Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à Europe 1 le 18 juin 2019, sur l'assurance-chômage, l'industrie aéronautique européenne, la fusion entre Renault et Fiat, Facebook et le budget de la zone euro.

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Média : Europe 1

Texte intégral

AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Audrey CRESPO-MARA.

AUDREY CRESPO-MARA
Les indemnités chômage des cadres vont baisser, elles vont devenir dégressives, si les indemnités diminuent, il serait logique que les cotisations patronales diminuent, le MEDEF le demande ; c'est ce que vous avez prévu ?

BRUNO LE MAIRE
Nous verrons ce que répondra le Premier ministre dans quelques heures, ce que je sais en tout cas, c'est que nous avons aujourd'hui en France un système d'indemnisation du chômage parmi les plus généreux en Europe et le niveau de chômage encore parmi les plus élevés en Europe, donc il y a quelque chose qui cloche, et réformer le système d'indemnisation du chômage, ça n'a qu'un seul objectif, le plein emploi.

AUDREY CRESPO-MARA
Aujourd'hui, les contributions des cadres financent 30 % de l'assurance-chômage alors qu'ils ne touchent que 18 % du total des allocations versées. Faut-il les faire payer encore plus ?

BRUNO LE MAIRE
Mais ils ont aussi une des durées d'indemnisation les plus longues en Europe, alors même que le chômage des personnes les plus qualifiées en France, il est de 5 ou 6 %, il est très faible, donc l'objectif, c'est de remettre de la justice et de l'efficacité dans ce système. De la justice, c'est faire en sorte que si on retrouve plus facilement un emploi, eh bien, on puisse avoir de la dégressivité, de l'efficacité, c'est accompagner davantage les chômeurs, et c'est faire en sorte qu'au bout du compte, l'indemnisation du chômage serve à vous protéger contre le chômage, et surtout, à retrouver un emploi le plus rapidement possible, pas à vous installer dans une période de chômage qui dure trop longtemps et qui vous gêne dans la recherche et la reprise de l'emploi.

AUDREY CRESPO-MARA
Bruno LE MAIRE, vous vous rendrez en sortant de ce studio au Bourget pour développer l'industrie aéronautique en Europe, faut-il instaurer une règle de préférence européenne qui oblige les pays de l'Union à acheter des avions européens ?

BRUNO LE MAIRE
En tout cas, c'est déjà un beau moment européen, ce Salon du Bourget, puisque le président de la République a annoncé hier la création de cet avion de combat avec l'Allemagne, avec l'Espagne, nous voyons que AIRBUS enregistre les commandes, donc c'est la preuve que l'Europe industrielle, ça existe, et que l'aéronautique européenne est puissante aujourd'hui dans le monde. S'agissant de l'avion de combat, je crois que c'est à chaque partenaire de se décider s'il veut participer oui ou non à ce programme, qui est un magnifique programme, après, la préférence européenne, moi, j'y suis favorable en matière industrielle. Je pense que nous avons intérêt à mieux défendre nos intérêts, à valoriser cette préférence industrielle, mais je le redis, dans le secteur de la défense, je crois que c'est à chaque Etat de savoir s'il veut participer oui ou non à ce grand programme aéronautique…

AUDREY CRESPO-MARA
Donc on n'impose rien ?

BRUNO LE MAIRE
Qui va être un grand succès…

AUDREY CRESPO-MARA
Bruno LE MAIRE, la presse italienne affirme que le directeur général de FIAT CHRYSLER est passé à Paris la semaine dernière pour reprendre les négociations avec RENAULT en vue d'une fusion, vous confirmez ?

BRUNO LE MAIRE
Le directeur de FIAT a le droit de passer son week-end à Paris, ça ne me pose évidemment aucune difficulté, en revanche, s'agissant de RENAULT, l'Etat actionnaire a fixé une stratégie, c'est le renforcement d'une alliance avec NISSAN qui existe depuis 20 ans et qui nous permet d'avoir un constructeur automobile qui est performant, qui est innovant et qui est leader dans le monde en matière de batterie électrique et de motorisation électrique, on n'a aucun intérêt à fragiliser cette alliance entre RENAULT et NISSAN…

AUDREY CRESPO-MARA
C'est votre priorité avant une fusion entre RENAULT et FIAT…

BRUNO LE MAIRE
Il faut au contraire la renforcer, c'est notre priorité. Moi, je me félicite que Jean-Dominique SENARD ait confirmé cette priorité à l'occasion de la dernière assemblée générale de RENAULT, et je fais toute confiance à Jean-Dominique SENARD – nous nous sommes vus très longuement la semaine dernière – pour renforcer cette alliance avec NISSAN. Il y a une première étape le 26 juin, on va voter les nouveaux statuts de gouvernance de NISSAN, moi, je souhaite que RENAULT soit en mesure de voter positivement, parce que ce sera un signe positif de ce renforcement de l'alliance. Ensuite, Jean-Dominique SENARD fera des propositions pour concrètement renforcer les liens entre RENAULT et NISSAN et rendre cette alliance plus solide pour affronter les défis du 21ème siècle dans l'industrie automobile, le véhicule connecté et le véhicule électrique. Et une fois que cette alliance aura été renforcée, et que plus personne ne pourra douter de sa solidité, alors, et alors seulement, nous réfléchirons à une consolidation, mais nous n'agirons ni sous la pression, ni dans la précipitation.

AUDREY CRESPO-MARA
Vous avez l'impression d'être sous pression ?

BRUNO LE MAIRE
Absolument pas, mais j'ai le sentiment parfois qu'on me dit : ah, il faut faire ça tout de suite, je me souviens : on me disait…

AUDREY CRESPO-MARA
C'est ce que laisse entendre FIAT...

BRUNO LE MAIRE
Nous demandons cinq jours supplémentaires pour faire une fusion qui représente 30 milliards d'euros de capitalisation, des centaines de milliers d'emplois qui sont concernés, une des industries les plus symboliques qui est l'industrie automobile, une entreprise qui n'est pas n'importe laquelle, RENAULT, on dit : prenons le temps de la réflexion, et on nous dit : non, il faut faire ça tout de suite, eh bien, je le redis : l'Etat, comme actionnaire de référence, parce que nous avons 15 % chez RENAULT, donc nous ne faisons que jouer notre rôle, garantit que nous prenons le temps pour faire les opérations à notre rythme et dans le bon sens, le bon sens, c'est l'alliance RENAULT-NISSAN, d'abord, la consolidation après.

AUDREY CRESPO-MARA
Bruno LE MAIRE, FACEBOOK a prévu de lancer sa propre monnaie virtuelle l'an prochain, est-ce que ça représente une menace pour le système bancaire français ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, que FACEBOOK crée un instrument de transactions, pourquoi pas…

AUDREY CRESPO-MARA
Plus de deux d'utilisateurs.

BRUNO LE MAIRE
Pourquoi pas. En revanche, que ça devienne une monnaie souveraine, il ne peut pas en être question, ça ne peut pas, et ça ne doit pas, devenir une monnaie souveraine avec tous les attributs de la monnaie, c'est-à-dire la capacité à émettre un titre souverain, la capacité à être une réserve, comme le sont les banques centrales aujourd'hui, prêteur en dernier ressort, tout ça n'est pas envisageable, parce que l'attribut de la souveraineté des Etats doit rester aux mains des Etats et pas des entreprises privées, qui répondent à des intérêts privés. La deuxième chose…

AUDREY CRESPO-MARA
Vous craignez que cette entreprise devienne aussi puissante qu'un Etat…

BRUNO LE MAIRE
Je fixe juste une limite, un instrument de transactions, oui…

AUDREY CRESPO-MARA
Qu'est-ce que vous pouvez faire contre ça ?

BRUNO LE MAIRE
Une monnaie souveraine, non. La deuxième chose…

AUDREY CRESPO-MARA
Et que pouvez-vous faire contre ça ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, nous allons demander des garanties, c'est la deuxième chose, d'abord, des garanties aussi que cet instrument de transaction ne peut pas être détourné par exemple pour du financement du terrorisme, par exemple. Par exemple, pour le financement d'activités illicites. Et j'ai donc demandé aux gouverneurs des banques centrales des 7 pays membres du G7 de nous faire un rapport pour la mi-juillet, quand se tiendra le G7 des ministres des Finances à Chantilly, pour qu'ils nous disent : voilà les garanties qu'il faut fixer sur ce projet de création de monnaie par FACEBOOK pour nous assurer qu'il n'y a pas de risque de financement illicite ou de risque pour le consommateur…

AUDREY CRESPO-MARA
C'est votre crainte…

BRUNO LE MAIRE
Parce qu'il faut évidemment apporter toutes les garanties aux consommateurs, et c'est notre rôle d'Etat de protéger les consommateurs, de protéger ceux qui utiliseront cette monnaie. La troisième remarque que je veux faire, c'est qu'on voit bien que cette monnaie, cet instrument de transactions, plutôt, va permettre à FACEBOOK d'accumuler à nouveau des millions et des millions de données, ça me renforce dans ma conviction de la nécessité de réguler les géants du numérique, de s'assurer qu'ils ne se trouvent pas dans une situation monopolistique, et c'est un enjeu clé pour le 21ème siècle, et ça me renforce dans ma détermination à aboutir à une juste taxation des géants du numérique, nous le faisons au niveau national, j'espère qu'au niveau de l'OCDE, c'est-à-dire au niveau international, nous y parviendrons au plus tard début 2000.

AUDREY CRESPO-MARA
Bruno LE MAIRE, selon vous, la zone euro vient de connaître une mini révolution, alors tellement mini que nos auditeurs n'en ont pas forcément entendu parler, qu'est-ce qui a changé vendredi dernier dans la zone euro ?

BRUNO LE MAIRE
Il y a deux choses qui ont changé, d'abord, on a renforcé le mécanisme européen de stabilité, qu'est-ce que ça veut dire, ça veut dire que s'il y a une crise financière, que les banques sont menacées, et donc que les épargnants qui nous écoutent se disent : tiens, qu'est-ce qu'il va advenir de mes dépôts à ma banque, de mes placements à ma banque, eh bien, nous avons renforcé les instruments de précaution qui permettent de résister à une crise financière, on a mis en particulier en place un filet de sécurité, soixante milliards d'euros de disponibles. Si demain, il y a une crise financière, tous les épargnants qui nous écoutent seront mieux protégés. C'est deux ans de négociations pour mettre en place ce qu'on appelle ce backstop, ce filet de sécurité, qui renforce la protection de l'épargnant. La deuxième chose, c'est que nous avons enfin, enfin, enfin, obtenu une décision sur le budget de la zone euro, c'était un des engagements de campagne du président de la République, il y aura un budget de la zone euro, c'est acté depuis vendredi matin, 5h.

AUDREY CRESPO-MARA
Emmanuel MACRON espérait plusieurs centaines de milliards d'euros pour ce budget, finalement, il ne devrait pas dépasser 17 milliards, étalés sur 7 ans, c'est plutôt une mesure symbolique, non ?

BRUNO LE MAIRE
Mais, regardez d'où nous venons, Audrey CRESPO-MARA, il y a deux ans, quand je me rendais à Berlin comme ministre des Finances, et que j'allais voir mon homologue Wolfgang SCHAUBLE, je n'avais pas le droit de prononcer le mot de « budget de la zone euro », c'était un tabou, le ministre des Finances français ne pouvait pas employer ce mot, un an après, accord de Meseberg entre la Chancelière et le président de la République, nous actons, en franco-allemand, la création d'un budget de la zone euro. Encore un an plus tard, c'est-à-dire aujourd'hui, les 19 Etats membres de la zone euro acceptent qu'il y ait un budget, c'est-à-dire une capacité d'investissement, pour que nos économies se rapprochent, pour qu'on investisse plus, par exemple dans les énergies renouvelables, dans l'innovation, dans la recherche, c'est une excellente nouvelle. Est-ce que ça suffit ? Certainement pas. Et moi, je suis convaincu que ce budget, d'abord doit augmenter en taille, et qu'il doit, non seulement permettre de faire converger nos économies, mais aussi devenir un instrument de solidarité. On peut réfléchir par exemple, c'est une proposition de mon homologue allemand, à une assurance-chômage, au niveau des 19 Etats membres de la zone euro, qui nous garantirait la solidarité, non seulement en cas de crise financière, mais aussi en cas de crise économique. C'est un premier pas, mais c'est un pas essentiel dans la bonne direction.

AUDREY CRESPO-MARA
Bruno LE MAIRE, une dernière question. Alors qu'il a toujours été hostile à la PMA pour les couples homosexuels, le Premier ministre est en train de changer d'avis, et vous ?

BRUNO LE MAIRE
J'ai fait part de mes interrogations, il y a maintenant plusieurs années, sur la PMA pour les couples homosexuels, j'ai toujours…

AUDREY CRESPO-MARA
Vous étiez inquiet pour les enfants, pour les conséquences sur les enfants.

BRUNO LE MAIRE
J'ai toujours ces interrogations, mais je me réjouis qu'il y ait un débat politique, je pense que c'est l'honneur de la politique et l'honneur de la démocratie française d'ouvrir des débats qui vous bousculent dans vos convictions et qui vous amènent à réfléchir différemment, à regarder ce qui est juste, ce qui est peut-être moins juste, à écouter ceux qui veulent faire une PMA pour les couples homosexuels, à comprendre leurs arguments, à écouter les scientifiques, à écouter les médecins, donc moi, j'aborde ça…

AUDREY CRESPO-MARA
Aujourd'hui, vous admettez qu'un enfant peut avoir deux papas ou deux mamans ?

BRUNO LE MAIRE
Mais bien sûr que j'admets qu'un enfant peut avoir deux papas ou deux mamans, la question que je me posais, c'était sur la PMA, ces interrogations, je les ai toujours, mais je me réjouis de confronter ces interrogations aux convictions des autres, parce que c'est ça le mérite du débat démocratique, c'est de vous faire bouger. Les gens immobiles, qui ne changent jamais de convictions, qui ne sont pas capables d'évoluer au contact des autres, ce n'est pas le débat démocratique, le débat démocratique doit vous permettre d'évoluer, de changer, d'écouter et d'entendre.

AUDREY CRESPO-MARA
Merci Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Merci Audrey CRESPO-MARA.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 juin 2019