Entretien de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à BFM TV le 1er juillet 2019, sur la désignation des dirigeants des institutions européennes et l'accord entre l'Union européenne et les pays du Mercosur.

Prononcé le 1er juillet 2019

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Média : BFM TV

Texte intégral

Q - Bonsoir, Amélie de Montchalin, merci d'être notre invitée. Vous êtes secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes, et vous étiez avec Emmanuel Macron durant près de 24 heures. Comme le président vous avez peu dormi. Et il dit : "c'est un échec, pour moi c'est une crise européenne". Est-ce vrai ?

R - Oui c'est une crise, parce que nous avons passé, la semaine dernière, un temps certain, à se mettre d'accord sur un projet. Nous avons réussi à nous mettre d'accord sur ce que nous voulions faire pour les Européens.

Q - Avec Angela Merkel à Osaka.

R - Non, au Conseil européen de la semaine dernière, nous nous sommes mis d'accord sur l'agenda stratégique : Que souhaitons-nous faire pendant cinq ans pour les citoyens ? Les citoyens ont voté, ils ont dit qu'ils voulaient que les choses changent. Au Parlement européen, on a un nouveau groupe central, avec les Verts, qui est plus nombreux que le PPE. Des choses se sont passées au moment des élections.

La semaine dernière les chefs d'Etat ou de gouvernement se disent : on va travailler sur le climat, sur l'emploi et la prospérité économique et une Europe sociale, et on va travailler sur nos relations avec le monde extérieur. Aujourd'hui, on arrive, et on passe notre nuit à sentir que l'on est otage de luttes partisanes, de petits accords entre amis.

Nous avions un accord, la France, l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, la Belgique. On a travaillé toute la nuit à proposer des choses sur lesquelles nous étions d'accord, pas des compromis de couloir, mais des choses qui reflétaient notre ambition européenne, et nous étions devant un mur, parce qu'on a un parti conservateur le PPE, qui aujourd'hui,

Q - C'est le parti d'Angela Merkel.

R - Oui mais c'est aussi un parti qui, pendant des années, a considéré que l'Europe c'était son affaire. Il y avait un président de la Commission, il y avait des élections, on savait déjà avant les élections ce qui se passerait après, c'était simple. Et en fait, il y a un changement, il y a eu un changement en Europe, il y a eu des élections européennes qui ont montré que l'on avait une nouvelle force centrale avec des gens qui sont pro-européens, des gens très engagés sur le climat qui disent que l'on ne va pas faire comme avant.

Q - Mais le changement, c'est aussi un groupe populiste important, c'est aussi une personnalité importante, comme Viktor Orban, qui refuse l'accord que vous avez mis au point. Il est resté au PPE et il ne veut pas de Frans Timmermans, le social-démocrate, à la tête de la Commission. C'est aussi cela, le changement.

R - Pensez-vous que les citoyens européens, que tous les dirigeants mondiaux, à l'extérieur de l'Europe, sont aujourd'hui devant une Europe qui est celle qu'elle doit être, à savoir une Europe puissante, une Europe forte, si on passe notre nuit à régler les différends internes du parti conservateur qui a du mal à accepter que les élections ont changé la donne ?

Ce qui se passe aujourd'hui, c'est que le PPE n'est plus en situation hégémonique. Il y a une nouvelle force centriste, et il faut que l'on compose, avec trois pôles : un pôle social-démocrate, un pôle centriste, progressiste autour de Renaissance, et un pôle de droite. C'est très bien, cela ne nous pose aucun problème, nous sommes prêts à travailler avec tout le monde, mais on ne peut pas être pris en otage, des "guéguerres" internes d'un parti qui a du mal à accepter que ce ne soit plus comme avant.

C'est ce que nous avons fait cette nuit, et ce qui s'est passé, c'est que le président Macron, mais aussi les Espagnols, Angela Merkel et un certain nombre de dirigeants ont dit : ce matin à 11 heures on arrête. On arrête parce qu'on va dans le mur. Si nous continuons comme cela, quelle image donne-t-on aux citoyens qui ont voté ? Quelle image donne-t-on aux dirigeants extérieurs qui n'attendent que cela, que l'on soit affaiblis et que l'on se batte entre nous ?

Donc on arrête, chacun rentre chez soi, chacun revient demain dans un état d'esprit qui est celui de l'esprit européen, et pas l'esprit de vouloir régler ses comptes de partis, qui n'est pas non plus l'esprit de chercher sa petite place pour sa petite gloriole personnelle. On dort, on revient, et demain on a un accord. Je suis certaine que nous aurons un accord, parce que ce sursaut est nécessaire, et les dirigeants voient bien que l'on ne pourra pas vendre le fait que l'on va recommencer à ne pas réussir à se mettre d'accord, alors que les élections ont donné un signal clair. Les élections ont dit que l'Europe devait avancer, l'Europe doit être ambitieuse sur le climat et sur beaucoup d'autres sujets.

Q - Mais il y a aussi des reproches. Angela Merkel avec laquelle l'accord avait été fait n'a plus autant de pouvoir sur son propre groupe et son propre parti, parce qu'à l'intérieur du PPE, ce sont les conservateurs allemands qui sont majoritaires, soyons clairs.

R - Il y a le PPE du Parlement et le PPE des chefs d'Etat. Aujourd'hui ce que l'on voit, c'est que ce parti doit vivre - mais ce n'est pas à moi de le dire, je ne suis pas membre du PPE - j'observe qu'aujourd'hui, ils sont en difficulté.

Q - Confirmez-vous qu'Angela Merkel est affaiblie devant ce groupe, elle n'a plus le même pouvoir, elle pouvait imposer à sa famille politique ?

R - Je vous confirme surtout que c'est le PPE qui est affaibli. Le PPE, avant, arrivait après les élections avec exactement ce qu'il savait ce qui allait se passer avant les élections, c'était prévisible. Le PPE n'a pas gagné ces élections puisqu'il n'est plus en capacité de faire ses petits arrangements comme avant.

Ce qui est affaibli, c'est la famille conservatrice dans son ensemble, Angela Merkel, avec beaucoup de courage, a proposé des choses, elle est attachée au système des "Spitzenkandidaten" qui n'était pas notre option.

Q - C'est-à-dire que c'est le chef du parti qui est arrivé en tête qui devient le président de la Commission.

R - Oui, et cela, on a vu que cela n'a pas de majorité, que ni au Parlement, ni au Conseil, les gens étaient d'accord pour que cela se fasse de manière automatique. Et donc, ce que nous avons fait toute la nuit, - et vous savez ce n'est pas la question de savoir si on veut être d'accord avec les uns ou les autres - on a l'obligation d'être d'accord, il faut qu'il y ait un consensus, il faut que l'Europe puisse avancer.

Q - Emmanuel Macron lorsqu'il arrive dans cet univers ne vient-il pas pour bousculer un peu tout le jeu, - ce qui est plutôt positif et vous le défendez - mais n'est-il pas vu également comme quelqu'un d'arrogant qui vient remettre en question un certain nombre de pratiques, et donner un peu la vision française, du haut du deuxième pays d'Europe, peut-être, à part le Royaume-Uni ?

Je voudrais qu'on pose à nouveau les choses : Emmanuel Macron a proposé une vision européenne en 2017, il a fait campagne en 2017 sur l'Europe en France, tout le monde lui a dit que ce serait un suicide politique, il a gagné. Pendant deux ans ensuite, il a expliqué, dans son discours à la Sorbonne, dans sa lettre aux citoyens, ce que l'on pensait, ce qu'il fallait faire en Europe pour que des sujets, qui importent pour les Français mais qui importent pour tous les Européens progressent. Il y a les élections européennes qui amènent plus de 100 députés dans un nouveau groupe centriste qui s'appelle Renaissance au Parlement européen.

Jusque-là, il n'y a pas d'arrogance, c'est une proposition politique qui a du soutien.

Ensuite, on arrive donc au Conseil, et depuis des semaines on dit : nous, nous ne sommes pas dans une logique de parti, nous sommes dans une logique pour trouver des hommes et des femmes qui peuvent porter notre projet. Nous avons donc passé la nuit avec l'Espagnol, le leader portugais, le leader néerlandais, le leader belge, le leader luxembourgeois, avec Angela Merkel, à monter et à descendre dans les ascenseurs pour aller voir chacun des pays et pour leur dire : voilà ce que l'on peut faire ensemble, quelles sont vos demandes ? Comment voulez-vous vous y retrouver ? Comment on peut construire ? Et on a construit beaucoup de choses.

Q - Vous nous dites ce soir que demain matin, il y aura un accord.

R - Il y aura un accord. Il y aura un accord parce que nous n'étions pas loin de l'avoir. Simplement, vous êtes au moment où chacun doit bouger un peu pour que le consensus se fasse. Et ce moment où chacun bouge un petit peu, cela demande au fond de renoncer à une part d'ego, cela demande de renoncer justement à ces "guéguerres" partisanes. Et c'est mieux de le faire quand tout le monde est dans le bon esprit.

Donc, on a dit : on sent qu'on est proche, il nous manque une petite distance, on rentre chez nous, on réfléchit, et demain on reviendra dans un autre état d'esprit pour conclure un accord.

Q - Amélie de Montchalin, ça c'est pour l'affaire de cette impasse des nominations, des "top jobs" comme on dit, les travaux les plus importants, les emplois les plus importants à l'intérieur de la Commission européenne. Mais, sur le programme d'Emmanuel Macron, il y a une question qui est posée très fortement aujourd'hui par Nicolas Hulot, par Yannick Jadot, à propos de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur, c'est-à-dire quatre pays d'Amérique latine, le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay.

Je vous propose d'écouter Yannick Jadot : "J'en ai assez des menteurs, c'est quand même incroyable que le président de la République pactise avec M. Bolsonaro au Japon. Bolsonaro est en train de détruire, il veut massacrer l'Amazonie. Honte à la Commission européenne, honte à Mme Merkel qui veut simplement vendre ses bagnoles aux Etats-Unis, au Brésil et ailleurs, et honte à M. Macron qui a menti sur le Mercosur. Le gouvernement, le président de la République, sur ces affaires de libre-échange, ont une position d'une duplicité indigne. On est dans le mensonge."

R - Ce qui s'est passé, depuis des mois, voire des années, la France a dit trois choses : Mercosur, il y a trois conditions : 1. Il faut que l'accord de Paris soit respecté par ceux qui sont en Amérique du Sud. Donc il faut que M. Bolsonaro...

Q - ...le président brésilien. D'accord, il a dit qu'il ne sortait pas de l'Accord de Paris, mais pour autant il continue à faire la déforestation de l'Amazonie et à faire un certain nombre de choses, cela ne va pas l'empêcher...

R - et dans l'accord, on a écrit qu'il faut le mettre en oeuvre effectivement, ce n'est pas juste de signer. Déjà on avait dit : il faut qu'il y ait l'accord de Paris. Deuxième chose, on a dit : il faut qu'on ait une clause de sauvegarde, c'est-à-dire que si jamais la viande qui arrive notamment des pays d'Amérique du Sud arrive à un moment où nous-mêmes on a des difficultés de marché et que cela fait plonger les prix et que nos propres agriculteurs ne peuvent plus vendre leurs produits - ce qui est quand même un comble -, on a le droit de bloquer l'entrée de la viande qui vient d'Amérique du Sud...

Q - ...d'Argentine par exemple...

R - Et la troisième chose, on a dit : on veut fixer un quota. Même si tout va bien, on a des limites de volume. Le président polonais, le président irlandais, le président belge et le président français ont écrit une lettre à M. Juncker la semaine dernière en lui disant : on écoute, on entend, vous progressez sur le Mercosur. On vous rappelle que, de notre côté, ces quatre pays-là, qui sont des pays agricoles et qui sont des pays très attachés à la réciprocité aussi dans les règles commerciales internationales, il faut que ces trois principes-là on les retrouve, sinon ce sera sans nous". On a retrouvé ces principes-là.

Maintenant, il y a quelque chose qui est clair, c'est que l'on croit à la démocratie, je trouve cela normal et sain qu'au Parlement européen, Yannick Jadot et les autres députés européens puissent évaluer, très en profondeur, ce qu'il y a dans l'accord, ce qu'il n'y a pas ? Est-ce que le Parlement européen, en tant qu'instance souveraine, a envie de ratifier ? Ensuite, c'est un vote et on fera confiance à la démocratie, on ne va pas passer en force. Donc, tout comme sur le CETA où il y avait eu une vraie grande discussion...

Q - C'est l'accord de libre-échange avec le Canada.

R - ...on a fait une évaluation indépendante et des résultats sont présentés. Sur la base de ces résultats, on dit : on peut y aller. Sur le Mercosur, c'est pareil. Moi, je suis très sereine quand j'entends des députés, y compris de la majorité, y compris du groupe Renaissance, y compris M. Jadot, je n'ai aucun problème à ce que M. Jadot soit exigeant...

Q - Les agriculteurs français aussi, vous assistez sur le Mercosur à une alliance entre les écologistes et les agriculteurs qui sont très inquiets.

R - Mais les agriculteurs ont raison d'être inquiets. Ils ont besoin de voir l'accord, de comprendre exactement comment la clause de sauvegarde va fonctionner, quel est exactement le respect des quotas que l'on va avoir, est-ce que les normes environnementales, notamment sur le climat, vont être respectées. Il est normal que, dans cette phase qui est une phase de présentation d'un accord, les gens aient des exigences. Et, moi, je suis très sereine pour qu'on ait un débat. Et, ensuite, c'est la démocratie qui prime, ensuite il y a une majorité qui se crée. Donc, si M. Jadot et d'autres ont des positions de principe contre les accords de libre-échange, ils ont au Parlement européen une tribune, un endroit pour travailler et c'est à eux de faire leur travail de conviction.

Ensuite, la démocratie c'est un principe où la Commission, en Europe, propose, les gouvernements fixent des conditions et ensuite le Parlement travaille. Donc, on est dans le principe absolu. Donc, il ne faut pas faire de fausses polémiques aujourd'hui, personne ne dit que nous, en France, nous voudrions que demain personne ne discute et qu'on ratifie comme un seul homme. On est d'ailleurs, dans le cadre du Conseil de défense écologique, tout à fait ouvert, voire même volontaire pour nous assurer que sur tous ces sujets qui sont des sujets importants, on s'assure que l'ambition économique, l'ambition internationale soient cohérentes avec notre ambition environnementale. Ce ne sont pas des mots en l'air. Il faut être extrêmement clair sur le fait que la démocratie, à la fin, c'est elle qui gagne. Et donc, comme au Conseil européen, le sursaut des chefs d'Etat pour se dire "il faut qu'on travaille pour l'Europe plutôt que de s'occuper de nos petits arrangements partisans", c'est cela qui fait qu'à la fin on peut avoir des résultats pour les citoyens. Et c'est pour cela que je m'engage au quotidien.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juillet 2019