Interview de M. Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement, à France 2 le 18 juillet 2019, sur les propositions de Jean-Paul Delevoye sur la réforme des retraites et l'accord CETA entre l'Union européenne et le Canada.

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Intervenant(s) : 
  • Marc Fesneau - Ministre chargé des relations avec le Parlement

Média : France 2

Texte intégral

JEFF WITTENBERG
Bonjour Marc FESNEAU.

MARC FESNEAU
Bonjour.

JEFF WITTENBERG
Merci d'être avec nous donc pour cette émission, on l'a dit au cours du journal, c'est le jour « j » pour la présentation des recommandations sur la retraite de Jean-Paul DELEVOYE, parmi les nombreuses questions que se posent les Français, la question qui se pose, c'est le système sera-t-il le même pour tous, est-ce la fin des régimes spéciaux ? C'est ce qu'avait promis, je le rappelle, le Premier ministre lors de son allocution du 12 juin dernier.

MARC FESNEAU
Oui, d'abord dire qu'il y a eu un travail très profond pas fait par Jean-Paul DELEVOYE depuis 18 mois avec un objectif assez simple, comme vous venez de l'exprimer, c'est de faire en sorte que pour un euro cotisé, on ait les mêmes droits qui soient ouverts pour chacun des Français.

JEFF WITTENBERG
Pour tout le monde.

MARC FESNEAU
Ca nécessite aussi que, évidemment il y a 42 régimes spéciaux, d'une certaine façon, c'est un 43ème qui se crée. Deux choses à dire de ce point de vue là, le premier, c'est que la réforme entrera en vigueur, commencera à entrer en vigueur qu'à partir de 2025. Et donc ça donne le temps, ceux qui sont à 5 ans de la retraite ne sont pas concernés, ceux qui sont retraités évidemment …

JEFF WITTENBERG
C'est ceux qui sont nés en 1963 qui inaugureront…

MARC FESNEAU
A partir de 1963, la classe d'âge à partir de 1963 et donc ça permet de donner un horizon temporel et ça permet aussi de laisser converger ces systèmes. On est sur des systèmes qui sont très anciens et donc il faut laisser converger les systèmes, ce qui dit aussi…

JEFF WITTENBERG
Est-ce que l'objectif est la fin des régimes spéciaux, ce qui par exemple concerne les militaires, les pompiers ?

MARC FESNEAU
Ils ont leur spécificité mais l'objectif c'est que, parce qu'après il faut tenir compte de la spécificité par exemple des militaires, c'est des carrières qui sont difficiles pour un certain nombre de choses, mais c'est par le système des points que les choses seront faites, mais pour un euro cotisé, on aura le même droit et je pense que pour les Français, c'est un système de lisibilité. Aujourd'hui quand vous êtes jeunes actifs, vous rentrez dans la vie active, finalement vous ne savez pas tellement à quelle sauce, si je peux dire, vous allez être mangé et si le régime dont vous dépendez, va pouvoir être maintenu. C'est un système qui permet de pérenniser d'abord la solidarité entre les générations, de donner plus de lisibilité et plus justice.

JEFF WITTENBERG
Alors si on ne parle plus de régimes spéciaux, est-ce qu'il y aura encore des traitements particuliers pour certains métiers ?

MARC FESNEAU
La concertation va s'ouvrir là, comme vous l'avez dit tout à l'heure Jean-Paul DELEVOYE fait ses préconisations, ça n'est pas le texte de loi. C'est des préconisations…

JEFF WITTENBERG
En même temps il y a eu une campagne électorale, le président MACRON avait aussi fait des propositions.

MARC FESNEAU
Ca n'est pas en cause les principes généraux que je viens de réaffirmer devant vous et que vous avez cité vous-même, simplement après pour regarder comment on fait converger, il faudra regarder les choses et c'est pour ça qu'il faudra se donner le temps entre le moment des recommandations que Jean-Paul DELEVOYE et le texte qui sera présenté devant l'Assemblée nationale…

JEFF WITTENBERG
Est-ce que vous confirmez, comme le président l'a fait à plusieurs reprises, que l'âge légal de la retraite restera à 62 ans ?

MARC FESNEAU
L'âge légal de la retraite restera à 62 ans, après on sait très bien, d'ailleurs c'est déjà le cas aujourd'hui que l'âge d'équilibre du régime, des régimes, est un âge d'équilibre à 64 ans, donc pas un système de bonification qui fasse en sorte que ceux qui le peuvent… il y a des carrières plus ou moins difficiles, il y a des situations de plus ou moins complexes, puissent partir plutôt autour de 64 ans parce que là on assure l'équilibre du système.

JEFF WITTENBERG
La négociation va être âpre, elle commence ce matin Jean-Paul DELEVOYE voit les partenaires sociaux, quand, puisque vous êtes le ministre chargé des Relations avec le Parlement, prévoyez-vous un passage de cette réforme des retraites devant les assemblées ?

MARC FESNEAU
Vous voyez bien qu'on est sur un patent mis en oeuvre à partir de 2025, après convergence des systèmes et c'est sur plusieurs années évidemment que ça se fera, on prendra le temps.

JEFF WITTENBERG
On prendra le temps, mais est-ce que ça se fera par exemple en 2020 ? On avait dit réforme des retraite en 2019…

MARC FESNEAU
L'objectif, c'est que ce soit fait dans le quinquennat pour une application en 2025, donc il faut évidemment que ça soit fait dans ces horizons-là. Mais je pense que se donner un horizon trop fermé, alors que finalement s'ouvre aujourd'hui le moment où on va discuter autour des préconisations de Jean-Paul DELEVOYE serait une erreur et donc on prendra le temps qu'il faut pour lever les doutes, lever les inquiétudes, régler un certain nombre de sujets pratiques.

JEFF WITTENBERG
Mais ça peut être de toute façon avant la fin du quinquennat bien entendu, mais on peut attendre encore 2 ans avant de mettre en forme cette retraite.

MARC FESNEAU
On verra mais l'horizon 2020 est un horizon qui me paraît raisonnable pour essayer de faire…, que le dialogue se fasse et qu'on puisse converger.

JEFF WITTENBERG
Le vote du CETA, le traité de libre-échange avec le Canada qui fait polémique, il a été repoussé parce que l'opposition redoutait ou plutôt dénonçait une adoption en catimini, vous avez choisi finalement de faire un vote solennel la semaine prochaine, pour quelle raison ?

MARC FESNEAU
Pour une raison simple, hier avant d'aborder les débats, on s'est rendu compte qu'il y avait un certain nombre de prises de parole, 80 prises de parole sur l'un des deux articles du CETA, compte tenu de ce temps qui avait été réclamé manifestement, on ne va pas dire que c'est pour faire de l'obstruction, en tout cas il y a un certain nombre de gens qui voulaient s'exprimer sur un texte qui est important et c'est bien qu'on ait des débats sur le libre-échange et donc il nous a paru opportun que le vote lui-même intervienne la semaine prochaine. Les débats sont finis, je les ai regardé jusqu'à 2h30, à 2h30 du matin c'est vrai qu'il vaut mieux qu'on laisse le vote de côté et qu'il revienne la semaine suivante, ça permet à chacun de s'exprimer la semaine suivante.

JEFF WITTENBERG
Sur le fond pourquoi vous défendez ce traité, vous êtes élu d'un département rural, le Loir-et-Cher, les agriculteurs sont vent debout contre ce traité qui prévoit donc le libre-échange avec le Canada, pourquoi vous vous dites, c'est un bon traité ?

MARC FESNEAU
Trois choses, d'abord pour la première fois, le traité a été analysé, il y a eu une expertise indépendante pour regarder les effets parce que ce traité est déjà à l'oeuvre depuis 2 ans et donc on en voit les effets. Et donc je voudrais quand même saluer le travail de la présidente de la commission des Affaires étrangères…

JEFF WITTENBERG
Mais alors donc les agriculteurs ne comprennent rien ?

MARC FESNEAU
…Marielle de SARNEZ et les faits qui sont posés sur la table et qui montrent que ce traité, il est bénéficiaire pour l'Europe de 500 millions d'euros environ depuis 2 ans, 500 millions d'euros en 2018. La deuxième chose, c'est que je pense que ce traité, il permet de faire converger, je pense au Canada en l'occurrence, vers des systèmes de production qui sont plus conformes aux nôtres, puisque la viande en particulier, c'est la question de la viande bovine qui est posée, elle va être produite dans des unités agricoles qui seront des unités spécialement dédiées avec des règles et des normes qui seront celles des standards européens. Et donc je pense que dans cette compétition-là les agriculteurs français, ils ont toute leur place, et je comprends les inquiétudes. Il y a des mécanismes de suivi et éventuellement d'ailleurs des mécanismes qui permettent d'activer un droit de retrait, si jamais on a le sentiment que ça déséquilibre les choses. A nous de faire en sorte que la filière bovine française soit compétitive parce que je pense que c'est nécessaire. Et deux je pense qu'on a besoin de libre-échange, l'agriculture française quand vous parlez que les agriculteurs, elle est puissamment exportatrice. Donc il faut accepter aussi qu'on soit dans des compétitions, la seule question c'est que la compétition soit juste.

JEFF WITTENBERG
Donc vous admettez que vous ne les avez pas convaincus quand même encore sur ce point puisque la majorité des éleveurs est contre…

MARC FESNEAU
… la politique c'est à la fois de porter des horizons et de rassurer et quand il y a des mécanismes à trouver de les trouver.

JEFF WITTENBERG
Il y a eu la passation de pouvoir hier entre Elisabeth BORNE et François de RUGY, on a entendu beaucoup d'amertumes dans le discours du sortant qui a parlé de lynchage médiatique. Il l'avait fait précédemment. Qu'est-ce que vous retenez, vous, de cette affaire, c'est que finalement l'acceptation des pratiques politiques, le curseur de l'acceptation est beaucoup plus bas qu'il ne l'était avant ?

MARC FESNEAU
Sans doute qu'il y a 10 ans ou il y a 5 ans, on n'aurait pas eu ce type de polémique pour dire les choses très franchement et moi je comprends, ça a été assez violent pour… Il faut toujours penser dans ce genre d'exercice et dans ce genre de moment médiatique très éruptifs aux personnes qui sont derrière ça, derrière le ministre, il y a aussi des familles et des individus qu'il faut laisser dire ce qu'ils ont à dire sur les sujets sur lesquels ils sont questionnés et respecter en tant que personne humaine et moi je trouve que, je comprends que François de RUGY puisse avoir cette amertume. C'est un ministre qui a fait beaucoup de choses sur les questions écologiques, c'est maintenant Elisabeth BORNE qui en aura la charge. Voilà il faut faire attention et je pense qu'il faut faire attention aux personne et puis aussi reconnaissons-le on est dans un moment où les Français sont très attentifs à nos attitudes et donc comme il faut être très attentif à ses attitudes, il faut essayer de s'y tenir.

JEFF WITTENBERG
Mais le mot de lynchage, vous le reprenez à votre compte, rapporter des utilisations discutables des deniers publics…

MARC FESNEAU
Quand vous avez un article à peu près toutes les trois heures…

JEFF WITTENBERG
D'accord mais rapporter l'utilisation de deniers publics à des fins discutables, est-ce que c'est du lynchage ?

MARC FESNEAU
Mais la question et les enquêtes sont en cours et les inspections sont en cours, on verra si les choses étaient discutables. Après je pense que c'était une question aussi médiatique au sens de l'attitude que ça donnait vis-à-vis des Français.

JEFF WITTENBERG
Allez une dernière question, Marc FESNEAU, sur la dureté de la vie politique, Benjamin GRIVEAUX, ce n'est pas un membre de votre parti, mais c'est un allié, le nouveau candidat à la Mairie de Paris s'est lâché, si j'ose dire, sur ses anciens concurrents dans une conversation privée, il a traité certains d'abrutis, je ne dis pas les autres mots à l'antenne, mais enfin c'était assez violent, il s'est excusé auprès de ses anciens concurrents, Monsieur Hugues RENSON, Cédric VILLANI, Mounir MAHJOUBI, qu'est-ce que vous en pensez ?

MARC FESNEAU
C'est toujours regrettable d'avoir ce propos, manifestement c'est même regretté puisque Benjamin GRIVEAUX a pris le soin d'appeler ceux qu'il avait nommé.

JEFF WITTENBERG
Mais il peut incarner le rassemblement ?

MARC FESNEAU
Et donc son travail à lui, c'est d'incarner le rassemblement et de faire en sorte que les paroles ne soient pas blessantes et de travailler avec les uns et les autres. Mais ça amène une deuxième question, si je peux me permettre, c'est quand même qu'on est dans un monde médiatique et un monde de transparence, mais c'est quand même une vraie question que de savoir si vous pouvez avoir encore une conversation d'ordre privé dans un cercle familial, dans un cercle amical ou même dans un cercle de collaborateurs.

JEFF WITTENBERG
On n'est pas obligé de dire du mal de ses amis.

MARC FESNEAU
On est obligé de dire du mal de ses amis, mais qui autour de la table sur ce plateau ou ceux qui nous regardent n'a jamais à un moment, par un moment d'énervement, par un moment d'éruption, par un moment de…, je ne sais lequel, de stress, dit du mal de quelqu'un sans que ça soit forcément rapporté. Je pense qu'il y a un moment où il faudra qu'on respecte aussi ce qu'est le cercle des conversations privées. Après Benjamin GRIVEAUX a un travail à faire, qui est un travail de rassemblement, il faut donner des signaux, celui-là n'en était pas un, mais je crois qu'il s'en est expliqué avec les intéressés. Mais attention à un système où sous couvert de transparence, on tourne quand même plutôt vers une forme de totalitarisme où il n'y a plus aucun espace privé. Et moi je pense qu'il faut faire attention à ça, on a le droit aussi de dire des choses qui ne sont pas parfaites, les êtres humains ne sont pas parfaits.

JEFF WITTENBERG
Vous lui pardonnez un petit peu, si je comprends bien. Merci beaucoup Marc FESNEAU.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 juillet 2019