Interview de M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'Etat au numérique à Europe 1 le 31 janvier 2019, sur le conflit social des gilets jaunes et leurs revendications.

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Média : Europe 1

Texte intégral

AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour Mounir MAHJOUBI.

MOUNIR MAHJOUBI
Bonjour.

AUDREY CRESPO-MARA
Alors d'un côté votre collègue, Christophe CASTANER, souhaite que la justice poursuive Eric DROUET parce que ce leader des gilets jaunes a appelé au soulèvement, de l'autre vous discutez régulièrement avec Maxime NICOLLE, alors qu'il a le même profil. Vous vous êtes répartis les rôles au gouvernement, il y a les « good cop » et les « bad cop », les gentils et les méchants avec les gilets jaunes ?

MOUNIR MAHJOUBI
Il n'y a pas de « good cop » ou de « bad cop », il y a un gouvernement qui veut écouter très fort ce qui se passe partout en France, il y a ce grand débat…

AUDREY CRESPO-MARA
Les attitudes sont très différentes, on a quand même l'impression que les membres du gouvernement se sont répartis les rôles, par exemple vous, vous êtes allé chez Cyril HANOUNA, comme Marlène SCHIAPPA, pour jouer la carte du dialogue, et en même temps, je citais Christophe CASTANER, mais il y a Benjamin GRIVEAUX qui parle d'agitateurs, qui demande l'insurrection, non, je caricature votre tactique ?

MOUNIR MAHJOUBI
Je vous assure, pour moi il n'y a pas deux camps dans ce gouvernement, par contre ce qui est certain c'est que, on a tous nos personnalités, je ne vais pas faire semblant, oui on ne parle pas tous de la même manière et on ne parle pas tous des mêmes sujets, on n'a pas les mêmes choses qui nous intéressent plus chacun. Après on a aussi des fonctions. Le ministre de l'Intérieur, ça ne va pas vous étonner qu'il parle de sécurité quand même, eh bien Christophe CASTANER il parle plus de sécurité, mais on parle tous de l'exigence de sécurité, parce que les Français ils n'en peuvent plus de ce problème de violence. La violence c'est ce qui nous empêche de débattre. Moi je suis très à l'écoute, vous l'avez dit, j'ai rencontré de très nombreux gilets jaunes, mais aussi de très nombreux Français, depuis plusieurs semaines, beaucoup sur les réseaux sociaux, c'est là d'où je viens, c'est ce que je fais, et je vois bien que la violence c'est ce qui nous empêche d'avancer. Quant à Monsieur DROUET, ce qu'il a écrit dans son texte est inacceptable, mais ce qui est encore plus inacceptable, c'est ce qu'il dit dans sa vidéo hier en disant « en fait je n'avais pas lu ce qui était dans cette lettre, j'étais rentré de l'extérieur, je n'avais pas lu, je l'ai repostée direct, si c'était comme ça je ne l'aurais pas repostée », d'ailleurs il l'a retirée, s'il l'a retirée c'est qu'il reconnaît qu'à l'intérieur il y avait des choses qu'il n'aurait pas dû dire.

AUDREY CRESPO-MARA
En tout cas, si ce n'est pas concerté au sein du gouvernement, n'est-ce pas pire ? On a l'impression que, il y a quand même de grosses divergences, au sein du gouvernement, sur l'attitude à adopter face aux gilets jaunes.

MOUNIR MAHJOUBI
Je ne crois pas. Regardez aujourd'hui ce qui se passe, très grande écoute d'un côté, très grande exigence de fin des violences de l'autre, et tout ça, ça va ensemble.

AUDREY CRESPO-MARA
Et puis, bon, Mounir MAHJOUBI, vous vous sentez très concerné par le mouvement, vous l'avez dit, il est né sur les réseaux sociaux, et puis votre père était peintre en bâtiment, votre mère était femme de ménage, ils auraient pu porter eux aussi un gilet jaune ?

MOUNIR MAHJOUBI
Non, parce que, vous l'aurez vu, beaucoup des gilets jaunes qu'on voit ici ne sont pas des ouvriers, ne sont pas des gens issus des quartiers populaires, parce que, vous savez, il y a aussi toute une partie des Français, là, qui n'est pas dehors, toute une partie des Français qui, alors même que ce mouvement libère la parole de beaucoup, ne libèrent pas la leur. Je suis député du 19e, il n'y a pas beaucoup de gilets jaunes dans le 19e, mais il y a quand même beaucoup de pauvreté. Donc, c'est pour ça que, oui je suis très sensible aux messages qui sont portés par les personnes qui ont voulu mettre un gilet jaune, mais attention, il faut qu'on pense encore plus fort, si certains Français ont pu ouvrir leur coeur, parce que là il y a eu des premières expressions, il faut qu'ils le gardent encore ouvert très fort parce qu'il y a beaucoup, beaucoup de Français qui attendent de ce grand débat des résultats.

AUDREY CRESPO-MARA
Mounir MAHJOUBI, les violences policières sont l'un des sujets de vos discussions avec les gilets jaunes, est-ce que les nouveaux éléments de l'enquête sur la blessure de Jérôme RODRIGUES vous troublent ? Un policier a reconnu avoir utilisé un LBD au moment où le leader des gilets jaunes a été blessé.

MOUNIR MAHJOUBI
D'abord je veux dire que ce qui est arrivé à Monsieur RODRIGUES m'a beaucoup inquiété quand c'est arrivé, j'ai suivi ce qui est arrivé sur les réseaux sociaux, j'ai vu en direct, j'ai ensuite suivi ses messages quand il était à l'hôpital, et puis je veux dire que le premier message qu'a eu Monsieur RODRIGUES c'est un appel au calme, et ça je veux l'en remercier et je veux saluer cette preuve de courage qu'il a eu de dire, à un moment où lui est blessé, où il est à l'hôpital, il dit « s'il vous plaît, le but ce n'est pas de faire monter les violences. » aujourd'hui, vous savez, le ministre de l'Intérieur…

AUDREY CRESPO-MARA
Mais il y a de nouveaux éléments ce matin, vous ne répondez pas là-dessus.

MOUNIR MAHJOUBI
Son secrétaire d'Etat, tous les jours disaient « nous on a qu'un seul engagement, c'est qu'il y ait une enquête tout de suite. » En moins d'1 heure, quand même, le ministère de l'Intérieur et le préfet de police ont lancé l'enquête de l'IGPN. Aujourd'hui on a un premier policier qui s'était tout de suite rendu en disant « je viens vous voir parce que j'étais ici », un deuxième policier est venu aussi en disant « moi j'ai des informations. »

AUDREY CRESPO-MARA
Ces nouveaux éléments vous troublent ou pas ?

MOUNIR MAHJOUBI
Ce n'est pas que ça me trouble, j'ai besoin, nous avons tous, en France, et au gouvernement, besoin de savoir ce qui s'est passé, et c'est ça l'engagement qu'on a pris, une transparence totale.

AUDREY CRESPO-MARA
Mounir MAHJOUBI, Maxime NICOLLE, avec qui vous échangez donc, doute fortement de la sincérité du grand débat car il craint que les résultats soient manipulés par le gouvernement, en revanche les gilets jaunes ont ouvert leur propre plateforme de débat. Le gouvernement tiendra-t-il compte, vraiment, des propositions issues de cette plateforme ?

MOUNIR MAHJOUBI
Moi je leur ai dit j'ai une seule envie, c'est que les gens participent et construisent ensemble des propositions. J'aurais préféré qu'ils le fassent en suivant l'organisation de ce grand débat, en participant sur la plateforme du grand débat…

AUDREY CRESPO-MARA
De votre plateforme, mise en place par le gouvernement.

MOUNIR MAHJOUBI
Mais, vous savez, la plateforme qui est mise en place par le gouvernement elle est très ouverte, et c'est ce que j'ai répondu…

AUDREY CRESPO-MARA
Il l'a trouvé fermée.

MOUNIR MAHJOUBI
C'est ce que j'ai répondu à Maxime NICOLLE quand on s'est vus, « chiche, vous voulez faire un débat sur votre propre plateforme, allez-y, et c'est très bien, mais à la fin…

AUDREY CRESPO-MARA
Mais est-ce que vous vous en tiendrez compte ?

MOUNIR MAHJOUBI
« Et à la fin le résultat de tout ce que vous ferez, apportez-le à ce grand débat, et nous le lirons tous ensemble, évidemment. »

AUDREY CRESPO-MARA
Vous le lirez ?

MOUNIR MAHJOUBI
Vous voulez un engagement ? Oui, ça fera partie de ce que nous regarderons.

AUDREY CRESPO-MARA
Est-ce que vous prendrez en compte ?

MOUNIR MAHJOUBI
Comme toutes les grandes contributions. Vous savez, quand des gens se mobilisent, même si ce n'est pas sur la plateforme que vous-même vous avez mise en place, ça me rend très heureux. A chaque fois que quelqu'un quitte un petit peu sa vie pour se consacrer au vivre ensemble, à l'intérêt général, je trouve ça très bien.

AUDREY CRESPO-MARA
Les gilets jaunes ne font pas confiance au gouvernement pour organiser le grand débat et vous, faites-vous confiance aux gilets jaunes pour organiser un vrai débat ?

MOUNIR MAHJOUBI
C'est ce que je leur demande. Moi j'ai une écoute inconditionnelle, j'ai même, face parfois au mépris, face parfois à une incompréhension des gilets jaunes vis-à-vis du gouvernement, je dis « je suis là, vous voulez m'engueuler, engueulez-moi, mais maintenant, s'il vous plaît, proposez-moi, et ensemble construisons quelque chose. » Donc ça c'est ma plus grande exigence vis-à-vis d'eux : s'il vous plaît, construisez, participer, et ouvrez-vous à tous les autres Français autour de vous, qui veulent le faire avec vous et avec nous.

AUDREY CRESPO-MARA
Mounir MAHJOUBI, ce n'est pas nouveau, mais avec la colère des gilets jaunes, les réseaux sociaux charrient de plus en plus d'insultes, de menaces, vous en avez été la cible ?

MOUNIR MAHJOUBI
J'en ai été la cible sur les réseaux sociaux, j'en ai été la cible dans le monde physique, j'ai déposé des plaintes, il y a des enquêtes en cours.

AUDREY CRESPO-MARA
Des enquêtes en cours, pour l'instant pas de condamnation ?

MOUNIR MAHJOUBI
Me concernant.

AUDREY CRESPO-MARA
Oui.

MOUNIR MAHJOUBI
Après, sur le reste de la France, il y a des enquêtes en cours, et il y en a d'autres, mais…

AUDREY CRESPO-MARA
Des menaces de mort comme Marlène SCHIAPPA ?

MOUNIR MAHJOUBI
Oui, j'ai eu des menaces de mort régulièrement. Vous savez, une personnalité publique c'est terrible, on vit avec ça, on en reçoit, quand elles sont très sérieuses et qu'elles vous font un peu peur, vous déposez plainte, et parfois on ne dépose pas plainte, mais la discussion que j'ai eu aujourd'hui…

AUDREY CRESPO-MARA
Mais là vous avez porté plainte.

MOUNIR MAHJOUBI
Et là j'ai porté plainte, parce que c'était très grave.

AUDREY CRESPO-MARA
Alors, Emmanuel MACRON dit que l'anonymat devient problématique sur les réseaux sociaux, il protège ceux qui déversent des torrents de haine. Est-ce qu'il n'est pas temps de supprimer l'anonymat ?

MOUNIR MAHJOUBI
Alors, la parole d'Emmanuel MACRON était plus nuancée que cela…

AUDREY CRESPO-MARA
Oui, mais ça revenait à ça.

MOUNIR MAHJOUBI
Il parlait, en général, de la participation en ligne. Vous savez, il y a plusieurs endroits où il faut parfois de l'anonymat, parfois il ne faut pas d'anonymat, sur un site de rencontre, moi j'ai envie de pouvoir m'appeler « tête d'enclume » si j'ai envie, ou « Robert 214 », ou « Cynthia 28 », et je n'ai pas envie qu'on change l'anonymat. Sur un site de démocratie participative…

AUDREY CRESPO-MARA
Donc on maintient l'anonymat, on ne fait rien contre ça ?

MOUNIR MAHJOUBI
Laissez-moi aller jusqu'au bout. Sur un site de démocratie participative, là il faut, comme on a dans la vraie vie, que chacun s'exprime en disant qui il est, parce que je ne comprends pas pourquoi on pourrait débattre sans dire qui on est, et puis entre les deux il y a ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Mais je vais vous dire une chose, ce n'est pas possible l'anonymat absolu, mais ce que je veux vous dire c'est que, aujourd'hui, même quelqu'un qui a un pseudo sur les réseaux sociaux, quand une plainte est déposée, la plupart du temps on retrouve et on condamne, et c'est ça le message que je veux passer, on retrouve et en condamne, et ça c'est très important de le redire. Et aujourd'hui le gouvernement s'engage pour faciliter ces enquêtes, faciliter les moyens de ces enquêtes, pour pouvoir aller jusqu'au bout.

AUDREY CRESPO-MARA
Mounir MAHJOUBI, vous connaissez Bilal HASSANI ?

MOUNIR MAHJOUBI
Je ne le connais pas personnellement, mais je lui ai exprimé tout mon soutien, pour sa qualité de chanteur, pour tout l'espoir que j'ai en lui pour qu'il fasse gagner la France à l'Eurovision…

AUDREY CRESPO-MARA
Originaire du Maroc comme vous, et comme vous il ne cache pas son homosexualité, les Français l'ont désigné pour les représenter à l'Eurovision, c'est le nouveau visage de la France ?

MOUNIR MAHJOUBI
C'est un des visages de la France, c'est surtout une très belle voix, je suis sûr qu'il fera gagner la France à l'Eurovision, mais lui aussi, sur les réseaux sociaux ce n'est pas facile, et demain matin je vais recevoir, avec Marlène SCHIAPPA, ses avocats, les associations qui le soutiennent, qui ont décidé de mener plusieurs dizaines, près d'une centaine de plaintes, contre des personnes qui, de façon ciblée, ont tenté de l'insulter et de le menacer, et nous nous voulons les rencontrer pour voir quel était l'objet de cette démarche, quelles sont les difficultés qu'ils ont rencontrées, parce que nous allons nous engager, le gouvernement va s'engager, pour faciliter ces démarches-là, en général, et plus globalement, nous l'avons annoncé, en 2019, une loi sur la lutte contre les contenus haineux, violents et le harcèlement en ligne.

AUDREY CRESPO-MARA
Parce qu'effectivement, d'un côté Bilal HASSANI a été élu par le public français, et de l'autre il a dû porter plainte parce qu'il a reçu énormément d'insultes homophobes, racistes, sur les réseaux sociaux. C'est aussi ça le nouveau visage de la France ?

MOUNIR MAHJOUBI
C'est celui contre lequel nous devons collectivement nous battre. Vous savez, sur les réseaux sociaux, la parole haineuse s'exprime plus facilement que la parole heureuse, et moi je demande à tous, et Bilal HASSANI le fait aussi, je demande à tous ceux qui nous soutiennent, en général, ou qui soutiennent des personnes, de l'exprimer, parce que quand vous êtes victime d'une insulte en ligne, il n'y a rien de plus fort que d'avoir quelqu'un qui, derrière, répond à celui qui vous insulte, et qui dit « eh bien nous on le soutient et on vous demande de vous taire. » Et donc je crois que si collectivement on a une parole positive, et que le gouvernement s'engage pour qu'il y ait des moyens de lutter, de retrouver et d'arrêter ceux qui insultent et qui menacent, alors on arrivera à faire d'Internet un lieu où on peut s'épanouir ensemble.

AUDREY CRESPO-MARA
Merci Mounir MAHJOUBI.

MOUNIR MAHJOUBI
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 février 2019