Texte intégral
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le silence et l'embarras sur une révolution qui est en cours, comment mieux intégrer dans la société les personnes atteintes de multiples handicaps et j'ai envie de dire de la maternelle à l'âge adulte en passant par la faculté et par l'entreprise. Bienvenue Sophie CLUZEL, bonjour.
SOPHIE CLUZEL
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et je suis heureux de vous accueillir pour le combat que vous menez et auquel tient l'Obs d'aujourd'hui, je ne sais pas si vous l'avez lu, ils ont fait un portrait qui est un hommage mérité. Oui, c'est une révolution qui se passe sous nos yeux, qu'on ne voit pas, qu'on ne veut pas regarder et pourtant il y a d'après ce que je lis, un Français sur cinq qui est concerné.
SOPHIE CLUZEL
Oui, près de 10 millions de personnes en situation de handicap, alors tout type de handicap, ça va de la personne aveugle, ça va de la personne qui a une myopathie, ça va de l'autisme, les handicaps psychiques mentaux, sensoriels.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
De la légèreté à la gravité extrême.
SOPHIE CLUZEL
Exactement. Un panel extrêmement important, un Français sur cinq concerné, donc ça nous concerne tous, dans notre entourage on a tous quelqu'un qui est handicapé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et pourtant c'est un sujet qui reste tabou, qui est frappé soit de compassion, soit d'oubli, soit d'indifférence et qui a créé quand on en parle, j'en ai fait l'expérience, qui crée parfois un malaise.
SOPHIE CLUZEL
Oui ça gêne, ça gêne parce que ça fait un peu peur, c'est anxiogène mais pour autant il faut qu'on en parle. Quand j'ai fait les grands débats par exemple avec les lycéens handicapés, ils m'ont dit Madame, on est soit des fantômes, soit des invisibles, soit on est moqué. Ça, ça fait mal quand on entend ça, c'est pour ça qu'on a déclaré le handicap priorité du quinquennat pour en parler, pour les remettre au coeur de la cité tout simplement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est extraordinaire de penser qu'en 2019, on s'interroge encore pour savoir si les personnes handicapées peuvent avoir tous les droits comme les valides.
SOPHIE CLUZEL
Parce qu'on a été beaucoup dans des droits incantatoires. Moi, je suis une femme de terrain, je veux tout simplement que ces droits soient réels. C'est bien pour ça que le président a voulu absolument remettre en pleine citoyenneté les personnes handicapées majeurs protégées sous tutelle, le droit de vote, c'est le premier vraiment…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le droit de vote ?
SOPHIE CLUZEL
Oui, le droit de vote pour tous, le handicap n'est plus une cause d'exclusion du droit de vote, vous vous rendez compte. Ca faisait 30 ans…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu'ils sont tous en état d'autonomie et pas de tutelle pour aller avoir le droit de vote.
SOPHIE CLUZEL
On les accompagne justement, c'est ça tout l'enjeu, c'est de pouvoir émanciper, donner le pouvoir d'agir aux personnes handicapées.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et déjà dans le langage, il y a un changement, avant on disait les handicapés, aujourd'hui on dit les personnes handicapées, ça a déjà toute une signification différente.
SOPHIE CLUZEL
Exactement. Ce n'est pas le handicap qui caractérise la personne, c'est la personne. Après elle a des difficultés, un handicap mais elle est d'abord avant tout une personne.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors prenons des exemples, à la rentrée prochaine sera généralisé un grand service public de l'école inclusive, qu'est-ce que ça veut dire encore une école inclusive ?
SOPHIE CLUZEL
C'est une école qui s'ouvre pour scolariser tous les élèves handicapés quelles que soient leurs différences, quels que soient leurs besoins particuliers. C'est avec Jean-Michel BLANQUER que nous bâtissons vraiment une façon de pouvoir mieux scolariser les enfants handicapés, quel qu'ils soient, quels que soient leurs besoins, il y en a 340.000 élèves handicapés, ça augmente.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
De tout âge.
SOPHIE CLUZEL
De tout âge, de la maternelle au bac, c'est de toutes classes, de tout type de handicap, ce qu'on veut, c'est que ce parcours vers l'école soit simple pour les familles et qu'ils restent à l'école.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais qu'est-ce que ça représente comme élève dans l'ensemble des générations et classes scolaires ?
SOPHIE CLUZEL
C'est 2,5 % d'élèves handicapés dans l'ensemble des 12 millions d'élèves.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et c'est bien de dire inclusive ou l'inclusion, c'est finalement si on veut être simple le contraire de l'exclusion, accepter les différences, ne plus exclure.
SOPHIE CLUZEL
Et s'adapter aux différents, c'est ça la grande différence, c'est que c'est l'école qui doit trouver les moyens justement de s'adapter à la différence de chacun et ça servira à tous. Quand on met de la pédagogie différenciée pour un enfant autiste ou un enfant qui a une déficience intellectuelle de toute façon c'est bénéfique pour tous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et dans votre conception et de votre réforme, toutes les classes seront ouvertes aux élèves handicapés, jusqu'à présent d'après ce que je comprends, on les a séparés et je mettrai des guillemets protégés.
SOPHIE CLUZEL
Voilà c'était une vision assez protectrice et nous ce que l'on veut, c'est avec tous les professionnels du médico-social qui sont dans ces établissements et qui savent les adaptations qu'il faut mettre, eh bien ce que l'on veut c'est que tout ce monde se déplace dans l'école et vous savez ce comme disent les familles, j'étais encore sur le terrain pour visiter une classe autiste au sein d'une école, on est enfin parents d'élève. Notre enfant est à l'école toute la semaine, tout se fait dans l'école, cette coopération avec le médico-social parce que certains enfants ont besoin vraiment de professionnels qui viennent travailler avec l'Education nationale.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'égalité et si je me rappelle bien la première révolution pour l'égalité des chances, elle date de la loi de 2005, de CHIRAC-RAFFARIN, aujourd'hui donc il faut aller plus loin, mais est-ce que le système scolaire tel qu'il est fait est prêt à accepter ce que vous proposez ?
SOPHIE CLUZEL
Eh bien il s'organise justement, c'est ça le service public de l'école inclusive, c'est-à-dire qu'on organise les accompagnants, on forme ensemble les enseignants, on forme enfin les accompagnants. On permet justement d'avoir des classes, une réponse en fait qui est très, très, très sur mesure pour des enfants handicapés qui ont des besoins très particuliers.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui mais vous savez qu'il y a des enseignants qui sont réticents et qui trouvent que la réforme MACRON-PHILIPPE et CLUZEL se fait à marche forcée.
SOPHIE CLUZEL
Non, elle ne se fait pas à marche forcée, elle se fait justement progressivement, on outille aussi, on arme les enseignants parce qu'il y aura une grande plateforme numérique de formation et d'adaptation, on les arme. On sait bien que c'est compliqué parfois, je suis la première à le savoir que c'est compliqué, apprendre différemment c'est compliqué. Mais ce que les parents veulent, c'est que leurs enfants apprennent avec les autres, au milieu des autres. On forme la génération de demain, tous ces élèves qui ont appris à apprendre avec les autres, ce seront des employeurs plus tard, ils n'auront plus justement cette espèce d'appréhension à faire travailler aussi les personnes handicapées.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec beaucoup de générosités vous dites les parents, les parents, mais il y a des parents qui redoutent qu'avec des élèves handicapés, l'enseignement prenne du retard et que la classe soit en quelque sorte pénalisée, je le lis.
SOPHIE CLUZEL
Non, moi je les rassure ces parents, il y a des études très simples qui ont été faites, quand on fait de l'adaptation, ça sert à tous et une classe d'âge a fait monter sa moyenne de 2 points, de 2 points pour l'ensemble des élèves parce que tout le collège s'était mis en adaptation particulière pour ces enfants.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors pourquoi les parents de ces enfants quelquefois ; comme certains responsables préfèrent les établissements fermés ? C'est vrai qu'ils ont installés dans des départements des zones qui sont plutôt déshéritées, que pour les départements, c'est pas mal parce qu'ils deviennent des employeurs, c'est une manne, une rente, mais pourquoi on vous reproche par exemple de voir fermer ces établissements ?
SOPHIE CLUZEL
Moi, je ne veux fermer aucun établissement, je veux les ouvrir au contraire, Jean-Pierre ELKABBACH. Je veux permettre justement que ces professionnels dans les établissements se mettent au service de ces personnes qui sont différentes et qui ont besoin qu'on les accompagne. C'est ce que nous demandent les associations qui sont déjà dans ce mode-là de travail. Quand j'étais à Albi avec le Premier ministre, c'était une association, c'était l'ADAPEI qui accompagnait les élèves dans la classe et c'est du gagnant-gagnant pour tout le monde. Voilà une richesse…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais les ouvrir à qui ?
SOPHIE CLUZEL
Les ouvrir au monde dit ordinaire, les ouvrir justement pour que l'éducation nationale, ces établissements puissent travailler ensemble, les ouvrir pour accompagner les personnes qui ont envie d'aller travailler en milieu dit ordinaire, ce qui fait si peur encore pour beaucoup de personnes. Donc moi je rassure les parents, non ce n'est pas du tout une inclusion au rabais comme je l'ai entendu, ça ce n'est pas vrai du tout, au contraire c'est une complémentarité, une coopération.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'ailleurs vous pourriez dire quel est le budget de ces centres ?
SOPHIE CLUZEL
12 milliards pour le financement des établissements médico-social, enfants- adultes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce n'est pas au rabais.
SOPHIE CLUZEL
Non, ce n'est pas au rabais mais tout simplement on travaille différemment.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais si c'est accessible à tous, est-ce que les départements et tous ceux qui, les associations qui reçoivent ces milliards, les recevront toujours ?
SOPHIE CLUZEL
Mais bien sûr.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce n'est pas une manière d'économiser, de donner ailleurs.
SOPHIE CLUZEL
Je ne peux pas faire sans eux, je ne pourrais pas faire sans eux, on le voit bien. Quand on était avec le Premier ministre, je veux dire, cet échange, un euro pour l'Education nationale, 7 euros pour le médico-social dans cette structure, donc on voit bien que je ne peux pas faire sans eux, donc je rassure vraiment les familles.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Votre budget global ?
SOPHIE CLUZEL
46 milliards.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
46 milliards, c'est-à-dire plus que le budget de la Défense.
SOPHIE CLUZEL
Oui mais…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que plus le budget, je ne sais pas de la Justice, de l'Intérieur, de la Culture.
SOPHIE CLUZEL
Mais vous savez par exemple c'est l'allocation adulte handicapé qui augmente et qui va augmenter de plus de 90 euros par mois, elle va être à 900 euros, ça touche 1 100.000 personnes et ça c'est déjà 10 milliards.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les enseignants dont vous parlez et que vous allez former, etc… ou que vous voulez former, est-ce que quand vous allez recruter les nouveaux, ils bénéficieront de CDD prolongés ou peut-être même de CDI ?
SOPHIE CLUZEL
Les accompagnants ne seront plus en contrats aidés, c'est une révolution aussi. Vous savez, je vais vous expliquer la vie d'un enfant handicapé avec son accompagnant qui était en contrat aidé. Eh bien en avril, ses 10 mois de contrats aidés s'arrêtaient, il n'avait plus d'accompagnant, ça c'est fini, à la rentrée on les recrute tous en contrat Education nationale.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec Emmanuel MACRON et un budget de 344 millions.
SOPHIE CLUZEL
Nouveaux.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bien sûr, vous lancez un plan et une stratégie pour l'autisme, les autismes, les…
SOPHIE CLUZEL
Au sein même des troubles du neuro-développement, c'est-à-dire les autismes parce qu'il y a un spectre en fait de l'autisme très important et je pense qu'il faut qu'on le dise haut et fort, il n'y a pas un autisme, il y a des autistes même dits sévères avec des troubles complexes et puis petit-à-petit on peut aller vers de l'autisme dit de haut niveau, dit Asperger, pour aller justement vers ce spectre de l'autisme.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'il est vrai qu'il y a plus qu'avant de bébés qui naissent autistes en France ?
SOPHIE CLUZEL
Alors oui ça c'est très inquiétant, il faut qu'on travaille vraiment au niveau de l'Europe sur la recherche sur les causes de l'autisme. Il y a une progression anormale vraiment, vraiment très inquiétante, aujourd'hui c'est une naissance pour cent naissances.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'on sait pourquoi ?
SOPHIE CLUZEL
C'est multifactoriel, d'abord on les diagnostique mieux et on va encore les diagnostiquer encore mieux et puis c'est multifactoriel, environnemental, c'est pour ça que nous, dans notre grande stratégie nous remettons de la recherche, nous mettons le paquet sur la science.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La science et la recherche avec vous ou avec nous. Vous dites la détection jusqu'à présent elle se faisait, si j'ai bien lu autour de 5, 6, 7 ans, vous voulez qu'elle soit précoce, c'est-à-dire, pas à la naissance ?
SOPHIE CLUZEL
Dès 6 mois, dès 12 mois, dès 24 mois, on peut écouter les parents qui comprennent qu'il y a un problème, un écart de développement. C'est bien tout l'enjeu, intervenir précocement avant même que le diagnostic soit posé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors il y a vous vous venez de le répéter différentes catégories de l'autisme, par exemple la jeune Suédoise, Greta qui est l'emblème de l'écologie est une autiste Asperger. Ils sont 30 millions dans le monde en Europe et en France, le nom d'Asperger, vous l'avez encore cité il y a un l'instant fait partie de nos vies, c'est souvent un terme qui est utilisé pour des êtres qui sont chers, Asperger. Asperger est un médecin autrichien nazi qui a servi pendant le IIIe Reich, ça ne vous choque pas ?
SOPHIE CLUZEL
Si c'est choquant bien sûr, mais ça fait partie si vous voulez aujourd'hui de l'appellation. Bien sûr c'est choquant, c'est connu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
De plus en plus connu mais ça ne l'était pas, parce qu'il a incarné, Asperger la pédopsychiatrie nazie. Quand il jugeait des enfants non éducables, ils étaient pour lui des déchets, des fardeaux pour la communauté et qu'est-ce qu'il faisait, il les renvoyait dans des centres d'euthanasie, c'est normal qu'on continue à l'appeler Asperger ?
SOPHIE CLUZEL
Mais bien sûr que c'est choquant. Mais je vais vous dire, moi, ça, ce n'est pas mon combat, ça doit être le combat des personnes, si elles trouvent que c'est choquant. De toute façon, en classification internationale, ce n'est plus utilisé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais c'est vrai qu'après la guerre, il s'est déguisé en médecin très gentil et tranquille, il a ouvert son cabinet, et il est arrivé à faire croire qu'il était presque même Schindler avec sa liste, lui, c'était plutôt la liste qui envoyait les gens... quand j'ai lu la biographie ici, de cette Américaine qui s'appelle Edith SHEFFER, chez Flammarion, et dont la psychanalyste, Elisabeth ROUDINESCO, a parlé un jour, j'ai été assez bouleversé ou choqué, son fils d'Edith SHEFFER est lui-même autiste. L'Amérique est en train de débaptiser l'autisme Asperger, il a tué assez d'enfants pour qu'on oublie son nom et qu'on le débaptise ?
SOPHIE CLUZEL
Ça sera le combat des personnes, ce n'est pas le mien, moi, mon combat, c'est de trouver les bonnes solutions, mais par exemple, elle préface ce livre, que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt, il est préfacé par Josef SCHOVANEC, Josef SCHOVANEC, je crois, que vous recevez plus tard…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, il sera chez Pascal PRAUD avec Elisabeth ROUDINESCO tout à l'heure…
SOPHIE CLUZEL
Voilà, ça sera très intéressant de lui demander sa posture. Moi, ce que je veux dire, c'est que derrière ces noms, ces étiquettes, il y a des personnes, avec une mosaïque de besoins…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien, mais on ne peut pas laisser sur ces personnes, c'est ça qui est choquant, ce nom qui est une sorte d'infamie, c'est comme si on disait : il est victime de l'autisme RISCHMANN, MENGELE ou de l'autisme HITLER, aujourd'hui au 21ème siècle. Permettez-moi de me mettre en colère.
SOPHIE CLUZEL
Vous avez tout à fait raison, j'ai interrogé, moi, les personnes avec ce syndrome, voilà, je leur ai dit : est-ce que... elles m'ont dit : écoutez, pour nous, ce n'est pas notre combat, parce que, au moins, les personnes savent ce que ça veut dire…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, je comprends, je comprends, mais quand on dit aujourd'hui, il y a un spectre d‘autisme, il y a un champ, « c.h.a.m.p » de l'autisme…
SOPHIE CLUZEL
Très large…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est de l'hypocrisie. Autant sortir Asperger... lui trouver un autre nom, vous pouvez en appeler au Conseil de l'Ordre des médecins, au comité scientifique, à vous et aux personnes et aux associations concernées, voilà…
SOPHIE CLUZEL
J'accompagnerais, si cette demande, elle est là, elle est présente, je l'accompagnerais, moi, ce qui m'intéresse, c'est de dire qu'il y a une mosaïque de besoins, ça, c'est très important, et que ça va de l'autisme sévère à l'autisme dont vous parlez, et que là, il faut qu'on ait les réponses adéquates, parce qu'on peut être Asperger, et pour autant, ne pas arriver à vivre dans la vie ordinaire et Josef vous le dira très bien.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Voilà, tout à l'heure. Les autistes détectés dès le plus jeune âge grandissent, ils vont à l'école, ils vont à l'université, ils prennent de l'âge, ils vieillissent, qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui encore, est-ce qu'il y a eu des progrès, il y a eu des efforts, mais est-ce qu'il y a eu des progrès suffisants sur le logement, le transport et l'emploi ?
SOPHIE CLUZEL
600.000 adultes autistes, 600.000 en France aujourd'hui, et pour autant, il y en a beaucoup qui ne sont encore pas diagnostiqués, qui ont encore des prises en charge inadéquates, qui sont encore en hôpitaux psychiatriques par exemple. Et ce n'est pas une vie l'hôpital psychiatrique, ça doit être un lieu de soins, mais on n'y vit pas. Donc, ce qu'il faut absolument qu'on trouve, c'est ces problématiques de logements, vous l'avez dit, certains ne pourront jamais aller travailler parce qu'ils ont un autisme très sévère, il faut les accompagner, et ceux-là, on les connaît mal, mais le film « Hors Normes », de TOLEDANO et NAKACHE en parle…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qui va sortir en octobre…
SOPHIE CLUZEL
En parle très bien, en parle très bien de cet autisme sévère…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les autismes ont touché, c'est aussi quelqu'un qui s'appelle BENHAMOU qui a été à l'origine et qui a ouvert un centre qui doit s'appeler Les Justes…
SOPHIE CLUZEL
Oui, Le Silence des Justes, oui. C'est ça.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Voilà, Le Silence des Justes.
SOPHIE CLUZEL
Mais ça, c'est un autisme qu'on connaît mal, parce que... et je pense que cette médiatisation va permettre de faire prendre conscience qu'il y a une variété énorme d'autisme…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
De votre part, pourquoi cet engagement, Sophie CLUZEL ?
SOPHIE CLUZEL
Moi, je crois…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Si vous me permettez...
SOPHIE CLUZEL
Eh bien, d'abord, ma fille, ma fille, bien sûr, qui, tous les matins, me dit : allez, on se lève ensemble pour pouvoir aller changer la vie des personnes handicapées…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pourquoi Julia, pourquoi ?
SOPHIE CLUZEL
Eh bien, Julia est trisomique, donc c'est Julia qui est mon moteur, si vous voulez, intime, mais c'est surtout aussi…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais elle vit, elle travaille, elle est autonome ?
SOPHIE CLUZEL
Oui, bien sûr, elle est autonome, mais on a encore besoin... parce que souvent, le soir, quand elle rentre, elle me dit : on m'a encore regardée bizarre maman, dans le métro, on m'a encore regardée bizarre dans le métro. Ça veut dire que cette acceptation, de ma différence, elle n'est pas encore là, et c'est bien pour ça qu'Emmanuel MACRON en a fait une priorité, handicap priorité du quinquennat. C'est bien pour ça que…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et sans être Macroniste, on peut aussi soutenir, justement, parce que vous avez une vision peut-être généreuse dans votre bataille sociale et politique, est-ce que vous croyez qu'un accord réel, collectif, national est possible par-delà les étiquettes politiques ?
SOPHIE CLUZEL
Mais bien sûr, mais bien sûr, c'est évident, quand je me déplace sur le terrain, qu'est-ce que je fais, je mets en place par exemple les territoires 100 % inclusifs, autour de la table, j'ai qui ? J'ai les maires, j'ai les conseils de département, j'ai les conseils régionaux, j'ai les entreprises, j'ai toutes les associations, le handicap, sa force, c'est qu'il traverse complètement les courants, et donc forcément, ça rassemble. Et on peut y arriver…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous êtes en même temps une politique, quand vous faites le tour de France des centres médicaux sociaux, soit avec Jean-Michel BLANQUER, et surtout à Marseille, à Lyon, avec Brigitte MACRON, est-ce que vous n'êtes pas tous les deux en campagne électorale ?
SOPHIE CLUZEL
Mais pas du tout, on n'est pas en campagne…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comme Le Figaro subliminal…
SOPHIE CLUZEL
Non, on n'est pas en campagne électorale, on se sert justement du handicap pour rassembler tout le monde, et du coup, on voit des présidents de conseils départementaux qui parlent avec des maires qui peut-être ne se parlaient pas sur d'autres sujets, qui construisent ensemble les réponses de demain, parce qu'on n'y arrivera pas tout seul.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et là, vous avez inauguré la Maison du répit, c'est-à-dire ?
SOPHIE CLUZEL
Oui, formidable, à Tassin-la-Demi-Lune, ça permet tout simplement aux parents qui accompagnent ou un enfant ou un proche, un mari, une femme ou une personne âgée, qui n'en peut plus, parce qu'il y a un moment, il y a une souffrance énorme de ces aidants, 8 millions d'aidants, Jean-Pierre ELKABBACH, 8 millions d'aidants…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qui ont droit à un repos 30 jours par an…
SOPHIE CLUZEL
Qui ont droit à un repos, là, c'est 30 jours par an, ils choisissent leurs périodes, et moi, j'ai entendu des parents qui m'ont dit : vous savez, ça fait 20 ans, on a accepté une invitation à un mariage parce qu'on savait que notre fils était bien dans cette Maison de répit en toute confiance. Ça, on veut le développer, une par région, c'est de du mécénat privé, public, c'est pour ça que tout le monde était là, autour de la table, c'est ça qui est merveilleux. Et je voudrais quand même dire un mot à Alain MERIEUX, qui a permis cette possibilité, il a donné son terrain, et il a embarqué tous les chefs d'entreprise pour faire du mécénat.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous êtes aussi une des dirigeantes du COJO, le Comité olympique pour Paris 2024, c'est-à-dire les Jeux olympiques et paralympiques. Et le COJO, et surtout les Jeux olympiques pour les paralympiques méritent toute l'attention, parce que c'est, si j'ai bien compris, une discipline, une fraternité, et pour eux, un horizon et espoir…
SOPHIE CLUZEL
C'est un levier formidable pour accepter la différence, pour mettre en valeur les talents des personnes handicapées, mais pas que les champions, les bénévoles, je vais avoir des bénévoles en situation de handicap qui vont accueillir le monde entier.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sophie CLUZEL, on en reparlera sûrement, et ensemble. On constate des violences contre les personnes handicapées, on a vu le dernier exemple, c'est à Paris, ce conducteur qui a grillé la priorité d'un piéton aveugle qui avançait avec sa canne blanche et son accompagnateur, qui les agressés, vous avez tout de suite demandé à Christophe CASTANER, etc., etc.
SOPHIE CLUZEL
C'est scandaleux, c'est scandaleux…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il est en garde à vue, qu'est-ce que vous vous demandez, qu'est-ce que vous demandez…
SOPHIE CLUZEL
Tolérance zéro !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire ?
SOPHIE CLUZEL
La plus grande sévérité, les peines qui vont être… moi je ne suis pas juriste donc, mais les peines maximales. Il faut absolument qu'on cesse cette espèce d'agressivité, cette intolérance… enfin, c'est scandaleux l'attitude qu'il a eue, c'est absolument scandaleux.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais en même temps il faut dire, je ne dis pas que c'est des circonstances atténuantes, il a quand même la circulation à Paris qui est en train de rendre fou pas mal de monde.
SOPHIE CLUZEL
Tout le monde est exaspéré, ça c'est certain, avec tous les travaux qu'il y a…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vos handicapés aussi ?
SOPHIE CLUZEL
Ils sont très exaspérés. Je vais vous dire pourquoi, tout simplement c'est que, aujourd'hui, la Maire de Paris a privatisé les infractions, pour relever les infractions, et moi j'ai des lettres de personnes handicapées qui se font tout simplement avoir un PV alors qu'elles ont un macaron « Handicapé », parce que ce n'est pas prévu, ça c'est scandaleux. Comment je fais moi, à qui je m'adresse ? Je veux dire, ces personnes handicapées elles ont la possibilité de se garer gratuitement…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Renvoyer à Anne HIDALGO et son équipe les contraventions.
SOPHIE CLUZEL
Oui, oui… c'est un peu un dialogue de sourds là en ce moment !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je sais qu'il faut du caractère et de la persévérance pour mener une bataille continue de cette ampleur, bravo, et bravo pour votre courage, d'ailleurs vous me donnez votre petite revue, que vous avez oublié de me donner.
SOPHIE CLUZEL
Non, mais ça c'était pour l'intervention précoce, c'est les signes d'alerte, et c'est ça qui va permettre de changer la donne.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous le donnez et on le montrera… vous me donnez ce petit livre. Moi je voudrais signaler un témoignage exceptionnel, qui est bouleversant, Naïma CHAKKOUR, qui est atteinte de la maladie de Charcot depuis 25 ans, d'ailleurs à la Maison du répit j'ai cru comprendre qu'il y avait quelqu'un malade de Charcot…
SOPHIE CLUZEL
Bien sûr.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y en a 50.000 en France. Elle, elle est enfermée vivante dans une sorte de paralysie totale de tous ses membres, avec des muscles qui ne fonctionnent plus, elle ne peut même plus parler. Elle a réussi à écrire son injuste souffrance et sa résistance, simplement parce que le cou et le menton peuvent être mobiles, et avec un ordinateur spécial et une sorte de stylo, elle a pu écrire, lettre par lettre, son témoignage, je voulais le signaler. C'est un tout petit livre de 120 pages, mais qui remue quand on le lit, c'est un exemple de ténacité et de courage, presque, comme dit l'autre, la force de l'esprit.
SOPHIE CLUZEL
Exactement…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci de votre combat.
SOPHIE CLUZEL
C'est jamais, plus jamais, et j'irai jusqu'au bout, je le l'ai lu Jean-Pierre ELKABBACH, avec une très belle préface de Tahar BEN JELLOUN, et c'est vraiment un très très beau livre que je conseille à tout le monde parce que c'est un vrai message d'espoir.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci d'être venue, Sophie CLUZEL, à bientôt.
SOPHIE CLUZEL
Merci, à bientôt.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 juin 2019