Texte intégral
Je suis ravie d'être parmi vous ce matin car je sais l'investissement de la Fondation pour permettre la concrétisation d'un vrai projet de vie pour les personnes handicapées. Ce colloque sur l'impact et l'apport majeur du numérique dans les parcours de santé et de vie pour les personnes handicapées est essentiel à plus d'un titre.
En premier lieu, parce que les transitions numériques et environnementales redéfinissent de façon radicale le monde que nous connaissons et abolissent la distance existante entre le rêve et la réalité. Jamais une révolution n'aura en si peu de temps modifié à ce point nos sociétés. L'imprimerie à la Renaissance a modifié les modes d'acquisition du savoir en quelques décennies puis la Révolution industrielle, au XIXème siècle a profondément transformé la société en quelques décennies mais la troisième révolution qui est en marche, la révolution digitale, bouleverse, depuis seulement quelques années, tous les aspects de notre vie quotidienne. Tous les secteurs sont concernés, la santé avec le développement de la télémédecine, les transports avec l'économie collaborative, mais aussi l'industrie, l'agriculture, la sécurité, la finance, l'éducation ou la formation. Le numérique a modifié notre façon de consommer, de communiquer, de partager, de nous divertir et de travailler, bref de vivre. Les outils numériques font partie de notre quotidien et sont incontournables. Le numérique est un véritable enjeu de citoyenneté tant dans la vie quotidienne que professionnelle. Et je me garderais bien d'énumérer toutes ses promesses pour demain avec des voitures autonomes, des objets connectés, des capteurs et des robots à tous les coins de nos rues et de nos salons.
Source d'innovation, facteur de progrès pour l'ensemble de la population, il doit être encouragé sans cesse et promu. Mais dans cette formidable révolution que nous portons, nous avons la responsabilité de ne laisser personne sur le bord de la route, et de ne pas laisser se développer de nouvelles fractures, de ne pas créer un nouveau fossé, numérique certes, mais qui serait au moins aussi profond que tous ceux que connaissent encore nombre de nos concitoyens. Il faut anticiper sans tarder le mouvement pour que nous puissions être en avance en matière d'accessibilité numérique.
Parce que, en second lieu, le numérique représente une formidable opportunité d'autonomie. Si le numérique est un atout économique, offrant aux entreprises des possibilités de développement par la création de nouveaux produits et de nouvelles possibilités aux salariés grâce à la mise en oeuvre de nouveaux modes d'organisation interne permettant une plus grande efficacité productive, c'est aussi et surtout un facteur d'autonomie et de simplification pour nos concitoyens. La révolution digitale doit rester au service de l'humain, en ne supprimant pas l'indispensable accompagnement humain mais en le complétant, en l'enrichissant. Les nouvelles technologies sont ainsi, de formidables outils pour créer des services publics de qualité, plus efficaces, plus réactifs, en un mot, plus accessibles.
C'est rendre disponible aujourd'hui ce qui auparavant, était complexe dans un monde physique. Et pour les personnes en situation de handicap, consommateurs comme les autres, et plus que toutes les autres personnes à la recherche des technologies qui leur permettront d'accéder à plus d'autonomie, c'est une chance exceptionnelle d'améliorer leur quotidien, d'acquérir plus d'autonomie et donc de participer complètement à la vie de la Cité, que ce soit à l'école, dans le travail, dans les loisirs, dans tous les domaines de la vie.
Le numérique constitue une chance de collaboration créative. Les solutions technologiques permettent tout autant d'ajuster l'environnement de vie et de travail des personnes handicapées, que d'équiper les professionnels de l'accompagnement. L'innovation constitue à ce titre un levier majeur pour la construction de la société inclusive que nous visons collectivement. Au service de la pédagogie, l'interaction instantanée, le partage de contenus permet de démultiplier les potentialités d'une pédagogie innovante au service de tous les élèves. Ainsi et depuis quelques années, le développement des usages numériques dans les établissements scolaires constitue l'une des priorités de la stratégie numérique du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, et du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.
Les technologies numériques revêtent un rôle crucial dans l'apport de ressources éducatives adaptées et accessibles aux élèves en difficulté pour progresser encore davantage dans la prise en compte individualisée de leurs besoins. Et, par là-même, dans l'édification d'une école inclusive. Si ces enjeux sont pris en compte dès leur conception, les ressources numériques peuvent sensiblement contribuer à améliorer l'accueil de ces élèves, et faciliter le suivi de leur scolarité par leurs parents. En proposant systématiquement des modalités d'accès et d'usage alternatifs, les adaptations ainsi proposées profitent alors à tous les élèves, avec un handicap ou non.
C'est en particulier le parti pris dans les banques de ressources numériques éducatives (BRNE) mises à disposition des élèves et de leurs professeurs du CM1 à la 3e. Il est également apporté un soutien à des ressources conçues pour répondre plus spécifiquement aux besoins notamment des élèves avec des troubles du spectre de l'autisme et ou des troubles cognitifs spécifiques (DYS), troubles des apprentissages, en particulier à travers le dispositif Édu-Up du ministère de l'Éducation nationale. Le numérique c'est aussi un levier d'insertion professionnelle, d'intégration sociale pour tous nos concitoyens et plus encore pour les personnes handicapées.
Comme vous le savez, le chômage touche deux fois plus les personnes handicapées que les personnes valides dans notre pays. Le Gouvernement a lancé, à l'issue d'une vaste concertation avec les associations de personnes handicapées et les partenaires sociaux, un grand chantier, celui de la réforme de la politique d'emploi des personnes handicapées pour leur faciliter l'emploi. Elles doivent avoir le droit de pouvoir exprimer leurs talents, et nous n'avons pas le droit de nous en priver parce que l'addition des talents pluriels est la condition première de la réussite, de la performance collective. Dans le monde professionnel, les nouvelles technologies de l'information et de la communication favorisent les échanges, la communication avec autrui, les possibilités de télétravail.
Cette organisation particulière du travail, permettant l'exercice à distance d'une activité professionnelle, a libéré les personnes avec un handicap moteur :
• les mails et les SMS ont apporté aux personnes sourdes et malentendantes, des moyens simples de communication,
• le contrôle vocal des écrans ouvre les portes de l'informatique aux personnes déficientes visuelles...
• la visio-interprétation, service qui permet la traduction simultanée en langue des signes et qui traduit instantanément un discours, se développe au sein des entreprises permettant l'échange avec les personnes sourdes ou malentendantes.
Dans nos mobilités aussi, le numérique est, et sera, une source de progrès et d'autonomie. Si les aménagements d'accessibilité se déploient tant dans les transports qu'en voirie et dans les espaces publics, l'information des usagers sur l'ensemble de la chaîne du déplacement reste encore parcellaire et non homogène. Or, nous le savons, les personnes en situation de handicap plus que tout autre personne doivent préparer leurs déplacements à l'avance.
Le numérique, tant à travers la constitution de bases de données qu'à travers leur mise à disposition via des applications, pourra leur apporter l'information dont ils ont besoin pour se déplacer et ainsi leur donner l'envie d'exercer leur droit à la mobilité, ainsi que le choix de leur mobilité en les préservant des encore trop nombreuses ruptures de cheminement. « A la fois remède et poison » selon l'expression de Bernard Stiegler, le numérique offre des opportunités considérables mais pose néanmoins de nombreux défis. Il faut se garder de la fracture numérique. Comme bien d'autres frontières, la fracture numérique est difficilement visible, voire totalement imperceptible sur le terrain. Pourtant, on ne vit pas tout à fait de la même manière d'un côté de la frontière ou de l'autre. L'efficacité de cette révolution numérique sera jugée à sa capacité à ne laisser personne au bord du chemin. Nous avons la responsabilité collective de combler ce fossé afin que chacun puisse participer pleinement à la société pour le plus grand bénéfice de chacun.
La transformation numérique ne sera une réussite que si elle s'adresse à toutes les personnes en répondant à tous les besoins spécifiques. Or aujourd'hui, 13 millions de français se sentent exclus des usages du numérique, 40 % de nos concitoyens se disent en difficulté et 20 % ne savent pas utiliser l'outil numérique. Les contestations seront légitimes si nous n'accompagnons pas les personnes. Le Gouvernement a fait le choix de porter cette révolution numérique, en en saisissant toutes les potentialités. Et parce que nous avons pris toute la mesure du défi, la priorité du gouvernement en 2019 est de tenir au même niveau, le double objectif d'un 100 % numérique, et du 100 % inclusif !
L'accélération du numérique se fera donc de concert avec la formation et l'accompagnement des personnes qui se sentent aujourd'hui encore exclues. L'objectif présenté dans le cadre du plan national pour le numérique inclusif lancé le 13 septembre dernier est de former 13 millions de français. En 2019 et avec les départements, il s'agira de détecter les publics en difficulté, de proposer un accompagnement humain dans les démarches, de former ceux qui le souhaitent grâce au pass numérique, de consolider les acteurs de la médiation numérique. L'acceptation du numérique ne se fera que si nous la co-construisons en nous tournant vers les citoyens.
LE NUMÉRIQUE DOIT ÊTRE ACCESSIBLE
Formation et accompagnement sont donc un axe essentiel de la stratégie gouvernementale afin de garantir que les progrès liés au numérique puissent être partagés par tous. La stratégie gouvernementale, repose également sur la simplification et l'accessibilité. Finalement, c'est quoi un numérique accessible ?
Ce sont des terminaux, des applications, des logiciels qui sont utilisables par tous. Chaque utilisateur devant pouvoir, percevoir, comprendre, naviguer, interagir, créer du contenu, et plus encore contribuer. C'est un numérique pensé pour tous. Le défaut d'accessibilité de certains logiciels, d'applications, de navigateurs web, de sites, de prologiciels et de mobiliers urbains numériques pénalisent toujours les personnes en situation de handicap et représente, une source inacceptable d'inégalité : une discrimination au sens de la Convention internationale des droits des personnes en situation de handicap et de notre législation. Le principe d'accessibilité numérique est un principe de portée générale. Le Gouvernement travaille à la transposition de la directive européenne du 26 octobre 2016 relative à l'accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public. Le décret de mise en oeuvre est en cours de signature.
Dès septembre 2017, dans le cadre du comité interministériel du handicap, le gouvernement a rappelé son ambition en matière d'accessibilité numérique et s'est engagé à rendre les 15 sites publics les plus visités accessibles. Cette transformation est en cours. Les administrations sont mobilisées et le travail de co-construction avec les représentants des associations des personnes en situation de handicap s'est engagé. Je pense notamment au travail mené par le ministère de l'intérieur dans le cadre du plan préfecture nouvelle génération.
Une communauté liant les référents accessibilité numérique et qualité web des administrations est en cours de constitution pour animer et suivre les plans de mise en accessibilité des services en ligne de l'administration. Pour que l'accessibilité numérique soit un paramètre intégré dès la conception des outils, la formation des agents est priorisée dans chaque ministère. L'Etat en intégrant, dans les cahiers des charges des appels d'offre public des critères d'accessibilité, incite par la même, les développeurs et concepteurs à innover. L'ensemble de ces actions contribuent à transformer notre société dans laquelle le numérique est au service de tous.
Enfin, il ne faut pas avoir peur d'informer lorsqu'un site n'est que partiellement accessible. Des aménagements doivent alors être mis en place et permettre aux personnes d'aboutir à la prestation, au service, auxquels ils ont droit.
Mesdames, Messieurs, notre monde est numérique.
L'Etat ne peut se contenter d'observer. Le Gouvernement a fait le choix de ne pas subir mais de porter cette révolution numérique afin qu'elle soit une chance pour tous. C'est notre tâche et c'est le sens de la stratégie nationale. Mais sans la contribution essentielle de chacun, les effets si prometteurs tarderont à voir le jour.
Je sais pouvoir compter sur votre implication.
Je vous remercie.
Source https://www.fondationjacqueschirac.fr, le 12 juillet 2019