Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, à Europe 1 le 26 juin 2019, sur les mesures de prévention face à la canicule, la sécurité des personnes âgées dépendantes et l'équipement des EHPAD.

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Média : Europe 1

Texte intégral

AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour Agnès BUZYN.

AGNES BUZYN
Bonjour.

AUDREY CRESPO-MARA
Depuis le début de la canicule vous répétez, sans relâche, les mêmes conseils de prudence aux Français, si cette vague de chaleur faisait des victimes, vous sentiriez-vous, malgré tout, responsable ?

AGNES BUZYN
Responsable, peut-être que j'aurai l'impression que nous n'en n'avons pas encore fait assez, mais sincèrement tous les services de l'Etat sont mobilisés aujourd'hui. Tous les ministres, dans leur champ de compétences, avec les publics qui sont les leurs, se sont mobilisés, je pense à Muriel PENICAUD dans le monde du travail, qui a fait passer un certain nombre de consignes aux entreprises, je pense évidemment à Jean-Michel BLANQUER, qui a fait passer des consignes aux enseignants, et qui est en train, évidemment, de reporter le brevet, je pense à Roxana MARACINEANU, la ministre des Sports, qui a fait passer des consignes aux associations sportives, à Julien DENORMANDIE pour les SDF, donc voilà, tout le monde est sur le pont.

AUDREY CRESPO-MARA
Hier le Rassemblement national a tenté de lancer une polémique en vous reprochant d'en faire trop, de faire trop de com.

AGNES BUZYN
En réalité la com. a évolué. Nous savons que les personnes âgées aujourd'hui, notamment dans les EHPAD, ont bénéficié des plans canicule, et les EHPAD sont très bien équipés aujourd'hui pour protéger les personnes âgées, mais on se rend compte que la mortalité a évolué, parce que le grand public, en fait, ne prend pas de précautions, souvent les gens sont dans le déni, continuent à faire du sport, et donc c'est une polémique inutile parce que tant qu'il y aura des morts, et des morts inutiles liées à la canicule, je pense que mon travail est de rappeler les consignes et de faire en sorte que tout le monde les applique.

AUDREY CRESPO-MARA
En multipliant les conseils de prudence on a l'impression que les ministres se comportent, avec les citoyens, un peu comme des parents avec leurs enfants, est-ce que c'est le rôle de l'Etat ?

AGNES BUZYN
Non, c'est de l'information. En réalité je pense que beaucoup d'entre nous n'avaient pas réalisé qu'il y avait eu beaucoup plus de noyades l'année dernière en période de canicule, parce que tout simplement les enfants, les jeunes, les adultes, se rapprochent des cours d'eau pour se rafraîchir, et que le risque de noyade est augmenté. Je suis obligée de le dire, c'est une information.

AUDREY CRESPO-MARA
Mais depuis la canicule de 2003, qui a fait plus de 15.000 morts en France, je le rappelle, on a l'impression que tous les ministres de la Santé sont angoissés quand la température monte, augmente.

AGNES BUZYN
Non, je ne suis pas angoissée, il y a un plan canicule que je dois mobiliser, c'est ce que je fais, d'ailleurs je l'avais préparé au mois de juin avec toutes les parties prenantes. J'ai besoin, évidemment, des maires, qui se mobilisent avec les centres d'action sociaux, qui appellent les personnes âgées à domicile ou les personnes handicapées, j'ai besoin évidemment du ministère de l'Education nationale, j'ai besoin de tout le monde, et ce plan nécessite à chaque fois qu'on rappelle les consignes pour que tout le monde se sente concerné.

AUDREY CRESPO-MARA
Hier le patron du syndicat des directeurs d'EHPAD, Pascal CHAMPVERT, a estimé que si la vague de chaleur se poursuivait jusqu'à la fin août, elle provoquerait la mort de 5 à 7000 personnes. Est-ce que la ministre de la Santé trouve ça crédible ?

AGNES BUZYN
Alors, je n'ai pas fait ces calculs, et puis ça dépend évidemment de la température, de la température nocturne, mais il ne faut pas se leurrer, des vagues de chaleur intense, même si l'on prend énormément de précautions, chez des personnes très fragiles, ou malades, peut entraîner des morts prématurées…

AUDREY CRESPO-MARA
Donc il ne peut pas y avoir zéro mort à l'issue de cette canicule ?

AGNES BUZYN
Il ne peut jamais y avoir zéro mort à l'issue d'une canicule, notamment chez des personnes très âgées et très fragiles.

AUDREY CRESPO-MARA
Mais on ne peut pas évaluer ?

AGNES BUZYN
Alors, enfin en tous les cas je ne l'ai pas fait, parce que ça dépend évidemment de la température, du temps et de la prolongation des épisodes caniculaires, mais en réalité nous essayons de prévenir au maximum, et que chez des gens de 90 ans, très fragiles, évidemment cela aggrave la situation.

AUDREY CRESPO-MARA
Agnès BUZYN, alors que la canicule frappe la France, la grève des urgences ne cesse de prendre de l'ampleur, et depuis ce matin les sapeurs-pompiers sont de la partie, ces mouvements sociaux risquent-ils d'aggraver le sort des victimes de la chaleur ?

AGNES BUZYN
Ce sont des mouvements sociaux qui, dans les métiers qui sont les leurs, c'est-à-dire les pompiers, ou les soignants, s'expriment en mettant un brassard, mais les gens viennent tout de même travailler…

AUDREY CRESPO-MARA
Pas forcément. Par exemple, lundi soir, toutes les infirmières des urgences de l'hôpital de Besançon se sont mises en arrêt maladie, pour 15 jours, est-ce que vous concevez qu'elles puissent être épuisées à force de travailler en sous-effectifs ?

AGNES BUZYN
Elles peuvent évidemment être fatiguées, et je suis absolument convaincue que certains soignants sont épuisés du fait du rythme, évidemment, et puis il faut savoir aussi que le travail aux urgences est éprouvant psychiquement, on voit des cas terribles, on voit la douleur des gens, on voit, voilà, on voit des choses très difficiles, ça peut être très difficile pour un jeune soignant, même un soignant plus âgé d'ailleurs, de subir ça au quotidien. Je pense qu'à l'échelon individuel c'est tout à fait normal que des gens, à un moment, se mettent en arrêt de travail, soient fatiguées et expriment…

AUDREY CRESPO-MARA
Ils ne dévoient pas l'arrêt maladie, comme vous avez laissé entendre à Lariboisière ?

AGNES BUZYN
Mais, quand un service entier, quand 15 personnes, le même jour, décident de se mettre en arrêt de travail, c'est autre chose, on signe autre chose…

AUDREY CRESPO-MARA
C'est-à-dire, on signe quoi ?

AGNES BUZYN
On signe la volonté de faire connaître les difficultés, c'est plus…

AUDREY CRESPO-MARA
Mais c'est légitime aussi.

AGNES BUZYN
Pardon ?

AUDREY CRESPO-MARA
C'est légitime, aussi.

AGNES BUZYN
Moi je pense qu'ils mettent quand même en situation difficile leurs collègues, qui ont été amenés à poursuivre leur journée de travail, après 12 heures de travail, et qui ont été obligés de continuer dans la nuit parce qu'ils ne peuvent pas laisser un service d'urgences vide. Je pense qu'il y a d'autres moyens de revendiquer, notamment parce que nous avons largement écouté les revendications des urgentistes, et des personnels soignants aux urgences, et nous avons apporté des solutions, et nous allons encore en apporter.

AUDREY CRESPO-MARA
Justement, ce que vous avez annoncé c'est une enveloppe de 15 millions, afin de renforcer les effectifs des urgences pendant l'été…

AGNES BUZYN
Oui, pour les deux mois qui viennent.

AUDREY CRESPO-MARA
Voilà. Les 15 millions ça correspond à un seul poste par hôpital.

AGNES BUZYN
Oui, mais tous les services ne sont pas du tout en difficulté, il y a des services d'urgences dans des zones assez rurales, où le nombre de passages est faible, où on est à 2 passages aux urgences par heure, et ce sont des services qui ne réclament pas de personnel supplémentaire, donc attention, on ne peut pas faire ce calcul macroscopique, en fait il faut aider les services qui sont en surchauffe, parce qu'il y a énormément de passages.

AUDREY CRESPO-MARA
Au total vous débloquez 70 millions d'euros pour résoudre le conflit social aux urgences, mais le mouvement social continue de s'étendre, est-ce que cette somme est suffisante ?

AGNES BUZYN
En fait ce n'est pas tout à fait cela. En fait je débloque une enveloppe immédiate pour pouvoir recruter du monde là où il y a des tensions et un manque de personnel, et ça c'est pour les 2 mois qui viennent, notamment parce qu'il y a des départs en vacances et que certains services sont en tension. Et, au-delà de ça, j'ai mis en place une prime, une prime de risque, parce que le travail aux urgences est particulièrement éprouvant…

AUDREY CRESPO-MARA
Menaces, insultes.

AGNES BUZYN
Les menaces, les incivilités…

AUDREY CRESPO-MARA
Et coups.

AGNES BUZYN
Et donc je tiens compte de cette spécificité, c'est une prime de risque qui représente…

AUDREY CRESPO-MARA
100 euros de plus par mois.

AGNES BUZYN
Voilà, 100 euros nets de plus par mois pour tous les personnels non médicaux et ça représente…

AUDREY CRESPO-MARA
Ils demandent 300 euros d'augmentation de salaire !

AGNES BUZYN
Là c'est 100 euros de prime par mois, donc c'est 55 millions, tous les ans, évidemment parce que cette prime est pérenne, ce n'est pas une prime unique, « one shot », c'est vraiment tous les mois sur le long terme, et puis j'ai débloqué également des budgets pour rénover les services d'urgences, beaucoup sont trop vétustes, beaucoup sont trop petits, et on doit les aider à se moderniser.

AUDREY CRESPO-MARA
Vous annoncerez d'autres choses ?

AGNES BUZYN
Oui, puisque la mission sur les urgences est en cours, et donc j'attends une remontée de propositions du Professeur CARLI et du député Thomas MESNIER, qui doivent me faire leurs propositions dans les 2 mois qui viennent.

AUDREY CRESPO-MARA
Agnès BUZYN, une enquête parlementaire choc sur la radicalisation dans les services publics, parmi lesquels les hôpitaux, est rendue publique aujourd'hui, quelles sont les mesures prises dans les hôpitaux quand on est confronté à des soignants qui sont radicalisés ou à des patients qui sont radicalisés ?

AGNES BUZYN
Alors, les soignants, il y en a peut-être, mais les cas ne me sont pas remontés, donc j'imagine que les directeurs d'hôpitaux gèrent au cas par cas la situation, en tous les cas je n'ai pas de signal d'alerte dans le monde hospitalier, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en n'a pas, mais ça ne doit pas être un phénomène de grande ampleur.

AUDREY CRESPO-MARA
Et concernant les patients, est-ce qu'on peut lever le secret médical quand on est confronté à un patient radicalisé ?

AGNES BUZYN
Alors, les règles sur le secret médical sont très claires, on peut déroger au secret médical quand un patient met sa propre vie en danger, ou en danger celle des autres, donc on reste dans les règles de dérogation du secret médical.

AUDREY CRESPO-MARA
Donc il y a suffisamment de règles en place, pas besoin de prendre de nouvelles mesures ?

AGNES BUZYN
Oui, absolument, c'est faisable, si un soignant pense qu'un patient radicalisé va passer à l'acte, il peut tout à fait le signaler.

AUDREY CRESPO-MARA
Merci Agnès BUZYN.

AGNES BUZYN
Je vous en prie.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 juin 2019