Déclaration de M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, sur la mise en oeuvre de la loi Agriculture et alimentation, à l'Assemblée nationale le 7 février 2019.

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Circonstance : Questions sur la mise en oeuvre de la loi Agriculture et alimentation, à l'Assemblée nationale

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle les questions sur la mise en oeuvre de la loi Agriculture et alimentation du 30 octobre 2018.

Je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.

Nous commençons par les questions du groupe UDI, Agir et indépendants.

La parole est à M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit. Monsieur le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, puisque nous évaluons la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, je vais revenir sur l'un de ses dispositifs emblématiques, applicable depuis le 1er février : le relèvement du seuil de revente à perte.

Il n'échappe à personne – ni aux citoyens consommateurs ni aux agriculteurs ni aux parlementaires ni a fortiori au ministre de l'agriculture – qu'après la guerre des prix engagée depuis de nombreuses années par la grande distribution et les centrales d'achat, nous assistons aujourd'hui à une guerre de la communication.

Le groupe UDI, Agir et indépendants avait en son temps alerté M. Stéphane Travert, votre prédécesseur, monsieur le ministre, sur le risque que le relèvement du seuil de revente à perte, voté par le Parlement, ne fasse augmenter les prix à la consommation.

À l'origine, le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte visait à apporter une certaine souplesse permettant une meilleure rémunération des agriculteurs et une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre distributeurs, industriels et agriculteurs.

Depuis cinquante ans, dans notre pays, la grande distribution et les centrales d'achat font la loi, puisqu'elles possèdent quasiment le monopole de la distribution des denrées alimentaires au grand public. (M. Loïc Prud'homme applaudit.) Après que la grande distribution s'est vu accorder des facilités concernant les délais de paiement, les volumes et les marges arrière, nous devons surveiller de très près l'application du seuil de revente à perte.

Notre groupe va d'ailleurs proposer la création d'une commission d'enquête afin de connaître le rôle précis des centrales d'achat et de la grande distribution dans les relations commerciales en France et en Europe. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir, LR et MODEM, ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le député, cher Thierry Benoit, merci à vous et à votre groupe d'avoir choisi ce thème important pour commencer notre séance de questions. Les états généraux de l'agriculture – EGA – auxquels vous avez participé ont été un grand moment : il y a dix-huit mois, un grand débat national, auquel tout le monde a pu participer, s'est tenu sur l'alimentation et l'agriculture. C'était une première.

Rappelons ses objectifs essentiels : améliorer la qualité de l'alimentation en France, permettre aux agriculteurs de vivre non de subventions mais de leur travail, et rééquilibrer les rapports entre la distribution et la production, entre l'amont et l'aval, pour mieux répartir la valeur ajoutée.

Plusieurs actions ont été mises en place. Nous y reviendrons. Auparavant, je salue l'initiative que vous avez prise en demandant la création d'une commission d'enquête. Il est très important d'observer comment les choses se passent. La France compte quelque 450 000 exploitations agricoles, 5 000 entreprises et seulement quatre centrales d'achat. Dans une situation aussi déséquilibrée, les agriculteurs se retrouvent ligotés, bâillonnés, parfois même étranglés.

Une des raisons qui poussent certains d'entre eux au suicide – on compte un suicide d'agriculteur tous les deux jours – est qu'ils ne vivent pas de leur travail et qu'on les montre toujours du doigt. C'est pourquoi votre commission d'enquête me paraît essentielle.

La loi EGalim, que vous avez votée, comme l'immense majorité des parlementaires, vise tout simplement à rééquilibrer les relations : par l'intermédiaire des organisations de producteurs, les indicateurs de prix seront mis en place et il ne sera plus possible d'acheter à un producteur de lait, de viande ou de céréales, des produits moins cher que leur prix de revient, pratique que nous jugeons inacceptable.

Tel est l'esprit de la loi, dont l'article 1er fixe le seuil de revente à perte – SRP. C'est grâce à cette disposition que nous allons faire bouger les choses. Nous sommes en l'an I de nouvelles relations commerciales.

Mme la présidente. La parole est à Mme Lise Magnier.

Mme Lise Magnier. Monsieur le ministre, l'article 11 de la loi Egalim a validé le principe d'une ordonnance pour faire avancer le statut des coopératives agricoles. Lors des discussions parlementaires, votre prédécesseur avait assuré à la représentation nationale que les parlementaires seraient associés à la concertation menée avant la rédaction de l'ordonnance, ce qui semble ne pas avoir été le cas.

Les représentants des coopératives nous ont alertés. Ils ont l'impression de ne pas avoir été entendus lors de cette concertation et s'inquiètent de certains éléments de l'ordonnance présentée il y a quelques jours. Ils estiment que celle-ci remet en cause le modèle coopératif actuel en faisant des coopératives agricoles un opérateur économique commercial banal, sans tenir compte des spécificités du milieu agricole que vous connaissez.

C'est oublier l'attachement des agriculteurs à leur coopérative qu'ils considèrent comme un prolongement de leur exploitation. C'est oublier aussi que, grâce à leur coopérative, ceux-ci trouveront un débouché à leur production.

Cependant, la rupture de l'équilibre dans la relation entre l'associé coopérateur et sa coopérative sera inévitable si la notion de prix de cession abusivement bas est accolée au contrat d'apport coopératif ou si le médiateur de la coopération est dessaisi au profit du médiateur des relations commerciales.

Par ailleurs, les concertations menées pour la rédaction de l'ordonnance concernant les produits de protection des plantes ont confirmé votre souhait de persister dans la séparation des activités de conseil et de vente de ces produits, disposition pourtant incompatible avec le dispositif de certificat d'économie des produits phytopharmaceutiques mis en place en 2016.

Monsieur le ministre, je vous demande de bien vouloir rassurer nos agriculteurs en tenant compte de leurs observations et en associant l'ensemble des acteurs aux concertations menées pour la rédaction des ordonnances.

Je vous poserai deux questions. Pouvez-vous nous donner votre vision du modèle coopératif agricole français de demain ? D'autre part, pourquoi refuser d'instaurer, pour les distributeurs de produits de protection des plantes, une séparation entre l'organisation d'un conseil stratégique annuel ou pluriannuel et la facturation des autres conseils, ce qui constituerait une bonne solution ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Madame la députée, je vous remercie de votre question, qui va me permettre de repréciser certains points essentiels, et peut-être de lever les doutes ressentis par les coopératives ou par vous-même.

Les ordonnances ont été rédigées en concertation avec le monde professionnel, même si je ne suis pas certain qu'en tant que députée, vous ayez été associée, ou suffisamment associée, à ce travail. À cet égard, je suis prêt à faire mon mea culpa vis-à-vis des parlementaires. J'ai eu l'occasion de le leur dire lorsqu'ils m'ont auditionné.

Aujourd'hui, à travers le projet de loi que vous avez voté, le Gouvernement veut affirmer deux choses simples.

D'une part, la coopération est une chance pour notre pays. Le modèle coopératif est vraiment remarquable. À ce titre, le Gouvernement et moi-même en sommes des défenseurs et des promoteurs. Sans le modèle coopératif, qui a fait sa force, la France compterait peut-être 30 000, 40 000 ou 50 000, voire 60 000 exploitations agricoles de moins. L'agriculture est le seul secteur dans lequel l'associé coopérateur, à la fois propriétaire et dirigeant, apporte 100 % de sa production. Les contrats sont annuels. Nous voulons défendre et promouvoir ce modèle. Je vais d'ailleurs m'y employer.

D'autre part, exclure la coopération de l'ordonnance relative aux prix de cession abusivement bas reviendrait à priver trois quarts des agriculteurs français d'une mesure qui constitue la pierre angulaire de la loi EGalim, ce qui nous paraît impossible. Nous pouvons cependant prévoir, dans l'ordonnance, une spécificité liée à la coopération, afin que ce secteur ne se retrouve pas en porte-à-faux. Il faut en effet que la relation entre l'associé coopérateur et la coopérative reste toujours aussi forte.

J'ajoute qu'il y a coopérative et coopérative. Certaines ont un chiffre d'affaires dépassant le milliard d'euros, pouvant même aller jusqu'à cinq milliards, alors que d'autres sont très petites. Or les unes et les autres jouent le même rôle. J'y reviendrai.

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Herth.

M. Antoine Herth. Monsieur le ministre, en dépit de leur intérêt agronomique et environnemental reconnu, ainsi que de leur faible coût pour le consommateur final, la loi EGalim a sensiblement restreint les possibilités de valorisation des boues de station d'épuration, notamment de leur épandage.

Ce texte a retiré le statut de produit aux composts normalisés et aux digestats issus des boues d'épuration. Ainsi ramenés au statut de déchet et bien que normalisés, ces composts ou digestats nécessiteront un épandage réglementé, sur le même régime que les boues brutes, sans considération pour leur qualité améliorée.

Outre que cette disposition déconsidère les produits issus des boues, elle affecte d'ores et déjà toute la filière. Est-il envisageable que la réglementation fasse preuve de plus de discernement afin de permettre que les boues ou leurs mélanges non chargés en métaux lourds sortent du statut de déchet ?

De même, dans la perspective des évolutions législatives à venir, l'ensemble des acteurs soulignent la nécessité de préserver la possibilité de mélanger des boues ou leurs digestats avec d'autres produits organiques, afin de préserver la viabilité à long terme de la filière de compostage et de méthanisation.

S'agissant de la méthanisation dans les exploitations agricoles, il est admis qu'il faut bannir le recours aux céréales pour alimenter ces installations. En revanche, des agriculteurs de ma circonscription en Alsace souhaiteraient développer la culture de la sylphie. Cette plante pérenne, qui permet d'approvisionner les méthaniseurs, présente de nombreux avantages, en particulier dans des secteurs sensibles comme les zones de captage : faible consommation d'intrants, couverture du sol permanente, forte production mellifère.

Est-il envisageable de la reconnaître dans le cadre des surfaces d'intérêt écologique, comme cela se pratique dans d'autres pays européens ? Quelle suite comptez-vous donner à cette demande ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le député, cher Antoine Herth, je connais votre engagement sur ces questions. Dès que j'ai pris mes fonctions ministérielles, j'ai regardé avec mes services si nous pouvions adopter une nouvelle doctrine sur la méthanisation et s'il était possible de faire avancer ce dossier. Il s'agit d'un sujet important. On ne peut accepter qu'en France, il faille attendre deux à cinq ans pour installer un méthaniseur – compte tenu notamment des recours des riverains –, alors que la même procédure ne demande en Allemagne que six à huit mois.

Sans nier qu'il faille aussi considérer d'autres aspects, comme le coût de la méthanisation ou les modalités d'injection dans les réseaux de chaleur, je souhaite mettre en place, au cours des prochaines semaines, sinon un groupe de travail, du moins une réflexion sur la méthanisation de demain.

Plus précisément, vous me demandez pourquoi la loi Egalim a maintenu le statut de déchet pour les boues issues des stations d'épuration. N'oublions pas que, globalement, ces boues peuvent être contaminées et présenter à ce titre un risque de contamination des sols et des productions agricoles. Cependant, je souhaite une évaluation au cas par cas, car le risque n'existe pas partout.

La France doit être mobile. Elle doit pouvoir regarder et évaluer. C'est uniquement ainsi que l'on avancera. Nous ne pouvons pas adopter une doctrine nationale intangible, qui ne laisserait pas de place à des évaluations.

Vous le savez, retirer aux boues issues des stations d'épuration le statut de déchet irait à l'encontre du droit national. Le code de l'environnement interdit en effet le mélange des biodéchets avec d'autres déchets n'ayant pas fait l'objet du même tri. C'est la loi. Nous ne pouvons pas aller plus loin, d'autant que la loi EGalim vise à la production d'une alimentation saine, sûre et durable.

S'agissant de l'approvisionnement des méthaniseurs, le décret de 2016 plafonne à 15 % l'utilisation des cultures énergétiques et alimentaires principales. Nous en reparlerons, car il est difficile d'avoir en deux minutes un échange précis sur un tel sujet.

M. Thierry Benoit. …qui est pointu !

Mme la présidente. Je suis désolé, monsieur le ministre, mais ce débat est ainsi organisé.

La parole est à M. Christophe Naegelen.

M. Christophe Naegelen. Monsieur le ministre, bien que ceci ne soit pas directement lié au projet de loi EGalim, je vous interpelle sur un sujet extrêmement important, à savoir la dotation aux jeunes agriculteurs. Pour en bénéficier, les intéressés doivent déposer un dossier auprès de la direction départementale des territoires. Celui-ci doit être accompagné d'un plan de développement de l'exploitation – PDE –, à mettre en oeuvre sur une durée de quatre ans, ainsi que d'un engagement à obtenir, pendant trois ans, un certain revenu, et à respecter diverses normes environnementales, d'hygiène et de bien-être animal.

Je comprends la légitimité des trois derniers critères. Néanmoins, les contrôles effectués par les directions départementales des territoires aboutissent parfois au constat que l'engagement pris d'obtenir un revenu agricole au niveau du SMIC en échange des aides reçues n'a pas été respecté. Dans ce cas, le code rural autorise la déchéance totale ou partielle des aides. Il s'agit là d'une double peine et, de plus, d'une incohérence : d'une part, l'agriculteur perçoit un revenu inférieur à un SMIC, et, d'autre part, il doit rembourser les aides qu'il a touchées.

Les aides à l'installation sont essentielles pour la trésorerie et les projets de l'entreprise. Mais la crise agricole continue de sévir et ces aides reçues par les agriculteurs, en début d'installation, aggravent les problèmes de leur exploitation quand ils doivent les rembourser. Lorsque de jeunes agriculteurs ne respectent pas leur PDE, ce n'est nullement dans l'intention de se soustraire aux engagements qu'ils ont pris. Comment justifiez-vous, monsieur le ministre, que soient ainsi durement pénalisées des personnes qui, tous les jours, se lèvent tôt, qui, tous les jours, travaillent dur, et dont la seule erreur a été de gagner moins que ce qu'ils avaient prévu ? Pour quelle raison les agriculteurs dont le revenu reste inférieur au SMIC ne seraient-ils pas aidés ?

De plus, monsieur le ministre, il serait nécessaire que les critères de contrôle soient fournis en même temps que les critères d'éligibilité et cela, au niveau national. Les contrôles devraient être effectués moins de deux ans après la fin du PDE, et être par ailleurs harmonisés au niveau national. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. La transmission des exploitations et l'installation des jeunes agriculteurs sont un enjeu essentiel pour l'agriculture française. Actuellement, il existe un problème en matière de foncier : peut-être une question sera-t-elle posée sur le sujet. Vous connaissez, et j'y reviendrai, la doctrine que j'ai essayé d'instaurer en matière de transmission. Favoriser l'installation des jeunes est indispensable. Nous travaillons beaucoup avec Jérémy Decerle, le président des Jeunes agriculteurs, une organisation qui effectue un travail remarquable. Ils ont en main les clés de l'installation et de la transmission.

Vous évoquez aujourd'hui un sujet très précis. Cette année, j'ai transmis des consignes de façon que les agriculteurs nouvellement installés ne soient pas pénalisés, d'autant que certains ont pu voir leur revenu affecté par la sécheresse et que d'autres, ceux ont l'exploitation est en bio, attendent toujours le versement des aides spécifiques – je ne m'étends pas sur ce dernier point, vous savez de quoi je parle. Nous traitons les situations, au cas par cas. Si vous avez connaissance d'un cas, faites m'en part moi et je le traiterai personnellement.

M. Christophe Naegelen. Très bien !

M. Thierry Benoit. Le ministre mouille la chemise !

M. Didier Guillaume, ministre. Pour favoriser l'installation des jeunes agriculteurs, la moindre des choses est de ne pas les décourager. Nous devons tous être pragmatiques. Parce que je souhaite qu'il y ait des installations, nous allons lancer, lors du Salon de l'agriculture, une grande campagne de communication sur les métiers de l'agriculture et la formation agricole. Nous comptons dans notre pays 800 établissements de formation agricole : ce sont des pépites, des joyaux, présents sur l'ensemble du territoire. Nous voulons former davantage, parce qu'au sortir de ces établissements, les jeunes trouvent du travail. Nous voulons former mieux, parce que les deux transitions, agroécologique, et sanitaire sont indispensables. Nous voulons former partout, parce que l'équité territoriale est essentielle.

Donc, monsieur le député, je partage tout à fait vos propos. Il n'est pas question de couper les jambes des jeunes agriculteurs, parce que, tout simplement, ils n'ont pas dégagé assez de revenus. Nous allons y veiller ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir.)

M. Thierry Benoit. À bon entendeur ! Le ministre s'occupe du dossier ! On va en informer les DDT.

Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe La France insoumise.

La parole est à M. Loïc Prud'homme.

M. Loïc Prud'homme. Depuis le début de la législature, et, notamment, avec cette loi EGalim, vous avez fait preuve de beaucoup de bonnes intentions. Mais l'on sait que les bonnes intentions ne suffisent pas à faire bouger les lignes. Pour remplir, notamment, les objectifs de sortie des pesticides qui polluent nos sols et nuisent à notre santé, il ne s'agit pas de remplacer une molécule par une nouvelle molécule, dont on ignore encore quels effets elle pourrait avoir dans le futur.

M. Didier Guillaume, ministre. Exactement !

M. Loïc Prud'homme. Il est urgent de changer de modèle, de changer de paradigme agricole. Pour cela, nos agriculteurs doivent avoir la main sur leurs semences, et ce aussi pour préserver un patrimoine génétique et une variabilité génétique, laquelle permet aux plantes de s'adapter aux changements en cours, en particulier de résister aux insectes ravageurs des cultures.

L'article 78 de la loi EGalim autorisait la vente de semences libres ou paysannes, alors qu'il était, jusqu'à présent, seulement possible de les donner. De nombreuses organisations paysannes et de défense de l'environnement se sont réjouies de cette disposition. Malheureusement, le Conseil constitutionnel a censuré cet article. Jusqu'ici réservée aux grands groupes semenciers, la vente aurait été ainsi permise à des associations comme Kokopelli ou le Réseau Semences Paysannes. Les géants des semences allaient perdre leur hégémonie sur ce gigantesque marché très lucratif. On en est finalement revenu à ce que des multinationales puissent déposer des brevets sur le vivant. Étant donné la situation de notre agriculture mais aussi la nécessité des changements à opérer, ce n'est pas acceptable.

Je vous interroge : comment en est-on arrivé là ? Est-ce la conséquence d'une légèreté de la part du Gouvernement dans la rédaction de l'article 78 ? Est-ce le fait de la pression exercée sur le ministère par des lobbys cherchant à servir leurs intérêts ? Mais la question importante est la suivante : que comptez-vous faire pour réparer cette erreur, afin que les paysans se voient, à nouveau, garanti le droit essentiel de disposer des semences, un droit essentiel aussi pour la préservation de la biodiversité et de la diversité génétique ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur Prud'homme, votre question est très importante et je vous en remercie. Je vais essayer de vous répondre très clairement. Je comprends ce que vous dites, moi qui ai fait du département dont j'étais le président, le premier département bio de France, le premier département sans OGM, le premier département pour les circuits courts, le premier département d'agriculture paysanne, le premier département pour la transformation. Pour autant, je n'oppose pas les agricultures. Nous avons besoin d'une grande agriculture, qui produit et qui exporte, mais aussi d'une petite agriculture.

La transition agroécologique est indispensable. Je l'ai placée à nouveau au coeur du projet agricole. Je partage votre avis : il n'est pas question de remplacer une molécule par une autre. Si sortir du glyphosate c'était le remplacer par une autre molécule chimique, nous aurions raté notre objectif. Ce n'est donc pas dans cette direction qu'il faut aller. En même temps, comme le Président de la République l'avait dit dès le départ, je réaffirme ici, à l'Assemblée nationale, que nous ne laisserons aucune filière, aucun agriculteur sans solution.

Alors sénateur, j'étais très favorable à l'article 78 de la loi EGalim. C'est avec regret que j'ai constaté que la droite sénatoriale avait déposé un recours devant le Conseil constitutionnel contre ce texte, qui a abouti à l'invalidation de cet article, comme d'autres d'ailleurs. Je souhaite que, dans le cadre d'une niche parlementaire ou d'un prochain créneau, peut-être à l'occasion du projet de loi de finances pour 2020, nous puissions remettre ce sujet à l'ordre du jour. Il s'agit, en effet, d'une question importante, à laquelle la majorité est, comme vous, très attachée.

Les sujets sont peu nombreux sur lesquels nous pourrions, comme sur celui-ci, parvenir à l'unanimité. Je vous engage tous, dans cet hémicycle, à relancer cette dynamique. Le Gouvernement y sera favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Prud'homme, pour poser la seconde question de son groupe, qui devait être posée par Mme Panot.

M. Loïc Prud'homme. Je vous prie en effet d'excuser notre collègue, qui a été retardée.

Voici venu le temps des gilets jaunes, monsieur le ministre. Partout dans le pays, les Français des classes moyennes et populaires vous disent : stop ! Cela suffit ! On n'en peut plus ! Ils vous clament que leur travail n'est pas assez rémunéré, que l'impôt n'est pas juste, qu'ils n'arrivent pas à boucler les fins de mois. Mais rien n'y fait. Vous continuez à faire la sourde oreille ; vous continuez à suivre votre chemin, en regardant vos pieds, un peu honteux, mais sûrs de la direction que vous empruntez.

Pourtant cette direction n'est pas la bonne pour le pays et fait souffrir nos concitoyens en grand nombre. Nouvel exemple des effets désastreux de votre politique sur les conditions de vie : cette loi Egalim, que nous évoquons ce matin. Nous vous avions pourtant avertis, mais vous n'aviez rien voulu entendre. Le seuil de revente à perte ayant été relevé, les prix dans l'alimentation ont augmenté en moyenne de 6 % au 1er février 2019. Des mesures d'augmentation des salaires, à commencer par celle du SMIC, et, mécaniquement, de tous les salaires indexés, doivent être décidées pour faire face à cette réalité.

Sans doute, la pensée magique du Président de la République vous avait-elle frappés ! Les distributeurs, sans contrainte aucune, diminueraient leurs marges, plutôt que de répercuter l'augmentation sur les consommateurs. Un peu comme les propriétaires avaient été appelés par le Verbe présidentiel à baisser les loyers, lorsque vous diminuiez les APL !

À court terme, votre loi emporte deux conséquences injustes. D'un côté, les classes populaires et moyennes, déjà à la peine, vont devoir payer plus pour manger, voire manger moins. De l'autre côté, les paysans ne toucheront rien de plus qu'auparavant. Il faut, monsieur le ministre, fixer un prix plancher d'achat en-dessous duquel les paysans ne puissent pas vendre et plafonner les marges indécentes que pratique la grande distribution. Les actionnaires des groupes Auchan ou Carrefour, Mulliez et autres Arnault, vous remercient !

Rappelons, tout de même, que, sur 1 euro de valeur alimentaire, seuls 7,5 centimes reviennent aux paysans, dont un tiers d'entre eux gagnent moins de 350 euros par mois. Votre loi Egalim ne change rien à ce problème immense. Favoriser les circuits courts, relocaliser la production, développer l'agriculture biologique, sans pesticides, plus rémunératrice pour nos paysans : les solutions sont à portée de main. Quand comptez-vous agir pour inscrire dans la loi des contraintes claires, plutôt que de défendre les cartels de la grande distribution et leurs actionnaires ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Votre question est toute en nuance… En même temps, elle aborde des sujets très précis. Je vais vous répondre. Pour ma part, je n'oppose pas, comme vous, les salariés pauvres et les agriculteurs pauvres.

Mme Mathilde Panot. Nous parlons de Carrefour !

M. Didier Guillaume, ministre. Cette loi est faite, justement, pour que les agriculteurs pauvres deviennent moins pauvres. Il ne faut pas raconter de salades, surtout à propos des produits alimentaires vendus en grande surface. La notion de prix de cession abusivement bas que nous avons construite vise exactement ce que vous demandez. Vous appelez cela « prix plancher », parce que vous préconisez une économie administrée. Quant à nous, nous vivons dans la réalité, et nous savons qu'il n'y a pas d'économie administrée. Je répète que l'ordonnance relative aux prix abusivement bas correspond exactement à ce que vous souhaitez. L'objectif est que les agriculteurs ne se voient plus payer leurs produits en-dessous de leur prix de revient, mais au juste prix.

M. Loïc Prud'homme. Ce n'est pas le cas !

M. Didier Guillaume, ministre. Vous avez raison, monsieur Prud'homme. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Pourquoi ?

M. Loïc Prud'homme, rapporteur. À cause des comportements de la grande distribution !

M. Didier Guillaume, ministre. La mesure a pris effet qu'au 1er février et nous ne sommes que le 7 février ! Ne regardez pas dans le rétroviseur, mais devant vous !

Deuxièmement, je me bats sur la grande distribution, parfois avec elle, parfois contre elle. Je me bats avec elle, quand elle nous permet de déstocker les fruits ou d'autres produits agricoles dont les frigos débordent et parce qu'elle est, en effet, la seule capable de faire vivre nos agriculteurs. Je me bats contre elle en revanche, quand elle ne fait que de la communication, comme lorsqu'elle prétend que l'ordonnance a pour conséquence d'augmenter le prix du Ricard, des chips, du Nutella ou du Coca Cola.

Ce qui m'importe n'est pas cela mais les prix agricoles et les bonnes pratiques. Nous sommes en l'an I des nouvelles pratiques commerciales. Monsieur Prud'homme, cette loi se met en application. (M. Loïc Prud'homme sourit.) Plutôt que de sourire, allez voir les agriculteurs, allez voir les coopératives qui ont signé les premiers contrats : ils ne vous diront pas la même chose ! Alors qu'il leur revenait à 39 centimes, le litre de lait était payé 30 centimes aux producteurs, pour n'en être pas moins revendu 1 euro en grande surface. C'était inacceptable. Mais cela c'était avant. À partir du 1er février, c'est autre chose. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le ministre, je rappellerai les paroles prononcées par le Président de la République à Rungis le 11 octobre 2017, évoquant « la mise en place d'une contractualisation rénovée avec un contrat qui serait proposé par les agriculteurs et non plus les acheteurs [...] pour inverser cette construction du prix qui doit pouvoir partir des coûts de production ».

La loi EGalim, votée le 2 octobre 2018, était censée permettre aux producteurs de partir des coûts de production. Or, en définitive, la loi n'a retenu aucun outil public en matière d'indicateurs de coûts de production. Elle n'a institué aucun moyen de pression contraignant sur les distributeurs et les transformateurs, qui eût garanti un retour supérieur de valeur ajoutée aux producteurs. Quel est le constat aujourd'hui ? Est-on sorti de la loi de la jungle dans les négociations commerciales en cours jusqu'au 28 février 2019 entre les entreprises agroalimentaires et les centrales d'achats des grandes surfaces sur les prix que celles-ci percevront pour les produits référencés en magasin dans les douze mois suivants ?

Je prendrai l'exemple de la filière bovine. Les indicateurs des coûts de production ne sont validés que par les producteurs et les distributeurs, avec abstention des principaux groupes industriels, privés ou coopératifs d'ailleurs. Dans ces conditions, les industriels accepteront, peut-être, de contractualiser sur une part des volumes, mais seulement sur une part, rendant le dispositif peu opérant. De plus, le fourragement, depuis le début de l'automne 2018, provoque une décapitalisation, et donc une baisse des prix, dans la mesure où l'offre dépasse durablement la demande.

J'ajouterai que, boulimiques, la restauration hors domicile et d'entreprise, comme les fabricants de plats industriels transformés, privilégient toujours davantage les viandes importées – aux qualités exceptionnelles, comme nous venons de le voir ces derniers jours ! De plus, la perspective est celle de la conclusion de multiples accords de libre-échange.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire part – et, s'il vous plaît, « hors méthode Coué » – d'une première évaluation de l'efficacité sur les prix d'achat aux producteurs de la mise en application des premiers articles de la loi en faveur d'une contractualisation plus juste ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le président Chassaigne, je veux rappeler que la volonté, tant du Président de la République que celle exprimée lors des états généraux de l'alimentation, auxquels vous avez tous participé et qui ont été une grande réussite, est d'en finir avec ce qui s'est pratiqué durant des décennies et d'inverser totalement la construction des prix. En effet, ceux qui se font étrangler dans la négociation sont toujours les mêmes. Ce n'était plus possible. D'où le titre Ier de la loi EGalim, qui inverse la construction des prix agricoles.

Un menuisier qui fabriquerait ce banc de ministre ou de commission pour un coût de 100 le vendrait 110, mais un producteur de lait dont le coût de revient est de 39 centimes au litre le vend 30 centimes et un producteur de boeuf ne vend que 3,50 euros le kilo une production qui lui a coûté 5 euros. Ce n'est pas possible ! Changer cette situation est l'enjeu de cette loi.

Je ne peux pas faire le bilan d'une loi entrée en vigueur il y a sept jours seulement, mais j'ai rencontré tous les industriels et les patrons de la grande distribution et n'ai pas hésité à leur mettre la pression. La semaine prochaine, nous réunissons, avec Bruno Le Maire, le comité de suivi des négociations commerciales. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF – a reçu la consigne de traquer les prix et les manquements à la loi. Je vais interpeller le médiateur des relations commerciales pour qu'il se penche sur ce sujet. Le Gouvernement est tout entier mobilisé pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail et voient leur revenu augmenter.

Est-ce que cela ira assez loin dès la première année ? Je l'espère, mais probablement pas. Nous avancerons marche après marche. Je suis très heureux de l'accord intervenu jeudi dernier dans l'interprofession du bétail et des viandes, Interbev, puisque la filière bovine est tardivement – mais mieux vaut tard que jamais !– parvenue à fixer un coût de production ; l'industriel, comme vous l'avez dit, s'est abstenu, ce qui est normal : il faut un peu forcer l'ensemble de la chaîne, tout le monde, de l'amont à l'aval, devant consentir des efforts. L'objet de cette loi est de faire un effort pour que l'inversion de la construction du prix entraîne un meilleur revenu pour les agriculteurs. CQFD. Ce n'est pas de la langue de bois, c'est la réalité.

M. André Chassaigne. C'est un peu la méthode Coué !

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Ma seconde question porte sur les conditions d'atteinte des objectifs renouvelés en faveur d'une alimentation durable et de qualité, qui faisaient partie du second volet de la loi.

Les articles 24 et 25, en particulier, ont repris des engagements, déjà formulés à maintes reprises depuis les lois issues du Grenelle de l'environnement, en faveur du développement de l'agriculture biologique, que vous connaissez bien. Mais les producteurs qui ont fait, ou qui font, le choix de l'agriculture biologique sont toujours confrontés à des retards de paiement de leurs aides spécifiques pour les campagnes des années 2016, 2017 et 2018. Concrètement, alors que la demande pour ces produits est importante et continue de croître, les producteurs et productrices sont aujourd'hui placés en difficulté, faute d'avoir obtenu le solde des aides dont ils devaient bénéficier pour les dernières campagnes. J'ajoute que ces retards de paiement, insupportables pour les exploitants concernés, se cumulent à la baisse des montants de ces aides et à la suppression de l'aide au maintien. Cette situation est de plus aggravée par la guerre des prix imposée récemment par les grandes et moyennes surfaces aux entreprises de l'agroalimentaire biologique. Cette guerre des prix est d'autant plus préjudiciable que la filière, en développement, manque de produits nationaux.

Alors qu'une réelle dynamique de conversion, enclenchée ces dernières années dans les territoires, se traduit, enfin, par une hausse sensible de la surface agricole utile – SAU – en agriculture biologique au niveau national, les représentants des exploitants de cette agriculture m'ont fait part de leur très grande inquiétude au regard des perspectives de baisse drastique pour 2020 des soutiens d'État en faveur de l'animation et du suivi des projets dans les territoires.

Alors, monsieur le ministre, sur ce point spécifique de l'agriculture biologique, qui vous tient, je le sais, particulièrement à coeur, quels engagements comptez-vous tenir pour déployer de vraies mesures de soutien en face des engagements législatifs dans les années qui viennent ? (MM. Hubert Wulfranc et Dominique Potier applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. L'objectif des états généraux de l'alimentation et de la loi EGalim était de promouvoir une alimentation saine, durable et de qualité. Nous allons dans ce sens.

D'abord, la France a une spécificité que tout le monde nous envie : notre alimentation est sécurisée et tracée – nous l'avons encore vu récemment avec le problème de la viande polonaise avariée, réglé en moins de trois jours, ce qui n'est pas forcément le cas dans d'autres pays.

Oui, la guerre des prix est un vrai sujet, sur lequel le Gouvernement – mon collègue de Bercy comme moi-même – exerce une pleine vigilance. Nous allons arrêter cette guerre des prix. Les opérateurs d'autres pays me disent qu'il n'y a qu'en France qu'une négociation s'ouvre sur une déflation ; ailleurs, on tente de faire avancer la filière en partant du niveau du marché. Chez nous, on part de la déflation des grandes surfaces, puis les industries agroalimentaires et les PME augmentent leur effort d'un certain montant : qu'est-ce que cela signifie ? On ne joue pas au bonneteau ! Nous avancerons sur ce sujet.

Vous avez posé plusieurs questions sur le bio. La SAU augmente sensiblement, ce qui nous réjouit : nous continuerons cet effort. Le plan « Ambition bio 2022 », mis en place par ce Gouvernement et voté par cette majorité, apportera 1,1 milliard d'euros : jamais une telle somme d'argent frais n'avait été débloquée ! Il faut donner les moyens aux opérateurs d'atteindre 50 % de signes officiels de la qualité et de l'origine – SIQO – dans la restauration collective, dont 20 % de produits bios ; voilà pourquoi, j'ai demandé aux services d'octroyer deux postes supplémentaires à l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, dite Agence bio, pour l'animation – celle-ci ne baisse donc pas : vous l'aviez tous demandé, et ces postes ont été créés au début de cette année. Tout cela avance.

Comme je l'ai déjà dit ici, je demande de bien vouloir excuser l'État et l'Agence de services et de paiement – ASP –, qui ont été défaillants. Je ne peux pas vous dire autre chose. J'ai totalement interdit à l'administration de créer le moindre problème à un jeune qui n'a pas touché ses aides bios depuis deux ans.

Mme Cendra Motin. Et les banques ?

M. Didier Guillaume, ministre. S'il faut intervenir auprès des banques, nous le ferons. Il faut étudier chaque cas personnel. Nous allons dans cette direction, monsieur le président Chassaigne ! (Mme Cendra Motin applaudit.)

Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe Libertés et territoires.

La parole est à Mme Sylvia Pinel.

Mme Sylvia Pinel. Lors des débats sur le projet de loi EGalim, nous fûmes nombreux à avoir appelé l'attention du Gouvernement, notamment celle de votre prédécesseur, sur les modalités de négociation et de formation des prix, pour certaines filières et certains produits. La question des indicateurs nous a beaucoup occupés lors de ces débats, car la rédaction du texte nous semblait insuffisante pour atteindre l'un des objectifs majeurs des états généraux de l'alimentation. En effet, la juste rémunération des productions agricoles devait constituer l'une des mesures phares de la loi EGalim, qui a suscité beaucoup d'attente et d'espoir dans le monde agricole.

Aujourd'hui, nous constatons, vous l'avez évoqué, une augmentation des prix de certains produits prisés par les consommateurs. Dans le contexte actuel, alors que la ruralité rencontre de nombreuses difficultés – ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre – et peut parfois se sentir oubliée des politiques publiques, il vous appartient de garantir, monsieur le ministre, que les dispositions votées par le Parlement soient correctement appliquées. Au moment où les questions du pouvoir d'achat et de la juste rémunération des producteurs se posent avec une acuité toute particulière, les agriculteurs ont besoin du soutien de l'État et de leur ministre.

Même si certains accords spécifiques sont intervenus et même si l'entrée en vigueur de la loi est récente, quelles modalités de suivi comptez-vous mettre en place pour vous assurer que les dispositifs votés soient correctement appliqués et que les négociations commerciales se déroulent au mieux ? Êtes-vous prêt à corriger le texte législatif s'il se révélait insuffisant pour atteindre cet objectif, qui nous rassemble tous ?

M. Philippe Vigier. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Je vous remercie pour votre question, madame la députée, car vous êtes la première ce matin à évoquer l'équilibre entre le pouvoir d'achat des consommateurs et la juste rémunération des agriculteurs. C'est tout ce que vous avez souhaité, mesdames et messieurs les députés ! Je suis d'autant plus à l'aise pour le dire que je n'étais pas ministre et que je n'ai pas participé aux états généraux de l'alimentation : je n'y suis absolument pour rien, mais je soutiens totalement cette loi, car vous avez élaboré un texte essentiel, n'est-ce pas, monsieur Jean-Baptiste Moreau, qui avez été le rapporteur du projet de loi ? Nous n'opposons pas le consommateur à l'agriculteur, car nous voulons évoquer à la fois le pouvoir d'achat et la juste rémunération des agriculteurs.

Vous évoquez, comme le président Chassaigne et M. Prud'homme avant vous, l'augmentation des prix : je ne peux pas laisser dire cela ! Les prix de 4 à 5 % des produits de la grande distribution ont augmenté : ce sont des produits d'appel – une marque d'apéritif et une autre de pâte à tartiner, entre autres –, pour lesquels l'ensemble des grandes et moyennes surfaces se concurrençaient violemment ; mais, le panier alimentaire moyen n'augmente pas, bien au contraire. L'objectif de cette loi est de faire en sorte que les grandes surfaces rééquilibrent leurs marges. Les grands groupes gagnent peut-être des millions de dollars, mais chaque magasin ne gagne pas tant d'argent que cela, car le taux de marge annuel ne dépasse pas 1 %. Il faut rééquilibrer les marges, afin d'atteindre la juste rémunération de l'agriculteur mais aussi de la caissière ou du caissier, qui ont besoin d'un salaire de bon niveau pour avoir du pouvoir d'achat. Il est en tout cas faux de prétendre que le panier va augmenter, même s'il peut le faire, me dit-on, de 70 centimes à 1 euro en fonction de ce que l'on achète.

Je souhaite dire aux Françaises et aux Français de regarder ce qu'ils mangent : nous avons une belle alimentation, nos produits agricoles sont de grande qualité. Il faut les acheter !

Enfin, la DGCCRF s'est engagée à effectuer 6 000 contrôles dans l'année ; elle les fera, et j'ai rencontré sa directrice, qui m'a indiqué que 240 opérations avaient déjà été réalisées depuis le début de l'année et de l'application de la loi. « Faites-moi confiance », allais-je dire, mais il ne faut jamais prononcer cette phrase en politique ; soyez en tout cas assurés que je surveillerai de près l'application de cette loi et le contrôle des prix !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Sur le fond, la structure du prix final doit trouver ses fondements dans le coût de production, qui comprend évidemment tous les coûts intermédiaires : c'est la condition sine qua non de la juste rémunération des agriculteurs. En toute hypothèse, le fait de rendre publics les indicateurs de suivi des prix lors des négociations interprofessionnelles serait un élément positif de transparence des prix et, surtout, de répartition des marges.

Cette loi doit être l'occasion de définir des objectifs clairs dans le domaine de la santé. Il faudrait agir, comme tout le monde le sait, sur les taux de sucre, de sel et de gras, prévoir un étiquetage plus explicite, promouvoir le bio et assurer la valeur ajoutée des labels d'appellation d'origine contrôlée – AOC –, d'indication géographique protégée – IGP – et d'appellation d'origine protégée – AOP – face aux marques des distributeurs. Tous ces objectifs de santé publique sont essentiels.

Nous prenons acte des avancées qui ont été obtenues sur ces diverses questions. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser les mesures déjà engagées dans ce domaine essentiel de la santé publique ? (Mme Sylvia Pinel applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le député, je vous remercie de votre question, vous qui venez d'un territoire où l'on sait ce que sont la « bonne bouffe », les bons produits, les circuits courts, et le travail des éleveurs et des paysans.

Oui, nous souhaitons promouvoir notre bonne alimentation et nos bonnes productions agricoles. Nous en sommes fiers ! Soyons chauvins et faisons cocorico, car nous avons la chance d'avoir, dans notre pays, des agriculteurs et des producteurs de grande qualité. Allons-y, aidons-les ! Voilà tout le sens de mon engagement. Nourrissons-nous de ces produits et non de produits importés !

Nous voulons accompagner les transitions de notre agriculture et développer les bonnes pratiques, mais nous sommes confrontés au dumping fiscal et social d'autres pays. Nous devons lutter pour atteindre un équilibre.

Vous avez évoqué les marques de distributeurs, qui sont le grand enjeu des années à venir. L'ensemble des grandes et des moyennes surfaces font de gros efforts pour que les marques des distributeurs montent en gamme. Ces marques doivent prendre le pas des grandes marques et privilégier les circuits courts, ainsi que les paysans et l'agriculture de proximité. Si nous y parvenons, ce sera un succès important.

L'amélioration de la qualité nutritionnelle est l'un des points forts du titre II de la loi EGalim et l'un des piliers du programme national pour l'alimentation. Nous devons avancer et nous en avons beaucoup parlé avec Guillaume Garot, qui est très impliqué sur ce sujet. Le programme national et les programmes territoriaux doivent être sur le devant de la scène. Il ne suffit pas d'avoir des produits de qualité, encore faut-il qu'ils ne soient pas saturés en acides gras, en sucres et en graisses. Dans ce domaine, nous devons notamment agir sur la communication à destination des enfants. Je regrette que la loi n'ait pas pu aller plus loin, à cause de votes différents et de la censure. Il faut absolument consentir un effort sur le Nutri-score et fixer des objectifs de réduction de sucre, de sel et d'acides gras saturés. J'ai déjà demandé aux industriels de faire des efforts sur ce point et continuerai de le faire. Les étiquettes doivent précisément indiquer la composition des produits.

Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe La République en marche.

La parole est à M. Didier Le Gac.

M. Didier Le Gac. Monsieur le ministre, cher Didier Guillaume, je souhaite vous interroger ce matin sur les organisations de producteurs – OP –, notamment sur les moyens dont elles disposent pour agir.

La loi EGalim, que nous avons soutenue, est issue des États généraux de l'agriculture et de l'alimentation. Elle a mis en avant la nécessité de renforcer la contractualisation des relations entre les producteurs et les acheteurs.

La logique prévalant désormais consiste à inverser le processus de contractualisation, en partant du prix proposé par les producteurs, que nous avons encouragés à se regrouper en OP en vue de peser davantage dans les négociations et de renforcer leur position face aux industriels et aux distributeurs.

Or, dans le cadre de rencontres de terrain avec les acteurs du monde agricole, que j'ai menées dans mon département du Finistère, plusieurs responsables d'OP m'ont fait part – récemment encore – de la faiblesse des moyens généraux qui leur sont alloués en vue de peser de façon plus efficace dans les négociations.

Encourager les agriculteurs à se regrouper est une chose, mais il faut également qu'ils disposent de moyens, leur permettant par exemple de salarier leurs collaborateurs, de promouvoir le réseau de producteurs et de l'animer.

À l'heure actuelle, pour remplir cette mission, ils n'ont bien souvent comme seule ressource que la cotisation d'adhésion versée par leurs membres. Celle-ci, compte tenu du contexte actuel, est nécessairement limitée.

Les missions principales des OP consistent à assurer la programmation de la production ainsi que son adaptation à la demande, à promouvoir la concentration de l'offre et la mise en marché de la production de leurs membres, ainsi qu'à réduire leurs coûts de production. Pour ce faire, elles doivent disposer de moyens humains et financiers, mais aussi matériels, tels que des logiciels.

Monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer les actions que vous comptez mener – dans le cadre d'un budget dont je n'ignore pas qu'il est contraint – afin de dégager les ressources nécessaires au bon fonctionnement des OP ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le député, cher Didier Le Gac, voici une devinette : 400 000, 1 500, quatre, et on a tout compris. 400 000 exploitations agricoles, 1 500 intermédiaires, quatre centrales d'achat : avec ces chiffres, on a tout compris. Les agriculteurs ne pèsent pas, et ce depuis des décennies.

Les états généraux de l'alimentation, auxquels vous avez participé – je salue à nouveau le travail mené par Jean-Baptiste Moreau et ses équipes –, ainsi que la loi EGalim, procèdent du sentiment qu'il faut tout changer. Inverser la construction des prix suppose que l'on en donne les moyens aux agriculteurs. Seul, c'est impossible.

La seule solution est de recourir aux organisations de producteurs que vous évoquez, monsieur Le Gac. Grâce à elles, nous modifierons du tout au tout la façon d'aborder les négociations commerciales et la construction des prix. Plus les producteurs se regrouperont, plus ils auront la force d'avancer.

Vous affirmez qu'il faut les aider. Ils ont les moyens.

M. Didier Le Gac. Pas tout à fait !

M. Didier Guillaume, ministre. Dans le cadre des négociations de la future PAC, j'ai proposé de procéder à des bonifications des aides versées aux OP au titre du deuxième pilier.

M. Dominique Potier. Très bien !

M. Didier Guillaume, ministre. Il s'agit d'un point très important. Il importe que celles-ci réunissent tous les acteurs des filières concernées, de l'amont à l'aval, industriels compris. Nous évoquions tout à l'heure la filière bovine, dont un opérateur important s'est abstenu de participer à l'élaboration de l'indicateur de prix. Il faut continuer à peser afin d'évoluer dans cette direction.

Je suis plutôt optimiste sur la façon dont les choses évoluent. Je le répète, nous sommes en l'an I, conformément à la volonté que vous avez exprimée en votant la loi EGALIM, mesdames, messieurs les députés.

Au 15 janvier de cet an I, le nombre de contrats signés était plus élevé que jamais. Les choses avancent. Il faut aller au-delà.

Tout à l'heure, le président Chassaigne me demandait si tous les problèmes seront réglés cette année. Certainement pas ! Sur ce point, nous sommes tous d'accord. Toutefois, nous franchissons la première marche sur un long chemin au bout duquel les agriculteurs seront tenus pour des gens intelligents et sérieux, et non des esclaves du monde économique.

Sur cette base, nous allons rééquilibrer le partage de la valeur à tous les échelons de la chaîne. C'est exactement ce qu'il faut faire. Tel est l'objet de la loi EGalim que vous avez adoptée. Vous êtes, me semble-t-il, en passe de réussir.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Leclabart.

M. Jean-Claude Leclabart. L'an dernier, nous avons tous été très mobilisés lors de l'examen du projet de loi EGalim. Adoptée le 2 octobre 2018, elle a été promulguée le 1er novembre suivant. Son premier objectif est de permettre aux agriculteurs de percevoir un revenu digne en répartissant mieux la valeur.

Plusieurs dispositions visent à l'atteindre, parmi lesquelles l'encadrement – en valeur et en volume – des promotions sur les denrées alimentaires, adopté à titre expérimental pour deux ans. Cette mesure doit permettre de mieux rémunérer les agriculteurs et les PME du secteur agroalimentaire.

Or certains secteurs ont exprimé des réserves au sujet d'un encadrement unique des promotions sans distinction de filière. Ainsi, le secteur porcin était le seul à bénéficier d'un encadrement des promotions avant la promulgation de la loi EGalim.

Celui-ci était moins restrictif que celui désormais en vigueur, notamment lors de deux périodes de l'année – les mois de janvier et septembre – au cours desquelles il est crucial de dynamiser la consommation.

Il est évident que l'encadrement des promotions est une véritable avancée en vue de mettre un terme aux braderies abusives pratiquées par certains opérateurs, lesquelles détruisaient la valeur de la viande porcine. Toutefois, les éleveurs de certaines filières pourraient être pénalisés par un encadrement uniforme des promotions, car les distributeurs cesseront de mettre leurs produits en avant, ce qui empêchera de dégager le marché en cas d'engorgement.

Il est crucial que les opérateurs de l'aval de la filière ne se détournent pas de l'outil que constituent les promotions et l'utilisent à bon escient afin de dynamiser les ventes sans détruire de valeur.

Dès lors, pouvez-vous, monsieur le ministre, détailler les mesures que vous avez prises afin de vérifier les pratiques des distributeurs lors des périodes historiques de fortes promotions en vue de pérenniser ce nouvel encadrement, tout en encourageant les opérateurs à poursuivre les opérations de mise en avant ?

Un bilan officiel des promotions visant à tirer les conclusions du dispositif – et peut-être à engager une refonte de la politique promotionnelle si ce bilan ne s'avérait pas satisfaisant en matière d'amélioration de la rémunération de l'amont de la filière – est-il prévu ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur Leclabart, après plusieurs de vos collègues, vous évoquez vous aussi l'évaluation. En politique, il faut être capable d'admettre qu'on a pu se tromper, qu'on n'a pas agi au mieux et qu'il faut rectifier le tir si un dispositif ne fonctionne pas. Je n'ai pas peur de le dire. Nous n'avons pas la science infuse.

Ceux d'entre vous qui ont voté la loi EGalim ont fait preuve de la volonté d'avancer et de prendre des risques. En tout état de cause, nous en évaluerons les conséquences. S'il faut modifier des dispositions, nous les modifierons.

Le relèvement du seuil de revente à perte est expérimenté pour deux ans. Si dans deux ans nous constatons que le dispositif ne fonctionne pas, nous débattrons d'un nouveau projet de loi, que vous nourrirez de vos observations. D'ici là, nous verrons bien comment les choses se passent.

Monsieur Leclabart, vous m'interrogez également sur l'encadrement des promotions. L'ordonnance relative à l'encadrement des promotions en volume et en valeur est entrée en vigueur au début de l'année. Il me semble nécessaire d'adopter une règle générale. Si nous commençons à adopter une loi d'encadrement des promotions dans chaque filière, nous ne nous en sortirons pas.

Je connais très bien la filière porcine. Je sais que le mois de janvier fournit l'occasion de procéder à des promotions de 50 %, 60 % ou 70 %. Si nous voulons encadrer les promotions et faire en sorte que les produits soient achetés au juste prix, il faut tenir bon sur ce point.

La DGCCRF vient de publier les lignes directrices de l'encadrement des promotions. Si j'étais M. de La Palice, je dirais : « Tout ce qui n'est pas interdit est autorisé ».

Dès lors, il faut être intelligent et tâcher d'avancer avec pragmatisme. Au demeurant, les acteurs de la filière porcine travaillent d'ores et déjà avec Bercy et avec la grande distribution. Par ailleurs, l'ordonnance comporte un dispositif de suspension si son application aboutit à des résultats contraires aux objectifs de la loi EGalim.

Ainsi, nous veillons au grain. En tout état de cause, si nous voulons donner à nos enfants une meilleure éducation en matière d'alimentation, dire « Je vais acheter une côte de boeuf ou une côtelette d'agneau et j'en aurai deux gratuites pour le prix d'une », ce n'est plus possible. Je le dis comme je le pense.

Mme Sandra Marsaud. Bien sûr !

M. Didier Guillaume, ministre. En effet, cela signifie que les produits ont un prix nul. Or ils ont un coût. L'encadrement des promotions a une visée éducative. Il s'agit de faire comprendre au consommateur que les produits ont un prix à payer.

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Bouyx.

M. Bertrand Bouyx. La loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite loi EGalim, prévoit que le Gouvernement légifère par ordonnances sur le statut coopératif agricole. Après être allé à la rencontre des acteurs de l'agriculture coopérative dans ma circonscription, j'aimerais faire part de leur inquiétude et demander au Gouvernement des clarifications à propos de la teneur des ordonnances.

Il est utile de rappeler pourquoi nous sommes tous attachés au modèle de la coopération agricole. Le statut coopératif assure aux agriculteurs une forme de sécurité, qui tient tout entière dans la relation entre l'associé coopératif et sa coopérative d'une part, et, d'autre part, dans l'assurance pour le producteur de trouver un débouché à sa production, que la coopérative s'engage à acquérir en totalité dans la durée.

Dans un contexte où les territoires ruraux sont souvent fragilisés, il convient de considérer à sa juste valeur et dans toute sa singularité ce modèle, qui renforce le dynamisme d'une activité agricole durable et solidaire.

Dès lors, comment expliquer que les coopératives craignent le détricotage de leur modèle par la réforme, alors même que les représentants de la Coopération agricole en France ont activement participé aux États généraux de l'alimentation et partagent complètement les objectifs de la loi EGalim ?

Tout d'abord, les coopératives redoutent qu'on leur attribue le statut d'acteurs purement commerciaux, alors même que leur fonctionnement est très spécifique. Par ailleurs, le principe de double qualité des membres de la coopérative – dont les producteurs sont à la fois propriétaires et apporteurs – rend la notion de prix abusivement bas difficile à appliquer.

Pour les mêmes raisons, le choix de saisir le médiateur des relations commerciales aux dépens du médiateur de la coopération est perçu par les agriculteurs comme une menace sur leur modèle.

Une coopérative a l'obligation d'acquérir toute la production de ses adhérents. En résumé et pour faire simple, elle n'est pas une entreprise commerciale comme les autres. Sur ces points précis, quelles assurances pouvez-vous fournir aux acteurs de la coopération agricole, monsieur le ministre ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le député, je vous remercie de votre question, qui est la deuxième sur le sujet, ce qui me permettra d'aller au bout de la précision. L'ordonnance que vous avez évoquée est en cours de rédaction. Elle porte sur la gouvernance et le fonctionnement des coopératives.

Elle est indispensable, car les trois-quarts des agriculteurs travaillent dans le cadre d'une coopérative. On ne peut pas faire sans. Par conséquent, il n'est pas question que la notion de prix abusivement bas ne s'applique pas aux coopératives.

Par ailleurs, le Gouvernement tient absolument à préserver et à promouvoir le statut et le modèle coopératifs, qui sont une chance pour notre pays. La loi EGalim aborde le cas des prix abusivement bas. Les coopératives sont concernées par ces dispositions, au même titre que l'ensemble de la profession agricole.

Vous me demandez si le Gouvernement veut mettre à mal les coopératives. Au contraire ! Je vous remercie à nouveau de votre question, à laquelle je répondrai très précisément. Le Gouvernement soutient le modèle coopératif, qui est un modèle de solidarité et de création de valeur dans tous les territoires. Pour autant, ce modèle – comme tout modèle – est toujours susceptible d'être amélioré.

Les coopératives sont présentes sur tout le territoire français. Mes services et moi-même travaillons avec les dirigeants de Coop de France à la rédaction de l'ordonnance. Le prix abusivement bas, par nature et par construction, est une notion juridique en complète contradiction avec la construction d'un prix coopératif, je vous l'accorde. Sur le reste, je suis un peu moins d'accord avec vous.

L'ordonnance vise à préserver le modèle coopératif en maintenant dans le code rural, et non dans le code du commerce – sur ce point très important, nous pouvons diverger, mesdames, messieurs les députés, mais il est fondamental et essentiel –, la notion de prix abusivement bas et en instituant le recours au Haut conseil de la coopération agricole ou au médiateur de la coopération agricole, et non au médiateur des relations commerciales agricoles.

À mes yeux, il s'agit d'un point fondamental. Ce n'est pas le code du commerce qui s'applique – ni le médiateur des relations commerciales agricoles qui intervient –, mais le code rural, ce qui est très important. Nous voulons maintenir l'excellence de l'agriculture française ainsi que le modèle coopératif.

L'information en assemblée générale pour ce qui est de la détermination des prix est essentielle. Elle ressortit à la transparence que nous voulons garantir et fera l'objet d'un vote des associés. Pour le reste, il faut faire confiance aux acteurs. Il n'y a aucune raison que les choses se passent mal, car chacun d'entre eux sera associé au processus.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Pellois.

M. Hervé Pellois. Les certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques ont été instaurés par la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 en vue de réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques. Le dispositif soumet les distributeurs vendant de tels produits à nos agriculteurs à plusieurs obligations.

Ainsi, ils doivent encourager et réaliser des actions d'économie de produits phytosanitaires. En cas de non-respect de ces obligations à l'échéance du 31 décembre 2021, une pénalité forfaitaire par unité de compte manquante sera infligée aux distributeurs concernés.

En dépit de ces mesures, l'usage des pesticides a augmenté de 12 % entre 2014 et 2016. Afin d'atteindre nos objectifs de réduction de l'usage des produits phytosanitaires, la loi EGalim instaure la séparation du conseil et de la vente en matière de produits phytopharmaceutiques.

Soyons attentifs à ne pas prendre de mesures incompatibles entre elles. Aujourd'hui, on demande aux distributeurs de promouvoir des actions de réduction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques, ce qui implique de connaître l'exploitation et de discuter de la stratégie de conduite des cultures avec l'agriculteur. Dans le même temps, on interdit à ces distributeurs de donner tout conseil stratégique et tout conseil spécifique à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques, lesquels seront confiés à un organisme indépendant.

Comment envisagez-vous l'articulation de ces deux dispositifs ? N'y a-t-il pas là une certaine contradiction ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Vous travaillez depuis longtemps sur ces sujets passionnants, monsieur le député, vous les connaissez bien et je vous remercie de votre question.

L'objectif de la loi EGalim, c'est de changer les pratiques. Ce que veulent le Gouvernement et les députés de la majorité, comme d'ailleurs tous les députés, c'est la mutation de notre agriculture. Elle est bonne ! Mais nous devons passer du quantitatif du XXe siècle au qualitatif du XXIe siècle. Après la guerre, nous avons demandé aux paysans français de nourrir la France et l'Europe. Nous n'en sommes plus là : nous leur demandons aujourd'hui de la qualité. Et nous devons être fiers de cette agriculture de qualité !

Les parlementaires les plus anciens et les gouvernements précédents ont compris la nécessité d'une transition agroécologique. On ne peut pas continuer à déverser dans les sols les mêmes quantités de produits phytopharmaceutiques ! Nos sols sont en pleine détresse ; ils sont parfois dans un état catastrophique, parce que l'on a mal travaillé, parce que l'on a renoncé aux couverts, parce que l'on fait de grands labours – alors qu'il faut faire de l'assolement, des rotations… C'est la base de l'agronomie ! Voilà la direction dans laquelle nous devons aller – et la plupart des agriculteurs travaillent déjà de cette façon. Si je me bagarre contre l'agri-bashing, et pour défendre les agriculteurs, c'est parce que je n'en connais pas un seul qui soit là pour polluer les sols et l'air ! Ils vivent à la campagne, ils savent de quoi il retourne ! Mais ils ont un modèle, et ce modèle doit changer. C'est la raison des plans Écophyto successifs.

Les résultats ne sont pas satisfaisants, je vous le dis comme je le pense. Mais nous avons enclenché un processus vertueux. Vous vous y êtes vous-même impliqué. La séparation entre la vente et le conseil que vous avez votée est indispensable – non pas pour montrer qui que ce soit du doigt, non pas pour laisser penser que certains se rempliraient les poches en vendant des produits phytopharmaceutiques ! Les agriculteurs sont intelligents, et ces produits coûtent cher : pourquoi en utiliseraient-ils plus qu'il n'en faut ?

Mais cette mutation est indispensable. Avec la séparation de la vente et du conseil, tout sera plus clair. Quant aux certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques – CEPP –, le dispositif évolue : la pénalité de 5 euros sera supprimée, pour ne pas imposer une double peine aux agriculteurs. Pas question de leur demander de payer encore plus ! Mais le principe de la reconnaissance d'actions vertueuses alternatives à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques, grâce aux CEPP, demeure. Je crois que ces mesures vont dans le sens que vous souhaitez, monsieur le député. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Maillart-Méhaignerie.

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie. La publication en décembre dernier des ordonnances relatives au seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions a permis d'envoyer un signal clair à l'ensemble des parties prenantes du secteur en affichant clairement la volonté du Gouvernement de rendre effectives rapidement les dispositions de la loi EGalim.

Si je salue cette détermination, je souhaiterais aujourd'hui aborder les mesures d'application du titre II de la loi, consacré aux « mesures en faveur d'une alimentation saine, de qualité, durable, accessible à tous et respectueuses du bien-être animal ». Il s'agit là d'une attente forte des Français : il faut là encore, je le crois, faire preuve de la plus grande détermination.

À ce titre, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer où en est la rédaction des décrets concernant les conditions d'application de l'article 24, c'est-à-dire l'obligation de proposer, en restauration collective, 50 % de produits sous signe de qualité, dont 20 % de produits bio, mais aussi concernant l'intégration des exigences de haute valeur environnementale dans le cahier des charges des signes officiels de la qualité et de l'origine, les mesures qui garantissent le respect du bien-être animal, notamment l'expérimentation de la vidéosurveillance dans les abattoirs, et enfin les modalités de fonctionnement et de composition de l'Observatoire de l'alimentation ?

En outre, pouvez-vous nous en dire davantage sur la rédaction des ordonnances relatives à la lutte contre le gaspillage alimentaire et à favoriser le don alimentaire, ainsi que des ordonnances relatives à la séparation des fonctions de vente et de conseil dans le secteur phytopharmaceutique ?

Au-delà d'une meilleure rémunération des agriculteurs, la loi EGalim permet au plus grand nombre d'accéder à une alimentation de qualité. Je sais que votre engagement en la matière est entier, et je vous remercie de bien vouloir préciser le calendrier de publication des décrets et ordonnances que je viens de mentionner.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. J'ai salué tout à l'heure le travail de Jean-Baptiste Moreau sur le titre I ; votre question me permet, madame la députée, de saluer maintenant très chaleureusement l'immense travail que vous avez fourni comme rapporteure du titre II.

Vous avez posé beaucoup de questions ; je ne peux pas répondre à toutes. Mais ce n'est pas à moi que votre intervention était destinée ! Elle était destinée aux très nombreux jeunes présents ce matin dans les tribunes, et que je veux saluer. Ce sont eux qui feront – ou pas – qu'il y aura demain en France des agriculteurs, des produits de qualité. Ces jeunes, j'en suis sûr, mangent beaucoup de pâte à tartiner industrielle, boivent beaucoup de Coca Cola, mais ils doivent savoir que la viande et les légumes, c'est très important – peut-être certains viennent-ils d'ailleurs de zones rurales, et savent ce qu'est l'agriculture.

Le titre II, qui porte sur la nutrition, sur la qualité de l'alimentation, est à ce titre essentiel.

Un décret sera publié à la fin du mois d'avril. En tout, nous devons écrire sept ordonnances et une vingtaine de décrets : il y a encore beaucoup de travail…

S'agissant du bio dans la restauration collective et les cantines scolaires, c'est un sujet que nous devons encore approfondir, même si le travail du législateur est excellent. Nous aurons du mal à atteindre l'objectif fixé par la loi. À côté de la restauration scolaire, il y a la restauration administrative, les EHPAD, les hôpitaux… L'été, il n'y a plus personne dans les écoles, les collèges… pour consommer les produits de qualité de la ferme France. Nous devons donc travailler encore. M. le président Chassaigne évoquait aussi le bio tout à l'heure : le bio doit continuer sa progression.

Nous devons également nous pencher sur les signes de qualité – labels, appellations d'origine contrôlée, appellations d'origine protégée… Voilà l'agriculture de demain. Vous devez vous en faire les ambassadeurs, tous les députés en sont conscients.

Vous l'avez compris, vos questions sont immenses et je ne peux pas y répondre ce matin. D'ailleurs, plus que de questions, il s'agissait d'une déclaration de politique générale, et je la vote, parce qu'elle était excellente. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe Les Républicains.

La parole est à M. Arnaud Viala.

M. Arnaud Viala. Monsieur le ministre, il y a quelques mois, nous étions réunis ici même autour de votre prédécesseur pour examiner un texte que le Gouvernement et le Président de la République avaient présenté comme la grande loi agricole du quinquennat, voire comme une quasi-révolution pour la ferme France. Plusieurs de mes collègues et moi-même avons tout mis en oeuvre pour contribuer de façon positive à ce travail, conscients des attentes de nos agriculteurs et certains aussi que de leur avenir dépend, plus largement, celui de notre industrie agroalimentaire et de nos territoires. J'avais d'ailleurs, quelques mois auparavant, déposé et défendu, face à une majorité qui n'écoutait pas, une proposition de loi pour l'avenir de l'agriculture dont le spectre était beaucoup plus large.

Ma première question, monsieur le ministre, porte sur le nouveau mécanisme de fixation des prix qui a été inscrit dans la loi, et qui vit ses premières heures actuellement dans les box de négociation. Les prix de certains produits alimentaires sont en augmentation, signe que la hausse du seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions produisent leurs effets. Mais je me suis laissé dire par des responsables de la grande distribution que j'ai auditionnés en amont de cette séance que le seul effet réel était un déport vers les marques de distributeurs – de qualité moindre. Par ailleurs, le fameux ruissellement imaginé par votre ministère ne semble pas vraiment produire ses effets jusqu'au producteur, jusqu'à l'agriculteur. Quelles sont, monsieur le ministre, les premières évaluations chiffrées de ces dispositifs ? Quels bénéfices en retirent les agriculteurs ?

Par ailleurs, la proposition de loi que j'avais déposée et défendue comprenait un volet important sur le foncier, sur la transmission des exploitations agricoles, sur la question délicate de la cession des biens d'exploitation, souvent familiaux, mais aussi sur la nécessaire présence de hors-cadres familiaux. Vous n'en aviez pas voulu, arguant qu'une grande loi sur le foncier verrait le jour à la fin de l'année 2018. Nous sommes en février 2019, 200 fermes disparaissent chaque semaine dans notre pays, et il n'y a toujours pas de loi à l'horizon.

M. Dominique Potier. Très bonne question !

M. Arnaud Viala. Je vous demande, monsieur le ministre, de nous dire ce matin s'il y aura dans les prochaines semaines une réforme du foncier, mais aussi de la fiscalité qui touche les transmissions de nos exploitations agricoles : cette réforme est indispensable pour endiguer la déprise. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Dominique Potier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le député, vous avez défendu une proposition de loi relative à l'agriculture, vous êtes extrêmement impliqué, et je m'en félicite : quel que soit le banc sur lequel nous siégeons, quelle que soit l'organisation politique à laquelle nous appartenons, nous voulons tous que l'agriculture se porte mieux, que les agriculteurs vivent le mieux possible et que les consommateurs profitent d'une alimentation de qualité. C'était les objectifs des états généraux de l'alimentation ; ils sont consensuels. Vous n'avez pas voté le texte, mais, je le redis, nos buts sont communs.

Nous ne pouvons pas évaluer ces dispositifs dès maintenant ; leur instauration est trop récente. Mais je constate que, dès le mois de décembre dernier, les négociations se sont déroulées de façon différente. Des contrats ont été signés par de grandes et moyennes surfaces, on l'a vu dans la presse. Le prix du lait a augmenté. Les effets sont-ils déjà tangibles dans chaque cour de ferme ? Non, sans doute pas. Mais notre objectif, c'est qu'ils le deviennent en quelques années. Et dès cette année, je le répète, nous constatons que les contrats sont signés à des prix supérieurs.

Je ne suis pas là pour montrer du doigt les grandes et moyennes surfaces. Mais chacun doit jouer le jeu.

Vous évoquez la hausse de certains prix et les marques de distributeurs. Sur certains produits d'appel – produits alcoolisés, pâtes à tartiner… – tous les distributeurs se tirent la bourre et vendent sans marge ; mais ils compensent, et on trouve des marges de 30 % à 40 % sur les produits agricoles ! Voilà ce dont nous ne voulons plus : les états généraux l'ont dit, la loi l'a dit. Les nouvelles règles relatives au seuil de revente à perte peuvent avoir de petites conséquences pour certains produits ; mais l'alimentation de qualité au quotidien, c'est très important.

Je n'ai pas le temps de m'étendre sur un sujet qui me tient pourtant à coeur : les marques de distributeur. J'entends y travailler bientôt, car nous avons là de grandes marges de manoeuvre pour aider les agriculteurs : c'est là que sont les volumes les plus importants, et c'est là qu'il faut monter en gamme.

M. Arnaud Viala. Et le foncier ?

M. Didier Guillaume, ministre. Je n'ai pas le temps de vous répondre à ce sujet.

Mme la présidente. Vous pouvez prendre quelques instants, monsieur le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Merci, madame la présidente. L'accès au foncier est très important. Une mission d'information commune vient de débuter à l'Assemblée nationale – M. Dominique Potier, qui en est l'un des rapporteurs, en parlera sans doute. J'ai l'intention de tenir de grandes discussions, jusqu'au mois de juillet, puis de travailler sur une loi foncière, à partir de l'automne. Je travaille notamment avec la Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, la FNSAFER. Nous y travaillerons tous ensemble.

La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, dont j'étais le modeste rapporteur au Sénat, avait ouvert le chantier. Il faut aller un peu plus loin. La mission présidée par M. Sempastous, et dont les rapporteurs sont Anne-Laurence Petel et Dominique Potier, nous donnera des idées pour un futur un projet de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Henri Dumont.

M. Pierre-Henri Dumont. La loi Agriculture et alimentation visait à mieux rémunérer le travail des producteurs une meilleure rémunération de leur travail, tout en garantissant aux consommateurs la meilleure qualité possible du produit. Ces deux objectifs sont louables et nous partageons tous ici ces aspirations légitimes.

Tous les deux jours, un agriculteur se suicide, n'arrivant plus à faire face aux difficultés, harassé par la chute des cours, les combats contre les distributeurs, l'endettement ou le peu de considération pour leur travail d'une partie de la société – une société qui offre plus d'attention au militant vegan extrémiste violent qu'à l'éleveur qui, chaque jour, se saigne aux quatre veines pour produire des aliments de qualité.

La loi Agriculture et alimentation, quand elle sera pleinement effective, permettra peut-être de redonner aux agriculteurs toute la considération qu'ils méritent.

En attendant, nombre de cas individuels méritent, monsieur le ministre, votre attention, et en particulier celui de M. Pascal Butez, exploitant avicole installé à Saint-Tricat, dans ma circonscription. Seule victime française du fipronil, M. Butez a de son propre chef abattu 60 000 poules et détruit plus d'un million d'oeufs, afin de garantir notre sécurité alimentaire. Son comportement exemplaire a permis à votre ministère d'affirmer qu'aucun oeuf contaminé au fipronil n'a été produit en France.

Alors qu'en mars 2018, l'État lui a accordé une aide de 105 000 euros remboursable en février 2020, M. Butez a dépensé depuis dix-huit mois des sommes atteignant plusieurs centaines de milliers d'euros afin de nettoyer de fond en comble ses bâtiments. Mais rien n'y fait et les mesures montrent que les oeufs tests produits sont toujours contaminés par le fipronil. Privé d'activité, son chiffre d'affaires réduit à néant, M. Butez ne pourra très clairement pas rembourser l'avance de l'État, ni ne pourra honorer ses autres dettes auprès des établissements privés. De plus, il apparaît que la seule solution permettant la reprise de l'activité avicole serait un changement complet du matériel, voire une destruction puis une reconstruction des bâtiments contaminés.

Dès lors, monsieur le ministre, est-il possible d'envisager une transformation de l'aide de trésorerie remboursable en subvention directe ? Que pouvez-vous faire pour permettre à M. Butez de reprendre son travail et de relancer son activité ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le député, je vous remercie tout d'abord pour la première partie de votre intervention.

Ensuite, je sais combien vous luttez pour aider M. Butez, au sujet duquel vous avez déjà pris contact avec moi. Ma réponse ne sera cependant que très partielle, vous le comprendrez, car je ne peux pas évoquer dans l'hémicycle un cas individuel, certains points étant d'ailleurs en négociation aujourd'hui

Il n'est pas possible que M. Butez, victime d'une fraude, se retrouve en difficulté, quasiment accusé de surcroît. Mon objectif est donc de contribuer à régler le cas de cet éleveur, qui a eu l'honnêteté d'abattre son cheptel et de détruire sa production d'oeufs, contaminés par le fipronil. Par ailleurs, la France se bat à l'échelle européenne pour l'étiquetage, un sujet sur lequel elle a été très en avance.

S'agissant du fipronil, une réunion s'est tenue le 16 janvier à la sous-préfecture de Calais, à l'initiative de la profession agricole, pour faire le point sur la situation et les perspectives.

La situation de M. Butez est particulièrement difficile : les tentatives de nettoyage et de désinfection s'étant révélées infructueuses, les pertes continuent. Le problème ne semble pas d'origine sanitaire. À ma demande, les services du ministère examinent avec bienveillance la requalification de l'avance remboursable consentie et la possibilité de verser une aide supplémentaire. Pour cela, il leur faut disposer d'un cadre juridique sécurisé, donc poursuivre les discussions avec la Commission européenne, comme nous le faisons.

Ce n'est qu'à l'issue de ces discussions que nous pourrons aboutir. Un groupe de travail, qui réunit les services déconcentrés du ministère et la chambre d'agriculture, a été mis en place, afin d'aider l'éleveur à définir un nouveau projet et de mobiliser, si besoin, les dispositifs d'aide à l'investissement existants.

Je vous remercie de soutenir M. Butez, monsieur le député. Vous m'avez alerté sur sa situation ; les services du ministère s'en occupent. Nous négocions également avec la Commission européenne, dont nous espérons bientôt une réponse positive.

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Nury.

M. Jérôme Nury. L'un des objectifs de la loi EGalim était de rapprocher les producteurs des consommateurs, c'est-à-dire d'encourager les circuits courts, de limiter les intermédiaires, et de redonner confiance au consommateur par la proximité et la qualité. Or, cet objectif louable est malheureusement en train d'être mis à mal par des acteurs de la filière viande, qui, sinon de mauvaise foi, voire de malhonnêteté, font pour le moins preuve de négligence.

Le comportement de certains opérateurs sans scrupule, qui ont mis sur le marché de la viande avariée, jette l'opprobre sur l'ensemble d'une filière déjà en crise, alors que celle-ci ne cesse d'évoluer, de se moderniser, de communiquer, de monter en gamme dans ses productions. Ses efforts de traçabilité et de qualité, qui devraient être récompensés par des hausses de prix pour les éleveurs, sont malheureusement réduits à néant par ces scandales, dont le dernier en date, celui de la viande polonaise avariée, survient, comme par hasard, en plein round final des négociations.

Les premiers à pâtir de ce scandale sont les éleveurs français, pourtant totalement étrangers à ces actes. Il est donc indispensable que les vendeurs polonais et les revendeurs français soient identifiés et condamnés pour ces comportements inadmissibles, dangereux pour les consommateurs et in fine destructeurs pour nos éleveurs.

À cela s'ajoutent de trop fréquentes erreurs d'étiquetage sur la viande vendue en barquette en grande surface, qui trompent les consommateurs et jettent le discrédit sur la filière et la production française. À la suite de contrôles qu'il a effectués dans plusieurs grandes surfaces de l'Orne, le syndicat Jeunes agriculteurs a constaté que de la viande bovine irlandaise était vendue tout en étant estampillée Viande bovine française. Même si la DGCCRF a été saisie, il est évident que le consommateur est trompé, puisqu'il achète à 22 euros le kilo de la viande irlandaise qu'il croit française, de qualité, élevée avec des exigences et un cahier des charges précise.

Si, tant dans les états généraux de l'alimentation que dans la loi EGalim, il paraissait essentiel de garantir l'origine, la traçabilité et la qualité des productions, comment pensez-vous agir concrètement pour éviter que des agissements tels que le scandale de la viande polonaise et des errements comme les erreurs d'étiquetage dans la grande distribution ne viennent annihiler les efforts des éleveurs et pénaliser leur revenu et leur travail ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le député, cher Jérôme Nury, je vous remercie pour votre question. Comme un grand nombre de vos collègues, vous vous battez pour défendre l'agriculture et l'élevage, lequel fait parfois l'objet de critiques.

L'élevage est un atout, et non un handicap, dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il n'est pas vrai qu'il contribue au réchauffement climatique, comme cela est souvent dit. Au contraire, les prairies où paissent les animaux concourent à la couverture des sols et contribuent au captage du carbone, donc au cycle vertueux de la lutte en faveur du climat.

Pour le reste, vous citez une fraude, monsieur le député. Une fraude est une fraude. On ne peut pas montrer du doigt les éleveurs français, lesquels n'y sont pour rien.

Pour ce qui est de la viande polonaise, je l'ai dit, notre pays étant bien organisé, en moins de trois jours, toute la viande avariée a été retrouvée. La Commission européenne enquête actuellement en Pologne. Il y aura un procès et il faudra que les coupables paient.

Concernant les étiquetages trompeurs, il faut interpeller les services de l'État, notamment la DGCCRF. Si vous avez des informations à ce sujet, donnez-les. Il demeure que 95 % de la viande vendue en grande et moyenne surface provient de France.

J'aurais aimé le dire devant les jeunes qui étaient présents tout à l'heure dans les tribunes – mais ils sont déjà repartis – : j'incite chacun à être vigilant avec ce qu'il achète. Souvent, dans les restaurants, un client ayant envie de viande veut commander une entrecôte ou une côte de boeuf – s'il n'en a pas envie, il commandera autre chose, chacun est libre de faire ce qu'il veut, mais on ne peut pas imposer à celui qui souhaite manger de la viande de ne pas en manger ! – mais aucune viande française ne peut lui être proposée. C'est là un vrai sujet.

Vous avez évoqué la filière et l'organisation de producteurs. Elles doivent se battre, non seulement à l'export, car nous n'exportons pas assez de viande française, notamment en Chine, ainsi d'ailleurs que dans d'autres pays, mais aussi pour qu'on trouve de la viande française dans les restaurants de France – pour cela, il faut aussi, entre autres, des prix adaptés.

Nous avons des élevages de qualité, qui seront mis en avant, dans une semaine ou deux, au Salon de l'agriculture. La viande qu'ils produisent doit se retrouver dans nos assiettes, dans les restaurants français, y compris celui de l'Assemblée, madame la présidente. (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. Le 1er janvier dernier, entrait en vigueur la première ordonnance issue de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, celle relative au seuil de revente à perte, dont les dispositions sont applicables depuis le 1er février, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises ce matin.

Si nous considérons que cette ordonnance a pour effet de mieux encadrer les marges des grandes et moyennes surfaces lors de la revente des produits agricoles, nous ne voyons pas pour autant le bénéfice qu'en retireront les agriculteurs, alors que l'un des objectifs principaux de la loi était de leur permettre de vivre de leur production.

Pire, comme nous en avions exprimé la crainte lors de l'examen du texte, les négociations sont marquées par un refus des centrales d'achat d'acheter les produits agricoles à leur juste valeur, notamment en contournant les accords-cadres.

Vous le savez, monsieur le ministre, nos agriculteurs sont à bout de souffle et l'objectif de la loi était de leur redonner des marges de manoeuvre. Aujourd'hui, ils réclament tous l'entrée en vigueur de l'ordonnance prévue par la loi, visant à interdire les cessions à des prix abusivement bas aux centrales d'achat.

Un projet d'ordonnance, présenté par le Gouvernement le 17 décembre dernier, a reçu l'aval des principaux syndicats d'agriculteurs, notamment pour ce qui est de la prise en compte des coûts de production dans la fixation des prix.

Cette ordonnance, qui n'a toujours pas été publiée, nous paraît être la clé de voûte d'une politique agricole réussie. En effet, tant qu'elle ne sera pas en application, rien n'oblige les centrales d'achats à tenir compte des fameux indicateurs de fixation des prix, sur lesquels nous avons longuement débattu lors de l'examen du projet de loi.

Quand cette ordonnance, dont nous espérons qu'elle permette à nos agriculteurs de vivre dignement de leur production, entrera-t-elle en vigueur ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le député, comme je l'ai dit à vos collègues, nous avons tous le même objectif : faire en sorte que les agriculteurs vivent décemment de leur travail et de leur production. Ce point fait l'unanimité.

L'ordonnance relative aux prix abusivement bas sera publiée en avril. Pourquoi pas plus tôt ? Parce que de multiples discussions sont nécessaires. Les coopératives, je l'ai déjà dit, n'y sont pas nécessairement favorables. Elles se demandent si, avec leurs membres associés coopérateurs, elles entrent dans ce cadre.

Certaines filières s'interrogent également. Toutes les organisations professionnelles ne sont pas nécessairement sur la même ligne, vous le savez bien, et cela n'est d'ailleurs pas grave. Je cherche à trouver un compromis et à avancer.

Cette ordonnance, qui a été adressée au Secrétariat général du Gouvernement, sera prochainement examinée par le Conseil d'État. Elle sera publiée en avril. Elle est indispensable.

M. Prud'homme plaidait tout à l'heure en faveur de l'instauration de prix planchers. Mais c'est là une recette de la vieille économie, qui ne peut valoir dans une économie libérale. En revanche, la sanction des prix abusivement bas permettra de résoudre le problème.

Toutefois, monsieur Lurton, vous me permettrez de vous dire que je vous trouve trop pessimiste, peut-être encore davantage que les agriculteurs et les coopératives. Aujourd'hui, les prix, notamment celui du lait, ont commencé à monter. S'agissant de la viande, comme l'a dit Jérôme Nury, cela aurait pu aller plus vite si l'organisation professionnelle avait fixé plus tôt ses indicateurs de prix.

Serrons-nous les coudes, et nous gagnerons la partie. Notre seul objectif, à savoir que les paysans vivent enfin de leur travail, sera atteint par étapes, mais nous y arriverons.

L'ordonnance qui sera publiée en avril sera claire. Pour avoir rencontré l'ensemble des patrons de grandes et moyennes surfaces, ainsi que des représentants des industriels, de l'Association nationale des industries alimentaires – ANIA – et des PME, je puis vous dire que la situation évolue, grâce à vous, mesdames et messieurs les députés, qui avez enclenché un cycle vertueux de négociation. Nous ne reviendrons jamais en arrière.

Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe du Mouvement démocrate et apparentés.

La parole est à M. Bruno Millienne.

M. Bruno Millienne. Je me félicite de l'opportunité qui nous est offerte aujourd'hui de débattre de l'application de la loi issue des états généraux de l'alimentation.

Nous avons eu raison, mes chers collègues, de voter une loi destinée à transformer les relations entre les distributeurs et les producteurs. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, il n'y avait jamais eu, avant cette année, autant de contrats passés entre les industriels, les distributeurs et les producteurs. Et je veux ici rendre hommage à votre prédécesseur, Stéphane Travert, pour l'énorme travail accompli.

Je souhaite néanmoins vous alerter, à la suite de mon collègue Richard Ramos qui l'a fait en début d'année, sur le déroulement des négociations commerciales, lors desquelles tous les acteurs n'ont pas joué le jeu. Certains groupes ont imaginé de nouvelles pratiques afin de contourner la loi. Certains ont même déréférencé du jour au lendemain une marque produite par nos paysans, pour ne pas avoir à consentir un petit effort sur le prix de vente.

Il faut arrêter cette guerre des prix, mortifère pour les producteurs et les agriculteurs. Que les distributeurs cessent de piétiner les avancées de la loi EGalim, qu'ils prennent leurs responsabilités et qu'ils respectent les règles du jeu ! Il est insupportable qu'ils soient en train de mettre en place une alimentation à deux vitesses, où celle pour les pauvres serait moins vertueuse et moins saine que celle pour les riches.

Monsieur le ministre, je ne doute pas de votre engagement sur ce sujet. Qu'est-il ressorti du comité de suivi que vous avez réuni ? Le médiateur des relations commerciales agricoles a-t-il été saisi ? La DGCCRF s'est-elle rendue dans les grandes surfaces pour contrôler que toutes sont en règle avec les nouvelles dispositions ? Que comptez-vous faire pour vous assurer du respect de la loi et, surtout, pour faire plier ceux des distributeurs qui ne respectent pas les règles ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur le député, cher Bruno Millienne, permettez-moi tout d'abord de vous témoigner toute ma solidarité et mon amitié après les actes commis contre votre permanence. À tous les députés qui ont été victimes de tels actes, je veux dire que cela est inacceptable. Dans une démocratie, on discute, on peut être d'accord ou non, mais on ne fracasse pas une porte, on ne dégrade pas une permanence. Au nom du Gouvernement, je vous assure de toute ma sympathie.

Dans les transitions agricoles, comme dans l'extension de notre programme national pour l'alimentation, nous devons lutter contre la discrimination terrible que vous venez d'évoquer. Il ne peut pas y avoir une alimentation pour les pauvres, et une autre pour les riches. Les riches ne peuvent pas avoir accès à une alimentation tracée, de qualité, bio, issue de circuits courts, à haute qualité nutritionnelle et environnementale, équitable, qui préserve la planète, alors que les pauvres en seraient exclus. C'est là un enjeu pour le Gouvernement et pour vous tous, sur ces bancs. Mais les produits issus de l'agriculture que l'on trouve aujourd'hui dans nos grandes surfaces, dans nos commerces sont globalement tous des produits de qualité, même si de niveau différent. Nous devons poursuivre dans cette direction.

Après que votre collègue M. Ramos l'a fait en début d'année, vous m'interrogez à votre tour sur la poursuite des négociations avec les grandes et moyennes surfaces – nous en avons beaucoup parlé ce matin.

Les grandes surfaces commencent à jouer le jeu. Le font-elles suffisamment vis-à-vis des agriculteurs ? Sûrement pas. C'est un début, continuons le combat !

Je compte poursuivre les contacts avec les responsables de la grande distribution et tous les acteurs des négociations commerciales. Des négociations s'achèveront dans dix jours – les accords seront vraisemblablement signés pour le Salon de l'agriculture ; si ce n'était pas le cas, cela poserait problème. Immédiatement après, il faudra reprendre les discussions, en particulier sur les marques de distributeurs, qui sont les plus importantes.

Oui, il reste du travail et le Gouvernement aura besoin de vous.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Turquois.

M. Nicolas Turquois. Ma question concerne la séparation du conseil et de la vente des produits phytopharmaceutiques. Si l'intention est légitime, notre seul véritable but doit être la promotion d'une agriculture plus vertueuse sur le plan environnemental.

Sommes-nous sur la bonne voie ? Permettez-moi d'en douter. À la lecture du projet d'ordonnance, c'est la perplexité qui l'emporte. Nous ne partons pas d'une feuille blanche mais d'un territoire national couvert de centaines de coopératives et de négoces, lesquels emploient des milliers de techniciens qui délivrent des conseils au quotidien à nos agriculteurs.

L'ordonnance évoque la date du 1er janvier 2021 pour l'entrée en vigueur de la séparation du conseil et de la vente, assortie de règles très strictes en matière de détention du capital de chaque activité. Comment imaginer un tel chamboulement aussi rapidement ? C'est l'assurance d'une catastrophe. Celle-ci sera d'abord économique et sociale : nombre de coopératives et de négoces ne réussiront pas à repenser leur modèle économique en si peu de temps ; il y aura de la casse. Mais la catastrophe sera aussi environnementale : des agriculteurs, exsangues financièrement, choisiront d'acheter des produits seuls, sans faire appel à des structures de conseil qui, d'ailleurs, n'existeront pas encore et qui, en tout état de cause, ne couvriront pas la totalité des cultures. Aujourd'hui nos organismes stockeurs réalisent des milliers d'essais pour valider et affiner leurs recommandations. Qu'en sera-t-il demain ?

Monsieur le ministre, trop de questions restent sans réponse pour organiser un tel big-bang en une année. Ne serait-il pas plus pertinent de mener une expérimentation dans certains départements ? Sinon, pourrait-on envisager de maintenir la séparation mais d'autoriser une participation capitalistique plus grande dans un premier temps pour permettre une transition plus douce ? Ou encore pourquoi ne pas confier le conseil stratégique puissant à des organismes indépendants tels que les chambres d'agriculture et laisser aux organismes stockeurs le conseil d'utilisation du quotidien ?

Nous partageons, monsieur le ministre, votre exigence environnementale et la séparation du conseil et de la vente y répondra assurément. Mais l'agriculture va mal, vous le savez fort bien, et elle ne peut pas se permettre un saut dans l'inconnu.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Notre démocratie est ainsi faite que, sur ce sujet, une question, posée par d'autres sur d'autres bancs – en l'occurrence, M. Prud'homme l'a fait –, aboutirait à des conclusions totalement différentes.

La loi que vous avez votée fixe un objectif – la séparation de la vente et du conseil. Nous devons nous y tenir et avancer. Il est indispensable de diminuer le niveau des intrants – M. Pellois travaille depuis des années sur ce sujet.

L'ordonnance fait l'objet de discussions avec Coop de France et avec les associations – vous en avez eu connaissance également. Elle doit contribuer à repositionner l'agriculteur comme un acteur clé du dispositif. Est-on sûr que le conseil est bien fait actuellement ? Est-on certain que l'agriculteur n'est pas pris en étau – le conseil reçu ne l'incite-t-il pas à acheter trop de produits ?

Nous comptons aujourd'hui 800 conseillers dans les chambres d'agriculture et 200 conseillers indépendants – ces derniers dispensent déjà leurs conseils. Nous voulons aller plus loin et éviter que ce soit la même personne qui conseiller et qui vende les produits correspondants. Reconnaissons-le, il est logique d'établir une barrière entre les deux activités. Celle-ci ne sera pas totalement étanche. Nous avons entendu les remarques de Coop de France et nous avons fait évoluer l'ordonnance. J'entends ce que disent les agriculteurs.

À partir de janvier 2021, un conseil stratégique devra être délivré dans chaque exploitation agricole deux fois sur une période de cinq ans. Les agriculteurs ont besoin de ces conseils. Le décret d'application sera rédigé au cours de l'année 2019. Je suis favorable à ce que nous poursuivions la discussion si vous le souhaitez.

Nous ne prenons pas les agriculteurs au dépourvu. Ils s'attendent à cette évolution. Nous allons faire en sorte qu'elle s'opère le mieux possible, dans l'intérêt de l'agriculture, des sols, de la qualité de nos produits, dans le respect du principe de précaution, mais aussi dans l'intérêt des agriculteurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bolo.

M. Philippe Bolo. La loi EGalim, c'est plus de rémunération pour les agriculteurs, donc plus de reconnaissance du labeur quotidien d'hommes et de femmes qui ne comptent ni leur temps, ni leur énergie pour produire notre nourriture, qui savent s'adapter aux aléas de la météo, qui sont les héritiers des valeurs rurales de la France, qui entretiennent nos paysages, et qui connaissent les vertus d'une nature préservée.

Si les agriculteurs retirent principalement leur revenu des productions végétales et animales, ils peuvent le compléter avec d'autres activités. La production d'énergies renouvelables est l'une des diversifications susceptibles de procurer un supplément de revenu aux agriculteurs. Parmi les énergies renouvelables, la méthanisation apparaît intimement liée à l'agriculture. À l'instar des cultures et de l'élevage, la méthanisation démontre la capacité à travailler avec le vivant.

Au-delà des agriculteurs et de leurs exploitations, la méthanisation est un gage de retombées économiques pour nos territoires et elle permet, ne l'oublions pas, de produire en France du gaz, ce qui diminue d'autant notre vulnérabilité au renchérissement des cours mondiaux de l'énergie et aux tensions internationales.

Pourtant, la méthanisation a été négligée par la programmation pluriannuelle de l'énergie – PPE. L'objectif pour la part de la production de gaz renouvelable dans la consommation de gaz est fixé à 7 % dans le très récent projet présenté par le ministre de la transition écologique et solidaire qui va faire l'objet de consultations. 7 %, c'est une reculade, reléguant aux oubliettes les ambitions affichées il n'y a pourtant pas si longtemps. Pourquoi dès lors s'être félicité et avoir autant médiatisé les études de GRDF, de l'ADEME – Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie – et d'autres organismes qui démontraient les opportunités et les atouts du développement de la filière ?

Monsieur le ministre, considérez-vous la méthanisation comme un atout pour notre agriculture, nos territoires et notre pays ? Si oui, comment comptez-vous soutenir et défendre une révision à la hausse de l'objectif fixé par la PPE ? Votre soutien à la méthanisation est une autre façon de reconnaître la place des agriculteurs dans notre société, notre économie et nos territoires dans leur diversité.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Je vous remercie, monsieur le député, pour votre excellente question. La réponse est oui, trois fois oui. Je partage votre objectif. Nous devons y parvenir ensemble. Je compte me battre sur ce sujet.

Les agriculteurs ont parfois besoin d'un complément de revenu. Ce sont des paysans mais aussi des acteurs économiques, des chefs d'entreprise. L'économie n'est absolument pas un gros mot en agriculture. Nous devons avancer sur la méthanisation.

Je me suis battu pour obtenir un peu plus dans la PPE. Finalement, l'arbitrage a abouti à 7 %. Vous auriez souhaité 10 %…

M. Philippe Bolo. Ou plus !

M. Didier Guillaume, ministre. …oui, mais arrivons déjà à 7 %, car nous n'y sommes pas encore. Dans le cadre de la consultation publique qui est organisée, exprimez-vous et incitez les agriculteurs à le faire.

M. Philippe Bolo. Je vais le faire !

M. Didier Guillaume, ministre. Je le sais bien. Je me permets de le dire dans l'ambiance à la fois feutrée et amicale de notre débat de ce matin car c'est très important pour l'avenir de notre agriculture. On ne peut pas considérer que la méthanisation est un sujet annexe. Chacun a à se prononcer. Moi, je veux avancer. Mais, pour ce faire, il n'est pas possible de devoir attendre plusieurs années pour installer un méthaniseur. Des changements profonds sont donc nécessaires : il faut adapter les réseaux, trouver des débouchés, diversifier la production – biogaz, bioéthanol. Ouvrons le débat – quelle méthanisation ? à partir de quels produits ? – avec les associations et le monde agricole et tranchons ensuite. Il faut également chiffrer le coût de la méthanisation, évaluer sa rentabilité, définir les modalités de son déploiement, et apprécier son caractère durable. Nous nous sommes déjà entretenus avec mon collègue, François de Rugy, sur le sujet.

Monsieur le député, vous avez raison de vous engager, continuez ! J'ai besoin de députés toniques sur ce sujet. La méthanisation n'est pas un gros mot. Elle peut être un outil économique d'avenir pour notre agriculture.

Mme la présidente. Nous en venons enfin aux questions du groupe Socialistes et apparentés, qui seront toutes deux posées par M. Dominique Potier.

Vous avez la parole, cher collègue.

M. Dominique Potier. J'avais mille questions à vous poser, monsieur le ministre, mais il a fallu en choisir deux. Je tiens d'abord à saluer tous ceux qui ont été élus aux chambres d'agriculture et qui, dans leur diversité, vont se mettre au travail au service de notre pays, à vos côtés.

M. Didier Guillaume, ministre. Tous les élus ne sont pas encore connus !

M. Dominique Potier. Vous avez raison. Je fais mienne l'excellente question posée par André Chassaigne sur l'agriculture bio ainsi que celle d'Arnaud Viala sur le foncier.

Ma question concerne les coopératives et la concertation. Aujourd'hui, le grand débat bat son plein. Guillaume Garot et moi avons eu l'honneur d'être associés aux états généraux de l'alimentation et je pense que nous avons fait notre boulot. Un grand débat national sur l'alimentation a eu lieu. Puis la loi EGalim est arrivée : pas de dialogue ; trois de nos petits amendements passés dans la difficulté ; nous n'avons pas été entendus alors que nous avions été des artisans des lois qui l'avaient précédée et dans la continuité desquelles elle s'inscrivait. Ensuite, pour les ordonnances, zéro concertation. Je me rappelle avoir fait répéter au ministre trois fois que les parlementaires seraient associés à la rédaction de l'ordonnance sur la coopération. J'ai fait le tour de mes collègues sur tous les bancs de l'opposition : personne n'a été associé. Le petit bug récent n'est donc pas étonnant.

Si vous nous aviez écoutés, non seulement le texte serait resté dans le code rural, mais vous auriez évité de défier les coopératives inutilement dont je rappelle qu'elles achètent toute la production à tous les producteurs – sans comparaison avec les géants privés avec lesquels elles sont en concurrence. Nous aurions posé quelques questions passionnantes qui n'ont pas été abordées dans l'ordonnance : comment les coopératives peuvent-elles atteindre l'idéal de l'économie sociale en termes d'écarts de revenus et de partage de la valeur ? Comment peuvent-elles s'inscrire dans le cadre tracé par la future loi PACTE pour la nouvelle entreprise ? Comment peuvent-elles, avec des associations d'organisations de producteurs, construire des prix – ce n'est pas simple juridiquement – afin d'en finir avec les rapports léonins que vous dénonciez à nos côtés ? Comment, sur le plan international, peuvent-elles prendre en considération la nécessité de respecter les pays du Sud et de ne pas les écraser en accaparant leurs terres ou en profitant de rapports commerciaux que nous condamnons ensemble ?

L'absence de concertation a privé d'un débat qui aurait pu être fécond. J'aimerais que vous revoyiez votre position et que désormais, vous considériez les députés dans leur diversité comme des alliés pour construire des solutions d'avenir pour notre agriculture et pour l'espace rural.

Mme la présidente. Peut-on considérer que vous avez posé vos deux questions, monsieur Potier ?

M. Dominique Potier. Bien sûr que non !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Je ne vais pas bouder le plaisir de répondre à deux questions de M. Potier.

Je vous remercie d'avoir souligné que les EGA avaient été un grand moment de débat public. Ensuite, la loi EGalim, vous ne l'avez pas votée. Vous êtes opposés à la loi mais vous voudriez être consultés sur sa mise en application. C'est un peu étonnant.

Depuis ma prise de fonctions, j'ai mené de nombreuses concertations, mais j'ai consulté ceux qui soutiennent la loi. J'ai organisé de nombreuses réunions, en particulier avec Coop de France.

Monsieur Potier, permettez-moi de vous dire que vos affirmations sont fausses. Dans le patois creusois, on appelle cela des fake news, autrement dit des balivernes. L'ordonnance sur la coopération est favorable à la coopération ; elle vise le code rural et non le code de commerce ; elle prévoit de réformer le Haut Conseil de la coopération agricole. Or, vous avez dit l'inverse, monsieur Potier. Vous avez le droit de me contredire, mais dire l'inverse de la réalité, ce n'est pas bien.

La semaine dernière, j'ai discuté avec les responsables de Coop de France jusque tard dans la nuit. À Mende, lundi après-midi, j'ai échangé pendant un long moment avec le président de la Fédération nationale bovine – FNB – et d'autres sur cette ordonnance. J'ai également consulté le rapporteur de la loi EGalim, M. Moreau, qui a lui-même rencontré Coop de France. Nous travaillons.

L'objectif du Gouvernement est de défendre et de promouvoir la coopération en France ainsi que d'aider Coop de France. Nous voulons protéger les coopératives mais il faut que la gouvernance évolue. Aucun député ne veut mettre à mal la coopération.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Potier, pour sa deuxième question donc.

M. Dominique Potier. La concertation se limite donc à ceux qui ont voté la loi. C'est une nouveauté, et j'en prends acte.

Ma deuxième question porte sur l'agroécologie. Elle a été le combat de vos prédécesseurs au cours du mandat précédent, monsieur le ministre, et vous y avez été associé. Ce sera une grande fierté, qui restera dans la longue durée.

Avec la loi EGalim, on a fait un peu plus qu'avec la loi Sapin 2 et la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt – LAAAF –, mais il ne faut pas se payer de mots : on s'est inscrit dans une forme de continuité, d'ailleurs pas assez à mon sens, d'où nos réserves.

S'agissant de l'agroécologie, je souhaite tout d'abord rendre hommage à Paul François, qui a subi hier une grande humiliation dans le procès qui l'oppose à un géant de la chimie : il devra attendre le mois d'avril pour obtenir la réponse de la justice. Nous avons une pensée très forte pour lui, pour le combat qu'il mène et pour ceux qui l'accompagnent, l'association Phyto-Victimes.

Je salue, monsieur le ministre, le fait que vous ouvriez le chantier de la haute valeur environnementale – HVE –, l'une des rares petites victoires du groupe Socialistes et apparentés lors de l'examen du projet de loi EGalim. Notre proposition était d'établir un lien entre la HVE et les dispositions de la loi Grenelle et de la LAAAF, pour la projeter dans le texte EGalim. C'est un des leviers majeurs, à côté de l'agriculture biologique, pour transformer notre agriculture. Je serai, nous serons à vos côtés pour construire cette solution d'avenir.

En revanche, je suis extrêmement déconcerté par les ordonnances qui ont été publiées sur les certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques – CEPP. Hervé Pellois s'est un peu trompé : le contenu de la LAAAF a été abîmé à la suite d'un recours devant le Conseil d'État, et c'est la loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres et au développement du biocontrôle, que j'ai défendue et qui a été promulguée le 20 mars 2017, à l'extrême fin du dernier mandat, qui a permis de rétablir les dispositions relatives aux CEPP. Or il n'y a eu aucune concertation avec le rapporteur de ladite loi, qui a fondé les CEPP. C'est dommage, et comprenez que j'en sois un peu marri.

L'absence de sanctions et la séparation très confuse entre la vente et le conseil vont à l'encontre de l'obligation et de la responsabilité qui incombent à l'entreprise dans la mise en oeuvre des CEPP. La dynamique d'empowerment – autonomisation – des entreprises, des filières et des territoires commençait à porter ses fruits. L'Institut national de la recherche agronomique – INRA – ressortait de ses tiroirs des solutions, qui étaient mises en oeuvre et créaient une dynamique positive. Or celle-ci me semble cassée par l'absence de sanctions et par cette séparation confuse, qui n'est pas une vraie séparation et permettra toutes les dérives possibles. Nous ne sommes donc pas sortis de la double injonction, qui est malheureuse.

J'aimerais que vous mesuriez, monsieur le ministre, que le plan Écophyto 2 a été lancé en novembre 2014, il y a bientôt quatre ans et demi, et qu'il n'est toujours pas mis en oeuvre. Je pense au fait qu'il devait être déployé dans 30 000 fermes, je pense au dispositif déphy, je pense aux CEPP, mais je crains que l'on ait ruiné le potentiel de transformation qu'ils portaient en eux.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Vous savez, monsieur le député, toute l'amitié que nous avons l'un pour l'autre, et combien nous avons oeuvré ensemble en matière d'agriculture au cours du quinquennat précédent. Il est exact que la LAAAF, dont j'ai été modestement le rapporteur au Sénat, a permis d'avancer sur certains sujets, mais n'en faites pas non plus l'alpha et l'oméga de l'agriculture pour les vingt ans qui viennent…

M. Dominique Potier. Non !

M. Didier Guillaume, ministre. …et ne dénigrez pas la loi EGalim, qui a permis d'avancer sur de nombreux autres sujets.

S'agissant du plan Écophyto, nous nous sommes battus tous les deux pour que les empoisonnements soient reconnus et qu'un fonds d'indemnisation soit créé. Or nous n'avons jamais pu l'obtenir au cours du quinquennat précédent, et c'est cette majorité et ce gouvernement qui le font. Prenez-en acte, monsieur Potier ! Ne boudez pas cette victoire ! C'est une très bonne chose ! Reconnaissez que c'est une réalisation de ce quinquennat et de ce gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

M. Dominique Potier. C'est faux, et vous le savez !

M. Didier Guillaume, ministre. Ne dénigrons pas ! Avançons ! L'examen de la proposition de loi à ce sujet est intervenu trop tard au cours de votre niche et n'a pas pu être achevé, mais ce sera repris dans le cadre du projet de loi de finances, Mme Buzyn l'a répété hier à ce banc. J'ai voté cela au Sénat, et j'y suis très favorable. Le Sénat l'a voté à l'unanimité. Mesdames et messieurs les députés, suivez le Sénat, pour une fois ! (Sourires.)

M. Dominique Potier. Ça, c'est une fake news !

M. Didier Guillaume, ministre. Votez ce texte et enclenchez le processus ! C'est un point très important.

La loi EGalim a apporté des précisions et a permis de nombreuses avancées. Mais une loi n'est pas faite pour durer vingt ou trente ans. Les CEPP sont un label, tant mieux, mais ce n'est pas un outil de contrainte, monsieur le député. M. Pellois, avec qui vous partagez, je le sais, un certain nombre de convictions, a posé une question, et nous allons continuer à avancer dans cette direction.

S'agissant de la séparation entre la vente et le conseil, il n'y a aucun recul. Il ne faudrait pas que l'on recule chaque fois qu'il y a un problème dans ce pays ! Cela s'est vu par le passé : dès qu'il y avait un problème, on retirait sa loi ou sa proposition… Non, nous allons avancer ! C'est compliqué, mais, pour cette raison même, nous allons entrer dans la mêlée et nous y arriverons. Concernant les CEPP et un nouveau plan phyto, nous n'allons pas nous contenter d'affirmer qu'il faut diminuer la quantité d'intrants, alors qu'il s'est vendu et utilisé davantage de produits phytopharmaceutiques au cours des trois dernières années que durant les trois années précédentes – on ne peut pas dire que ce soit un succès…

Votre expertise est essentielle, monsieur Potier. Aidez la majorité à avancer dans cette direction ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle, au titre des députés non inscrits.

M. Jean Lassalle. Merci, madame la présidente, vous êtes toujours aussi aimable.

Je voudrais d'abord vous dire, monsieur le ministre, que je vous trouve très sympathique et disponible. Si vous pouviez donner le mode d'emploi à tous vos collègues, j'en serais vraiment très heureux. Vous venez nous dire bonjour, alors que vous n'êtes même pas obligé de le faire. En revanche, on peut écrire dix fois à certains de vos collègues, et il ne se passera jamais rien.

Je pourrais, en m'appuyant sur l'un des trois piliers de la loi, « payer le juste prix au producteur pour leur permettre de vivre dignement de leur travail », parler du faible revenu des agriculteurs. Mon frère, qui a soixante ans, élève 400 brebis mères. Il vend le fromage qu'il produit pratiquement dans toute la France ; autrement, il ne s'en sortirait pas. Il a tout de même atteint un certain niveau, puisqu'il a été président du syndicat de défense de l'appellation d'origine protégée ossau-iraty. Vous savez bien, monsieur le ministre, quel est le niveau de rétribution des agriculteurs.

Je pourrais évoquer de nombreux autres sujets, le surendettement, l'appétit des géants de la distribution, la mortalité des agriculteurs, mais tout le monde l'a fait, et nous savons tous cela par coeur.

Je souhaite appeler votre attention sur deux points, monsieur le ministre.

Premièrement, il faut absolument sauver l'agriculture de France. Comme l'ont dit d'autres collègues, j'y contribuerai en faisant tout ce que je peux et sais faire. C'est un impératif absolu. L'agriculture française ne ressemble à aucune autre. Elle est la conjonction de toutes les capacités à produire.

Deuxièmement, la transmission des exploitations agricoles est un très grand problème. Aujourd'hui, nos enfants étudient jusqu'à vingt-deux ou vingt-trois ans. Ils rencontrent souvent un compagnon ou une compagne qui a plutôt envie de s'échapper en courant que de rester lorsqu'il ou elle voit l'exploitation agricole. Quant aux compagnes et aux compagnons des frères et des soeurs, ils s'imaginent que la propriété vaut des milliards. Dès lors, il est très difficile de trouver des successeurs dans nos installations.

Il y a quarante ans, lorsque j'étais jeune maire, j'ai installé vingt-huit exploitations dans ma commune.

Mme la présidente. Monsieur Lassalle…

M. Jean Lassalle. Aujourd'hui, j'en installerais peut-être deux, celles de deux jeunes femmes. L'une est la fille de mon frère, l'autre est la fille de mon ancienne adjointe. Il faut trouver des solutions à ce problème.

Mme la présidente. Merci…

M. Jean Lassalle. Merci, madame la présidente. Je n'interviendrai plus au cours de cette séance. Je suis très admiratif de votre patience.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. L'agriculture française est merveilleuse. C'est une des plus belles et des meilleures du monde. Nous avons une tradition d'exploitation familiale, de ferme paysanne : la famille vit sur l'exploitation. Et c'est un beau modèle.

M. Didier Le Gac. C'est vrai !

M. Didier Guillaume, ministre. Il faut défendre ce modèle contre l'agri-bashing – c'est du patois de la vallée d'Aspe (Sourires) –, mais, en même temps, il faut que l'agriculture bouge, qu'elle ne reste pas sur place, qu'on avance.

Monsieur Lassalle, vous avez évoqué l'atelier de transformation de votre frère, qui élève 400 brebis mères pour fabriquer de l'ossau-iraty. C'est un excellent exemple. Tous ceux qui transforment leur production sur place voient leurs revenus augmenter. Qu'il s'agisse de l'ossau-iraty – délicieux fromage que l'on mange nature ou avec de la confiture de cerise noire ; pour ma part, je le préfère nature –, du beaufort, du comté ou du roquefort, cela fonctionne et il n'y a pas vraiment de problème de revenu. C'est ce qu'il faut faire. L'agriculture doit être transformée et monter en gamme.

En tout cas, vous posez la question centrale, monsieur Lassalle, celle de l'âge du capitaine. Il faut effectivement qu'il y ait des jeunes pour poursuivre l'exploitation. Il faut donc les former et les inciter à s'installer, ce qui est plus compliqué dans certains endroits, là où ils sont moins nombreux, là où ils ne peuvent pas rester.

Tant que les jeunes entendront toutes ces critiques, tant qu'ils entendront qu'on ne gagne pas sa vie, ils ne seront pas enclins à devenir paysans. Il faut donc changer notre mentalité. Si nous arrivons, grâce à la loi EGalim, que vous avez votée, à inverser le processus de construction du prix, si les agriculteurs, les producteurs et les éleveurs gagnent mieux leur vie, cela incitera les jeunes à s'installer. Si nous parvenons à trouver du foncier abordable – il y a du foncier disponible, mais il est inaccessible pour les jeunes – et à lutter contre l'artificialisation des terres, nous inciterons des jeunes à s'installer. Vous soulevez donc une question très importante, monsieur Lassalle.

Je vous remercie, madame la présidente, de nous avoir permis, aux uns et aux autres, de dépasser un tout petit peu notre temps de parole. Je me conforme, bien sûr, au règlement de l'Assemblée, mais deux minutes, c'est court pour refaire l'agriculture française, européenne et mondiale.

Mme la présidente. C'est sûr…

M. Didier Guillaume, ministre. Je remercie l'ensemble des députés présents. Nous avons eu, ce matin, un bon débat,...

M. Didier Le Gac. Oui !

M. Didier Guillaume, ministre. …certes frustrant car nous n'avons pas pu aller assez au fond des choses, mais intéressant parce que nous avons constaté que les mêmes objectifs étaient partagés sur tous les bancs, tant par ceux qui ont voté la loi que par les autres : premièrement, que l'agriculture française rayonne ; deuxièmement, que l'alimentation soit saine, sûre et tracée.

Surtout, si nous voulons qu'il y ait encore des paysans demain et que les exploitations soient reprises, si nous voulons éviter la déprise, il faut faire deux choses essentielles. D'abord, il faut faire en sorte que les agriculteurs aient un revenu. La loi EGALIM y contribuera, grâce à vous ; c'est peut-être vous qui aurez transformé et fait repartir l'agriculture française. Ensuite, il faut mettre fin à l'agri-bashing. Il faut que l'on défende, que l'on promeuve, que l'on soutienne les agriculteurs, les éleveurs et toutes nos exploitations. Car c'est l'avenir de notre pays.

Que veulent les gamins qui ont assisté à nos débats tout à l'heure ? Manger de la bonne viande…

M. Jimmy Pahun. Et du bon poisson !

M. Didier Guillaume, ministre. …oui, du bon poisson, bref de bons produits. Il faut aussi que les forêts soient entretenues. C'est tout cela, mesdames et messieurs les députés, que je nous invite à faire ensemble. Vive l'agriculture française et bravo aux paysans de France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

Mme la présidente. La séance de questions sur la mise en oeuvre de la loi Agriculture et alimentation est terminée.
 

Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 12 février 2019