Interview de M. François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, à France Inter le 10 juillet 2019, sur la politique de l'environnement et sur un article de "Mediapart" concernant sa présidence de l'Assemblée nationale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

FREDERIC METEZEAU
Le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de RUGY, est notre invité, bonjour.

FRANÇOIS DE RUGY
Bonjour.

FREDERIC METEZEAU
C'est un peu la surprise du chef, une écotaxe sur le transport aérien, qui ira de 1,50 euro à 18 euros selon la classe empruntée et la longueur du vol, les vols pour la Corse et les Outre-mer ne seront pas concernés. D'où est venue l'idée, François de RUGY, et pourquoi est-elle arrivée là, maintenant ?

FRANÇOIS DE RUGY
L'idée elle est simple, c'est de faire contribuer tous les secteurs, notamment tous les secteurs du transport, qui émettent des gaz à effet de serre, de les faire contribuer à la lutte contre l'effet de serre. Et, vous le savez, nous avons une politique, moi je dis nous faisons la guerre à l'effet de serre. Cette guerre à l'effet de serre il faut aller dans tous les secteurs voir comment on peut réduire ces émissions de gaz à effet de serre. Les Français l'ont beaucoup dit ces derniers mois, pourquoi le transport aérien ne contribue pas davantage, il n'y a pas de taxe sur le kérosène alors qu'il y a des taxes sur les carburants ? Il y a une aspiration, que je partage, d'avoir un effort partagé, une forme de justice dans l'effort qu'il y a à fournir dans cette guerre à l'effet de serre. Et par ailleurs, nous avons aussi entendu le message sur l'idée que s'il y avait des contributions, une forme de fiscalité, écologique…

FREDERIC METEZEAU
C'est une fiscalité écologique.

FRANÇOIS DE RUGY
Voilà, c'est une taxe, disons-le, il y a une nécessité à ce que cet argent collecté aille vers la transition écologique, et là c'est ce que nous faisons. Nous avons une contribution du transport aérien, il y en a une autre du transport routier de marchandises, les camions…

FREDERIC METEZEAU
Vous retenez 2 centimes qui étaient jusque-là alloués.

FRANÇOIS DE RUGY
Voilà, et tout cela va directement au financement des infrastructures écologiques de transport, puisqu'à 75 % ce sont les infrastructures ferroviaires qui sont ainsi financées.

FREDERIC METEZEAU
Comme toujours, cette nouvelle taxe fait des mécontents, d'un côté AIR FRANCE dénonce une charge supplémentaire et une concurrence déloyale, Jean LEONETTI, pour le parti LR, parle en substance d'une écologie punitive, et puis de l'autre côté les ONG disent que ça ne va pas assez loin. Ça peut aller plus loin, on sait que ce genre de taxe est beaucoup plus élevée en Allemagne et au Royaume-Uni.

FRANÇOIS DE RUGY
En tout cas c'est sans doute le signe que nous avons une position assez équilibrée, que je revendique. En matière d'écologie nous ne faisons pas les choses du jour au lendemain, les changements ils doivent être profonds, durables, et pour cela le mieux est qu'ils soient progressifs, pour qu'ils soient acceptés, que les entreprises aient le temps de s'adapter. Nous allons mener une bataille au niveau européen, et au niveau mondial, sur la taxation du kérosène, car le plus important, à terme, c'est qu'au niveau mondial il y ait une taxation du kérosène qui soit un signal clair, que les compagnies aériennes devront acheter demain des avions qui consomment moins de carburant. Et par ailleurs, l'industrie aéronautique est déjà prête à faire, par exemple voler des avions avec des carburants d'origine végétale, et non plus du pétrole. Eh bien, pour cela, il faut qu'il y ait un cadre réglementaire, un cadre fiscal, qui soit plus incitatif qu'aujourd'hui. Donc, nous allons mener cette bataille au niveau européen, mais nous prenons déjà notre part au niveau français.

FREDERIC METEZEAU
Vous avez utilisé le mot « progressif », ça veut dire que cette taxe a vocation à augmenter ?

FRANÇOIS DE RUGY
Vous savez qu'elle existait déjà, c'est ce qu'on appelait la taxe Chirac, puisque Jacques CHIRAC, lorsqu'il était président de la République, avait souhaité financer la solidarité internationale pour la lutte contre le sida…

FREDERIC METEZEAU
Pour les médicaments, UNITED.

FRANÇOIS DE RUGY
Voilà, à travers cette contribution sur les billets d'avion, et donc nous avons… c'est un modèle français en quelque sorte, et nous disons on y ajoute une part de contribution pour la lutte contre l'effet de serre, c'est une autre forme, d'ailleurs, de solidarité internationale et de combat mondial pour tout simplement notre capacité à bien vivre sur la planète.

FREDERIC METEZEAU
Et donc cette part va-t-elle augmenter ?

FRANÇOIS DE RUGY
Eh bien nous verrons en fonction de ce qui sera négocié au niveau européen. Moi je souhaite qu'à terme, et le plus vite possible, même si tous les pays européens ne veulent pas d'ailleurs, eh bien nous ayons une coalition de pays européens, de grands pays européens, qui ensemble décident de dire : nous avons, là aussi progressivement, une contribution sur le kérosène, de façon à récompenser les compagnies aériennes qui investiront dans les nouveaux avions, dans les nouveaux matériels aéronautiques, qui consomment moins de carburant et qui émettent moins de gaz à effet de serre.

FREDERIC METEZEAU
François de RUGY, la secrétaire d'Etat Brune POIRSON, qui travaille avec vous au ministère de l'Environnement, va présenter en Conseil des ministres une loi anti-gaspillage et pour l'économie circulaire, elle veut, je la cite, lancer la guerre contre la pollution plastique. Comment on fait la guerre à la pollution plastique, sachant qu'on est en retard en France ?

FRANÇOIS DE RUGY
Oui, avec Brune POIRSON nous travaillons sur cela. Du premier jour où j'ai été nommé j'ai dit : une de mes priorités c'est la lutte contre les déchets, le fait que, aujourd'hui, en France, on va encore envoyer trop de déchets, soit dans des décharges, soit dans des usines d'incinération, c'est du gaspillage, en soi c'est du gaspillage. Les déchets il faut les voir comme une ressource, comme une matière première que l'on peut recycler. J'organisais hier soir au ministère de la Transition écologique une conférence sur les terres rares, sur les métaux rares, et tous les scientifiques qui étaient là disaient « votre première priorité c'est de recycler. Avant d'aller creuser les trous dans la terre pour aller chercher, parfois très loin, et parfois de façon très sale, un certain nombre de métaux, déjà commencez par recycler. » Le taux de recyclage est beaucoup trop faible en France, et nous pouvons donc gagner cette bataille, en effet qui est celle de réduire les déchets à la source, il y a sans doute des emballages que l'on peut supprimer ou réduire. Ensuite on peut réutiliser, réemployer un certain nombre de choses, il y a dans la loi des mesures pour favoriser, y compris la réparation des appareils, les niveaux de garantie, les pièces détachées, et puis ensuite il y a le recyclage. C'est une belle bataille qui est à la fois écologique et économique, puisque c'est une ressource pour nos entreprises.

FREDERIC METEZEAU
Il y a des mesures qui étaient déjà connues, par exemple l'interdiction du plastique à usage unique type pailles, gobelets, à partir de l'année prochaine…

FRANÇOIS DE RUGY
Nous avons d'ailleurs mené, là aussi, la bataille au niveau européen, et nous l'avons gagnée, en 2021 dans tous les pays de l'Union européenne plus de 10 objets de ce type seront interdits définitivement.

FREDERIC METEZEAU
Et il y a une mesure qui fait encore débat, c'est celle de la consigne. Avant on mettait ses bouteilles en plastique dans la poubelle pour le recyclage, là il s'agirait de les ramener au magasin et de récupérer 10, 15 euros, en échange. Pourquoi adopter ce système ?

FRANÇOIS DE RUGY
Non, 10 ou 15 centimes…

FREDERIC METEZEAU
Centimes pardon. Qu'est-ce que j'ai dit, euros ? Pardon, 15 centimes d'euro. Pourquoi ce système de consigne plutôt que le recyclage ? C'est simple le recyclage, on à la poubelle avec la bonne couleur.

FRANÇOIS DE RUGY
Nous allons voir, avec les collectivités locales, qui sont chargées en France de la collecte des déchets ménagers, et ensuite du tri, en tout cas je souhaite qu'elles s'engagent beaucoup plus dans le tri et dans le recyclage, et on va regarder avec celles qui sont allées le plus loin. Est-ce que c'est la collecte dans les poubelles, les poubelles jaunes, les sacs jaunes, donc ces poubelles vraiment qui sont devant chaque logement dans les immeubles, ou est-ce que c'est la consigne ? Nous, nous croyons beaucoup à la consigne, parce que la consigne c'est un geste clair et simple. Vous avez acheté des bouteilles, que ce soit des bouteilles d'eau, mais ça ne sera pas que l'eau, ça ne sera pas que les sodas, il faut aussi penser aux autres emballages, les produits ménagers, les shampoings, les produits cosmétiques. Et cette bouteille, est-ce que vous faites le geste, quand vous allez refaire vos courses, de la ramener dans un endroit, où là, en plus, on vous récompense, c'est le principe qui a toujours existé d'ailleurs, de la consigne, on vous redonne une petite incitation à le ramener. Partout où ça a été fait, ça a été efficace pour augmenter le taux de collecte et donc de recyclage des plastiques.

FREDERIC METEZEAU
François de RUGY, ce matin Mediapart publie une enquête intitulée, je l'ai sous les yeux, « La vie de château sur fonds publics des époux de RUGY », ça concerne votre période de président de l'Assemblée nationale entre 2017 et 2018, il est écrit, dans Mediapart, que vous et votre épouse auriez organisé des dîners extrêmement somptueux, extrêmement goûtus, et que c'était plutôt des dîners amicaux que des dîners à vocation professionnelle et politique. Qu'est-ce que vous répondez ce matin à cet article de Fabrice ARFI sur Mediapart ?

FRANÇOIS DE RUGY
D'abord je tiens à dire que j'ai répondu à toutes les questions de Mediapart, Mediapart m'a envoyé un certain nombre de questions, je crois que l'article était quasiment déjà rédigé à l'avance, c'est un article pamphlétaire, c'est une accusation, « La vie de château », vous voyez bien que c'est grotesque. Moi, la réalité c'est que, quand j'ai été élu président de l'Assemblée nationale, j'ai mis un peu d'ordre dans un certain nombre de gestion de budgets de l'Assemblée nationale, chacun s'en souvient, c'est moi qui ai réduit la retraite des députés, 37 % de moins, c'est moi qui ai supprimé les avantages des anciens présidents de l'Assemblée nationale, moi qui suis aujourd'hui un ancien président de l'Assemblée nationale je n'ai aucun avantage, alors qu'avant il y avait une voiture avec chauffeur, un bureau et un collaborateur à l'Assemblée. Et par ailleurs, sur les budgets de réception, je les ai baissés, et j'ai demandé d'ailleurs à l'Assemblée nationale, aux questeurs de l'Assemblée nationale, c'est eux qui gèrent les budgets de l'Assemblée nationale, ce n'est pas le président, c'est trois députés, deux de la majorité, un de l'opposition, et ils m'ont redonné les chiffres hier, les frais de déplacement du président de l'Assemblée nationale, quand je l'étais, -34 %, les frais de réception, -13 %. Depuis que je suis ministre, j'ai aussi regardé au ministère, j'ai divisé par 3 le budget de réception par rapport à ce qu'il était. Et par ailleurs j'assume totalement qu'un président de l'Assemblée nationale, comme un ministre, rencontre, dans un cadre informel, le soir dans des dîners, en plus des déjeuners le midi, parfois même des petits-déjeuners, des responsables d'entreprise, des responsables de la culture, des responsables de l'université. Vous savez, quand je rencontre un sociologue, ou un universitaire, un paléontologue, je vous disais hier au ministère, j'organise des conférences scientifiques, eh bien oui, j'assume totalement que cela puisse se faire dans des dîners, et j'assume que ma femme ait participé à l'organisation de ces dîners…

FREDERIC METEZEAU
C'est ça la question que pose Mediapart…

FRANÇOIS DE RUGY
Et je me défendrai, et je défendrai ma femme, parce que je n'accepte pas qu'on nous attaque, nous n'avons rien à nous reprocher, ni elle, ni moi.

FREDERIC METEZEAU
C'est ça la question en réalité, le fond de l'article de Mediapart, c'est que c'est votre épouse qui organise et qui invite, et que parfois ces personnalités sont aussi de vos amis, donc y a-t-il un mélange des genres ?

FRANÇOIS DE RUGY
Non, ce ne sont pas des amis, certains nous les connaissons, d'autres nous ne les connaissions pas, certain c'est elle qui les connaissait, d'autres c'était moi, d'autres nous ne les connaissions ni l'un ni l'autre, c'est ça le propre d'avoir des relations de travail, ça faisait partie de mon travail de président de l'Assemblée nationale de rencontrer, de représenter d'ailleurs aussi l'Assemblée, d'expliquer ce que nous faisions à l'Assemblée, de défendre l'Assemblée nationale, auprès de gens de la société civile, encore une fois du monde économique, du monde universitaire, des médias également, c'est normal, moi je l'assume totalement. On reproche souvent aux hommes et aux femmes politiques d'être coupés, d'être que dans leur monde politique, d'être dans une forme de bulle politique, eh bien moi j'ai toujours souhaité que l'Assemblée nationale soit ouverte, j'ai d'ailleurs organisé, là aussi, des événements culturels, des conférences, à l'Assemblée nationale, et je le fais aussi au ministère pour des conférences scientifiques. Et bien évidemment, je vous livre un scoop par exemple, certains des scientifiques j'ai dîné avec eux, oui, ça je vous le confirme, j'ai dîné avec eux, et je considère que ça fait partie de mon travail que d'échanger, encore une fois, y compris dans le cadre de dîners, parce que vous savez que les journées elles font 24 heures, il faut quand même dormir un peu, donc du matin jusqu'au soir, en effet, eh bien nous avons différentes formes de travail.

FREDERIC METEZEAU
En 2017 vous aviez été déjà épinglé pour avoir organisé votre déjeuner de mariage à l'Hôtel de Lassay, la polémique avait été éteinte…

FRANÇOIS DE RUGY
J'avais tout payé.

FREDERIC METEZEAU
Parce que vous aviez remboursé les frais.

FRANÇOIS DE RUGY
Non, non, c'est faux là, ce que dit Mediapart, j'avais tout payé, ce n'est pas du tout à la suite de l'article que j'ai remboursé quoi que ce soit, j'avais tout payé de ma poche, et j'ai gardé toutes les factures et toutes les copies de chèques parce que je savais bien qu'un jour on pourrait m'accuser. Et par ailleurs, vous savez ce que j'ai fait aussi ce jour-là, à l'époque, eh bien je suis ensuite allé voir, j'avais à peine fini le dessert, en effet, de ce déjeuner, que je suis allé saluer les agents de l'Assemblée nationale qui étaient réunis ce jour-là à la fin du mois de décembre. Donc, vous savez, en l'occurrence, quand on est engagé en politique, comme je le suis, je suis habitué aux attaques politiques, et j'en accepte le principe même si je sais que très souvent c'est de mauvaise foi, on parle d'écologie, il y en a sans cesse des attaques sur ces sujets, en revanche les attaques personnelles, je ne les accepte pas, qu'on mette en cause mon honnêteté, alors que moi j'ai toujours joué la transparence, Mediapart me pose des questions, je réponds à tout… d'ailleurs, je vous le dis au passage, ils m'ont posé des questions sur des travaux effectués au ministère, bizarrement ils n'en parlent pas dans leur article, peut-être parce qu'ils veulent faire un deuxième article, j'ai tout répondu, j'ai donné tout, les devis, les prix, etc., j'ai toujours été pour la transparence, je considère que c'est un progrès, mais j'assume ce que je fais. J'assume ce que j'ai fait, et je n'accepterai pas, encore une fois, d'être attaqué, je me défendrai et je défendrai ma femme, oui, elle est à mes côtés, elle fait tout ça bénévolement bien évidemment, elle n'a jamais mélangé avec son travail, elle travaille à côté, et moi je fais aussi mon job de ministre, avant, de président de l'Assemblée nationale, sans mélanger avec son travail. Donc vous voyez qu'en l'occurrence, il peut y avoir toutes les enquêtes de la terre, je n'ai rien à cacher.

FREDERIC METEZEAU
Et vos réponses sont à voir en ligne sur Mediapart.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 juillet 2019