Entretien de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, dans "La Provence" du 12 février 2019, sur le refus par la Commission européenne de la fusion Alstom-Siemens et le droit de la concurrence au sein de l'Union européenne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Provence

Texte intégral

Q - Quels sont vos arguments pour contester l'analyse de la commission européenne ?

R - Le rejet de la fusion entre Alstom et Siemens est une erreur économique et une faute politique. Une erreur économique car cette décision ne tient aucun compte de la rapidité de l'évolution de l'économie contemporaine. Le règlement européen sur le contrôle des concentrations date de 2004. Depuis, de nouveaux champions industriels ont émergé dans le reste du monde avec une rapidité sans précédent. Dans le ferroviaire, le Chinois CRRC est devenu en quelques années un leader incontesté avec 200 trains construits par an, contre 35 pour la France et l'Allemagne. Une faute politique car cette décision est un cadeau à la Chine.

Q - Quelles seraient vos propositions pour réformer les règles de la concurrence ?

R - Nous voulons refonder le droit européen de la concurrence. Et nous allons faire des propositions concrètes dans les prochaines semaines avec mon homologue allemand Peter Altmaier. Le droit de la concurrence doit évidemment assurer la protection des consommateurs européens. Mais nous devons aussi en faire un instrument de notre souveraineté économique. Cette refonte devra mieux prendre en compte la concurrence potentielle, définir des marchés pertinents qui tiennent compte de l'émergence de nouvelles puissances économiques. Elle devra aussi tirer toutes les conséquences des mutations économiques actuelles, comme la digitalisation de l'économie et l'émergence des géants du numérique. Enfin, je souhaite que les Etats aient un droit d'évocation, autrement dit la possibilité de prendre la main et de traiter certains dossiers à leur niveau.

Q - S'il est avéré que la fusion ne se fait pas, quelles conséquences sont à craindre pour Alstom ? Et pour ses 13 sites français ?

R - Alstom est une entreprise solide et extrêmement performante. Son carnet de commandes est plein pour plusieurs années et sa seule difficulté en termes d'emploi est une difficulté à recruter ! Mais comme toutes les grandes entreprises, Alstom doit préparer son avenir : la fusion avec Siemens n'était pas la seule solution, mais c'était la meilleure. La décision de la Commission va priver Alstom et Siemens de certains marchés, à cause de la concurrence chinoise. Et à long terme, nous avons raté une occasion historique de construire un champion européen, de forger le numéro 1 mondial dans la signalisation.

Q - L'Etat est-il prêt à soutenir ce fleuron ? Comment ?

R - Alstom n'a pas besoin de notre soutien : l'entreprise va très bien. Nous avons soutenu le projet de fusion au niveau européen, parce qu'il était important que la France et l'Allemagne fassent entendre leur voix.

Comment soutenir l'industrie française face aux géants chinois du ferroviaire mais aussi de l'acier ? Arcelor Mittal, par exemple, pointe l'inégalité face à ses concurrents asiatiques en Europe à cause de la fiscalité verte.

Pour soutenir l'industrie française, nous devons faire bouger les lignes dans de nombreux domaines. Il faut revoir les règles de la concurrence au niveau européen. Il faut avancer dans la réforme de l'OMC, sur les règles en matière de subvention, sur le traitement des surcapacités. Il faut aussi que l'Europe parvienne à se mettre d'accord sur un prix carbone aux frontières de l'Union, comme l'a demandé le président de la République dans son discours de la Sorbonne : nous demandons beaucoup d'efforts environnementaux à nos industries et cela coûte cher ; et nous laissons entrer en Europe des produits qui ne connaissent ni ces règles ni ces coûts. C'est injuste pour nos entreprises et complètement inefficace par rapport à nos objectifs environnementaux.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2019