Déclaration de M. Edouard Philippe, Premier ministre, en hommage aux victimes de l'attentat de Trèbes, en particulier au colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame, à Trèbes le 23 mars 2019.

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Circonstance : Inauguration de la stèle d'hommage aux victimes de l'attaque terroriste de Trèbes (Aude) le 23 mars 2018, à Trèbes le 23 mars 2019

Texte intégral

Depuis un an, la ville de Trèbes est devenue un symbole de notre République. Un symbole. Un symbole de ce qu'on peut imaginer de plus terrible et en même temps de plus fraternel dans l'humanité. Le symbole de la destruction et de la reconstruction. Le symbole d'une ténacité forgée dans l'épreuve, d'une humanité soudée par la douleur. Le symbole de notre pays, capable du meilleur quand il est confronté au pire.

Nous sommes aujourd'hui réunis devant la Mairie sur la place de la République. Elle ne portait pas encore ce nom lorsque j'étais venu, il y a un an. Je me souviens que le maire, Monsieur Eric Ménassi, avait dit, ce 29 mars 2018, que « Trèbes resterait debout et fière de sa valeur ». Aujourd'hui, toutes les blessures sont encore à vif. Mais la République a plus que jamais sa place à Trèbes, car vous offrez à toute la France l'image d'une dignité et d'une force qui incite au respect et inspire notre résolution.

Il y a un an, vendredi 23 mars 2018, le terrorisme islamiste frappait une nouvelle fois, à Carcassonne et à Trèbes. Les faits restent gravés dans nos mémoires. Il y a un an à Carcassonne, sur l'aire de stationnement des « Aigles de la Cit�� », un individu tire sur deux hommes, Jean-Michel Mazières et Renato Gomes da Silva. Vers 10h, il ouvre le feu, depuis son véhicule, sur quatre hommes des Compagnies Républicaines de Sécurité de Marseille, cantonnés à Carcassonne, alors qu'ils effectuaient leur jogging. Le brigadier Frédéric Poirot est sévèrement blessé à l'épaule. Le terroriste se retranche ensuite dans le supermarché super U de Trèbes. Il assassine le chef boucher du supermarché, Christian Medves, puis Hervé Sosna, avant de prendre en otage tous ceux qui se trouvaient dans le magasin.

L'antenne toulousaine du GIGN se rend très vite sur place, ainsi que les pelotons de surveillance d'intervention de la gendarmerie de Castelnaudary et de Carcassonne, et Monsieur le préfet. Le colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame obtient du terroriste de pouvoir se substituer à une otage. Après plusieurs heures, Arnaud Beltrame essaie de désarmer le terroriste. L'assaut du GIGN est lancé, le terroriste est neutralisé. Le colonel Beltrame est retrouvé grièvement blessé à la gorge. Il est immédiatement secouru et meurt au petit matin des suites de ses blessures.

Encore une fois, comme à Paris, comme à Nice, comme dans bien d'autre ville de France, la barbarie frappait les lieux les plus familiers de notre quotidien. Un supermarché, lieu de passage et d'échange, et parfois de rencontre, se transformait en un huis-clos mortifère. Le terrorisme s'invitait dans nos lieux de vie pour essayer de nous désorienter, de nous séparer, pour écorner notre confiance en la vie. Trèbes, cette petite ville tranquille jusque-là, entrait en quelques heures dans le coeur de la France.

Les premières heures qui ont suivi la tragédie ont été marquées par la violence des sentiments que nous avons tous éprouvés : l'horreur, la colère, et aussi l'admiration. Mais très vite, malgré le choc, une très grande dignité l'a emporté sur les autres sentiments – dont je mesure pourtant l'intensité et la durée, chez les familles des victimes. Monsieur le maire nous a dit que la ville s'était mise au diapason, à la hauteur de ces familles, qui avaient été exemplaires par leur pudeur et leur courage. Et nous avons vu il y a quelques minutes le courage nécessaire pour dans ces circonstances pouvoir s'exprimer, comme vous l'avez fait. Je pourrais ajouter que cette exemplarité a obligé toute la France. Alors qu'il est tellement facile, presque légitime, de céder à la haine, Trèbes nous a immédiatement présenté un autre visage : pas seulement celui de l'horreur mais celui de l'honneur, qui est l'un des plus beaux sentiments républicains car il accompagne ces autres sentiments très nobles que sont le sens du devoir, la pudeur et la fraternité.

Je mesure à quel point cette dignité masque une souffrance aiguë, profonde. La douleur de l'absence, qu'on ressent dans tous les petits manques du quotidien, au plus intime des habitudes qu'on avait tissées avec un père, un fils, un frère, un conjoint, un ami ou un collègue. Sur la stèle d'hommage aux victimes, que nous venons de dévoiler, leurs quatre noms sont accompagnés d'une citation de Victor Hugo : « Les morts sont les invisibles, mais ils ne sont pas les absents ». Pour les familles et les proches des quatre disparus, je mesure la vérité et, quelque part aussi, la cruauté de cette maxime.

Christian Medves était un amoureux de la vie et du sport, qui pratiquait intensément la course à pied et le tir. Il laisse derrière lui un immense vide, et je sais à quel point son absence révolte son épouse et ses deux filles. Sa mémoire leur appartient, tout comme, je l'espère, l'apaisement qui succédera à la colère.

Hervé Sosna, cet homme d'une discrétion absolue, puisait son inspiration quotidienne dans les livres. Il était profondément attaché à la littérature autant qu'à sa ville natale, Trèbes. Il aimait Péguy, Saint-Exupéry et Lamartine, il écrivait lui-même des vers mais ses poèmes, comme sa bibliothèque, ont été emportés par l'inondation qui a frappé Trèbes, en octobre dernier. Je crois que Monsieur le maire souhaite donner son nom à l'une des salles de la bibliothèque qu'il fréquentait assidûment, et je ne peux que l'y encourager, pour qu'il reste une figure tutélaire des grands lecteurs de Trèbes.

Jean Mazières était un viticulteur à la retraite, une personnalité de Villedubert, très impliquée dans la vie associative. Il était l'une des chevilles ouvrières du comité des fêtes de la commune. Je pense tout particulièrement à son épouse, Madame Martine Mazières, qui a aussi perdu ses deux parents lors des inondations d'octobre. Je pense à leur fils Vincent.

Enfin, le colonel Arnaud Beltrame qui devait se marier. Arnaud Beltrame s'était distingué, toute sa vie, par la constance et l'excellence de son engagement au service de la France, depuis sa sortie de Saint-Cyr. « Nous sommes les derniers chevaliers », disait-il parfois à ses frères d'armes de la gendarmerie, qu'il avait choisie comme seconde famille. En tuant Arnaud Beltrame, le terroriste a brisé une fratrie, car Arnaud était l'aîné de trois frères. Mais il n'a pas brisé la fraternité, bien au contraire.

Car au-delà de son abnégation et de son panache, le colonel Arnaud Beltrame mettait sa bravoure au service de ses convictions. Une semaine après l'enterrement de son propre père, il est mort, les mains nues, pour essayer de désarmer la barbarie. L'enfant qui aimait lire l'histoire de France en bande-dessinée a écrit, par son geste héroïque, une page glorieuse de notre histoire de France. Dans le livre qu'elle vient de publier, C'était mon fils, la mère d'Arnaud Beltrame écrit que l'acte terroriste qui lui a pris son fils, « ce n'est pas la guerre, c'est de la lâcheté ». Et pour autant, elle ajoute qu'éprouver de la haine envers ce terroriste, ce lâche, « cela ne vaut pas le coup ». Ce qu'elle souhaite, c'est que « la mort de [s]on fils puisse apaiser et servir à quelque chose. Servir à montrer qu'on est debout ».

Pour les quatre blessés, pour tous ceux qui ont été traumatisés par ce 23 mars 2018, rester debout est pourtant un combat quotidien. Je pense à la jeune femme dont Arnaud Beltrame a pris la place. Elle a choisi de commencer une autre vie, et c'est un choix courageux. Je pense aux gendarmes du GIGN, Mathieu Cavaillé et Guillaume Merer, qui ont été blessés, respectivement à la main et au tibia, en menant l'assaut final. Je pense à Frédéric Poirot, de la Compagnie républicaine de sécurité de Marseille, blessé par balle à Carcassonne et qui a depuis courageusement repris son service.

Je pense à Renato Gomes de Sousa qui conduisait la voiture volée par le terroriste. Grièvement blessé, il a passé onze jours dans le coma et conserve des séquelles, des douleurs insupportables. Aujourd'hui, il vit avec une balle dans la tête et dit qu'il sent en permanence ce projectile, qui l'obsède. J'espère très sincèrement que les progrès de la médecine et que le soutien indéfectible qui l'entoure l'aideront à s'en libérer.

Enfin, je n'oublie pas ces femmes et ces hommes – forces de sécurité, salariés, clients du Super U, ou bien tout simplement habitants de Carcassonne ou Trèbes, qui n'ont pas été blessés physiquement, mais dont la vie a basculé en ce jour funeste du 23 mars 2018, par ce qu'ils ont vu ou entendu, ou encore parce qu'ils sont encore en vie alors que d'autres ont été emportés.

L'accompagnement des victimes ne doit pas faillir, ne doit pas faiblir. Il a été mené par les communes, par les tissus associatifs divers – je tiens à saluer la remarquable mobilisation du réseau France Victimes – par la société Super U et évidemment par l'Etat. Dès le 23 mars, des cellules d'accompagnement psychologiques et des permanences ont été créées à Trèbes.

Les instances de coordination de l'aide ont été mises en place avec le soutien indéfectible de la déléguée interministérielle à l'aide aux victimes, Elisabeth Pelsez que je veux saluer. Ces instances ont été réunies 15 fois en un an pour apporter des réponses en matière de prestations, d'emploi, de soutien psychologique. . Elles le seront aussi longtemps qu'il le sera nécessaire car notre rôle, le rôle de l'Etat et des pouvoirs publics, mais pas seulement de l'Etat et des pouvoirs publics, notre rôle çà tous c'est d'aider les victimes à se reconstruire.

Monsieur le maire, lorsque j'étais venu, le 29 mars dernier, je n'avais pas pris la parole. J'étais simplement venu pour représenter l'Etat, et pour me recueillir avec vous. Je vous avais que je serais à vos côtés, c'est-à-dire que l'Etat serait à vos côtés. Je m'étais engagé à soutenir pleinement la reconstruction de la ville. Les travaux devaient commencer le 15 octobre. Mais il y a parfois des coïncidences terribles et la catastrophe des crues les a reportés. Et, là encore, la solidarité a été exceptionnelle. Deux jours après les inondations, il y avait près de 3000 bénévoles dans la rue, dans une ville de 5700 habitants.

Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, je n'ai pas gardé le silence, car je ne voulais pas seulement représenter l'Etat, je voulais lui donner une voix. Ce matin, Madame la Garde des Sceaux a rappelé comment nous entendions réarmer la République face à la radicalisation. Je ne reviendrai pas sur les différents outils dont nous nous sommes dotés dans le plan national de prévention de la radicalisation. Mais vous pouvez être assurés que rien ne nous arrêtera dans le travail de reconquête républicaine qu'il nous faut livrer.

En prenant la parole, j'exprime le soutien et l'admiration de nos concitoyens, d'abord aux forces de l'ordre auxquels ont été remises tout à l'heure les médailles de la sécurité intérieure, ensuite aux victimes auxquelles je viens de rendre hommage et à tous ceux qui les entourent. A tous les Trébéens qui ont été incroyablement éprouvés depuis un an. Par son geste, Arnaud Beltrame a sublimé et réunit à la fois le visage des forces de l'ordre et celui des victimes. Il est devenu un grand homme de notre Panthéon et Trèbes est devenue une ville symbole. Une très grande petite ville ou une petite très grande ville. Une ville qui n'oublie pas et qui n'oubliera jamais. Une ville meurtrie mais vivante. Une ville à l'image de notre pays, la France, courageuse, solidaire, forte, et belle.


Je vous remercie.


Source http://www.presseagence.fr, le 2 avril 2019