Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances, à Radio classique le 13 février 2019, sur la taxe carbone et l'impact négatif sur le commerce des manifestations des "Gilets jaunes".

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Média : Radio Classique

Texte intégral

DIMITRI PAVLENKO
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour.

DIMITRI PAVLENKO
J'ai beaucoup de questions à vous poser sur cette réunion de crise aujourd'hui à Bercy, à la demande des élus des grandes villes, pour parler des gilets jaunes. Une question d'abord sur la taxe carbone, cette tribune rédigée par Matthieu ORPHELIN, qui vient de quitter le groupe La République en marche, et soutenue par 86 députés. Vous êtes favorable, vous aussi, au retour d'une trajectoire forte sur la taxe carbone, c'était quand même le déclencheur de la crise des gilets jaunes ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi ce que je constate c'est que, dans le grand débat, j'y étais encore hier, et la question du pollueur payeur, et la question d'une taxe sur la valeur écologique des biens, ressort assez rapidement, donc il faudra en tenir compte. C'est certain que les Français, et beaucoup de Français, s'interrogent…

DIMITRI PAVLENKO
Vous n'êtes pas favorable au retour de la taxe carbone.

AGNES PANNIER-RUNACHER
S'interrogent sur la façon dont on doit organiser la taxation, à la fois des émissions de CO2, mais pas que d'ailleurs. Mais moi je ne vais pas faire les réponses avant d'avoir l'ensemble du grand débat, et c'est l'objectif de ce moment de discussions.

DIMITRI PAVLENKO
Il n'y a pas unanimité, même au sein de l'exécutif ? Il n'y a pas unanimité, moi de ce que je comprends.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, ce n'est pas ça. Ce qu'on dit c'est que, on a suspendu la taxe carbone à un moment où c'était un point qui était vécu comme insupportable par un certain nombre de Français, qu'on a lancé un grand débat pour savoir comment accompagner la transition écologique, énergétique, que ce sujet revient sur la table parce que, en économie, c'est un des points, enfin un des moyens le plus connu, le signal prix, pour changer les comportements et faire que les gens changent, donc passent du thermique, par exemple, à l'électrique, pour leur voiture, et donc évidemment on va reprendre tout ça et regarder comment ça avance. Moi il y a un juste un point sur lequel je voudrais attirer l'attention, dans la tribune, si je comprends bien, on dit aussi il faut que cette taxe soit uniquement consacrée à des sujets écologiques, énergétiques, je rappelle d'abord que le budget du ministre de l'Ecologie il est bien supérieur à ce que pouvait rapporter la taxe carbone, je crois qu'il ne faut pas perdre ça de vue et qu'on ne raconte pas n'importe quoi. Et puis, il n'y a pas un bon budget de l'Etat et un mauvais budget de l'Etat, le budget de l'Etat il finance l'éducation, les écoles, la santé, cette espèce de sectorisation du bon et du moins bon me paraît…

DIMITRI PAVLENKO
C'était la polémique sur le fléchage de la taxe carbone.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Un tout petit peu décalée par rapport aux grands enjeux auxquels font face les Français, quand on les écoute dans le grand débat il y a aussi d'autres sujets qui leur tiennent à coeur, et je pense que…

DIMITRI PAVLENKO
Donc d'après vous il n'y a pas d'urgence ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Si je peux aller jusqu'au bout ; je pense que François de RUGY est ministre qui est capable, comme Bruno LE MAIRE, d'un raisonnement complexe entre écologie et économie, et d'embrasser l'ensemble des sujets, faisons grâce à nos politiques d'avoir une vision complète des sujets et de savoir utiliser l'argent public aussi bien que possible.

DIMITRI PAVLENKO
Ceci dit vous ne semblez pas voir d'urgence au retour de ce débat sur l'augmentation de la taxe carbone.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pas du tout, ce que je vous dis c'est que, en revanche, je ne réponds pas aux questions avant d'être au bout du grand débat.

DIMITRI PAVLENKO
Les Français auront le dernier mot ? Le grand débat aura le dernier mot ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Le grand débat…

DIMITRI PAVLENKO
Si les Français sont contre majoritairement, il n'y aura pas de retour de la taxe carbone.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Le grand débat doit aider à sérier un certain nombre de projets et à permettre de définir les bonnes solutions. Encore une fois, on ne peut pas nous dire « c'est insupportable, vous avez mis la taxe carbone, vous avez bloqué le pays », et puis ensuite « vous n'avez pas d'idées sur la taxe carbone », bien sûr qu'on a des idées, mais il faut aussi tenir compte de ce qui est supportable. Il y a la manière de le faire, il y a comment on accompagne la transition écologique et énergétique, il y a… les grands débats ne disent pas exactement la même chose entre les différents points du territoire, je n'ai pas envie qu'on oppose Paris à la province, je pense que ça aussi c'est un débat dépassé, en même temps on n'entend pas la même chose à Paris et en province.

DIMITRI PAVLENKO
Agnès PANNIER-RUNACHER, grosse journée pour vous, réunion de crise aujourd'hui à Bercy, à la demande des élus des grandes villes, de France urbaine, vous serez là, Bruno LE MAIRE également, Christophe CASTANER de l'Intérieur, Jacqueline GOURAULT…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Laurent NUNEZ.

DIMITRI PAVLENKO
Laurent NUNEZ, pardon, et Jacqueline GOURAULT à la Cohésion des territoires. Vous allez enchaîner les rendez-vous, que ce soit avec des élus locaux, des représentants de plusieurs branches, des associations locales de commerçants. La crise des gilets jaunes, 13 week-ends, ça coûte très cher, la CPME donne des chiffres, 5000 entreprises en difficulté, 70.000 salariés en travail partiel.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ça c'est les chiffres du chômage partiel, donc financés par l'Etat. Nous avons mis sur la table 38 millions d'euros, 38 millions d'euros c'est un montant considérable, qui effectivement accompagne 5000 entreprises, et 70.000 personnes…

DIMITRI PAVLENKO
Donc déjà versés ces 38 millions d'euros !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, 38 millions d'euros qui sont débloqués, et qui sont autorisés, et ensuite les entreprises les appellent en fonction de leur utilisation, et en fait ce montant augmente parce que vous avez des entreprises qui rattrapent ce qu'ils n'avaient pas déclaré en décembre, donc on a un phénomène de rééquilibrage. C'est plutôt une bonne nouvelle, ça veut dire qu'elles vont solliciter l'aide de l'Etat.

DIMITRI PAVLENKO
Qu'est-ce que vous allez leur dire à tous ces élus, ces commerçants aujourd'hui ? Parce que le constat, semble-t-il, est établi, à savoir que la crise des gilets jaunes, eh bien oui, a un fort impact sur le commerce de centre-ville, on voit que ça s'est déplacé, c'est passé des ronds-points de périphéries aux centres des très grandes villes, que ce soit Bordeaux, Toulouse, Paris, etc.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce qu'on va leur dire c'est que d'abord on va leur rappeler que nous ça fait depuis le 26 novembre qu'on est sur le sujet, que Bruno LE MAIRE a déclenché la cellule de continuité économique à cette date-là, qu'il y a toute une batterie de mesures qui ont été mises en place par l'Etat, des mesures qui sont très fortes, qui sont aujourd'hui insuffisamment utilisées. Vous avez effectivement le décalement des échanges sociales et fiscales, vous avez le chômage partiel, 38 millions d'euros, je veux dire, c'est le montant le plus important d'accompagnement donné aujourd'hui aux commerçants. Nous avons également débloqué une enveloppe de 3 millions d'euros pour la relance de l'animation dans les centres-villes, et ça, ça n'a d'enjeu qu'une fois la crise des gilets jaunes terminées, puisqu'on ne va pas relancer le commerce alors qu'il y a les manifestations violentes…

DIMITRI PAVLENKO
Il y a encore des risques de casse de vitrines, etc., effectivement.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Au même moment. Et puis on met un dispositif spécifique, qui est du cousu main, qui permet aux commerçants de présenter, enfin d'expliquer leur situation, et de bénéficier non seulement de décalage d'échéances fiscales, sociales, de TVA, sur 20 mois, ce qui est très long, mais en plus, dans les situations de difficulté extrême de trésorerie, de bénéficier d'abandon de charges sociales et fiscales.

DIMITRI PAVLENKO
Mais ça fait 2,5 mois que le dispositif est actif, en fait vous dites, en gros…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors ce dernier dispositif n'est actif que depuis la mi-janvier, parce que c'était la deuxième couche qu'on a mis pour essayer de répondre. Et aujourd'hui…

DIMITRI PAVLENKO
Mais la CPME dit ça ne marche pas là. Qu'est-ce qui ne marche pas bien, c'est juste que les commerçants ne savent pas qu'ils peuvent recourir à ça ou bien que… ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Enfin moi je constate que le nombre de demandes est assez faible, donc on ne peut pas dire que le sujet est compliqué, parce que ceux qui en ont bénéficié aujourd'hui vous disent « oui, c'est simple comme un coup de fil », mais la réalité c'est que j'ai, sur la Gironde, 14 demandes sur tout l'ensemble du département et 5 pour Bordeaux, et ça c'était il y a 10 jours.

DIMITRI PAVLENKO
Comment ça se fait ? Ça paraît stupéfiant, alors que les entreprises sont en difficulté, il y a ce mécanisme-là, elles n'y ont pas recours, comment vous l'expliquez ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense qu'il faut d'abord le diffuser, effectivement, c'est-à-dire que c'est aussi une responsabilité collective. Nous, nous avons beaucoup relayé, autant que possible, ces éléments-là, mais ça doit être relayé par les fédérations de commerçants - moi je les vois toutes les deux semaines les fédérations de commerçants, également – ça doit être relayé par les maires. Ces dispositifs doivent être explicités, parce que ce qu'on dit c'est « ah mais vous ne faites que décaler des charges et donc ça ne rapporte rien », non, ce n'est pas exact, simplement il faut traiter les dossiers au cas par cas. Et une mesure d'exonération générale ça passe par la loi, donc vous prenez un certain temps avant de la voter, je pense que si c'est pour que les commerçants meurent guéris ce n'est pas une très bonne solution…

DIMITRI PAVLENKO
Attendez, pardonnez-moi, j'ai peut-être une hypothèse. Le prélèvement à la source, on sait que ça consomme beaucoup de ressources dans l'administration fiscale, est-ce qu'elle a les moyens aujourd'hui de traiter rapidement ces dossiers, alors qu'il y a d'autres chantiers ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, parce qu'ils sont traités en priorité, et je peux vous dire que ce n'est pas une question de délai aujourd'hui, ça c'est très clair.

DIMITRI PAVLENKO
Alors justement, vous venez de lancer, Gérald DARMANIN a annoncé le lancement d'un partenariat fiscal entre les entreprises et l'administration pour restaurer la confiance. Est-ce que ce qui se passe là, sur ce taux élevé de non recours, que vous venez de nous expliquer, 14 dossiers seulement en Gironde, le chiffre est quand même assez parlant, ce n'est pas l'illustration finalement que cette confiance elle est quand même relativement faible aujourd'hui ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense que, historiquement, ce n'était pas le réflexe des entreprises et des commerçants de prendre leur téléphone pour appeler le Fisc en disant « aidez-moi », donc tout ce travail-là il doit être fait. L'Etat, et c'est tout l'enjeu, je dirais, de la réforme de l'Etat que nous déployons, c'est d'être au service des Français, ce n'est pas d'être dans le contrôle des Français, ce n'est pas d'être dans la contrainte des Français, donc c'est un changement de culture, et c'est un changement de culture qui, comme tout changement de culture, prend du temps. Le droit à l'erreur c'est extrêmement nouveau, le fait de dire un contribuable n'a pas bien compris une réglementation, et on ne va pas arriver en lui expliquant toutes les pénalités qu'il va payer, mais on va dire « oui, Ok, on comprend, c'est un peu compliqué… »

DIMITRI PAVLENKO
Enfin ça c'est le droit d'appeler à l'aide plutôt…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, c'est le droit à l'erreur, ou le droit d'appeler à l'aide en l'occurrence, donc c'est effectivement important de changer ce logiciel-là, et on le constate, les Anglais le font très bien. Les Anglais quand ils vous réclament une échéance fiscale, ou quand vous avez une question fiscale, ils vous répondent en disant « cher Monsieur, j'ai bien noté que, peut-être avez-vous oublié telle échéance, mais j'imagine que ça va être corrigé très rapidement », là où nous on décline le Code en expliquant que « vous êtes redevable de tant de… de 10.000 euros de pénalité et de tant, de six mois de sursis. »

DIMITRI PAVLENKO
Il faut que ça change.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà, je pense que c'est une très bonne démarche qui est lancée par Gérald DARMANIN dans le droit fil du droit à l'erreur qui avait été voté l'année dernière au Parlement.

DIMITRI PAVLENKO
Merci Agnès PANNIER-RUNACHER d'avoir été avec nous ce matin, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des finances.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 février 2019