Texte intégral
Mesdames et messieurs,
Dans beaucoup de services d'urgences de notre pays, les personnels soignants sont exaspérés par la tension quotidienne à laquelle ils sont confrontés.
Ils expriment donc légitimement leur insatisfaction de ne pouvoir mieux prendre en charge les patients, sans cesse plus nombreux, qui affluent dans leur service.
Cette lassitude, parfois cette colère, je l'ai dit, il faut l'entendre : elle vient de loin, de très loin même, et elle appelle à la fois des réponses de fond, qui sont au cœur de la transformation du système de santé que je mets en œuvre, mais aussi des réponses immédiates.
Il en va de ma responsabilité de ministre : je ne me défausse pas, je n'esquive pas, je n'élude pas.
J'avais d'ailleurs indiqué dès l'annonce du plan Ma Santé 2022 que le défi devant nous était de traiter structurellement, à la racine, les tensions dans nos services d'urgences.
Si j'ai annoncé la nécessité d'un travail de fond, c'est parce que ces tensions sont le symptôme le plus emblématique de la désorganisation à laquelle j'entends mettre un terme.
Mettre un terme à cette désorganisation, en adaptant notre système de santé à l'évolution des besoins de la population, cela suppose d'inscrire notre système de santé dans un cadre ordonné, gradué, où chaque acteur sait ce qui est attendu de lui et où chaque patient trouve le niveau de réponse pertinent à ses besoins.
Nous y sommes :
- la loi santé vient de franchir une étape décisive au Sénat ;
- le nombre de médecins formés est en nette hausse ;
- les délégations de tâches sont en voie de prendre un nouvel essor ;
- et un texte négocié sur les CPTS est à la signature, qui intègre pleinement la réponse à la demande de soins non programmés ;
- S'agissant des hôpitaux de proximité de demain, ils sont en voie d'être déployés.
Les réponses structurelles attendues de longue date sont prêtes et pour certaines déjà lancées.
Pour autant, le quotidien dans les urgences n'a pas changé, pas encore, et il faut entendre le besoin de changement concret et rapide qui monte.
Aussi, comme je l'ai annoncé il y a une semaine au congrès des urgentistes, une mission nationale de refondation sera conduite par le député Thomas MESNIER et par le Professeur Pierre CARLI, président du Conseil National de l'Urgence Hospitalière.
Ils connaissent parfaitement la situation des urgences et ont été choisis pour leur capacité à agir efficacement et rapidement.
Ils sont évidemment présents parmi nous et s'exprimeront à ma suite : je les salue et leur apporte tout mon soutien.
Vous avez la tâche de tirer les conséquences des orientations de Ma santé 2022 sur l'amont et l'aval des urgences, mais j'attends aussi des réponses opérationnelles très rapidement.
Et je vous le dis de manière très claire : ça ne sera pas « un rapport de plus », ça ne sera pas une mission de renseignement mais une mission commando, qui devra être menée avec tous ceux qui font vivre nos services d'urgences, sans tabous et sans fausses pudeurs.
Ce que j'en attends, c'est une feuille de route opérationnelle, concrète, efficace, qui s'adapte aux spécificités de nos territoires.
Toutes nos mesures doivent être guidées par un objectif simple : ne plus voir les patients fragiles passer des nuits entières sur un brancard, ou ne plus voir des personnels des urgences perdre des instants précieux à chercher des lits d'aval.
Les auditions doivent commencer très vite, pour qu'un tableau exhaustif puisse être dressé de la situation des urgences en France, avec des jalons importants qui devront être présentés avant la période des épidémies hivernales.
Vous tous, représentants institutionnels, représentants des sociétés savantes et des professionnels, serez pleinement associés aux travaux.
Au fur et à mesure de l'avancement de cette mission, des propositions devront être formulées et mises en œuvre pour répondre à l'urgence.
La seule boussole qui doit vous guider dans cette mission, c'est l'expérience vécue : celle des patients et celle des professionnels de santé.
Mais pour l'heure, et sans attendre, à très court terme :
Parce que les difficultés des soignants trouvent aussi leur source dans une reconnaissance insuffisante, quand on connaît la dureté de leurs conditions de travail et les risques auxquels les expose leur exercice quotidien, je veux leur redonner du souffle financier.
Cet effort est légitimement attendu des personnels des urgences.
La saturation des services d'urgences ne se résoudra pas uniquement avec des mesures financières, mais je sais tout le sens d'une juste rémunération salariale, c'est-à-dire d'une rémunération qui reconnaît les efforts et les risques de chacun dans l'exercice de son métier.
C'est pourquoi j'ai décidé d'étendre la prime forfaitaire de risque aux personnels paramédicaux des services d'urgence. Cette prime s'élèvera à 100€ net mensuels.
30 000 personnels des urgences et des SMUR bénéficieront de cette mesure dès le mois de juillet.
Il est en effet indispensable de reconnaître ces métiers exposés, y compris malheureusement aux risques d'agression, dans lesquels s'engagent des personnes qui ont une grande idée du service public et de l'intérêt général.
J'appelle aussi les professionnels à faire avec moi le pari de la coopération dans le cadre des délégations de tâches au sein d'une équipe de soins, et qui aux urgences trouvent un cadre propice de développement.
La prime de coopération que j'ai évoquée la semaine dernière atteindra les 100€ brut mensuels pour les professionnels qui s'engagent dans un protocole de coopération.
Un protocole propre aux urgences est déjà en cours d'instruction par la Haute Autorité de Santé. Il concerne la prescription d'imagerie et permet aux professionnels d'anticiper les examens nécessaires pour accélérer le diagnostic médical et ainsi, réduire le temps passé dans le service d'urgence.
J'ai bon espoir que ce protocole puisse être validé dans les prochaines semaines.
Je souhaite que d'autres protocoles propres à l'activité d'urgence puissent rapidement se développer avec des équipes moteurs et qu'ensuite, chacun se saisisse de ce levier pour s'inscrire dans ces coopérations.
La période estivale qui approche nous rassemble comme chaque année et nous oblige à anticiper les tensions de tout notre système de santé, dans le cadre d'une mobilisation générale de tous les acteurs, sur tous les territoires.
Parce que ces tensions, nous le savons bien, elles se répercutent souvent dans les services d'urgence.
C'est pourquoi j'ai décidé d'attribuer aux établissements de santé dotés de services d'urgence en tension 15 M€ de crédits exceptionnels.
Ces crédits, mis à la main des Agences régionales de santé pour les établissements de santé, permettront notamment le financement de contrats de remplacement, mais aussi des recrutements supplémentaires et le paiement d'heures supplémentaires, en accord avec les soignants.
Le but est de permettre le renforcement immédiat des services d'urgences eux-mêmes ou des services d'hospitalisation en aval.
Enfin, je l'ai déjà dit et j'y tiens : je ne veux plus voir des services d'urgences vétustes.
Les Agences régionales de santé ont reçu ces instructions et des travaux de rénovation devront être réalisés chaque fois que la situation l'exige.
Au-delà de ces mesures, je souhaite que la mission puisse se saisir entre autres de la question de l'intéressement collectif, du développement des infirmiers de pratique avancée dans les services d'accueil des urgences, de l'aval des urgences, ou encore de la consolidation de l'offre de soins non programmés.
La revendication est aussi celle du sens, parce que la volonté des soignants est de faire leur travail comme ils veulent pouvoir le faire. De ne pas être empêchés.
Cette aspiration, qui est aussi une exigence, elle porte un nom : c'est la qualité, sans laquelle il n'y a pas de démarche collective de progrès.
Et là-dessus il faut être lucide : dans certains services, l'engagement de chacun est rendu plus évident par la qualité de l'organisation et du management.
C'est une responsabilité forte des chefs de service et des directeurs d'établissements.
Un outil, ce n'est pas le seul, peut nous permettre de transformer cet engagement pour la qualité de la prise en charge aux urgences en un engagement reconnu et valorisé : c'est l'intéressement collectif.
Je souhaite que, hôpital par hôpital, des discussions se nouent pour que l'on puisse se saisir de cet outil qu'est l'intéressement. C'est, j'en suis convaincue, gagnant-gagnant pour les patients et les soignants.
Sur la question des métiers et des compétences, je pense qu'il est indispensable de lancer un chantier spécifique sur la place et le rôle des infirmiers dits de première ligne, et donc sur le déploiement d'infirmiers de pratique avancée dans les services d'urgences.
Concernant l'aval des urgences, je vous le dis, je crois que nous sommes sans doute au bout d'une logique.
L'adaptation du nombre de lits dans nos hôpitaux a du sens, notamment en chirurgie, mais il nous faut renouveler l'effort collectif pour identifier des lits d'aval disponibles.
Or les questions de lits d'aval, c'est bien cela aujourd'hui le quotidien des urgentistes, de tous les urgentistes. Je souhaite que la mission se penche sur ce sujet de façon concrète, en prenant des exemples précis.
C'est un chantier lourd, très sensible, qui nécessite du cas par cas, hôpital par hôpital.
Ce chantier devra aborder la question des lits et places d'aval dans chacun des territoires et traiter la demande de prise en charge hors contexte de lits de médecine et de chirurgie.
Le problème de l'aval n'est pas uniquement celui du capacitaire de médecine et de chirurgie : la question de l'aval des urgences, c'est l'aval de l'aval, c'est aussi celle de l'aval des lits de médecine et de chirurgie, dit autrement la disponibilité de lits de SSR ou de prise en charge des personnes âgées dépendantes.
C'est aussi la question de la prise en charge directe des personnes âgées dans les services, sans passer par les urgences.
Pour faire émerger une alternative crédible aux urgences, la structuration d'une réponse de ville à la demande de soins non programmés est évidemment nécessaire. C'est un des objets principaux du soutien aux CPTS.
Quelle que soit leur forme, cette nouvelle offre de soins non programmés doit être équipée de moyens diagnostiques suffisants en biologie et en imagerie.
Les maisons de santé pluri-professionnelles, les maisons médicales de garde installées à proximité des urgences, devront demain être en mesure de réaliser des examens biologiques simples, évitant un passage à l'hôpital et un engorgement des urgences.
Cette liste de thématiques n'est pas exhaustive, mais elle signe un état d'esprit qui mêle pragmatisme et évolution d'un modèle.
Mesdames et messieurs,
Je tenais à vous réunir pour répondre à une détresse qui ne peut plus attendre et pour fixer avec vous un cap, un cap ambitieux, à la hauteur de votre engagement autant que des attentes de nos concitoyens.
Nous partageons le même objectif de remettre sur pieds notre système de santé et nos services d'urgences avec lui.
Faisons preuve d'imagination, faisons preuve d'audace, et inventons ensemble les urgences de demain. Il est plus que temps.
Je vous remercie et avant de faire un tour de table, je souhaite donner la parole au député Thomas Mesnier et au président Pierre Carli pour qu'ils puissent intervenir eux-aussi et nous indiquer la façon dont ils abordent la mission que je leur ai confiée. Nous ferons ensuite un tour de table complet et je conclurai la séance.
Source https://www.hauts-de-france.ars.sante.fr, le 25 juin 2019