Interview de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat à l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations à CNews le 19 juin 2019, sur l'élimination des violences sexuelles utilisées dans les guerres et les conflits.

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Intervenant(s) : 
  • Marlène Schiappa - Secrétaire d'Etat à l'égalité entre femmes et hommes et à la lutte contre les discriminations

Média : CNews

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Aujourd'hui, c'est la journée mondiale pour l'élimination des violences sexuelles qui sont utilisées dans les conflits, dans les guerres, etc., et ça concerne toutes les femmes, et, bien sûr, tous les hommes. Soyez la bienvenue, et vous êtes la bienvenue, Marlène SCHIAPPA, bonjour.

MARLENE SCHIAPPA
Merci beaucoup. Bonjour.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est une mission, si j'ai bien compris, de l'ONU, c'est-à-dire dénoncer et combattre le viol utilisé comme une arme. Il s'est répandu dans énormément de pays, et pas seulement en Afrique.

MARLENE SCHIAPPA
Oui, bien sûr, ce qui est inadmissible, c'est que le viol soit utilisé comme une arme de guerre, et surtout, qu'en temps de guerre, il y ait des violences sexuelles qui soient commises, et que très souvent…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ce n'est pas nouveau, hélas…

MARLENE SCHIAPPA
Ce n'est pas nouveau, mais justement, maintenant, il y a une indignation de la communauté internationale, j'ai pu au nom de la France à l'ONU, dénoncer ce fait et dénoncer surtout l'impunité de ces violences sexuelles, je rappelle que par exemple les Yézidis ont été pour beaucoup d'entre elles réduites à l'esclavage sexuel par Daesh, et il n'y a à ce jour aucun criminel auteur de ces viols et de ces faits-là qui n'ait été traduit en justice…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et qu'est-ce que vous estimez qu'il faut faire avec les Nations-Unies, encore un tribunal ou les traduire devant les tribunaux internationaux ?

MARLENE SCHIAPPA
On estime qu'il faut qu'ils soient traduits en justice, hier, j'ai lancé, à l'Assemblée nationale, j'ai introduit le film de Caroline FOUREST qui s'appelle « Soeurs d'armes » qui montre justement comment les femmes se battent en Irak, notamment, au Kurdistan, en outre, pour défendre justement ces femmes et pour mettre fin à l'esclavage sexuel. Le président de la République a accueilli en France 100 femmes Yézidies. Et il a co-nommé Nadia MURAD et Denis MUKWEGE, qui sont les deux co-Prix Nobel de la Paix de l'année dernière, présidents du Conseil consultatif pour l'égalité femme/homme du G7, c'est important, parce que je rappelle pour ceux qui ne le savent pas que Denis MUKWEGE, on l'appelle l'homme qui répare les femmes, il travaille au Congo sur les femmes qui ont été victimes de ce type de tortures et de violences.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va en parler. Et le père DESBOIS, qui est à l'origine aussi de « La Shoah par balles », a été l'un des premiers à attendre à la frontière les Yézidies qui pouvaient passer, les femmes Yézidies, et qui a enregistré leurs témoignages. Et vous pensez qu'aujourd'hui, dans différents pays, il faut agir contre ce type de violences, mais toutes les violences qui viennent de fanatisme culturel et religieux, que ce soit en Inde, en Afrique, en Indonésie, au Japon un peu partout ?

MARLENE SCHIAPPA
Oui, complètement, ce qu'on observe, c'est que les femmes sont trop souvent les premières victimes de cet obscurantisme, vous avez raison de le nommer comme ça, et il est intolérable que dans des temps de guerre et dans des temps de conflit, il y ait ces violences sexuelles qui soient commises, et que ce soit finalement accepté, c'est ça qui est intolérable.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
J'ai vu que vous avez fait un voyage aux Etats-Unis, d'abord, au Canada, aux Etats-Unis, à New-York, et au Mexique, et il paraît que là-bas vous avez entendu le récit des victimes du cartel de la drogue, qui, là, encore, torture viole les femmes, à titre exemplaire, pour eux.

MARLENE SCHIAPPA
Oui, là encore, ce qu'on observe, c'est que les femmes sont utilisées, et qu'effectivement, le fait de torturer, de violer, de s'en prendre à des femmes est une forme de message qui est envoyé d'un gang à l'autre, oui, et il y a un taux de féminicides au Mexique qui est extrêmement important, et c'est pour ça qu'on travaille main dans la main avec ce pays.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais j'entends déjà les critiques contre vous et moi ce matin, en quoi ça concerne la société française, on s'en fout ?

MARLENE SCHIAPPA
Parce que nous sommes êtres humains, et peut-être le combat pour la dignité des personnes est un combat qui…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'autant que ce n'est pas nouveau, ça a été pratiqué, bien sûr qu'il faut le dénoncer, mais il faut avoir, pas seulement les moyens théoriques, intellectuels de le dénoncer, mais il faut l'action punitive…

MARLENE SCHIAPPA
C'est exactement ce que nous sommes en train de faire, c'est pour ça que le président, dans le cadre… vous savez que la France préside le G7 cette année…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
A Biarritz…

MARLENE SCHIAPPA
Exactement, il y a eu un G7 Egalité qui s'est tenu à Paris, à Bondy, que j'ai présidé, et nous avons engagé les 7 pays, incluant les Etats-Unis d'Amérique, à signer des engagements assez forts notamment sur ces sujets-là.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donald TRUMP a laissé faire… ?

MARLENE SCHIAPPA
La représentante de Donald TRUMP, Catherine KAUFFMANN (phon), a tout à fait signé et s'est engagée pour la reconnaissance des activismes féministes dans le monde pour le soutien à l'égalité femmes-hommes comme grande cause mondiale, pour la lutte contre le cyber-harcèlement pour l'accès des filles à l'école, etc.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Peut-être qu'il ne sait pas qu'elle est là et qu'elle a participé au G7. Vous lancez aujourd'hui, ici, et vous allez le répéter, je pense, demain ou après-demain, un plan de lutte général contre l'excision, vous dites qu'il y a 60.000 femmes qui sont concernées en France, et surtout des millions dans toute l'Afrique, au Proche-Orient, en Egypte, par exemple, c'est 91 % des femmes. C'est une pratique ancestrale qui marque à jamais les petites filles et qu'il faut dénoncer.

MARLENE SCHIAPPA
Oui, absolument, c'est un plan que nous avons lancé à la Maison des femmes dans le 93, vendredi, avec toutes les associations qui ont été partie prenante, parce que nous avons construit ce plan contre l'excision main dans la main, avec les associations, les ONG ,mais aussi avec le Collège des gynécologues par exemple pour s'engager, vous l'avez rappelé, il y a près de 60.000 femmes en France qui vivent excisées…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Où ? Où ? Parce qu'il y a eu des procès déjà contre les matrones qui pratiquaient sur les petites filles…

MARLENE SCHIAPPA
Oui, mais la difficulté, c'est que…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais où elles sont, dans quels quartiers, où, comment ?

MARLENE SCHIAPPA
Alors, justement, la vraie difficulté, c'est encore une fois la différence entre la loi et la pratique, la loi interdit l'excision sur le sol français, et la loi interdit aussi d'exciser des petites filles ou des jeunes filles françaises à l'étranger. Néanmoins…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ça se pratique quand même…

MARLENE SCHIAPPA
Néanmoins, ça se pratique, et il est extrêmement difficile de le trouver…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Où ? Où ça se pratique ?

MARLENE SCHIAPPA
C'est-à-dire, où ? Dans plusieurs pays, là, j'étais par exemple…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, non, non, mais en France, où ?

MARLENE SCHIAPPA
Ah, en France, eh bien…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qui la pratique ?

MARLENE SCHIAPPA
Eh bien, en général, ce sont des personnes qui sont issues de pays qui pratiquent l'excision, qui ont cette tradition, et il y a beaucoup de pays qui sont engagés, j'étais au Burkina-Faso il y a deux mois de cela pour travailler avec le gouvernement et avec mon homologue, je suis allée dans un village, à Tibou, qui a éradiqué ce qu'ils appellent les pratiques néfastes, donc l'excision, les mariages des petites filles.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça, c'est un exemple au Burkina Faso, on va y revenir, mais c'est vrai que souvent, il faut le dire, les pères et les frères ne peuvent rien faire, ils sont inutiles ou impuissants, parce que ce sont les mères, les grands-mères et les tantes qui pratiquent les mutilations insupportables et scandaleuses.

MARLENE SCHIAPPA
Oui, bien sûr, c'est une des particularités de l'excision, c'est qu'effectivement, elle est pratiquée très souvent de femmes sur des petites filles, et c'est pour ça qu'on a besoin de faire un travail de terrain avec les ONG, au Burkina Faso, les chefs de villages par exemple se sont engagés officiellement, ont pris l'engagement devant tout le monde…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, enfin, là, s'ils se sont engagés, il faut qu'ils pratiquent…

MARLENE SCHIAPPA
Alors, ils ont pratiqué, justement, ils ont enterré, la tradition, c'est qu'on enterre les outils d'excision sous un arbre, on plante un arbre dessus pour dire qu'on ne peut pas aller le chercher. Mais nous, vendredi, nous allons annoncer un certain nombre de mesures très importantes, notamment sur la prévention quand il y a une déscolarisation des petites filles à un moment sur un âge qui est sensible, il faut pouvoir le voir venir, et un engagement également des gynécologues et des professionnels soignants sur ce sujet-là…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, ça, c'est en France, mais par exemple, en Egypte, dans d'autres pays, les médecins et les gynécologues mettent des gants blancs et ils pratiquent ces mutilations. Mais je vais vous faire entendre un témoignage, parce qu'il y a longtemps que sur CNews et ailleurs, nous nous intéressons à ce problème. Assita KANCO, qui est écrivain, a subi une enfance chez elle au Burkina Faso ces blessures qu'elle ne cesse de dénoncer dans différents livres, et elle l'a fait ici avec nous, écoutez un extrait de ce qu'elle nous avait dit en novembre 2017, vous voyez que c'est un combat qui remonte loin.

ASSITA KANKO
Au Burkina Faso, 75 % des petites filles ont été excisées, dont moi-même, aujourd'hui, cela continue. Dans le monde, c'est 7 petites filles chaque minute qui passe, et c'est quelque chose qui est lié à toute la série des dominations des femmes, c'est lié, plus tard, il y aura le mariage forcé, il y aura la privation d'éducation, etc., il y aura l'obligation d'avoir autant d'enfants que l'homme veut, l'homme qu'on n'a peut-être pas choisi. Ce sont les vies qu'on excise, ce n'est pas que le corps, moi, en tout cas, c'est comme ça que je l'ai vécu, et les témoins que j'ai rencontrées aussi, c'est un traumatisme, c'est une rupture avec la confiance qu'on peut avoir avec la famille, qu'on peut avoir avec les proches. C'est une souffrance qui impose une solitude insupportable à un enfant, en plus de la douleur physique.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et la lutte contre l'excision, c'est le combat d'Assita KANKO et de beaucoup d'autres femmes, parce que c'est lutter contre ces mutilations, c'est en même temps le droit au savoir, le droit à la liberté, à l'émancipation, et j'ai l'impression que c'est même tout le continent africain qui veut changer.

MARLENE SCHIAPPA
Oui, et je crois que ce qu'il faut comprendre, c'est que l'excision ne s'arrête pas, quand l'excision s'arrête, c'est un geste véritablement de torture et qui a des conséquences sur la santé des femmes qui sont extrêmement graves… Et c'est pour ça que le président du Faso avec lequel j'ai pu avoir un entretien de travail sur ce sujet, avec mon homologue, la ministre en charge, a pris des politiques publiques assez volontaristes et qui doivent maintenant rayonner dans tout le pays.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quand on regarde un peu le problème des droits des femmes, l'émancipation, on a l'impression qu'il y a, à la fois, des progrès et un recul, je ne dis pas une régression, mais un recul, est-ce que vous le sentez là où vous êtes de cette manière, et puis, que quelques-uns se rassurent, on va parler des problèmes aussi français.

MARLENE SCHIAPPA
Oui, très bien, oui, oui, je le partage complètement, je dirais qu'il y a une offensive, c'est ce qu'on appelle le backlash, c'est-à-dire, on a une avancée pour les droits des femmes, et ensuite, il y a un recul très fort, mais je pense que peut-être nos mères, il y a 30 ans, quand elles venaient de conquérir le droit à l'avortement, etc., ne s'imaginaient pas que 30, 35 ans après, on allait débattre, par exemple, dans des élections, de ce fait-là, et si vous me permettez une minute de politique politicienne, moi, je suis assez frappée de voir que, après le score, le mauvais score aux élections européennes du parti Les Républicains, qui avaient une tête de liste qui remettait en cause le droit à l'IVG, certaines voix dans Les Républicains se soient fait entendre pour dire : peut-être que ce n'était pas une bonne idée d'attaquer le droit à l'IVG, certes, mais, est-ce que s'il avait fait un très bon score, ces voix se seraient également prononcées ? Donc, je crois que sur l'IVG, on doit être très clair, ça doit être un principe qui ne doit pas être corrélé aux résultats électoraux des uns et des autres…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Intouchable ! L'abolition de la peine de mort et l'IVG, deux règles intouchables…

MARLENE SCHIAPPA
Absolument, voilà, exactement, quelques principes…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais c'est vrai que les droits des femmes connaissent des hauts et des bas comme s'ils étaient précaires et réversibles…

MARLENE SCHIAPPA
Oui, tout à fait, je crois qu'ils sont assez liés à l'offensive populiste, à laquelle on assiste partout dans le monde, les premières victimes des politiques publiques populistes, ce sont les femmes, et ça, on le voit dans le monde, et on le voit également en France, je pense à quelques présidents de région par exemple qui lorsqu'ils sont arrivés ont coupé les subventions, ont réduit les subventions du planning familial ou d'un certain nombre d'associations…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il y a des populistes en France antiféministes ?

MARLENE SCHIAPPA
En tout cas, il y a des politiques publiques antiféministes qui sont menées en France, oui, je pense par exemple à la région qui est présidée par monsieur WAUQUIEZ, l'une de ses premières décisions, ça a été de couper les vivres à un certain nombre d'associations.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc WAUQUIEZ, antiféministe, et il y en a d'autres ?

MARLENE SCHIAPPA
Ce n'est pas une surprise.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, mais enfin, pour vous, il y en a d'autres, puisque vous les dénoncez ?

MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, le plus manifeste, c'est celui-ci, après, dans les discours, on peut observer un certain nombre de choses, mais en tout cas, l'exemple le plus fort, c'est celui-ci.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce qu'on pensait que c'était surtout chez Donald TRUMP, parce qu'il y a des Etats américains, il y en a au moins trois, qui ont puni l'IVG…

MARLENE SCHIAPPA
Oui, bien sûr, au Rassemblement national également…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais la Pologne, la Hongrie, le Brésil…

MARLENE SCHIAPPA
La Pologne, la Hongrie, les Etats-Unis d'Amérique…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Etc, etc, etc… et puis, ça monte, ça monte, ça monte, c'est contagieux !

MARLENE SCHIAPPA
Tout à fait, et d'ailleurs, moi, j'ai eu l'occasion, là encore, aux Nations-Unies, de dénoncer les reculs du droit à l'IVG chez nos partenaires, et je pense qu'il faut continuer à le faire, y compris sur la sémantique, parce qu'on a là des personnes qui se nomment elles-mêmes provie, mais qui veulent envoyer les femmes vers une mort certaine, on voit qu'au Texas, il y a eu un débat pour savoir s'il fallait rétablir… enfin, mettre en oeuvre plus exactement la peine de mort pour les femmes qui ont recours à l'avortement, donc les médecins qui les pratiquent…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
On n'en est pas là, même dans les régions que vous avez citées en France…

MARLENE SCHIAPPA
On n'en est pas là, Dieu merci…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, oui, oui, et on n'en sera jamais là. Le président de la République et le Premier ministre ont compris qu'il fallait changer de méthode, ils le disent, ils le répètent, être moins péremptoire et plus humain, est-ce que vous allez vous l'appliquer à vous-même ?

MARLENE SCHIAPPA
Vous me trouvez péremptoire ?

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quelquefois…

MARLENE SCHIAPPA
C'est vrai ?

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ou mère-emptoire

MARLENE SCHIAPPA
Mère-emptoire, c'est une nouveauté, Jean-Pierre ELKABBACH…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, mais est-ce que vous allez retenir la leçon, vous aussi ?

MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, je crois que collectivement, il faut effectivement que le gouvernement soit très à l'écoute, mais moi, vous savez, si on prend l'exemple du mouvement des gilets jaunes, au mois de novembre, j'ai commencé à aller à la rencontre des gilets jaunes, à discuter…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et on sait ce que vous avez fait avec Cyril HANOUNA, etc.…

MARLENE SCHIAPPA
Tout à fait, donc, moi, j'ai toujours privilégié l'écoute, le dialogue, moi, je suis issue d'un milieu populaire, je n'ai pas fait l'ENA, je n'ai pas fait Sciences Po, je n'ai pas grandi dans le 7ème arrondissement de Paris, j'ai grandi dans une cité HLM et en province, donc voilà, je ne pense pas être déconnectée de ce qui se passe dans ce pays…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais alors, allez, je vais vous dire quelque chose qui va peut-être vous fâcher, dans le Journal du Dimanche, Laurent WAUQUIEZ s'est plaint de la…

MARLENE SCHIAPPA
Non, Laurent RUQUIER…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Laurent RUQUIER, vous voyez…

MARLENE SCHIAPPA
Mais c'est de ma faute, je vous ai parlé de Laurent WAUQUIEZ avant…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est de votre faute ! Laurent RUQUIER – merci de m'avoir corrigé – s'est plaint de la dictature des Twitter et des réseaux sociaux et de vous, Marlène SCHIAPPA.

MARLENE SCHIAPPA
Oui.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et alors ?

MARLENE SCHIAPPA
Pff, écoutez, moi, je n'ai pas l'habitude de…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça ne vous a pas plu, vous êtes même intervenue pour protester, vous n'aimez pas lire votre nom associé à la dictature…

MARLENE SCHIAPPA
Je ne suis pas intervenue pour protester. J'ai dit : je ne peux pas faire un débat par média interposé, moi, je suis plutôt réputée pour être quelqu'un d'assez franche et directe, je dis aux gens ce que j'ai à leur dire les yeux dans les yeux, et en l'occurrence, j'ai dit à Laurent RUQUIER ce que j'avais à lui dire à ce sujet.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais il dit : on ne peut plus rien dire sur quoi que ce soit, et là, est-ce qu'il n'a pas raison ?

MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, les gens qui disent : on ne peut plus rien dire, tout le temps, partout, je suis désolée, quand on gère une émission de télévision qui est hebdomadaire, d'une longue durée, d'une grande audience, etc., ce n'est pas vrai qu'on ne peut plus rien dire…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et alors, quoi, on se tait, on ne dit plus rien…

MARLENE SCHIAPPA
Ce n'est pas vrai, Laurent RUQUIER décide de ce qu'il dit dans son émission…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a une certaine retenue, mais l'invitation à la censure ou à l'autocensure, ou alors à la protestation auprès du CSA, pour tirer les oreilles de ceux qui ont dit un mot de travers…

MARLENE SCHIAPPA
Alors plusieurs choses, 1°) : la censure, certainement pas, et certainement pas moi, en revanche, les signalements au CSA, oui, et le rôle du CSA, c'est cela, c'est le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, quand moi, en tant que secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité femmes-hommes, je suis moi-même saisie de centaines ou parfois de milliers de signalement des gens me demandant de procéder à un signalement au CSA, j'étudie la question, et quand c'est nécessaire, je fais un signalement au CSA ,mais le CSA est indépendant et souverain, et décide oui ou non de poser des sanctions ou pas…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, bien sûr, bien sûr, mais lui aussi il répond à la pression. Si vous me permettez…

MARLENE SCHIAPPA
Ce n'est pas une question de pression, mais je veux juste terminer là-dessus, moi, je suis très attachée au dialogue, par exemple, dans l'émission avec Jérôme ROTHEN et Daniel RIOLO, qui ont tenu des propos sexistes et offensants sur la femme qui avait accusé NEYMAR de viol, ils m'ont invitée à intervenir, à discuter avec eux dans leur émission, j'ai accepté, et nous avons discuté ensemble, point de vue et point de vue, je suis farouchement en défense du débat et de la pédagogie et de la discussion, et c'est ce que je mets en oeuvre à chaque fois…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord, mais est-ce que Laurent RUQUIER a tort quand il dit : nous sommes en permanence la proie des lobbies, les associations, des corporatistes catégoriels et du communautarisme, là, il a raison…

MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, sincèrement, là, je crois qu'on est dans ce débat, on est dans une forme de renversement de la situation, c'est-à-dire le fait qu'il y ait des personnes qui étaient pendant des décennies opprimées ou victimes tout le temps de telle ou telle blague, parce que quand on fait sans cesse des blagues sur les femmes, les juifs, les noirs, les arabes, les gays, etc., que, enfin, ces personnes-là se battent pour la dignité des personnes et disent : non, ça suffit, on n'a pas le droit légalement de tenir des propos négationnistes, de tenir des propos racistes, de tenir des propos homophobes…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça, on est d'accord…

MARLENE SCHIAPPA
Et que cela, on le manifeste à chaque fois, je trouve que c'est plutôt une saine évolution du débat, qui n'a rien à voir avec de la censure…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quand on dit ça, est-ce que vous pensez que c'est un délit qui doit dépendre du pénal ?

MARLENE SCHIAPPA
Mais c'est un délit. Pardon, mais le fait de prononcer des injures publiques, de tenir des propos négationnistes, des propos antisémites, des propos homophobes…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça oui, mais heureusement, ce n'est pas toujours le cas.

MARLENE SCHIAPPA
Tout cela tombe sous le coup de la loi, oui, évidemment.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Regardez, Nicolas BEYTOUT dans L'Opinion de ce matin, qui ne parle pas de vous, il ne vous cite pas, il dénonce lui aussi la police de la pensée, il dit : ces gardes frontières de plus en plus agressifs, parce qu'en bridant le débat public on atteint la démocratie. Là au moins on peut être d'accord.

MARLENE SCHIAPPA
Moi, vous savez, moi je suis au contraire très en défense du débat et je n'irai pas si ce n'était pas le cas, dans les émissions qui a priori me sont hostiles etc. Et je suis plutôt réputée pour accepter les débats et accepter les débats d'idées et les discussions…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien. Eh bien voilà, vous le montrez, parce qu'en même temps votre force à vous c'est la parole…

MARLENE SCHIAPPA
Bien sûr.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
La parole qui est une première action, donc l'agitation.

MARLENE SCHIAPPA
Mais je ne veux pas qu'on renverse les rapports de force, et je ne suis pas sûre d'ailleurs d'être visée par cet édito. Je n'ai pas compris pourquoi Laurent RUQUIER a décidé de faire de moi ce symbole. Moi, mon combat c'est un combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes, pour la lutte contre les discriminations, pour la dignité des personnes, c'est un combat digne que je vais continuer à mener, parce que je n'accepte pas effectivement que des propos sexistes soient tenus encore en 2019.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Allez, une succession de questions rapides. Est-ce que vous êtes favorable, me dit-on, au cannabis récréatif ?

MARLENE SCHIAPPA
Pas du tout.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non ?

MARLENE SCHIAPPA
Non.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous allez vous présenter aux élections ? J'ai vu que vous ne vous représenterez pas dans votre ville, Le Mans, mais est-ce que vous vous présenterez aux élections ?

MARLENE SCHIAPPA
Alors, je discute avec Benjamin GRIVEAUX, que je soutiens très fortement à Paris. Vous savez, je suis Parisienne, je suis née à Pairs, j'ai passé 32 ans à Paris, je me suis mariée, j'ai eu des enfants, j'y vis actuellement, et donc si je me présente aux élections municipales, ce serait plutôt à Paris, en tout cas dans l'équipe de Benjamin GRIVEAUX.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Si c'est lui qui est choisi, Benjamin GRIVEAUX, vous seriez dans quel quartier, quel arrondissement ?

MARLENE SCHIAPPA
Moi j'habite à Montparnasse, donc il est plutôt logique que je me présente là où j'habite et là où j'étais au collège et où j'ai grandi au demeurant.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a une… à la demande du président de la République vous lancez une Conférence mondiale pour les femmes, qui aurait eu lieu à Paris.

MARLENE SCHIAPPA
Oui, tout à fait. C'est une grande conférence mondiale…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'année prochaine.

MARLENE SCHIAPPA
Exactement, en 2020, qui célèbre sous l'égide de l'ONU Femmes, qui célèbre les 25 ans de la Convention de Pékin, qui est une grande convention internationale pour les droits des femmes. Et donc nous sommes en train de travailler avec le Mexique justement, à cet événement, en 2020 à Paris, ce sera un Forum mondial des femmes.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, vous dites une diplomatie féminine.

MARLENE SCHIAPPA
Oui.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quand on interroge les responsables du football, les femmes disent : il n'y a pas de football féminin. Pourquoi il y aurait une diplomatie féminine ? Que Jean-Yves LE DRIAN se prépare, toute une génération, une promotion de diplomates femmes et d'ambassadrice femmes, c'est une chose, mais qu'est-ce que ça veut dire la diplomatie féminine ?

MARLENE SCHIAPPA
Alors ce n'est pas une diplomatie féminine, c'est une diplomatie féministe. La diplomatie féministe ça regroupe tout ce que nous venons d'évoquer, par exemple le fait que la France s'engage pour lutter contre les crimes sexuels en temps de guerre, le fait que nous ayons, dans le cadre de la présidence du G7, créé un partenariat Biarritz, avec une veille des meilleures lois du monde pour l'égalité femmes-hommes, et que nous engageons tous les Etats à implémenter au moins l'une de ces lois pour faire évoluer l'égalité femmes-hommes. Le fait que le président ait appelé à l'ONU à une grande cause mondiale pour l'égalité femmes-hommes, et donc emmène avec lui tous les chefs d'Etat sur ce sujet…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça devient une cause mondiale…

MARLENE SCHIAPPA
Absolument.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ça aurait lieu l'année prochaine au mois de juillet. Il y a une question qui monte et il y a eu beaucoup d'appels depuis qu'on sait que vous êtes là. Il y a des médecins, des parents de l'Education nationale, qui commencent s'inquiéter sur ce qu'ils appellent la crise du genre. Il y a de plus en plus d'adolescents qui ne se reconnaissent ni comme garçon, ni comme fille, et ils veulent changer de sexe et de genre. Qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce que vous pensez que c'est une liberté de plus qu'il faut encourager ou laisser faire ?

MARLENE SCHIAPPA
Mais je pense que c'est assez sain, en fait, arrivé à l'adolescence, de s'interroger sur sa propre identité. Et je crois qu'un certain nombre de psychologues ont expliqué que dans les périodes dans lesquelles les adolescents grandissent, il y a toujours une période sur laquelle ils s'interrogent sur leur identité…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord, mais on s'interroge, on le voit aussi avec les médecins d'écoles, les psychanalystes, mais jusqu'à changer de sexe, parce qu'en même temps, pour les nommer ils ne veulent plus être « il » ou « elle » mais j'ai vu « iel » i.e.l.

MARLENE SCHIAPPA
Oui, alors, plusieurs choses. D'abord je ne suis pas certaine que ce soit un mouvement extrêmement massif, et d'un nombre très colossal.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il monte.

MARLENE SCHIAPPA
Première chose. Deuxième chose, il ne faut pas confondre l'interrogation normale qui fait partie de la croissance sur sa propre identité, son orientation amoureuse ou sexuelle etc., et des personnes qui véritablement veulent réparer ce qu'elles considèrent être une erreur de la nature, et qui sont les personnes trans et qui ont envie de mettre leur corps en conformité avec leur identité profonde.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il y a les deux aspects.

MARLENE SCHIAPPA
Absolument.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'un côté on comprend…

MARLENE SCHIAPPA
Et là je crois qu'il faut les accompagner.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
… tolérance et acceptation, et de l'autre côté une interrogation.

MARLENE SCHIAPPA
On comprend tout et on doit accompagner toutes les questions qui sont légitimes.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous avez vu, et c'est ma dernière remarque, que les religions s'en inquiètent, et que le 10 juin, c'est-à-dire il y a 9 jours, le Vatican a publié 26 pages pour dire que le pape François, comme les autres papes qui l'ont précédé, Benoît 16 et Jean Paul, s'opposent dès l'école à l'évolution des sociétés sur les questions de sexualité et de genre. Est-ce que vous comprenez leur inquiétude ?

MARLENE SCHIAPPA
Je dirais que le pape est dans son rôle.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci d'être venue.

MARLENE SCHIAPPA
Merci à vous.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci, bonne journée.

MARLENE SCHIAPPA
Bonne journée à vous également.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y aura d'autres rencontres avec nous pour les mêmes combats et cette cause.

MARLENE SCHIAPPA
Avec plaisir.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
En France, j'annonce la personne qui vient demain, c'est Sophie CLUZEL, la secrétaire d'Etat qui est auprès du Premier ministre.

MARLENE SCHIAPPA
Très bien.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pourquoi je l'invite ? Parce qu'en France il y a 12 millions de personnes atteintes d'une forme de handicap, un Français sur cinq, qui ont souvent victimes d'indifférence, d'incompréhension et même de violences. Demain à votre place Sophie CLUZE. Bonne journée.

MARLENE SCHIAPPA
Bonne journée à vous


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 juin 2019