Texte intégral
Madame la Présidente du CNMHE,
Monsieur le Président de la Fédération de Paris de la Ligue de - l'enseignement,
Madame l'Inspectrice de l'Éducation nationale
Mesdames et Messieurs les chefs d'établissement,
Mesdames et Messieurs les enseignants,
Mesdames, Messieurs,
Chers élèves,
Je suis très heureuse de vous accueillir vous, les lauréats de cette première édition du concours de la Flamme de l'Égalité ainsi la lauréate du prix de thèse du CNMHE, au sein du Ministère des Outre-mer, en cette journée nationale de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions.
Ce concours de la Flamme de l'Égalité et les travaux que vous avez effectués, chers élèves, ainsi que ceux de plus de deux mille autres, issus de près d'une centaine de classes et de près de quatre vingt établissements, scolarisés tant dans l'Hexagone, dans les Outre-mer que dans des pays étrangers, participent de l'élaboration d'une mémoire collective.
Depuis 2006, vos recherches vous l'ont nécessairement appris, les cérémonies du 10 mai célèbrent l'abolition de l'esclavage et commémorent également le sort de tous ceux qui ont été frappés par cette tragédie. C'est la raison pour laquelle la date d'aujourd'hui a été retenue pour l'annonce des lauréats du concours auquel vous avez pris part.
Chaque année, la journée du 10 mai est un moment décisif pour notre pays. Elle est l'occasion de rappeler la France à son Histoire, à son héritage, ainsi qu'aux valeurs sur lesquelles repose notre société. C'est au nom de ces valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, que des hommes et des femmes se sont élevés pour prendre part à l'abolition de la traite et de l'esclavage. Je pense à des noms que vous connaissez tous désormais, des noms comme ceux de VICTOR SCHOELCHER, de LOUIS DELGRÈS, de L'ABBÉ GRÉGOIRE, de LA MULÂTRESSE SOLITUDE, de JOSEPH IGNACE, de L'ABBÉ RAYNAL, de TOUSSAINT LOUVERTURE et de tous ceux qui, par leurs combats pour l'abolition, ont contribué à dessiner le visage de notre République et à forger son identité humaniste.
Je tiens d'abord à saluer vos enseignants et vos directeurs d'établissement d'avoir pris part à cette initiative et de vous avoir accompagné dans vos travaux. Je pense aux enseignants et aux directeurs de l'école Les Joncs Marins au Perreux sur Marne, au collège Paul Kapel de Cayenne, au lycée Guillaume Tirel à Paris, et au collège Jean Moulin à Montceau-les-Mines. Je pense aussi aux enseignants de l'Unité locale d'enseignement de Fleury-Mérogis. Grâce à votre travail et votre implication vous avez permis non seulement à vos élèves, mais également à notre pays lui-même d'effectuer un travail de mémoire et de donner aux générations - qui ne manqueront pas de nous remplacer bientôt ! - les connaissances, le savoir et la vigilance pour assurer leur avenir comme celui de la France. Merci à vous de permettre à vos élèves de devenir des adultes émancipés des tutelles, d'œuvrer quotidiennement au bien commun et de vous faire les relais des valeurs que nous partageons et qui nous permettent de vivre ensemble.
Mais je veux désormais m'adresser à tous ces élèves qui ont participé et dont le travail rendu – qu'il soit celui du témoignage filmé, du court-métrage, de la création poétique ou de la pièce de théâtre – est déjà le premier pas de citoyen.
Vos recherches, votre implication, votre créativité sont à féliciter. Non seulement par la qualité des œuvres que vous avez rendues, mais également pour votre démarche elle-même, celle d'apprentis-citoyens et d'apprentis-adultes.
Sans une connaissance approfondie de l'Histoire de votre pays, un avenir conforme à nos valeurs ne pourrait être envisagé. Vous avez acquis au cours de cette année scolaire – et je vous souhaite de continuer à le faire au cours de toute votre scolarité – des lumières qui vous seront très précieuses pour votre vie et pour notre société dans son ensemble.
Cet enseignement vous est transmis pour que les jeunes filles et les jeunes garçons que vous êtes, aient conscience de ce dont l'être humain est capable, lorsque la barbarie ou la cupidité prend le pas sur la civilisation. Cet enseignement vous est transmis pour que ne soit pas oublié le sort qui a été réservé aux victimes de l'esclavage.
En ravalant des êtres humains au rang de « biens meubles », en permettant que des êtres humains soient vendus, loués, achetés comme des marchandises, en ramenant à ce statut de meuble des hommes libres comme l'a fait le Premier Consul, l'homme nous a prouvé qu'il pouvait devenir le pire ennemi de l'homme.
Oublier ces blessures, ce serait nous empêcher d'être solidaires les uns envers les autres et nous priver du bienfait de vivre ensemble. Oublier ce drame ce serait mettre en péril la lucidité dont nous avons besoin, dont vous aurez besoin, pour prendre garde à ce que ces désastres ne se reproduisent pas. Ce serait oublier qu'un certain nombre d'hommes, de défenseurs de la personne humaine, se sont élevés contre ces forfaits jusqu'à ce que l'abolition soit obtenue grâce à la Révolution Française, et donc grâce aux luttes renouvelées du peuple de Paris et plus largement du peuple de France contre la tyrannie.
C'est en surmontant les crimes du passé et les blessures encore vivaces que nous pouvons transformer cette Histoire douloureuse en une communauté de destin. Nous devons continuer à œuvrer pour que cette mémoire devienne un bien commun à tous et un patrimoine de vigilance pour votre génération. Ce travail de mémoire qui fut le vôtre toute cette année durant est rendu possible en amont par le travail d'historiens de profession, de chercheurs sans lesquels la connaissance de notre Histoire resterait au pire inexistante et au mieux lacunaire. Que tous ceux dont les recherches permettent à notre pays d'entretenir, d'approfondir et de vivifier notre mémoire en soient remerciés. Depuis 2005, grâce à l'initiative du CNMHE, dont je tiens à saluer la présidente Myriam Cottias, un prix récompense une thèse en sciences sociales et humaines portant sur l'histoire de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions à l'époque coloniale ou sur les conséquences dans notre monde contemporain. Chaque année, vous le savez, le prix de thèse prend le nom d'une grande figure de l'histoire de nos Outre-mer. Après Maryse Condé l'année passée, c'est au tour de Suzanne Césaire d'honorer de son nom le prix de cette année.
Suzanne Césaire, née en Martinique en 1915 fut, chers élèves, fut une écrivaine française de renom, fille d'une institutrice et d'un employé d'usine sucrière. Elle devint professeure au lycée Victor Schoelcher de Fort de France et fonda avec son mari, Aimé Césaire, dont vous connaissez désormais le nom, la revue Tropiques, destinée à valoriser la littérature surréaliste, la culture et la littérature noire africaine et caribéenne. Cette revue fut l'un des portes voix les plus importants dans les Antilles dans la critique du colonialisme et de l'aliénation culturelle et, plus encore, dans la lutte contre le régime de Vichy, représenté en Martinique par l'Amiral Robert. Après la guerre, Suzanne Césaire continua son métier de professeure de lettres comme son œuvre d'écrivaine, et écrivit notamment la pièce de théâtre Aurore de la liberté.
Je suis très heureuse que le travail de Klara Boyer-Rossol soit récompensé, pour son remarquable travail de thèse : Entre les deux rives du canal du Mozambique : Histoire et Mémoires des Makoa de l'Ouest de Madagascar, XIX-XXe siècles, soutenu en novembre dernier, à l'Université de Paris VII.
Je suis très heureuse, chers élèves, pour votre présent, pour votre avenir d'adulte et de citoyen, comme pour le destin de notre pays, que ce concours ait pu voir le jour. Je suis très heureuse que les élèves que vous êtes puissent, grâce à ce concours, travailler à connaître plus intimement les tragédies qui peuvent être celles de l'Humanité, prendre le temps nécessaire pour mieux connaître l'Histoire de votre pays et enfin, bénéficier de l'enseignement de vos professeurs pour vous aider à devenir des adultes responsables et des citoyens éclairés.
Malgré votre jeune âge, je sais combien vous êtes confrontés aux drames de notre monde. Les adultes et les parents ont toujours tort de croire que l'on protège les enfants en leur cachant les duretés du monde et de l'existence. Vous avez vu les attentats terroristes qui ont frappé Paris et notre pays tout entier. Vous avez dû ressentir du chagrin pour les victimes, mais aussi de l'incompréhension devant tant de barbarie et de la peur pour vous et vos familles. Tous ces sentiments sont bien normaux. Ils sont même la preuve que vous êtes des filles et des garçons responsables et sensibles au monde qui les entoure.
La connaissance intime de l'Histoire de notre monde, de l'Histoire de notre pays est pour les citoyens que vous serez demain indispensable pour que vous puissiez faire face aux dangers, pour que vous puissiez protéger ceux qui vous sont chers, et que vous puissiez répondre à ceux qui préfèrent le chaos aux bienfaits de vivre tous ensemble, dans la paix, dans la solidarité, dans la liberté et le respect de chacun, si différent soit-il.
Merci à vous de m'avoir écoutée avec tant d'attention et félicitations à tous les lauréats !
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 12 mai 2016