Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, à Radio Classique le 7 février 2019, sur le Grand débat national, l'affaire Benalla, les anciens des Brigades rouges résidant en France et sur la psychiatrie.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Bonjour Madame. Bienvenue sur l'antenne de Radio Classique. Première question, est-ce que ce référendum est enterré, comme semble le dire Guillaume TABARD, parce que, d'abord, il pose des problèmes constitutionnels compliqués ?

NICOLE BELLOUBET
Bonjour. Alors, la presse a ceci d'extraordinaire, que quelque chose qui était une idée lumineuse…

GUILLAUME DURAND
Vous voulez dire Guillaume TABARD a ceci d'extraordinaire…

NICOLE BELLOUBET
Une idée lumineuse il y a trois jours est enterrée aujourd'hui, ni l'un ni l'autre, c'est-à-dire que lorsque ce grand débat s'achèvera, je fais au préalable remarquer qu'il a à peine commencé, il y a une quinzaine de jours, donc il faut tout de même lui laisser le temps de se déployer, laisser le temps aux personnes qui y participent d'intervenir, de proposer, et on voit fleurir d'ailleurs beaucoup de choses, beaucoup d'idées.

GUILLAUME DURAND
Ça plus que quinze jours, les interventions du président de la République, ça fait plus que quinze jours, on en est au septième…

NICOLE BELLOUBET
Non, non, mais, effectivement, le grand débat, il a commencé vers le 15 janvier, par-là, vers le 10, 15 janvier, peu importe. Donc en tout cas, on n'est pas à la fin du grand débat, et lorsque viendra le temps de clôturer ce grand débat, il y a plusieurs outils qui seront à disposition, et il appartiendra au président de la République et au gouvernement de choisir ceux qui sembleront les mieux adaptés…

GUILLAUME DURAND
Et est-ce que le congrès vous paraît une bonne chose ?

NICOLE BELLOUBET
C'est une des possibilités, il y a effectivement le référendum, comme l'idée en avait été émise, référendum de l'article 11, ce référendum a été déjà utilisé 8 fois sous la 5ème République, on pourrait parfaitement imaginer de l'utiliser une nouvelle fois, avec une, deux, trois questions qui pourraient être posées, associées…

GUILLAUME DURAND
Et semble-t-il, le Conseil constitutionnel, Madame, considère que le QCM, c'est-à-dire, un référendum à questions multiples, c'est impossible.

NICOLE BELLOUBET
A conditions qu'il y ait des projets de loi qui y soient associés, je ne vois pas en quoi ce serait impossible, c'est ce que prévoit l'article 11, donc je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible, mais enfin, ce que je veux dire, c'est que c'est une des possibilités parmi d'autres. Monsieur TABARD a parlé du Congrès, il y aura évidemment des textes de loi qui découleront de ce que nous aurons entendu et de ce que les représentants de la nation estimeront nécessaire de reprendre de ce grand débat ; donc, ce n'est pas un seul outil qui je crois permettra de donner…

GUILLAUME DURAND
Ça ne peut pas être le mélange des deux ?

NICOLE BELLOUBET
Il peut y avoir une pluralité de réponses, on n'est pas obligé de faire le même jour et le discours du Congrès et le référendum…

GUILLAUME DURAND
Mais alors, prenons exemple précis, qui a couru évidemment à la fois dans les coulisses du pouvoir, dans la presse et dans l'opinion, l'idée qu'il puisse y avoir élections européennes, et en même temps, justement, référendum, il y a beaucoup de ministre, notamment la ministre des Affaires européennes, qui ont dit tout à fait ouvertement, y compris Jean-Yves LE DRIAN, que ça leur paraissait totalement absurde.

NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, moi, je ne sais pas si c'est la meilleure solution, je n'en suis pas certaine à vrai dire, mais ce sera au choix du président de la République, et je pense, encore une fois, Monsieur…

GUILLAUME DURAND
Ça fait quand même trois ministres, j'en ai cité deux, vous êtes une ministre importante, c'est la troisième qui considère que…

NICOLE BELLOUBET
Non, mais techniquement, c'est possible…

GUILLAUME DURAND
Oui, mais politiquement…

NICOLE BELLOUBET
Après, c'est une question de choix politiques, et moi, je ne crois pas qu'au moment où nous sommes aujourd'hui, c'est-à-dire, je ne sais pas, le 6 février, ou le 7, peu importe, je ne suis pas sûre qu'il faille aujourd'hui préempter ce que seront les solutions de la fin du débat, il faut écouter, il faut débattre, il faut multiplier les rencontres avec les Français, il faut les inciter à écrire sur les plateformes, à dialoguer, et nous verrons le 15 mars quelles sont les solutions que nous pourrons y apporter…

GUILLAUME DURAND
Ça ne peut pas dépendre entièrement de ces sortes de cahiers de doléances, fussent-ils très intéressants…

NICOLE BELLOUBET
Non, mais d'ailleurs, ces cahiers…

GUILLAUME DURAND
Le gouvernement est là pour diriger, autrement, s'il ne gouverne pas, ça n'a aucun sens…

NICOLE BELLOUBET
Non, mais, le gouvernement a fait un choix audacieux qui est de donner la parole à nos concitoyens, vous ne pouvez pas aujourd'hui dire : passons à l'étape suivante, écoutons d'abord, je vous dis, ce qui est d'ailleurs une banalité, qu'il y a plusieurs outils qui nous permettront de répondre à la fin, dont, par exemple, le référendum, le Congrès, des lois, etc.

GUILLAUME DURAND
Donc on a compris ce matin que le Congrès n'était pas écarté non plus. Question, vous êtes Garde des sceaux, Nicole BELLOUBET, est-ce que Matignon, par un biais ou par un autre, est à l'origine des écoutes concernant donc Vincent CRASE et monsieur BENALLA, et est-ce que Matignon est à l'origine de la perquisition tentée chez Médiapart ? Vous êtes Garde des sceaux…

NICOLE BELLOUBET
Oui, je suis Garde des sceaux et je vais vous répondre en deux temps, d'abord, il y a, sur l'affaire BENALLA, il y a une information judiciaire et une enquête préliminaire qui ont été ouvertes, donc je ne vais pas entrer dans le détail et dans le contenu de ce qui appartient aujourd'hui à la justice. Ce que je peux dire et qui est public, c'est que Matignon a transmis au Parquet de Paris un certain nombre d'informations…

GUILLAUME DURAND
Une lettre, 1er février…

NICOLE BELLOUBET
Une lettre, dans laquelle les services du Premier ministre faisaient valoir un certain nombre d'informations, et il appartient au Parquet de Paris, sur la base de ces informations, d'avoir ouvert une enquête judiciaire, cette enquête est en cours, c'est le Parquet qui…

GUILLAUME DURAND
Mais enfin, il s'est un peu précipité le procureur de Paris, quand même, pour aller perquisitionner à Médiapart, ça fait un peu…

NICOLE BELLOUBET
Non, mais il est allé demander…

GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi, Madame, je vais employer un mot qui va vous paraître épouvantable, mais ça fait un peu le lèche-cul du pouvoir qui se dépêche d'aller chez Médiapart…

NICOLE BELLOUBET
Mais absolument pas, d'abord, je trouve que c'est très…

GUILLAUME DURAND
J'ai dit que c‘était vulgaire…

NICOLE BELLOUBET
Oui, c'est… non, mais ce n'est pas vulgaire, c'est insultant vis-à-vis de la justice et vis-à-vis du magistrat, qui est le procureur de Paris, c'est au-delà de la vulgarité de dire cela. Et en l'occurrence, moi, ce que je voudrais juste dire ici, c'est qu'il appartient au Parquet de Paris, sur la base des informations dont il a eu connaissance, il lui appartient d'ouvrir cette enquête judiciaire et de choisir les voies et moyens appropriés pour obtenir ce qui lui semble nécessaire à l'enquête. Ce que je voudrais simplement dire, c'est que dans le cadre de cette enquête judiciaire, il est allé, des magistrats sont allés demander les bandes sonores…

GUILLAUME DURAND
Et ils les ont obtenues parce que Médiapart les a données…

NICOLE BELLOUBET
Absolument. Et c'est ça qui est important, peu importe la manière dont…

GUILLAUME DURAND
Elles ont déjà été expertisées ces bandes ?

NICOLE BELLOUBET
Ah, je ne le sais pas…

GUILLAUME DURAND
Je voudrais qu'on écoute Alexandre BENALLA, qui a parlé donc de ses liens avec un oligarque russe lors justement de l'audition par le Sénat mené par Philippe BAS, c'était il y a quelques jours, souvenons-nous.

ALEXANDRE BENALLA
Je ne connais pas cette personne, mis à part à travers la presse, je ne l'ai jamais rencontrée.

GUILLAUME DURAND
Voilà, il s'appelle Iskander MAKHMUDOV. Alors, on lit dans la presse ce matin que la chef de cabinet donc de la sécurité à Matignon vit avec un personnage, qui est un ami de BENALLA, et lui plus Vincent CRASE auraient peut-être travaillé avec cet oligarque russe, je le dis bien au conditionnel, auraient peut-être travaillé. Du point de vue de la justice, que vous incarnez, s'il a menti sous serment, il est clair qu'il va se passer quelque chose.

NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, bon, là, encore une fois, on est vraiment dans le contenu même de l'enquête judiciaire, sur laquelle le je n'ai strictement rien à dire.

GUILLAUME DURAND
Est-ce qu'il est vrai, autre question importante concernant votre domaine, que les Italiens, emmenés par SALVINI et les autres, vous réclament tous les ressortissants des Brigades rouges qui sont depuis les années 80, doctrine MITTERRAND, on s'en souvient, en France ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, nous n'avons officiellement reçu aucune demande de la part du gouvernement italien. Lorsque les choses…

GUILLAUME DURAND
Le Monde hier écrivait le contraire, il considérait qu'il y avait des demandes qui avaient été demandées…

NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, peut-être…

GUILLAUME DURAND
Monde qui est paru, publié, enfin, sorti hier et publié ce matin un peu partout en France…

NICOLE BELLOUBET
Oui, écoutez, je n'ai pas reçu en tant que Garde des sceaux cette demande, si cette demande intervient, nous étudierons au cas par cas les dossiers dont il sera question, parce qu'il faut savoir où sont les personnes dont ils parlent, et puis, nous prendrons des décisions, je crois que c'est important de se remémorer que la doctrine, ce qu'on a appelé la doctrine MITTERRAND, est…

GUILLAUME DURAND
On va l'écouter d'ailleurs…

NICOLE BELLOUBET
Non, elle est intervenue à un moment où évidemment c'était très judicieux de prendre cette position, parce que cela calmait une situation qui était dramatique pour l'Italie. Et je trouve qu'au moment où elle est intervenue, c'est une doctrine qui est située dans le temps, c'était extrêmement, extrêmement précieux.

GUILLAUME DURAND
Je voudrais qu'on écoute justement François MITTERRAND sur ce thème, donc l'accueil de ceux qui ont mené le combat de l'extrême gauche, des Brigades Rouges qui, pour certains, donc ont commis des attentats ou des meurtres, voici ce qu'il disait.

FRANÇOIS MITTERRAND
Ils tuent, ils tuent, il faut les mettre à la raison ! Je refuse de considérer a priori comme terroristes actifs et dangereux des hommes qui sont venus particulièrement d'Italie et qui venaient repentis à moitié, tout à fait, je n'en sais rien, mais hors du jeu !

GUILLAUME DURAND
Voilà ce que disait François MITTERRAND donc il y a des années, BATTISTI a été ramené dans des conditions…

NICOLE BELLOUBET
Oui, il disait aussi, pardonnez-moi, il disait aussi, puisque, évidemment, j'ai ressorti ce qui a été dit par le président MITTERRAND, on a des écrits des propos qui ont été tenus en Conseil des ministres, il disait aussi que cette doctrine était valable sauf pour les crimes de sang.

GUILLAUME DURAND
Mais en Italie, tous les partis politiques, et pas simplement l'extrême droite au pouvoir, tous les partis politiques, le fait que BATTISTI rentre, ils ont plutôt applaudi, même si les conditions de son retour en Italie ont été plutôt atroces, spectacle, toutes les télévisions, SALVINI en grand uniforme, etc, etc.

NICOLE BELLOUBET
Bon, toute personne a droit au respect de sa dignité.

GUILLAUME DURAND
Et évidemment, ça pose une question nous concernant, c'est-à-dire que vous savez que pour les Corses, il y a les mêmes demandes, par exemple Jean-Guy TALAMONI considère que pour ce qui concerne COLONNA, alors, le président de la République s'est largement exprimé dans son voyage en Corse, mais il s'agit d'une guerre politique, et qu'à la limite, même s'il était l'assassin du préfet ERIGNAC, comme il s'agit d'une guerre politique et qui est enterrée…

NICOLE BELLOUBET
Non, mais nous avons toujours dit, Monsieur DURAND…

GUILLAUME DURAND
Il faudrait en tenir compte…

NICOLE BELLOUBET
Nous avons toujours dit qu'il n'y avait pas de prisonniers politiques en France, il n'y a pas de prisonniers politiques, il y a des détenus, il y a des détenus qui ont accompli des crimes, des infractions, etc, mais nous n'avons pas de prisonniers politiques, c'est la raison pour laquelle sur les détenus corses, nous avons également toujours dit, et c'est ce que nous faisons, que nous traitons les dossiers au cas par cas, ce qui nous a conduits à rapprocher un certain nombre de détenus corses qui sont aujourd'hui revenus en Corse, en détention, mais qui sont en Corse, nous traitons les dossiers au cas par cas.

GUILLAUME DURAND
Et dernier point, Madame BELLOUBET, merci d'être venue ce matin sur l'antenne de Radio Classique. Vous savez… je reconnais que ce matin, les sujets sont très différents, là, mais c'est l'actualité, après l'incendie de la rue Erlanger, beaucoup de gens s'interrogent sur la pratique générale la psychiatrie en France, alors c'est à la fois un problème de police, de justice, et surtout évidemment, un problème de santé publique, beaucoup de gens se demandent comment cette femme qui a été internée 13 fois a pu être libérée ; les policiers n'étaient pas au courant de son passé psychiatrique quand ils l'ont arrêtée. Est-ce que la Garde des sceaux et ministre de la Santé, donc madame Agnès BUZYN, peuvent essayer de revoir au fond le statut de ces gens qu'il est très difficile de suivre, et surtout quand on aboutit à des drames pareils ?

NICOLE BELLOUBET
Je parle beaucoup avec Agnès BUZYN de cette question de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie, puisque j'ai aussi en charge des mineurs qui sont sous une contrainte pénale, et donc si vous voulez, nous parlons beaucoup de ces sujets-là. On a des difficultés, à la fois, parce que dans certains domaines, nous manquons de médecins, que j'ai moi-même, dans les établissements pénitentiaires, je n'ai pas assez de structures qui sont adaptées pour accueillir les personnes qui sont malades, il y a la question du suivi des soins qui mérite également d'être revue, donc, oui, nous parlons très souvent de cette question…

GUILLAUME DURAND
Et il y a un problème, enfin, que soulèvent beaucoup de gens, et on en terminera par ça, c'est qu'en fait, cette femme, elle va retourner définitivement en soins, parce qu'il y a eu un drame, mais que se passe-t-il vis-à-vis justement des centres médicaux sociaux quand il s'agit de quelqu'un dont on sait qu'il est profondément atteint par des troubles psychiatriques ou par de la drogue, mais les gens vous disent : de toute façon, on ne peut pas les interner parce que pour l'instant, ils n'ont rien fait contre eux-mêmes ou contre la société, or, les psychiatres ont l'air de dire, pour certains d'entre eux, ils sont quand même très dangereux.

NICOLE BELLOUBET
Alors, écoutez, moi, ça m'est très difficile, c'est plutôt à Agnès BUZYN que s'adresse cette question…

GUILLAUME DURAND
Absolument…

NICOLE BELLOUBET
Moi, ce que je peux vous dire, c'est que nous avons vraiment une attention très soutenue sur ces dossiers-là, qui sont des dossiers difficiles et qui sont des dossiers humains, j'écoutais sur une autre chaîne de radio que la vôtre ce matin, j'écoutais un médecin qui disait : il y a eu une erreur d'appréciation sur le cas de cette personne, bon, nous sommes, là, dans un domaine profondément humain.

GUILLAUME DURAND
Merci Nicole BELLOUBET d'être venue ce matin sur l'antenne de Radio Classique.

NICOLE BELLOUBET
Merci à vous.

GUILLAUME DURAND
Les sujets étaient multiples et variés.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 février 2019