Texte intégral
N. Pierron & N. Barré.- N. Pierron : Invitée du Grand journal de l'économie sur Radio Classique ce matin, C. Lagarde. N. Barré, directeur délégué de la rédaction des Echos, est à mes côtés pour vous interroger. Beaucoup de questions à vous poser ce matin. On va peut-être commencer par les banques. Quasiment un an, jour pour jour, après la faillite de Lehman Brothers, et alors que des signes de reprise manifestes se sont signalés pour les banques, notamment françaises, n'est-il pas temps que les Etats, que l'Etat français notamment, amorcent le retrait des dispositifs de soutien au secteur bancaire ?
En période de très douce reprise, je crois qu'il faut que nous soyons très attentifs à sortir sur la pointe des pieds. Je m'explique, il y a un an on est intervenus de manière brutale, rapide, et je crois assez efficace. C'est en tout cas ce que dit le FMI. Aujourd'hui, on voit un peu de reprise ici ou là, on a la chance d'en avoir un peu en France, il y en a un peu en Allemagne, il y en a un peu au Japon. Je pense qu'il faut être très attentifs à notre sortie du jeu, c'est-à-dire qu'il faut qu'on soit très attentifs de ne pas casser le mouvement. Il ne faut pas qu'on sorte brutalement.
N. Pierron : Donc sur la garantie des emprunts bancaires, faut-il prolonger le système, le dispositif actuellement en place ?
De toute façon il continuera à s'appliquer jusqu'au mois d'octobre, et je demanderai la reconduction du système pour une période d'une année, et il faudra en temps opportun sortir doucement du système, dès lors que les banques, un, sont suffisamment recapitalisées, et qu'elles ont des fonds propres en quantité suffisante ; et deux, dès lors qu'elles financent l'économie. Pour moi, ça, c'est la première priorité.
N. Barré : Et elles le font vraiment, parce que les chiffres de crédit semblent montrer que, finalement, les banques financent certaines économies mais à un rythme moins soutenu que prévu.
Il faut regarder par catégorie : sur le financement des ménages, ça tient ; sur le financement des entreprises en crédits investissement, c'est à peu près convenable ; en crédits trésorerie, il y a vraiment du chemin à faire. Je leur ai écrit la semaine dernière, à chacune des six grandes banques françaises, en leur demandant de m'indiquer quelle stratégie elles vont mettre en place pour aller à la rencontre de leurs clients. Il ne suffit pas d'être au guichet, d'attendre et d'examiner les garanties fournies par les clients, il faut absolument entrer dans une démarche proactive. C'est ce que je leur ai demandé.
N. Pierron : Est-ce que l'Etat a gagné de l'argent au final en aidant les banques ? On a parlé d'un bénéfice de 1,24 milliard d'euros, est-ce que ça inclut les pertes éventuelles liées à Dexia, par exemple ?
C'est le résultat net. C'est-à-dire que l'Etat français, c'est-à-dire les contribuables français, les concitoyens, le pays, a gagné 1,4 milliard d'euros grâce aux prêts que nous avons consentis aux banques depuis un an.
N. Pierron : On va peut-être passer au G20 qui s'ouvre dans moins de deux semaines à Pittsburgh et cette fameuse question de la régulation du système financier mondial. Parmi les mesures évoquées pour mieux réguler le système figure un relèvement des ratios de fonds propres des banques. Quel serait le ratio le plus adapté ? Faut-il relever le ratio, par exemple, seulement pour les activités de BFI - Banque de financements et d'Investissements -, celles qui, aujourd'hui génèrent à nouveau des profits ?
Que les banques en général aient besoin de plus capitaux propres, c'est une évidence. Je pense qu'il y a une marge sur laquelle il va falloir trouver des accords qui dépendront, non pas d'une règle mathématique mais de l'appréciation du profil de risque de chacun des établissements.
N. Pierron : Mais est-ce que au-delà il faut empêcher, par exemple, les banques de faire du trading pour comptes propres, c'est-à-dire de jouer avec leurs propres capitaux sur les marchés ?
Ca, c'est un autre débat. Je crois que l'activité pour comptes propres, elle est sans aucun doute rémunératrice, ne suis pas sûre qu'elle corresponde précisément à l'intérêt général qu'est le métier bancaire au service de l'économie.
N. Pierron : Ce n'est pas une activité utile pour la société ?
C'est une activité sans aucun doute utile pour l'établissement, je ne suis pas sûre qu'elle corresponde à la gestion de l'intérêt général qui est véritablement le coeur du métier de la banque.
N. Barré : Un autre grand sujet à Pittsburgh sera relatif aux normes comptables. Ne faut-il pas en finir, une fois pour toutes, avec ces comptables qui nous dictent des règles qui s'appliquent à la planète entière ?
Il faut deux choses. Il faut, d'une part, qu'il y ait suffisamment de convergence entre les systèmes et d'harmonie entre les règles pour qu'on puisse comparer ce qui est comparable. C'est-à-dire que le grand mouvement engagé permettant de réconcilier, pour faire simple, les normes américaines avec les normes européennes, c'est un bon objectif, que l'on puisse converger pour permettre de comparer, point numéro 1. Point numéro 2, il ne faut pas que les règles comptables soient fixées uniquement par référence à la responsabilité du comptable ou à la facilité de donner une valeur à un actif ou à un élément du passif. Il faut aussi que l'intérêt collectif soit pris en compte, et il faut également que l'horizon de détention des actifs ou des passifs soit pris en compte. C'est pour cela que nous avons engagé un combat très ferme contre l'extension du principe de la market value, comme étant la fair value, parce qu'on ne peut pas systématiquement modifier la valorisation d'actifs au gré du marché, alors que, par exemple, tel ou tel établissement, notamment les compagnies d'assurance, mais aussi un certain nombre de banques, détiennent des actifs pour du long terme, et qu'ils n'ont pas du tout, ni l'intention ni même l'obligation, de dénouer l'opération. Donc, là, pour ça, il n'y a aucune raison d'utiliser une valeur de marché qui fluctue en permanence.
N. Pierron : Le G20 c'est dans moins de deux semaines, à Pittsburgh, n'avez-vous pas peur que les Européens perdent le bras de fer qui les oppose aux Américains, et que les Américains finissent par dicter leur loi aux Européens, sachant que les Américains sont favorables aux banques ?
C'est difficile de catégoriser comme ça, en disant il y a un bras de fer, il y a les Américains d'un côté, il y a les Européens, de l'autre. C'est beaucoup plus compliqué que cela. Ce dont je suis convaincue, c'est que nous devons modifier en profondeur la réglementation applicable au secteur financier ; que nous devons mettre en place des chambres de compensation, des places de marché qui permettent la transparence sur les échanges et le trading d'un certain nombre d'outils. Aujourd'hui, il y a beaucoup d'instruments qui se négocient hors marché, hors chambres de compensation et on n'a aucune information, on est dans le noir. Cela ne peut pas durer.
N. Pierron : Ça, ce sont des éléments sur lesquels les Américains vous ont écoutée ?
Alors sur tout ce qui concerne le clearing en particulier, les chambres de compensation, les Américains ont écouté, ont compris et ils sont en train de changer les règles. Je crois que, sur le marché des commodities, il y a aussi un gros effort de leur part pour améliorer la transparence et pour fournir plus d'information. Là où on a du mal à se rencontrer, c'est en ce qui concerne la rémunération des opérateurs de marché. On sent nos amis américains beaucoup plus réticents que nous ne l'espérerions.
N. Pierron : On va dire un mot de la croissance, la France a connu donc une croissance de 0,3 % au deuxième trimestre de cette année ; la Banque de France prévoit un nouveau gain de 0,3 % pour le troisième trimestre cette fois. Est-ce que tout cela vous incite à relever votre prévision pour l'ensemble de l'année 2009 ? Aujourd'hui, vous êtes à moins 3 % ?
Avec l'Allemagne et le Japon, la France est un des trois seuls pays de l'OCDE à sortir un résultat positif au deuxième trimestre. J'ai moi aussi l'espoir, comme la Banque de France dans sa prévision le laisse augurer, que le troisième trimestre sera à nouveau positif. Dans ces conditions, notre moins 3 % est très pessimiste. Je pense qu'on devra être amenés à le réviser légèrement.
N. Barré : On est en pleine préparation du budget pour l'année prochaine ; quelle est votre hypothèse de croissance pour 2010 ?
Là aussi, on va certainement très légèrement réviser. Je ne vais pas vous donner les chiffres aujourd'hui parce qu'on est encore en calage pour la préparation de ce PLF, et ça sera à la fin du mois de septembre, donc au risque de vous décevoir, je ne vais pas vous donner de chiffres maintenant.
N. Pierron : On va passer aux questions liées peut-être à la dépense publique... La baisse de la TVA, on l'a vu dans la restauration, n'a pas été vraiment une réussite, seule une minorité de restaurateurs l'a appliquée...
40 % quand même.
N. Pierron : ...40 %, mais je pense qu'il y aura un bilan qui va être fait un peu plus tard. A l'occasion de ce bilan, et si la mesure s'avère inefficace, seriez-vous prête à la retirer ?
Non. Non, parce que c'est un engagement politique, c'est une promesse tenue. Je crois très profondément que les restaurateurs vont avoir intérêt, d'une part, à engager, ils se sont engagés à employer 40.000 personnes supplémentaires en deux ans, j'espère qu'ils vont le faire. Ils se sont engagés à investir dans leurs établissements, j'espère là aussi qu'ils vont le faire si on veut que le pays soit attractif, continuer à attirer des touristes, mais ils ont intérêt à le faire. Et puis, ils se sont engagés à baisser les prix, et je dois dire que 40 % en moins de trois mois, 40 % des restaurateurs qui ont baissé leurs prix, c'est bien. Il faut absolument continuer.
N. Barré : M. Aubry a proposé de placer sous tutelle les entreprises qui font des bénéfices et qui, néanmoins, licencient. Est-ce de la démagogie ?
Il faudra qu'elle m'explique ce que ça veut dire que la "tutelle".
N. Barré : La tutelle du tribunal de grande instance.
Cela me parait un peu loufoque comme proposition mais il faut étudier toutes les propositions. Toutes les mesures qui sont de nature à favoriser l'emploi, il faut les examiner. Ensuite, il faut qu'elles soient efficaces et qu'elles correspondent à un objectif de politique publique.
N. Pierron : Vous allez bientôt égaler le record de longévité de D. Strauss-Kahn à Bercy, soit près de 29 mois. Vous n'en êtes plus très loin. Est-ce que vous allez aller jusqu'au bout du quinquennat de N. Sarkozy ? Est-ce que vous le souhaiteriez ?
Je voudrais surtout inviter D. Strauss-Kahn à célébrer cet anniversaire et puis le sonder sur ce que le FMI considère pour l'avenir. Il a toujours des appréciations fort intéressantes.
N. Pierron : Mais plus sérieusement, C. Lagarde, est-ce que la vie après Bercy c'est Matignon ? Est-ce que vous y pensez le matin en vous maquillant - si vous vous maquillez... ?
Vous êtes gentil de ne pas avoir souligné que je me rasais le matin, c'est déjà un bon point. Le mauvais point, c'est que ce n'est pas une question très intéressante, et franchement, les Français s'en moquent éperdument. Moi, j'ai un travail à faire monumental en ce moment. J'ai des objectifs que sont la réunion du Pittsburgh - le G20 -, la taxe professionnelle à modifier, la taxe carbone à mettre en place, la lutte contre les paradis fiscaux etc. J'en passe et des meilleurs. Et puis, l'emploi comme objectif fondamental.
N. Pierron : Matignon, ça ne vous intéresse pas donc ?
Les états d'âme sur ma propre situation n'ont aucune espèce d'intérêt.
N. Barré : Y a-t-il des cas de grippe A à Bercy ?
Oui, absolument.
N. Barré : Nombreux ?
On doit avoir actuellement à peu près une vingtaine de cas.
N. Barré : Vous allez vous faire vacciner en priorité ?
Je ne suis pas sûre d'être dans les personnels prioritaires. Il faudra que les prioritaires soient vaccinés d'abord.
N. Pierron : Un mot sur France Télécom : on a eu un nouveau cas de suicide en fin de semaine dernière. L'Etat est encore actionnaire de France Télécom : quel doit être son rôle pour prévenir ces cas dramatiques ?
L'actionnaire est évidemment très soucieux et très concerné de ce qui se passe. Chaque cas personnel est évidemment une histoire personnelle, mais on ne peut qu'être frappé par la récurrence et par les messages qui sont envoyés par un certain nombre de ces salariés. Donc avec X. Darcos, nous avons demandé au président de France Télécom de convoquer un conseil d'administration, avec, pour ordre du jour essentiellement, l'examen de cette situation, la stratégie à adopter, les mesures d'urgence à prendre et puis les mesures de long terme en matière de ressources humaines et d'anticipation de ces drames personnels.
N. Pierron : On est quasiment au premier anniversaire de la faillite de Lehman Brothers ; quel est votre état d'esprit aujourd'hui en tant que ministre de l'Economie d'un des pays les plus développés de la planète ? Etes-vous plutôt pessimiste, optimiste ?
Je suis en vigilance totale parce que je pense qu'il ne faut pas qu'on revive ce que l'on a vécu il y a un an. Il y a des choses à changer, un certain nombre d'entre elles, nous les avons déjà engagées. Mais ce n'est pas fini, et je pense que les vieux démons reviendront très vite si l'Etat ne joue pas beaucoup plus un rôle de régulation, d'anticipation et de prescription. Je crois que le rôle politique de l'Etat a changé à l'égard de l'économique.
N. Pierron : Ce sera ça l'enseignement majeur de cette crise ?
Ce sera d'abord la légitimité politique par le biais du retour de l'Etat. Ce sera aussi la nécessité de ramener la finance à des dimensions légitimes et mesurées. Je crois que c'est le retour de la mesure. Je ne suis pas une aristotélicienne convaincue, mais je crois que la mesure nous avait malheureusement un peu quitté et que nous étions dans des excès et dans des abus qui ne sont pas tolérables pour, ni le corps social ni la matière économique sur laquelle nous travaillons. Donc il faut ramener de la mesure dans le jeu.
Source : Premier ministre, Service d'Information du gouvernement, le 14 septembre 2009