager un débat sur l’impact économique et social du droit de suite. Il s’agit de prendre en compte tout à la fois la protection des intérêts des artistes, l’objectif d’harmonisation franco-britannique, mais aussi l’exigence de compétitivité des places européennes en matière de marché de l'art.

Un chantier financier ensuite. Il est clair que les galeries ont besoin de nouveaux outils pour accompagner leurs artistes. Je rappelle à cet égard que l’Institut pour le Financement du Cinéma et des Industries Culturelles, l’IFCIC, permet déjà aux galeries qui sont engagées dans des projets de développement important d’obtenir des garanties de prêt allant jusqu’à 70%. Je souhaite développer cette action, en l’étendant notamment à des avances de trésoreries remboursables. A cet égard, je salue le rapprochement opéré entre la Fondation Pierre Bergé/Yves Saint Laurent et l’IFCIC en vue d’étudier la création d’un fonds doté d’1M€ destiné aux galeries d’art engagées dans la promotion des artistes de la scène française à l’étranger. Par ailleurs, je n’oublie pas, dans ce volet financier, les mesures attendues de soutien à la collection privée. Dans ce domaine, je veux, en concertation avec le Ministère de l’Economie, développer en particulier les collections d’entreprise françaises pour lesquelles il existe encore, je le pense, une marge de développement considérable.

Un chantier politique enfin. L’Etat fait beaucoup. Il ne faut pas se lasser de le dire, mais on dit aussi qu’il peut faire mieux. Je tiens à saluer à cet égard l’action de Richard Lagrange, qui s’est engagé dans un travail de modernisation des commissions d’acquisition du Fonds national d’art contemporain, le FNAC - dont je rappelle qu’il a opéré 2,9 millions d’euros d’achats en 2009, dont 90% faits aux galeries. Je tiens également à vous dire que la Direction générale de la Création artistique rédige actuellement, à l’initiative de Jean-Pierre Simon, une circulaire sur la commande publique qui entend définir les termes d’un contrat rénové associant les galeries. Je souhaite également que les établissements sous tutelle du Ministère continuent de prendre soin de bien informer les galeries en amont de leurs projets. Je souhaite aider le Centre National des arts plastiques, qui est un relais essentiel de notre action en direction de cet « écosystème de l’art » que j’ai décrit, à faire davantage dans le soutien qu’il lui apporte. Enfin, je suis sensibilisé au fait qu’il faut faire mieux en direction des résidences d’artistes à Paris, où les loyers sont, comme on le sait, trop chers, et je veux aussi, en partenariat avec l’Institut Français, multiplier les résidences d’artistes français à l’étranger, et cela peut-être dans d’autres villes que des villes européennes ou anglo-saxonnes : à Shanghai, Bombay, Johannebsurg, Brasilia, qui sont les autres grandes villes d’aujourd’hui et de demain.

Je n’ignore pas, pour finir, que ce rendez-vous est traditionnellement l’occasion d’évoquer les projets portés par mon Ministère dans les années à venir. Ils sont importants, dans le cadre de cette grande ambition pour les Arts visuels que je porte avec vous.

En mai 2011, vous retrouverez, comme vous le savez, Christian Boltanski au Pavillon Français de la biennale de Venise, ainsi qu’Anish Kapoor qui a conçu une installation spectaculaire dans le cadre de Monumenta. Peu auparavant, les travaux du Palais de Tokyo pilotés par les architectes Lacaton et Vassal auront commencé, grâce à un investissement de mon Ministère de près de 15 millions d’euros. Le Palais de Tokyo est, comme vous le savez, une priorité de ma politique en direction des arts plastiques, tant il est vrai qu’il permettra à la France, avec ses futurs 20.000m², de rivaliser avec les plus grands centres d’art internationaux, et ainsi de continuer d’accueillir le meilleur de l’art contemporain en France tout en s’attachant à mieux promouvoir nos artistes dans le monde. Le Palais de Tokyo ouvrira donc en mars 2012 et son ouverture se fera sous le signe des artistes de la francophonie, puisque ce sera le thème de la nouvelle triennale que le Palais de Tokyo accueillera. Son commissariat général sera confié à Okwui Enwezor, sur proposition de Nicolas Bourriaud, en association avec les trois commissaires français que proposeront Olivier Kaeppelin et Marc-Olivier Wahler. Cette triennale du Palais de Tokyo sera en quelque sorte la nouvelle formule de la Force de l’art qui se tenait au Grand Palais jusqu’à présent. Le nouvel Etablissement public du Grand Palais accueillera, quant à lui, en 2012, Daniel Buren, pour une nouvelle édition de Monumenta. Enfin, les deux années qui viennent seront aussi importantes pour la décentralisation culturelle et les arts plastiques en région. En 2012, les FRAC auront trente ans, et nous célébrerons cet anniversaire comme il se doit. D’autant que 6 nouveaux bâtiments abritant des FRAC auront alors vu le jour, à l’initiative des Conseils Régionaux, qui s’engagent toujours plus décisivement en faveur de l’art contemporain. Ce sont ces FRAC et ces centres d’art en région qui ont, depuis trente ans, entretenu et renouvelé un véritable « désir d’art » en France, sans lequel notre brillante nouvelle génération d’artistes français ne serait peut-être pas la même. Enfin, cette année sera une année décisive en matière d’éducation artistique à l’école, puisque le grand plan que nous avons mené en partenariat avec le Ministère de l’Education verra son accomplissement. Après l’enseignement de l’histoire des arts en primaire, puis au collège, cet enseignement devient en effet obligatoire à compter de cette rentrée 2010 au lycée. Et comme nous le savons, en matière d’art, tout commence à l’école.

Bref, nous avons du travail, mais nous aurons aussi beaucoup de plaisir tous ensemble.


Source http://www.culture.gouv.fr, le 21 octobre 2010