Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 20 et 21 juin 2019.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen des 20 et 21 juin derniers a permis aux chefs d'État et de gouvernement d'aborder de nombreux sujets. J'ai eu l'occasion d'échanger avec certains d'entre vous avant ce Conseil. Nous avions alors constaté que l'agenda s'annonçait chargé. Les commentateurs ont volontiers retenu la seule question des nominations, en négligeant parfois les avancées importantes que nous avons enregistrées sur d'autres points, sur lesquels je voudrais revenir.
Pour ce qui est des nominations, sujet largement commenté, les chefs d'État ou de gouvernement, lors de leur rencontre informelle du 28 mai dernier, s'étaient accordés sur une ambition commune largement partagée. Il s'agit bien de trouver une équipe reflétant la diversité de l'Union s'agissant de la géographie, de la démographie, du genre et de l'affiliation politique.
Dans la nuit de jeudi dernier, à Bruxelles, les chefs d'État ou de gouvernement se sont mis d'accord sur ce qu'ils ne voulaient pas : la discussion a ainsi permis d'écarter le principe des candidats chefs de file, appelés Spitzenkandidaten, selon lequel les principales familles politiques de l'Union désignent leur candidat pour la présidence de la Commission européenne. Ainsi, le parti réunissant le plus grand nombre de sièges au Parlement obtient mécaniquement la présidence de la Commission.
Toutefois, comme l'a redit le président du Conseil européen, Donald Tusk, à l'issue de la réunion, aucun des trois candidats identifiés par cette procédure – Manfred Weber pour le PPE, Frans Timmermans pour les socialistes et Margrethe Vestager pour le groupe centriste – n'est apparu susceptible d'obtenir une majorité claire au sein ni du Parlement européen ni du Conseil européen.
Par conséquent, une nouvelle réunion des chefs d'État ou de gouvernement aura lieu dimanche prochain pour achever les discussions et présenter une équipe d'Europe pouvant prendre la tête de la Commission, du Conseil, du Parlement et de la Haute Représentation de l'Union européenne. Nous devons considérer cette échéance comme une date butoir, puisque la première session du Parlement européen, au cours de laquelle les députés européens devront élire leur président, se tiendra le 2 ou le 3 juillet.
Comme l'a dit le Président de la République, il s'agit d'un enjeu non seulement de crédibilité, un mois après des élections européennes ayant fortement mobilisé les citoyens, mais aussi de bon fonctionnement institutionnel. N'ajoutons pas de la lenteur à une discussion pouvant s'avérer difficile à suivre pour de nombreuses personnes.
Je tiens à le rappeler, dans ce cadre, la France n'a qu'une seule exigence : il faut parler du projet européen, avec des critères de compétences plutôt que de nationalité. Ce n'est pas une bataille de drapeaux. Si nous nous plaçons sur le terrain de la bataille d'influence nationale, le projet européen ira dans le mur. Il s'agit avant tout d'une bataille de crédibilité, pour que l'Europe puisse peser et prendre des décisions efficaces au cours des cinq prochaines années.
Le futur président de la Commission devra être une personne expérimentée et crédible, qui sera capable d'assumer des missions difficiles de haut niveau à l'échelon national, au sein de l'Union européenne ou à l'égard de ses voisins, puisqu'il y a également fort à faire à cette échelle.
Mais le Conseil s'est également penché, et c'est heureux, sur la nature du projet européen et le programme stratégique 2019-2024. Il ne s'agit pas d'un document de concept. Au contraire, il détermine très précisément les domaines politiques prioritaires sur lesquels l'Union devra concentrer ses efforts au cours des cinq prochaines années. Il dresse donc l'esquisse de la feuille de route du prochain président de la Commission.
Les quatre grandes priorités identifiées dans ce programme ont fait l'objet d'un large consensus parmi les États membres : protéger les citoyens et les libertés ; mettre en place une base économique solide et dynamique ; construire une Europe neutre pour le climat, verte, équitable et sociale ; et promouvoir les intérêts et les valeurs de l'Europe sur la scène mondiale. Ce programme stratégique fixe ainsi un cap clair, qui correspond pleinement aux priorités défendues par la France depuis maintenant plusieurs années, comme en témoignent les interventions du Président de la République et un certain nombre de travaux parlementaires.
Notre pays assumera également une responsabilité particulière au cours de ce nouveau cycle institutionnel, puisqu'il prendra la présidence du Conseil au premier semestre 2022, soit à mi-parcours.
Par ailleurs, comme nous l'avons demandé, le Conseil européen reviendra sur le sujet du programme stratégique en octobre prochain, ce qui lui permettra d'examiner, en concertation avec le futur président ou la future présidente de la Commission européenne, les moyens de mettre en oeuvre concrètement cet agenda dans le cadre du programme de travail de la Commission et des feuilles de route des différents commissaires européens.
Les chefs d'État ou de gouvernement ont examiné d'autres sujets prioritaires de l'ordre du jour européen.
La discussion sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 a permis au Conseil de saluer les travaux réalisés sous la présidence roumaine, synthétisés dans la « boîte de négociation », support du futur accord politique, et d'inviter la présidence finlandaise à poursuivre ces travaux et à affiner cette boîte, en présentant des chiffres, similaires ou différents de la proposition initiale de la Commission.
Sur cette base, les chefs d'État ou de gouvernement sont convenus d'avoir un nouvel échange de vues sur ce sujet en octobre prochain, dans la perspective de parvenir à un accord avant la fin de l'année 2019. En effet, pour une mise en oeuvre le 1er janvier 2021, il est essentiel de conclure tôt les négociations, afin que les États et les régions puissent ensuite utiliser pleinement les fonds.
Nous avons également engagé des échanges particulièrement intéressants avec l'ensemble des autorités finlandaises. J'ai moi-même rencontré mon homologue très récemment, afin de lui faire part des priorités de la France, de ses inquiétudes et, surtout, de l'état d'esprit dans lequel elle souhaite aborder une discussion budgétaire essentielle.
La discussion sur la lutte contre le changement climatique a donné lieu à des échanges nourris. Si les conclusions sur le climat ne sont pas aussi ambitieuses que nous l'aurions souhaité, les Vingt-Huit ne s'étant pas accordés à reconnaître qu'il fallait atteindre la neutralité carbone en 2050, c'est parce que quatre États membres continuent toujours d'opposer transition climatique et compétitivité de leur appareil industriel et à faire valoir des circonstances nationales pour empêcher de faire de l'Union un véritable chef de file en matière de lutte contre le changement climatique.
Nous aurions en effet souhaité entériner le fait que l'Union présenterait un message unifié lors de la réunion qui se tiendra le 23 septembre prochain à New York, organisée sur l'impulsion du secrétaire général de l'ONU, António Guterres, pour faire un point sur les initiatives prises par les différents pays.
L'objectif de la neutralité climatique de l'Union en 2050 n'a donc pas été inscrit dans le texte des conclusions, mais figure néanmoins dans une note en bas de page. Pour autant, vingt-quatre pays s'y sont ralliés. Nous n'étions que huit au sommet de Sibiu le 9 mai dernier, et seulement quatre au mois de mars. Sur cette proposition, formulée par la France, nous avons donc réussi à rassembler largement.
La problématique du financement a été posée. Nous avons invité la Banque européenne d'investissement à intensifier ses activités en faveur de l'action climatique. Ce point fait écho à la proposition soutenue par la France de créer une banque européenne du climat.
Les conclusions du Conseil européen rappellent également les efforts à fournir pour renforcer la résilience des démocraties face à la désinformation, aux fake news, et améliorer la capacité de réaction de l'Union face aux menaces hybrides et cyber. À la demande de la France, le Conseil a invité les institutions de l'Union européenne, ainsi que les États membres, à oeuvrer à des mesures visant à renforcer la résilience et à améliorer la culture de sécurité de l'Union européenne, notamment pour mieux protéger les réseaux d'information et de communication de l'Union, ainsi que ses processus décisionnels, contre les actes de malveillance de tout type. La cyberguerre existe bel et bien, nous pouvons aujourd'hui le constater au Moyen-Orient, et il convient que l'Europe puisse se protéger de ses risques.
Les relations extérieures ont aussi été au coeur de ce Conseil européen, au vu de l'actualité et des priorités de l'Union en la matière.
Le Conseil européen, sur notre initiative, a réaffirmé l'importance du partenariat stratégique de l'Union européenne avec l'Afrique, tout en appelant à le développer davantage. Il a également souligné le caractère essentiel pour l'Union de la stabilité, de la sécurité et de la prospérité des pays de la rive sud de la Méditerranée. Le Président de la République a eu l'occasion de réaffirmer ce dernier point ce week-end, à l'occasion du sommet des Deux Rives, qui s'est tenu à Marseille. La France fera des propositions pour que l'Union européenne renforce son partenariat avec le sud de la Méditerranée.
Le Conseil européen a par ailleurs décidé de renouveler, pour six mois supplémentaires, les sanctions sectorielles européennes appliquées à la Russie. Ces dernières sont non pas une fin en soi, mais un moyen d'encourager le règlement pacifique du conflit au Donbass. Nous n'observons malheureusement à ce stade aucune avancée dans la mise en oeuvre des accords de Minsk, qui conditionnent l'allégement de ces sanctions.
Un sommet de la zone euro a été organisé vendredi matin en marge du Conseil européen, en présence de Mario Draghi et Mario Centeno, le président de l'Eurogroupe, dans un format inclusif, c'est-à-dire à vingt-sept, soit avec des pays qui ne sont pas membres de cette zone.
Il a permis de faire un bilan exhaustif de l'accord trouvé lors du conseil Écofin qui s'était tenu la semaine précédente, après l'accord franco-allemand de Meseberg de juin 2018 et l'accord des vingt-sept chefs d'État ou de gouvernement en décembre 2018 pour renforcer et approfondir l'Union économique et monétaire. À cet égard, les chefs d'État ou de gouvernement ont salué les progrès réalisés par l'Eurogroupe sur la révision du traité sur le mécanisme européen de stabilité, qui vise notamment à faciliter l'utilisation de ce mécanisme en cas de crise, et la création d'un instrument budgétaire pour la convergence et la compétitivité de la zone euro. Il s'agit d'une esquisse d'un budget de la zone euro.
Ces accords sont positifs, mais ne sont pas suffisants. Des clarifications doivent encore être apportées, notamment sur la gouvernance et le financement d'un tel budget. Comme nous l'avons dit à plusieurs reprises, il faut un budget de taille suffisante, crédible, doté d'une gouvernance spécifique, un budget qui ne puisse pas être confondu avec une ligne budgétaire des Vingt-Huit.
Enfin, une discussion en format article 50 a été organisée à l'issue du Conseil européen pour évoquer la situation du retrait britannique depuis le sommet du 10 avril. Les vingt-sept chefs d'État ou de gouvernement ont fait part de leur pleine disponibilité pour travailler avec le prochain Premier ministre britannique, tout en rappelant que l'approche de l'Union quant aux négociations restait inchangée : s'il n'est pas envisageable de rouvrir l'accord de retrait, qui reste la seule option pour assurer un retrait ordonné du Royaume-Uni, ils sont prêts à travailler sur la déclaration relative aux relations futures, la fameuse déclaration politique, si la position britannique venait à évoluer à ce sujet.
Sur tous ces sujets, mesdames, messieurs les sénateurs, je serai ravie d'écouter vos observations et de répondre à vos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. le président de la commission des affaires étrangères, MM. René Danesi et Jean-Marie Bockel applaudissent également.)
(…)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Je répondrai bien volontiers aux différents points qui viennent d'être évoqués, car c'est tout l'intérêt de ce type de débat. Je commencerai par les questions les plus saillantes.
Monsieur le président Cambon, vous m'avez interrogée sur la défense et sur l'ambition de constituer – ce point a également été abordé par le dernier orateur – une autonomie stratégique européenne. Dans ce cadre, la constitution d'une base industrielle et technologique de défense est un impératif économique et de souveraineté. Nous constatons des progrès. Qu'il s'agisse de l'avion de combat, du ravitailleur en vol ou de l'hélicoptère, beaucoup de projets dépassent nos frontières et vont dans le bon sens. Nous développons une stratégie commune avec nos partenaires européens, notamment allemands. L'idée est, en particulier, de mettre en place une stratégie globale de l'Union et de décliner ensuite des stratégies spécifiques avec la Chine ou l'Afrique sur des sujets jusque-là plutôt perçus comme relevant de la souveraineté nationale.
En ce qui concerne les enjeux relatifs à l'exportation, il est indéniable que les différentes histoires nationales jouent effectivement un rôle important. Comme vous le savez, nous avons parfois des divergences de vues avec les Allemands. Nous dialoguons beaucoup sur ce sujet avec Berlin. Nous avons d'ailleurs reçu Heiko Maas en conseil des ministres. C'est un point qui a été discuté avec Jean-Yves Le Drian. À mon niveau, dans les cercles des ministres des affaires européennes, nous engageons un dialogue sur le fonds européen de défense et sur la manière de l'utiliser. Vous le savez peut-être mieux que quiconque ici, dans le cadre du traité d'Aix-la-Chapelle, c'est un sujet sur lequel des progrès ont été enregistrés.
Vous m'avez aussi interrogée, tout comme le sénateur Cadic, sur l'élargissement. Je poserai quelques principes et rappellerai quelques faits. Il a toujours été admis que les Balkans occidentaux avaient une perspective européenne. Il a également toujours été dit que, quand les critères seraient réunis, quand l'Union européenne serait prête, ces pays avaient vocation à rejoindre l'Union. Il importe d'être clair à l'égard des sociétés civiles et par rapport aux réformes qui sont engagées : ces pays ont bien une perspective européenne. En revanche, la France constate deux choses.
Premièrement, l'Union elle-même a besoin de se réformer avant de pouvoir intégrer d'autres pays.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Elle a besoin de se réformer dans ses processus de décision, dans ses processus budgétaires et dans ses différentes politiques publiques. Il n'est en effet pas forcément utile de décliner des politiques exactement semblables ; ce n'est pas non plus bénéfique aux populations elles-mêmes.
Deuxièmement, nous constatons que le processus de négociation tel qu'il est lancé n'est pas satisfaisant. D'abord, parce qu'il est extrêmement long. Ensuite, parce que l'Union européenne apparaît toujours comme un facteur bloquant. Enfin, parce que les réformes que nous demandons ne sont pas engagées.
C'est pourquoi j'ai demandé, mais c'est le fruit d'un travail mené depuis de nombreux mois, que nous utilisions la période qui s'ouvre jusqu'au mois d'octobre pour que la nouvelle Commission propose une autre stratégie de négociation. Il convient de mettre un terme à cette logique des « tunnels » dans lesquels les pays entrent en étant convaincus a priori d'en sortir comme des pays membres. Cette automaticité de fait n'est pas forcément bénéfique, car au moment où les négociations s'engagent chacun a déjà en tête que les pourparlers déboucheront sur un élargissement. Ce n'est pas sain non plus, car il n'est pas certain qu'il en ira effectivement ainsi, comme nous le voyons avec la Turquie. Il faut donc trouver une manière de procéder plus satisfaisante et plus honnête eu égard aux pays candidats.
Bref, il est essentiel que l'Union se réforme, et que les négociations puissent se tenir de manière plus acceptable pour nous et pour les pays qui souhaitent entrer dans cette démarche. Les conclusions du conseil Affaires générales soulignent très clairement que l'Union salue, de manière très affirmative, tous les accords menés dans le cadre de Prespa. Il convient, à ce propos, de saluer le courage politique dont les dirigeants grecs et macédoniens ont fait preuve pour régler un différend qui durait depuis des décennies. Nous serons très vigilants en octobre. En Albanie et en Macédoine des réformes ont été votées, mais leur mise en oeuvre n'est pas aujourd'hui maximale.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Nous sommes d'accord !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Je pense, notamment, à nomination d'un procureur spécial et à la mise en place d'un parquet spécial en Macédoine du Nord. De ce point de vue, des choses restent à faire. J'ai d'ailleurs eu un échange très courtois et très honnête avec mon homologue macédonien à ce propos. En Albanie, par ailleurs, se posent également des questions sur la corruption et le blanchiment d'argent. Le Conseil de l'Europe, à ce titre, joue un rôle très important.
En tout état de cause, la France parle à tout le monde. Nous recevons tous nos interlocuteurs, mais nous leur rappelons les critères à la fois internes à l'Union et externes.
Vous m'avez également interrogée sur la Turquie. Dans le cadre des conclusions du conseil Affaires générales, nous avons acté le fait que, depuis déjà quelques semestres, la négociation était au point mort et que les conditions n'étaient pas réunies pour rouvrir de nouveaux chapitres ni pour moderniser davantage l'union douanière avec la Turquie. En revanche, d'un point de vue diplomatique et géopolitique, il est évident, parce que nous avons un accord sur le sujet migratoire, comme sur beaucoup d'autres, que nous devons continuer à avoir des échanges et une relation diplomatique étroite, pour la simple et bonne raison qu'il s'agit d'un pays pivot. La France ne peut donc pas imaginer prendre ses distances.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. M. le sénateur Dominati m'a questionnée sur le cadre financier pluriannuel, le CFP. Effectivement, en 2014, le lancement du nouveau cadre financier pluriannuel a pris du retard, la négociation s'étant terminée tardivement. Par ailleurs, il s'est produit en France, en parallèle, un mouvement de décentralisation vers les régions. Nous en avons payé les conséquences. La montée en charge du budget européen a été ralentie.
Chers amis sénateurs, comme je l'ai rappelé lors de mon audition avant la réunion du Conseil, j'ai besoin de vous. Nous ne pouvons pas négocier, comme certains d'entre vous l'ont souligné, un budget de cohésion, un budget sur la PAC, c'est-à-dire des politiques qui sont extrêmement importantes pour nous, si nous ne montrons pas très activement que nous sommes ensuite capables de bien dépenser l'argent que l'Union européenne met à la disposition des acteurs au sein de l'Union européenne pour soutenir des politiques publiques. Si vous voulez renforcer la position française dans ces négociations, tout ce que vous pourrez faire en tant qu'acteurs territoriaux de premier plan pour accélérer la programmation et le paiement des fonds européens dans vos territoires sera extrêmement utile. Nous pourrons ainsi montrer que, si nous négocions fortement à Bruxelles, ce n'est pas parce que nous aimons faire de grands discours, mais c'est parce que ces politiques sont pour nous un outil essentiel en faveur du développement économique, social et territorial.
J'ai engagé des échanges avec de nombreux présidents de région. Jacqueline Gourault et le Premier ministre ont également entamé des discussions sur la bonne utilisation et la bonne gestion des fonds. La Cour des comptes a rendu un rapport à ce titre. Sachez que votre action dans ce domaine sera pour nous extrêmement utile.
Monsieur Cyril Pellevat, vous avez souligné que de nombreux sujets épineux nous attendaient. Effectivement, l'Europe avance par petits pas, mais le chemin parcouru est tout de même long ! Au mois d'octobre, un rendez-vous important nous attend, qu'il s'agisse de l'élargissement, du budget européen ou de la mise en oeuvre d'un agenda stratégique plus concret. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas être triste à l'idée que les choses se fassent de manière séquentielle. En revanche, il faudra être attentif à ne laisser de côté aucun sujet. Vous pouvez évidemment compter sur notre vigilance absolue.
Madame la sénatrice Guillotin, vous avez évoqué la neutralité carbone. Pour reprendre vos propos, vous percevez comme un signal négatif le fait nous n'ayons pas inscrit 2050 comme date butoir dans le corps du texte des conclusions. Bien sûr, nous aurions préféré obtenir l'unanimité, mais je tiens à rappeler d'où nous sommes partis. Au mois de mars, soit il y a trois mois, quand la France a avancé cette idée, quatre pays seulement la soutenaient. En mai, elle recueillait d'adhésion de huit pays, plus un, la Lettonie s'étant greffée au mouvement sur la grande place de Sibiu. Avant le Conseil, nous étions entre douze et quinze, et pendant les discussions nous sommes parvenus à rassembler vingt-quatre pays autour de notre proposition.
Une chose est claire aujourd'hui : la Commission est officiellement mandatée pour travailler à la mise en oeuvre de proposition pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Par conséquent, elle va devoir faire des propositions qui vont dans notre sens. C'est un fait que quatre pays se sont opposés à adopter le principe de la neutralité carbone en 2050, mais c'est aussi un fait que la Commission va devoir réfléchir à des actions concrètes pour y arriver. Je tenais donc à nuancer votre sentiment d'échec, qui a été aussi mis en avant par M. Christophe Priou.
En ce qui concerne la PAC, madame la sénatrice, oui nous sommes volontaires, oui nous cherchons à stabiliser les fonds. Entre 2014 et 2020, 52 milliards d'euros avaient été consacrés au premier pilier de la PAC. Nous voudrions également programmer 52 milliards d'euros entre 2021 et 2027. Par ailleurs, 9,9 milliards d'euros avaient été consacrés au deuxième pilier. Nous voudrions nous rapprocher le plus possible de ces montants. Aujourd'hui, 8,56 milliards sont consacrés au deuxième pilier et 50 milliards au premier pilier. Il faut donc faire un effort. Quoi qu'il en soit, si l'on s'arrête à une question de montant, on passe à côté du sujet. Cette PAC doit être une PAC de modernisation, de transformation, de capacité pour les agriculteurs à diversifier leur activité. Elle doit les inciter à être plus résilients aux chocs de marché, aux chocs climatiques et aux chocs liés à des pratiques culturales différentes. Utiliser moins d'intrants chimiques, cela signifie aussi plus de volatilité dans la production. Par conséquent, tout ce qui pourra conduire à stabiliser et à lisser les revenus me semble être une bonne option. C'est le sens des discussions conduites par Didier Guillaume au sein du conseil Agriculture. Soyez donc rassurés, nous sommes sur ce sujet très mobilisés.
Vous m'avez aussi interrogée sur le budget de la zone euro, tout comme MM. Haut et Longeot. La France, par la voix de son président, mais c'était déjà le cas avant lui depuis de nombreuses années, considère – c'est aussi ce que pensent de nombreux économistes – qu'une politique monétaire commune doit normalement être associée à un outil budgétaire commun. C'est ce que l'on appelle le policy mix, le budgétaire et le monétaire devant se compenser selon la nature du cycle économique. L'accord annoncé lors de l'Eurogroupe Écofin est une bonne nouvelle. Il acte l'idée que nous pouvons à dix-neuf – et pas à vingt-huit, c'est essentiel – nous doter d'un instrument qui soutienne à la fois les réformes et l'action de convergence.
Nous n'abandonnons pas l'idée selon laquelle nous parviendrons, un jour, à mettre en place un outil de stabilisation, notamment pour l'assurance chômage, et nous nous réjouissons d'ores et déjà d'avoir acté ce principe.
Il est essentiel selon moi d'avoir également acté – ce sera l'un des éléments de la négociation du cadre financier pluriannuel – le financement de ce budget par des ressources propres autonomes, afin que nous n'ayons pas à attendre 2027 pour trouver des tuyaux d'abondement pour sa montée en charge.
La question du volume du budget est importante, de même que celle de la gouvernance. Nous nous réjouissons, là aussi, des pas que nous avons faits, sans pour autant nous en satisfaire. Le Président de la République a été très clair sur ce point : il faut envisager les choses dans la continuité. La présidence finlandaise actuelle, ainsi que le changement de gouvernement en Finlande, va nous aider à convaincre de nouvelles personnes de l'importance et de la pertinence de cet outil.
Nous devons répéter cette tâche chaque fois que les gouvernements changent dans les pays : il faut de nouveau remobiliser, en expliquant combien cet outil est important.
Vous m'avez interrogée sur la situation en Ukraine et sur les vues de M. Volodymyr Zelensky. Je suis allée à Kiev pour son investiture et Jean-Yves Le Drian s'est également rendu sur place, à la fin du mois de mai, avec M. Heiko Maas, son homologue allemand. Quant à M. Zelensky, il est venu à Paris le 17 juin. Nous entretenons, vous le voyez, une relation diplomatique très forte avec ce pays, car nous pensons qu'il convient – pour les accords de Minsk, le Donbass, la Crimée et, plus largement, pour la région – de consentir un effort diplomatique important afin que nous puissions avancer sur ces dossiers.
Ce qu'a dit M. Zelensky dans son discours d'investiture est très intéressant. Il a notamment appelé les Ukrainiens qui étaient partis à revenir. Plus de 5 millions d'entre eux ont quitté le pays au cours des cinq ou six dernières années. Il s'agit, mécaniquement, de ceux qui, au sein de la population, ont le plus de capacités financières, culturelles, intellectuelles, qui disposent des ressources pour faire redémarrer l'économie et, plus globalement, le développement du pays. Nous aimerions pouvoir soutenir M. Zelensky dans cette démarche. Mais pour que le retour de ces personnes soit possible, il doit d'abord mener à bien le travail qu'il souhaite engager en termes de lutte contre la corruption et de pacification.
Il semble que M. Masson ait quitté l'hémicycle… Je tiens néanmoins à rappeler quelques éléments, évoqués également par M. Leconte, sur la Crimée.
M. Jean-Claude Requier. Vous voulez le convaincre…
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Sans vouloir le convaincre, il me semble important, ne serait-ce que pour le compte rendu, de poser quelques principes simples.
L'annexion de la Crimée qui a eu lieu en 2014 était illégale. La France souhaite poursuivre un dialogue de fermeté avec la Russie à cet égard. Les décisions de l'assemblée générale des Nations unies sur ce sujet doivent d'abord nous rappeler à la raison.
J'ai entendu beaucoup de choses extrêmement fallacieuses et dangereuses. En effet, nos alliés et nous-mêmes avons imposé des sanctions économiques et politiques à la Russie. Nous devons continuer à exiger la libération des marins ukrainiens. Je tiens à souligner que Jean-Yves Le Drian et Heiko Maas ont rendu visite, lorsqu'ils étaient à Kiev, aux familles de ces marins. Nous avons proposé que se tienne prochainement une nouvelle réunion en format « Normandie » afin de trouver une solution politique.
Sur ce sujet, Jean-Yves Le Drian est très clair : nous ne nous résoudrons pas à accepter une situation qui ne respecte pas les frontières internationalement reconnues. Les élections d'autodétermination, de souveraineté, doivent s'organiser dans un cas très précis. Nous ne pouvons donc pas, je le répète, accepter la situation actuelle.
M. Masson a par ailleurs fait des comparaisons plus que hasardeuses portant sur les leaders de pays qui sont nos alliés depuis longtemps. Je n'y reviendrai pas plus longuement, mais vous aurez compris le sens de ma pensée. Il est important de garder dans cette assemblée mesure et raison.
M. Jean-François Longeot. Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Monsieur Cadic, en matière de stratégie pour les Balkans, nous devons avoir, comme je l'ai dit à propos de l'Ukraine, une politique active, afin que les classes moyennes, les classes moyennes supérieures et la jeunesse de ces pays puissent y rester. Sinon, tous nos efforts diplomatiques seront vains, puisque nous n'aurons pas localement les ressources pour accompagner leur développement. C'est l'enjeu de la réunion qui se tiendra à Pozna? les 4 et 5 juillet prochains et à laquelle je participerai, de même que le Premier ministre.
Ce dialogue de haut niveau vise à ce que le processus juridique des négociations en vue d'un éventuel élargissement, entre autres, s'accompagne d'une véritable stratégie économique de soutien au développement de cette zone.
Le processus de Berlin qui sera relancé, ou en tout cas approfondi, à Pozna? est selon moi essentiel. Vous avez bien décrit la situation, monsieur le sénateur, et je serais ravie de poursuivre nos échanges sur ce sujet.
Madame Mélot, je tiens à dire ici formellement qu'il n'y a pas de lutte franco-allemande sur les nominations. Mme Angela Merkel, le président Macron, ainsi que nous tous savons bien qu'il n'y a pas d'autre solution que le compromis pour faire avancer l'Europe.
Nous devons donc non pas négocier un compromis mou, mais nous donner les moyens d'avancer en nommant des personnes qui ont les épaules et l'énergie pour porter ce projet. Vous l'avez bien dit, et il est utile de le répéter.
Vous êtes intervenu, monsieur Haut, sur la présidence finlandaise et son ambition pour le climat.
La Finlande, qui figurait parmi les signataires de l'appel de Sibiu, innove et, notamment sur les enjeux agricoles, cherche à lancer des initiatives tout à fait intéressantes. Nous allons donc approfondir notre réflexion avec ce pays.
Un élément clé est selon nous la part du budget européen, lequel est sous la responsabilité de la présidence finlandaise, qui sera dédiée au changement climatique. Vous le savez, nous cherchons à atteindre l'objectif de 40 % ; nous avons d'ores et déjà acté un objectif minimal de 25 %, mais nous voudrions vraiment aller plus loin.
Un autre point très important est la politique d'innovation, à laquelle la Finlande est très attentive, car elle permettra de trouver des solutions. Ce n'est pas le tout de faire de grands discours, il faut en effet des solutions concrètes et je crois que la présidence finlandaise pourra nous aider à cet égard.
Monsieur Laurent, l'heure tournant, nous n'avons plus le temps de nous lancer dans un grand débat sur les échecs, les succès et les réalités de l'Europe d'aujourd'hui.
Je suis quelque peu étonnée que vous évoquiez le programme stratégique en un seul mot. Il y a pourtant dans ce programme de quoi faire avancer un projet au service des citoyens. Nous parlons en effet d'une Europe sociale, et mettons sur la table l'idée d'un salaire plancher permettant aux personnes qui travaillent à plein temps de vivre au-dessus du seuil de pauvreté. (M. Fabien Gay proteste.)
Si nous avons la certitude de garantir, en Europe, aux salariés travaillant à plein temps qu'ils pourront gagner au moins 50 % du salaire médian, je puis vous dire que nous aurons fait un progrès qui concernera un certain nombre de pays !
M. Fabien Gay. Ce sera encore moins !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Je n'ai pas dit qu'il fallait se conformer à ce seuil ; mais prévoir un plancher pour l'intégralité des États membres serait déjà un progrès.
Pour ce qui concerne le climat, ce que nous avons obtenu est également, à mon avis, le signal que nous avançons. Nous pouvons discuter du point de savoir si c'est satisfaisant ou suffisant, mais il est réducteur de dire que nous n'avançons pas ! Nous devons certainement aller plus vite et plus loin ; je rappelle néanmoins que l'inscription des termes « Europe sociale » résulte d'une demande française. Au départ, il n'était question que d'une « Europe inclusive ». Or nous avons considéré que nous pouvions assumer collectivement les termes d'« Europe sociale ». Il faudra décliner ensuite les objectifs à défendre, projet par projet.
Monsieur Leconte, il est une autre phrase de Jean Monnet que j'aime beaucoup, selon laquelle il faut avoir en tête, plutôt que de l'optimisme ou du pessimisme, de la détermination. À votre discours, pas totalement exempt de relents de déclinisme, je préfère l'attitude consistant à regarder précisément, projet par projet, comment nous pouvons avancer au cours des prochaines années.
Je peux vous rassurer, les commissaires sont bien solidaires de la feuille de route du président de la Commission, laquelle travaille dans l'intérêt général de l'Union européenne. Ils ne sont donc pas les représentants des intérêts nationaux.
Vous avez également évoqué la politique de l'asile. Le Conseil européen mentionne bien dans ses conclusions qu'il est proposé, à l'unanimité du Conseil, de revoir le fonctionnement du règlement de Dublin et de mener en matière d'asile une véritable politique de responsabilité et de solidarité.
Il n'est donc pas vrai, comme vous l'avez dit, que rien n'est prévu sur l'asile. Vous le savez, la France est très claire sur ce point : si nous ne respectons pas aujourd'hui les valeurs de l'Europe, c'est parce que nous n'avons pas réussi à nous organiser pour accueillir ceux qui ont besoin, en toute légitimité, de protection. Par ailleurs, le règlement de Schengen est totalement déséquilibré : le pilier de la circulation intérieure est bien en place, mais nous sommes en retard sur le point des frontières extérieures.
Monsieur Longeot, nous travaillons beaucoup, avec Bruno Le Maire, sur les dossiers de l'industrie européenne et de la concurrence dans les différents cercles, et notamment au sein du conseil Compétitivité.
M. Jean-François Longeot. C'est très important !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. Ces sujets sont essentiels, car, derrière la politique de la concurrence et de l'industrie, il y a la possibilité de créer des emplois et de développer la prospérité économique.
Lorsque nous parlons de recherche au niveau européen et que nous consacrons 100 milliards d'euros au programme Horizon Europe sur sept ans, quand nous protégeons nos actifs stratégiques, c'est l'industrie de demain que nous construisons. Qu'il faille, là aussi, aller plus loin, j'en suis d'accord : c'est une ambition que nous partageons.
Vous avez dit, monsieur Huré, qu'il fallait un budget beaucoup plus élevé.
Certains de vos collègues siégeant sur les mêmes travées que vous ne manquent pas de faire savoir, lors du débat sur les prélèvements sur recette au bénéfice de l'Union européenne, que l'Europe coûte cher, mais je ne crois pas que ce soit une bonne façon de présenter les choses. Les ressources propres sont en effet un bon moyen de sortir de l'idée selon laquelle c'est le contribuable national qui alimente les fonds.
Je tiens aussi à mettre en avant une idée que Jean Arthuis a longuement défendue : il faut s'assurer que le budget européen est bien complémentaire du budget national et qu'il n'y ait pas de doublons ; cela signifierait, sinon, que les contribuables et les acteurs économiques paient deux fois. Les nouvelles initiatives européennes doivent donc être complémentaires et non similaires aux actions lancées au niveau national.
J'aurais plaisir à vous faire part, sur ce sujet, des avancées que nous pourrons mener dans les prochains mois. La « taxe plastique » est ainsi une ressource propre intéressante, qui permettra de financer le budget de l'Union sur la base du plastique non recyclé. Les pays, les collectivités et les acteurs qui recycleront ce matériau seront exemptés de la participation à ce financement.
J'espère que ledit financement sera égal, à terme, à zéro, ce qui voudrait dire que l'on sera parvenu à recycler l'ensemble du plastique. En attendant que cet objectif soit atteint, il s'agit d'une bonne ressource, qui peut être incitative. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche ainsi qu'au banc de la commission.)
source http://www.senat.fr, le 9 juillet 2019