Entretien de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, dans "L'Yonne républicaine" du 22 juillet 2019, sur l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada.

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  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Média : L'Yonne républicaine

Texte intégral

Q - Programmé initialement le 17 juillet 2019 dans la foulée de son examen par les députés français, la ratification de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne (UE) et le Canada, interviendra ce mardi 23 juillet lors d'un scrutin public.

Contesté à droite comme à gauche, le texte est défendu par le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères comme "une chance à saisir pour les consommateurs et les producteurs de l'UE".

Alors que le gouvernement continue de défendre "un texte équilibré, négocié par la Commission européenne", à droite comme à gauche, les oppositions sont particulièrement remontées. L'indécision gagne même certains parlementaires de la majorité présidentielle. La tribune parue ce lundi 22 juillet, de Nicolas Hulot, ancien ministre de l'écologie, exhortant les députés "à avoir le courage de dire non" au CETA, ne fait qu'ajouter à la confusion.

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, ne voit dans les arguments des opposants au CETA "que des approximations et des rumeurs". Il présente le traité de libre-échange comme "une sorte d'assurance-vie" pour l'Union européenne et la France "dans une période de vives tensions".

La gauche et la droite sont opposées au texte qui suscite aussi de la confusion jusqu'au sein des députés de la majorité, comment l'expliquez-vous ?

R - Depuis les premiers mois du mandat présidentiel, nous avons souhaité, d'une part, avoir un éclairage indépendant sur le CETA, et d'autre part, apporter des garanties aux citoyens, aux consommateurs, aux filières agricoles sensibles, avec la mise en place d'un plan d'action précis destiné à suivre la mise en oeuvre de l'accord notamment dans le domaine des normes environnementales et sanitaires et la conduite d'évaluations indépendantes. Les parlementaires sont amenés à se prononcer, et c'est une première, sur la base d'une étude d'impact sur les filières agricoles sensibles, dont le cahier des charges a été discuté avec eux, et d'une étude d'impact économique et environnementale réalisée par un centre de recherches indépendant, le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII). Alors que ce type d'accord était jusqu'alors adopté en catimini, nous avons désormais une nouvelle approche plus exigeante vis-à-vis de la politique commerciale européenne et une nouvelle méthode de travail plus transparente avec le parlement.

Q - C'est à dire ?

R - Un exemple : sous la précédente mandature, en 2013, un accord commercial du même type entre l'Union européenne et la Corée a été adopté en une minute à l'Assemblée nationale. Notre démarche, à l'inverse, s'est appuyée sur un vrai travail d'évaluation de l'accord et de suivi des effets concrets de son entrée en vigueur provisoire. C'est à l'issue de ce processus que nous sommes en mesure, aujourd'hui, de proposer à l'Assemblée nationale la ratification de l'accord.

Q - Quel bilan dressez-vous justement de l'application provisoire du CETA pendant dix-huit mois ?

R - Il a été bénéfique pour la France avec 450 millions d'euros d'excédents pour la balance commerciale entre la France et le Canada, tout en respectant nos exigences.

Q - Principal reproche qui est fait à cet accord : la pression économique l'emporterait sur les enjeux environnementaux pourtant érigés comme prioritaires par le président Macron, que répondez-vous ?

R - Je ne suis pas d'accord. L'étude du CEPII montre que l'impact en termes d'émissions de gaz à effet de serre est totalement marginal. Ils décroîtront même pour la France. Pour une simple et bonne raison : l'augmentation des échanges par transport maritime sera compensée par une baisse des flux terrestres. Cela doit être dit. On entend tellement de choses dans ce débat, de rumeurs, d'approximations qu'il convient de le souligner. Il n'est pas question de revoir les normes environnementales à la baisse, ni nos engagements en matière de lutte contre le changement climatique. Nous ne transigeons pas sur le principe de précaution. S'agissant, par ailleurs, des aspects environnementaux : comme dans l'accord commercial avec le Japon et de façon systématique, nous demandons des clauses environnementales qui soient élevées. En référence aux accords de Paris et au principe de précaution. Pour le Canada, j'ai obtenu de mon homologue, le ministre du Commerce Jim Carr, l'acceptation d'un veto climatique.

Q - Quelle garantie apporte cette clause ?

R - En vertu de ce veto climatique, aucune entreprise canadienne ne pourra venir contester devant un tribunal les normes, les règles, les législations environnementales, sociales dont nous avons choisi de nous doter aujourd'hui comme demain. C'était important d'avoir cette acceptation du Canada, noir sur blanc, par écrit. Le Canada y a souscrit. Nous avons réellement fait évoluer et amélioré cet accord.

Q - Une réclamation a été déposée par le Canada et quinze autres pays contre les mesures sanitaires introduites par l'UE, n'est-ce pas la démonstration que les exigences de l'UE restent contestées ?

R - Soyons précis, ce sont plusieurs pays, dont le groupe de Cairns, qui estiment que nos normes violent des règles de l'OMC par ce que nous interdisons des substances sans apporter la preuve de leur dangerosité. Or cette démarche démontre justement que l'Europe n'a pas abdiqué, n'a pas désarmé. Qu'elle a, au contraire, un niveau de normes et d'exigences toujours très élevé, le plus élevé du monde. Le gouvernement français est là pour protéger la santé des consommateurs et pour apporter des garanties aux filières sensibles. Nous ne transigerons jamais sur la santé et la qualité de l'alimentation. Mais le meilleur moyen de le faire, c'est de renforcer les règles et les contrôles, pas d'arrêter d'échanger, en sacrifiant nos producteurs et nos consommateurs.

Q - Ces filières sensibles font aussi part de réticences sur le CETA...

R - En 2018, il y a eu seulement 12 tonnes de viande bovine importées, sous contingent CETA, alors que la consommation française est d'1,5 million de tonnes ! C'est donc minime. Il est important de rappeler ces chiffres afin de remettre l'église au milieu du village. Ce qui explique que les chiffres soient si bas du côté des exportations de viande bovine, du Canada vers le marché européen et français, c'est tout simplement parce que ses filières ne sont pas équipées pour répondre à nos exigences. Nous, nous voulons un boeuf sans hormone, par exemple, or les Canadiens ne disposent que de 36 fermes sur 75.000 en capacité d'exporter tout en respectant les normes européennes. Il faut le dire afin de dépassionner le débat autour du CETA. Et cela montre bien que nos normes sont respectées.

Q - Aujourd'hui le gouvernement français est-il en capacité d'assurer aux consommateurs, en transparence, que le CETA ne se traduira pas à terme par un abaissement des normes sanitaires ?

R - Absolument. L'UE et la France n'acceptent pas, - c'était vrai avant et cela le sera après le CETA-, le saumon transgénique comme les farines animales à l'origine de la crise de la vache folle, qui sont bannies non seulement en Europe, mais aussi au Canada. De ce point de vue, rien ne change car nous restons intransigeants. Certains ont instrumentalisé les peurs en faisant croire que certaines protéines animales transformées, également autorisées et utilisées en Europe, pouvaient être dangereuses. Ce n'est pas le cas. Il ne faut pas tout mélanger.

Q - Nicolas Hulot, ex-ministre d'Etat du gouvernement, dans une tribune, exhorte les députés à ne pas ratifier le CETA. Il estime que le gouvernement et lui ont "échoué à apporter les garanties nécessaires sur le veto climatique, les farines animales, les nouveaux OGM et la sauvegarde du principe de précaution à l'européenne"...

R - Nous avons travaillé de nombreux mois avec Nicolas Hulot. Ce travail fut très productif, il a conduit au plan d'accompagnement du CETA. Il a ensuite lui-même, ministre d'Etat, signé le partenariat entre la France et le Canada en matière environnemental. J'ai du mal à comprendre qu'un jour, aux responsabilités, on assume une position et que le lendemain, les ayant quittées, on dise l'inverse. Nous n'avons pas à rougir de cet accord et de ce travail qui ont permis de tirer vers le haut les relations avec le Canada.

Q - De quelle façon ?

R - En Bourgogne Franche-Comté, pour prendre l'exemple de ma région, nous sommes très fiers de nos productions de fromages, je pense à l'Epoisses ou au Comté : grâce au CETA, des indications géographiques protégées (IGP) sont reconnues par les Canadiens. Sur le continent nord-américain, c'est une première ! Jusqu'alors, il y avait un certain nombre de produits du terroir, fabriqués d'après un savoir-faire ancestral, qui étaient copiés et dont les noms étaient utilisés par des producteurs canadiens. Aujourd'hui, ce n'est plus possible.

Q - CETA, TAFTA, MERCOSUR : ces accords de libre-échange ne sont-ils pas antinomiques avec le désir des consommateurs d'une plus grande proximité, gage pour eux d'une plus grande sécurité alimentaire ?

R - On vit une période de vives tensions, avec des pays qui se livrent des guerres commerciales. Aujourd'hui, la menace est bel et bien cette loi du plus fort qui peut être américaine ou chinoise. Face aux Etats-Unis qui imposent des droits de douanes, y compris à leurs alliés européens, il faut que nous, Européens, puissions avoir des assurances-vie en quelque sorte. Nous avons donc besoin, par ces accords, de poser des règles et de faire en sorte qu'elles soient respectées. D'où la nécessité de signer des accords très exigeants, c'est le cas du CETA. Ils ouvrent, en même temps, des nouveaux débouchés pour nos producteurs. À nos producteurs, je le dis sincèrement, ces accords sont une chance, saisissons-la ensemble.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juillet 2019