Interview de M. François de Rugy, ministre de la transition écologique et solidaire, avec France Info le 15 février 2019, sur la lutte contre le réchauffement climatique, le glyphosate, l'antisémitisme et sur le mouvement des "Gilets jaunes".

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Média : France Info

Texte intégral

JEROME CADET
Merci d'être avec nous ce matin sur Franceinfo. Notre invité jusqu'à neuf heures est le Ministre de la Transition écologique et solidaire François de RUGY. Bonjour à vous.

FRANÇOIS DE RUGY, MINISTRE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE ET SOLIDAIRE
Bonjour.

JEROME CADET
Bonjour Renaud DELY. On parle de ces jeunes Français notamment qui vont manifester aujourd'hui pour le climat.

RENAUD DELY
Oui, parce que François de RUGY, vous allez avoir de la visite aujourd'hui en tout cas à votre ministère. Cet après-midi, des étudiants vont se réunir devant votre ministère. Il y aura aussi des actions un petit peu partout en France. C'est l'amorce en France d'un mouvement de grève scolaire pour le climat qui prend de l'ampleur un peu partout dans le monde depuis deux mois. Ces étudiants réclament l'état d'urgence écologique et social dans un manifeste qui est titré « 0 degré ou 0 pointé ». Le zéro pointé, c'est pour vous.

FRANÇOIS DE RUGY
Oui, c'est évidemment une image. Nous sommes dans l'action par rapport au climat et moi je me félicite que des jeunes, mais aussi beaucoup d'autres citoyens - on a parlé du succès aussi de la pétition, 2,2 millions de personnes - qui demandent qu'on en fasse plus pour le climat. Plus il y aura de citoyens mobilisés et notamment les jeunes générations, j'ai envie de dire d'ailleurs qu'elles commencent par convaincre leurs parents. Si les jeunes entraînent avec eux la société vers une action résolue qui est à la fois une action publique, mais aussi l'action de tout un chacun, alors nous allons progresser encore plus vite dans la lutte contre le dérèglement climatique.

RENAUD DELY
Donc vous êtes heureux de voir ces jeunes se mobiliser devant votre ministère pour venir dénoncer votre inaction, c'est ce qu'ils disent.

FRANÇOIS DE RUGY
Non parce que nous aurons un dialogue. Pas aujourd'hui malheureusement car je suis en déplacement dans le Gers. Mais j'ai déjà été en contact par le biais de mon cabinet avec les jeunes qui ont lancé ces appels et je pense que nous pouvons presque marcher main dans la main pour le climat. Moi vous savez, je préfère qu'il y ait des gens qui manifestent devant mon ministère en disant : « On n'en fait pas assez pour le climat, il faut aller plus vite, plus fort, plus loin » - c'est exactement ce que je pense - plutôt que des gens qui me disent : « Non, non, non. Arrêtez, arrêtez, arrêtez ! Ça va trop vite, ça va trop loin, ça va trop fort ! » Or, il y en a. Il y en a. Ça, il ne faut pas l'oublier. Ne croyez pas qu'il n'y a que des gens qui demandent qu'on en fasse plus pour le climat. Il y a quelques semaines, il y avait des gens qui manifestaient devant mon ministère pour protester contre la fermeture des centrales à charbon que nous avons engagée.

JEROME CADET
La grève scolaire, c'est un bon mode d'action François de RUGY ?

FRANÇOIS DE RUGY
Alors je suis aussi un père de famille donc je n'inciterai pas les élèves à faire grève. Mais encore une fois, qu'il y ait une mobilisation pour cette belle cause du climat qui est vraiment une cause d'intérêt général : les lycéens ou les étudiants ne défendent pas leur intérêt particulier en se mobilisant, ils défendent vraiment l'intérêt général non seulement des Français mais aussi, on peut le dire, de tous les habitants de la planète.

RENAUD DELY
Alors cette mobilisation, elle prend aussi les traits de cette pétition « l'affaire du siècle » que vous évoquiez, qui a recueilli plus de deux millions de signataires. Vous avez reçu hier avec Edouard PHILIPPE les ONG à l'initiative de cette pétition et elles menacent, ces ONG, d'attaquer l'Etat en justice prochainement, de vous attaquer en justice pour inaction.

FRANÇOIS DE RUGY
Oui. C'est leur mode d'action symbolique et on voit bien que c'est un outil de mobilisation politique et médiatique.

RENAUD DELY
Ce n'est pas seulement symbolique. Elles envisagent effectivement concrètement d'attaquer le gouvernement en justice.

FRANÇOIS DE RUGY
Vous voyez bien que ce n'est pas en l'occurrence dans les tribunaux qu'on va faire baisser les gaz à effet de serre. Ce n'est pas dans les tribunaux qu'on va régler…

JEROME CADET
Ce n'est pas ce que disent ces ONG.

FRANÇOIS DE RUGY
Nous, nous avons discuté avec elles. Moi, je leur avais proposé d'ailleurs de discuter dès le lancement de leur action au mois de décembre. Elles ne l'avaient pas souhaité à ce moment-là. Nous l'avons fait hier avec le Premier ministre. Moi, je leur ai répondu aujourd'hui point par point sur tout ce que nous faisons pour réduire les gaz à effet de serre, tout ce que nous avons engagé, tout ce que nous allons faire dans les mois et les années qui viennent. Et par ailleurs, je m'adresse directement aux signataires. Je leur ai proposé, d'ailleurs j'ai lancé un appel en disant : « Faisons une réunion ensemble pour discuter. Vous avez peut-être des propositions, nous nous avons une action. Qu'est-ce qu'on pourrait faire mieux ensemble ? » Et j'ai eu plus de quatre mille réponses alors que nous avions prévu une salle de deux cents personnes. Donc vous voyez que ça intéresse les gens que l'on puisse agir sur le climat, qu'on en discute ensemble.

RENAUD DELY
Mais qu'est-ce que vous avez de neuf ? Quelles nouvelles mesures vous avez à leur annoncer ou quel nouvel objectif ?

FRANÇOIS DE RUGY
Déjà, il faut faire ce que nous avons engagé. Après, vous voyez bien que…

JEROME CADET
Ça ne suffit pas. C'est ce qu'a dit…

FRANÇOIS DE RUGY
Oui mais ça, c'est évident que ça ne suffit pas. Parce que d'abord, on n'obtient pas des résultats du jour au lendemain. Je tiens quand même juste à dire, parce que personne n'en parle, qu'en 2018, l'année 2018 elle vient juste de se finir mais maintenant dans les statistiques, les émissions de gaz à effet de serre en 2018 en France ont baissé. C'est une bonne nouvelle. Elles avaient augmenté en 2017.

RENAUD DELY
La France pour l'instant ne respecte pas l'accord de Paris.

FRANÇOIS DE RUGY
Mais attendez, nous sommes le pays… Parmi les grands pays développés, nous sommes le pays qui émet le moins de gaz à effet de serre si on rapporte à la population, au nombre d'habitants, et si on rapporte à l'activité économique.

JEROME CADET
On fait moins mal que les autres.

FRANÇOIS DE RUGY
Le seul qui est un peu meilleur que nous, c'est la Suède. Nous sommes parmi en Europe les trois pays qui ont la taxe carbone la plus élevée. Et vous voyez bien que tout cela ne se fait pas dans la joie, la bonne humeur et la concorde nationale. Il faut aussi, c'est ce que j'ai dit aussi aux associations et les citoyens : comment on peut travailler ensemble pour emporter la conviction et l'adhésion de tout le monde. Alors qu'aujourd'hui je rencontre beaucoup d'opposition, et on pourra reparler de la taxe carbone, on pourra reparler de tout ce qui touche à la voiture, de tout ce qui touche au logement, de ce qui touche à la production d'électricité. Sur tous ces sujets, quand on veut mener une action, on rencontre une résistance très forte et pas simplement de lobbies. Tout simplement de gens qui sont bousculés dans leur façon de vivre.

JEROME CADET
Vous avez écrit à ces ONG, vous leur avez répondu vous l'avez dit François de RUGY. Vous écrivez : « La taxe carbone est un outil nécessaire pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre » mais, vous le savez, la fiscalité écologique rencontre de nombreuses oppositions. Ce sont les oppositions qui gagnent au final ?

FRANÇOIS DE RUGY
La preuve que non puisqu'en cinq ans en France, on est passé de 0…

JEROME CADET
La hausse de la taxe carbone, elle a été…

FRANÇOIS DE RUGY
Attendez. En cinq ans, en 2013, vous m'auriez invité en 2013 j'étais député à l'époque et je me battais pour qu'on puisse avoir cette fiscalité sur la pollution et sur les émissions de gaz à effet de serre. Et à l'époque, on était à 0. En 2013, on était à 0. Aujourd'hui en 2019, nous sommes à 45,5 euros la tonne de carbone. Quand on disait donner un prix au carbone c'était un des objectifs de l'Accord de Paris en 2015, en France nous l'avons fait. Et encore une fois en Europe, nous sommes parmi les trois pays qui ont le niveau le plus élevé. Cela n'est pas sans poser d'ailleurs des difficultés aux Français, on le voit bien dans leur vie quotidienne, ou à des secteurs économiques.

RENAUD DELY
François de RUGY, très concrètement…

FRANÇOIS DE RUGY
Nous allons continuer à agir et par exemple, je vais vous donner un exemple…

RENAUD DELY
Justement, vous allez continuer à agir dites-vous. Très concrètement, 86 députés il y a deux jours ont appelé au retour d'une nouvelle taxe carbone socialement juste. Immédiatement le lendemain, voici ce qu'a répondu Emmanuel MACRON en conseil des ministres. C'est le porte-parole du gouvernement Benjamin GRIVEAUX qui nous rapporte les propos du chef de l'Etat.

BENJAMIN GRIVEAUX, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT
Le Président de la République a rappelé sa conviction. C'est que nous ne sortirons pas d'une crise qui a débuté par un impôt supplémentaire en en créant un nouveau. Nous avons bien entendu ce que les Français nous ont dit. Ma conviction, c'est que c'est plutôt moins d'impôts que le plus d'impôts à l'issue de ce Grand débat.

RENAUD DELY
Emmanuel MACRON l'a dit en conseil des ministres : il n'y aura pas de retour de la taxe carbone.

FRANÇOIS DE RUGY
Il se trouve que je suis à la table du conseil des ministres comme vous le savez et que je suis même assis à la droite du Président, donc j'entends assez bien ce qu'il dit.

RENAUD DELY
Benjamin GRIVEAUX n'a pas bien entendu.

FRANÇOIS DE RUGY
Je crois que là, on a une vision très, très réduite de ce qu'a dit le Président de la République autour de la table du conseil des ministres où il a dit, en effet, qu'il ne fallait pas que l'on invente évidemment ici une tranche d'impôt supplémentaire, là une hausse d'impôts pour telle catégorie de Français et cætera, parce que vous voyez bien qu'il y a beaucoup de propositions. Nos oppositions d'ailleurs ne cessent de demander qu'on rétablisse l'ISF, qu'on augmente tel impôt sur le revenu des plus riches. Enfin, c'est toujours les autres d'ailleurs dont on veut augmenter les impôts. Après, nous avons un Grand débat, c'est le moment du Grand débat national. Moi je dis depuis le début du mois de janvier : « Mettons en débat la question de la fiscalité écologique. » Parmi les quatre thèmes du Grand débat, il y a la transition écologique et la fiscalité.

JEROME CADET
Et donc il y a débat aussi à l'intérieur du gouvernement.

FRANÇOIS DE RUGY
C'est normal. Mais c'est normal parce que pourquoi ? C'est une question concrète. La question, c'est de savoir aussi qu'est ce que nous préférons comme fiscalité. Est ce que nous préférons que la fiscalité repose sur les revenus et qu'on augmente toujours les impôts sur les revenus ? Ou est-ce qu'on préfère taxer la pollution ? (…)

RENAUD DELY
Vous disiez à l'instant, François de RUGY, que donc la taxe carbone, la fiscalité écologique, elle doit être mise dans le Grand débat et qu'à l'issue de ce Grand débat, on peut réinventer une formule de nouvelle taxe carbone. Il s'agit de quoi ? De discuter du niveau, du rythme ?

FRANÇOIS DE RUGY
Parce qu'à l'issue du Grand débat, de toute façon les questions fiscales seront sur la table. Elles le sont toujours d'ailleurs en tout moment politique, vous le savez bien.

RENAUD DELY
Elle n'est pas enterrée, la taxe carbone.

FRANÇOIS DE RUGY
Mais il n'y a pas de tabou. On fait un Grand débat, il n'y a pas de tabou sur la question de la fiscalité écologique. Honnêtement la taxe carbone, c'est quand même un peu plus intelligent par exemple que la TVA. La TVA, ça frappe tous les produits qu'ils soient bons écologiquement ou qu'ils soient mauvais écologiquement. Là, on a quelque chose qui taxe les énergies fossiles, le pétrole, le gaz, le charbon, qui émettent du dioxyde de carbone. Et si on réduit ces consommations, ce que beaucoup de Français ont fait, on paye moins de taxes. Vous savez que l'année dernière en 2018, la consommation de carburant et de produits pétroliers en France a baissé. Pour la première fois, on baisse nos consommations de carburant alors que la croissance économique était importante. C'est-à-dire que d'habitude quand vous aviez de la croissance économique, en même temps vous aviez une augmentation de la consommation de carburant en France en 2018. Je ne dis pas que c'est grâce à notre politique, mais enfin quand il y a des résultats, c'est peut-être quand même aussi parce qu'on a enclenché des choses.

RENAUD DELY
Donc un retour de la taxe carbone en 2021 par exemple…

FRANÇOIS DE RUGY
Après, il y a les questions que vous posez. Moi je les ai tout de suite dites. Dès le début du mois de janvier, j'ai dit : « Il y a la question du rythme ». On était sur trois centimes d'euro, c'est ça qui était prévu au 1er janvier 2019, trois centimes d'euro sur le litre d'essence. Et ça, ça rapporte un peu plus de deux milliards d'euros au budget. On peut faire moins de trois centimes.

RENAUD DELY
On peut faire deux centimes.

FRANÇOIS DE RUGY
On a la question de qu'est-ce qu'on fait de l'argent. C'est ça que les Français nous ont dit.

JEROME CADET
C'est peut-être la question principale d'ailleurs, François de RUGY.

FRANÇOIS DE RUGY
Je pense que c'est la question principale. Les Français nous l'ont dit à l'automne dernier : « Oui mais cet argent prélevé sur la pollution, est-ce qu'il va vraiment à la lutte contre la pollution ? Est-ce qu'il va vraiment à la transition écologique ? » Et donc ça, c'est une question à laquelle on peut répondre. Cet argent, est-ce qu'il va vers les transports en commun ? Est-ce qu'il va vers l'isolation des logements ? Est-ce que cet argent va vers l'accompagnement des Français…

JEROME CADET
Pour l'instant, ils ne sont pas convaincus.

FRANÇOIS DE RUGY
C'est bien pour cela que c'est sur ces sujets-là qu'il faut donner des réponses. Mais moi, je vais même plus loin. Je dis si jamais les prix du pétrole réaugmentent sur les marchés mondiaux comme ça s'est produit en octobre dernier, on peut avoir ce qu'on pourrait appeler une corde de rappel : c'est-à-dire un mécanisme qui automatiquement stoppe la taxe à ce moment-là pour qu'on puisse avoir des prix du pétrole qui augmentent moins.

RENAUD DELY
Mettre un dispositif qui ressemble à ce qui s'appelait jadis la TIPP flottante. Un mécanisme qui ressemble à ça.

FRANÇOIS DE RUGY
Oui, mais qui justement n'était pas très efficace donc il faudrait un mécanisme plus efficace. Et ça justement, on invente des solutions nouvelles et pour moi c'est ça le sens du Grand débat. C'est on met sur la table des choses, on en discute et ensuite on invente des solutions nouvelles.

RENAUD DELY
Dans la réponse que vous avez adressée aux ONG qui sont à l'initiative de la pétition « l'affaire du siècle », vous fixez un objectif de neutralité carbone.

FRANÇOIS DE RUGY
Oui.

RENAUD DELY
Qu'est-ce que c'est la neutralité carbone ?

FRANÇOIS DE RUGY
C'est l'objectif le plus ambitieux qui soit. C'est-à-dire de dire en 2050…

RENAUD DELY
En 2050, dans trente ans.

FRANÇOIS DE RUGY
Oui, exactement.

RENAUD DELY
Il n'y a pas d'urgence ?

FRANÇOIS DE RUGY
Mais ça, c'est l'objectif de l'Accord de Paris. Non mais vous allez voir. C'est nos ��missions de gaz à effet de serre arrivent à 0, ou en tout cas le reste, les émissions résiduelles, qu'elles soient absorbées par nos forêts et toute la végétation qu'il y a en France qui, on le sait, donc consomme du CO2 et le transforment en matière organique. Ça, c'est ce qui s'appelle la neutralité carbone. Vous voyez bien que c'est vraiment un effort extrêmement important mais qui passe par… C'est concret.

RENAUD DELY
Concrètement, ça veut dire qu'on peut produire des gaz à effet de serre dans une partie du territoire national à condition de planter des arbres ailleurs.

FRANÇOIS DE RUGY
A condition que nos forêts, parce qu'on ne va pas couvrir tout le sol français d'arbres, mais nos forêts absorbent ces émissions. Donc il n'en restera plus beaucoup. Et ça veut dire qu'on a vraiment 1 : des économies d'énergie ; 2 : le développement des énergies renouvelables électriques qui sont sans émissions de gaz à effet de serre. C'est notre politique. Vous savez, vous disiez « Mais qu'est-ce qu'on va faire ? » La programmation pluriannuelle de l'énergie, derrière ce nom un peu technocratique il y a une stratégie nationale pour l'énergie en France pour les dix années qui viennent. Elle est fondée sur ces deux piliers : économies d'énergie, développement des énergies renouvelables.

RENAUD DELY
En l'occurrence, c'est un objectif à trente ans. Ça paraît extrêmement long au regard de l'urgence.

FRANÇOIS DE RUGY
Non mais là, la programmation pluriannuelle de l'énergie elle est sur les dix prochaines années, avec des actions très concrètes cette année, l'année prochaine et ainsi de suite.

RENAUD DELY
Alors ça paraît d'autant loin quand on programme à long terme comme ça la politique écologique et environnementale qu'il y a un autre dossier : c'est celui de la sortie du glyphosate sur lequel Emmanuel MACRON s'était engagé à ce que la France sorte à 100 % totalement du glyphosate dès 2021. Il semblerait qu'il soit revenu partiellement sur cet objectif. C'est en tout cas ce qu'a retenu Laurent PINATEL, le porte-parole de la Confédération paysanne qui était reçu lundi à l'Elysée.

LAURENT PINATEL, PORTE-PAROLE DE LA CONFEDERATION PAYSANNE
Non, là il se fout de notre gueule. Honnêtement sur le glyphosate, il y a des lobbies qui sont arrivés. Le glyphosate, on peut partir d'une interdiction formelle et après regarder au cas par cas des dérogations. Ce n'est pas ce qui a été dit. Aujourd'hui c'est de dire : « On ne peut pas en sortir. » Bien les mecs, ils ont commandé leur glyphosate pour l'année prochaine.

RENAUD DELY
Votre collègue chargé de l'agriculture Didier GUILLAUME dit : « En 2021, on sera sorti à 70 % du glyphosate. » Ce n'est pas 100 %.

FRANÇOIS DE RUGY
D'abord nous sommes le seul pays de l'Union européenne à organiser la sortie du glyphosate. Le seul.

RENAUD DELY
L'Union européenne a fixé un objectif : dans cinq ans.

FRANÇOIS DE RUGY
Non, non. L'Union européenne a dit : « On autorise le produit pendant cinq ans. Rendez-vous dans cinq ans. » En 2022, à la fin de l'année 2022. Et là, vous verrez qu'il y a plein de pays qui diront : « On recommence encore pour cinq ans. » Nous on dit : « On n'attend pas ce rendez-vous de 2022 ». On s'est donné fin 2017 un objectif de trois ans. C'est-à-dire qu'à la fin 2020, en 2021, on puisse dire : « Le glyphosate, on en est sorti. » Après, il y a une question de réalisme sur telle ou telle filière mais notre objectif, notre volontarisme c'est de sortir du glyphosate en trois ans. Encore une fois, c'est un objectif qu'aucun autre pays ne se donne.

JEROME CADET
Mais quand vous dites ça, François de RUGY, ça brouille le message. Quand vous dites : « Il y a des filières »…

FRANÇOIS DE RUGY
Mais enfin, est-ce que… Mais si nous avions dit comme certains le prônent : « L'interdiction du glyphosate au 1er janvier 2019. » Voilà, on aurait pu dire « On ne va pas attendre. 1er janvier 2019. » Vous auriez eu un défilé partout en France de toutes les filières qui auraient dit : « Mais attendez. C'est scandaleux. C'est une guillotine pour tout un tas de productions. C'est complètement irresponsable du point de vue économique, du point de vue social. » Et vous m'auriez posé la question : « Mais comment vous avez pu imaginer de faire les choses aussi brutalement ? » Donc oui, on assume un volontarisme écologique très fort sur la question du glyphosate et je le dis aussi sur d'autres produits…

RENAUD DELY
Sans garantie de résultat à 100 % en 2021.

FRANÇOIS DE RUGY
Et je le dis aussi sur d'autres produits phytosanitaires parce qu'il n'y a pas que le glyphosate dans la vie. Vous savez qu'il y en a plusieurs centaines des produits chimiques utilisés dans l'agriculture et d'ailleurs dans d'autres domaines aussi. Et en même temps, on regarde filière par filière et on va signer des contrats de filières dans les mois qui viennent, par exemple la filière viticole. Vous savez que moi, je suis élu d'un département viticole, la Loire-Atlantique. Sur les fameuses cartes, la Loire-Atlantique et la Gironde c'étaient les deux cartes où on en achetait le plus de glyphosate. C'est les endroits où on va commencer par sortir du glyphosate.

RENAUD DELY
Donc en 2021, il y aura donc des exceptions. Ce ne sera pas une sortie à 100 %.

FRANÇOIS DE RUGY
Nous verrons ce que nous aurons pu faire avec les filiales. Et je vous rappelle que nous avons dit et que c'est toujours valable, que s'il y avait des filières qui ne jouaient pas le jeu, parce que je ne suis pas naïf, qui se diront : « On attend dans trois ans et on verra bien », nous avons toujours l'idée qu'il peut y avoir une loi qui là cette fois-ci interdira définitivement le glyphosate.

RENAUD DELY
En 2021.

FRANÇOIS DE RUGY
Vous voyez que nous allons loin…

RENAUD DELY
Une loi couperet. Une loi couperet en 2001.

FRANÇOIS DE RUGY
C'est ce que nous avons dit lorsqu'il y a eu les débats à l'Assemblée nationale sur ce sujet. Et donc vous voyez bien que c'est un volontarisme, un esprit de travail en commun avec les filières agricoles. Vous savez, il n'y a rien de pire que les mesures qu'on décide dans un bureau d'un ministère, et puis on ne se préoccupe qu'après de comment on va les mettre en oeuvre. On nous l'a assez reproché et je crois que c'est aussi quelque chose qui revient beaucoup dans le Grand débat. Des mesures un peu technocratiques, un peu administratives où on se préoccupe après avoir pris la mesure de la façon dont on va la mettre en oeuvre. Nous, on le fait en même temps. (…)

RENAUD DELY
François de RUGY, à l'initiative du PS 14 partis politiques ont lancé un appel à se réunir partout en France mardi prochain à 19h00 pour dénoncer la montée de l'antisémitisme, le Rassemblement national n'a pas été invité à participer à ce rassemblement, à cet appel, est-ce qu'il faut inviter Marine LE PEN ?

FRANÇOIS DE RUGY
Moi je ne suis pas chef de parti et je ne veux pas commencer à commenter les initiatives des partis. Ce que je sais c'est que quand j'étais président de l'Assemblée nationale, j'avais réuni tous les groupes parlementaires, le Front national n'a pas de groupe parlementaire, enfin ou le Rassemblement national n'a pas de groupe parlementaire, mais j'avais réuni tous les groupes parlementaires dans un appel commun à manifester après la mort criminelle de Mireille KNOLL, donc voyez que je pense qu'il faut toujours oeuvrer au rassemblement le plus large contre l'antisémitisme, après…

RENAUD DELY
Y compris avec le Rassemblement national ?

FRANÇOIS DE RUGY
Mais vous savez quand même que l'extrême droite française a aussi une tradition qui est souvent d'avoir été ambigüe, voire plus, sur la question de l'antisémitisme.

JEROME CADET
Est-ce qu'il l'est toujours aujourd'hui ?

FRANÇOIS DE RUGY
Je crois que quand on voit l'histoire de la famille LE PEN, qui est indissociablement liée à celle du Front national, et aujourd'hui du Rassemblement national, on voit bien que la famille LE PEN a toujours été extrêmement ambiguë, Jean-Marie LE PEN lui-même a été condamné d'ailleurs pour des propos antisémites.

RENAUD DELY
Dans le climat politique actuel, depuis le mouvement des gilets jaunes, et en marge du mouvement des gilets jaunes, on a vu des violences, des casseurs, et puis on a vu aussi un certain nombre d'élus qui ont été menacés ces dernières semaines, il y a d'ailleurs eu l'ensemble des groupes à l'Assemblée nationale qui ont manifesté leur solidarité, notamment avec le président de l'Assemblée nationale Richard FERRAND, et contre l'ensemble de ces menaces. Hier il y a un élu, Alain JUPPE, qui a annoncé, à Bordeaux, qu'il quittait la vie politique évidemment pour rejoindre le Conseil constitutionnel, et voici comment il qualifie le climat politique actuel.

ALAIN JUPPE, MAIRE SORTANT DE BORDEAUX
La vie politique est, comme toujours, un combat, j'ai aimé livrer ce combat, et je l'ai fait pendant plus de 40 ans, aujourd'hui l'envie me quitte, tant le contexte change, l'esprit public est devenu délétère.

RENAUD DELY
Il est délétère aujourd'hui l'esprit public, François de RUGY ?

FRANÇOIS DE RUGY
Ah oui, c'est évident, et j'avais eu l'occasion d'ailleurs d'en parler avec Alain JUPPE il y a à peine un mois lorsque j'étais allé à Bordeaux, et partout en France on voit… et moi je le vois monter d'ailleurs depuis plusieurs années, une violence verbale, parfois aussi physique, et maintenant c'est peut-être là qu'on a franchi un cap, des attaques contre les élus, particulièrement contre les députés, et particulièrement contre les députés de la majorité. J'aurais aimé d'ailleurs qu'il y ait la même unité de tous les responsables politiques quand c'était des députés et quand ce n'était pas le président de l'Assemblée nationale, quand c'est des responsables politiques qui étaient agressés chez eux, et qu'on ne minimise pas la violence qui est actuellement à l'oeuvre, non seulement lors de certaines manifestations, mais aussi lors de certaines attaques ciblées, parce que ce sont des attaques ciblées, contre des députés, donc des gens qui ont été élus, qui ont été choisis par le peuple et qui ont été…

RENAUD DELY
Vous visez qui ?

FRANÇOIS DE RUGY
Vous le savez bien, il y a une forme, chez certains, je pense notamment au mouvement de Jean-Luc MELENCHON, et à Jean-Luc MELENCHON lui-même, il y a une forme de mansuétude, en tout cas on trouve ça moins grave quand c'est des gens qui sont dans le mouvement des gilets jaunes, ou quand ils s'attaquent à des gens de la majorité. Et puis même moi je vois, sur Facebook, sur Twitter, des commentaires de gens qui disent, à visage découvert, « ils l'ont bien cherché », « ah ben oui, mais qui sème le vent récolte la colère », etc., etc. alors qu'on devrait toutes et tous, mais dans tous les cas de figure, condamner les violences quelles qu'en soient les cibles. Moi quand j'étais président de l'Assemblée nationale j'ai défendu les députés quelle que soit leur couleur politique, qu'ils soient France insoumise, de gauche, de droite, de la majorité, de l'opposition, ou même du Rassemblement national, je les ai toujours défendus lorsqu'ils étaient victimes d'attaques.

RENAUD DELY
Hier le Parlement européen a adopté une motion qui ne vise pas spécifiquement la France, mais qui condamne le recours à certains types d'armes à létalité réduite par les forces de police, et qui appelle les forces de l'ordre à une répression toujours proportionnée. Evidemment les LBD sont notamment concernés par cet appel. Est-ce que la stratégie de répression policière ne participe pas à la dégradation de cet esprit public en France ?

FRANÇOIS DE RUGY
Il ne faut pas inverser les choses…

RENAUD DELY
Là c'est une condamnation du Parlement européen, François de RUGY.

FRANÇOIS DE RUGY
Oui, mais enfin là c'est un peu facile si vous voulez. Si on vous demande, Monsieur DELY, est-ce que vous êtes pour une riposte proportionnée, eh bien vous direz oui, évidemment…

RENAUD DELY
Vous auriez voté ce texte au Parlement européen ? 438 députés ont voté pour.

FRANÇOIS DE RUGY
Je n'en sais rien, je l'aurais regardé, mais c'est un peu Monsieur de La Palice. Est-ce que les forces de police doivent faire un usage proportionné de la force ? Evidemment.

JEROME CADET
Enfin là il condamne le recours à des armes dont font partie les LBD.

FRANÇOIS DE RUGY
Oui, mais enfin ce qui aurait été intéressant c'est que le Parlement européen se prononce justement sur la montée des violences, et le Parlement européen qu'il défende, comme le fait d'ailleurs l'Assemblée nationale en France, les policiers et les gendarmes, de tous les pays d'Europe, lorsqu'ils sont agressés, et je ne sais pas si…

RENAUD DELY
Cette motion évoque aussi le fait que les forces de l'ordre sont agressées…

FRANÇOIS DE RUGY
Ah, quand même !

RENAUD DELY
Mais elle condamne aussi clairement le recours massif aux gaz lacrymogènes par exemple, et on a vu en France que les gaz lacrymogènes avaient été utilisés abondamment.

FRANÇOIS DE RUGY
Oui, d'accord, mais en France, il ne faut pas inverser les choses, en France ce sont les policiers et les gendarmes, les CRS, qui sont attaqués, ils sont attaqués. L'utilisation de la force, en France, elle est faite en riposte, elle est faite en défense, d'ailleurs on dit des armes de défense, et nous n'utilisons pas, en France, les armes de service classiques, les pistolets, nous n'utilisons plus, alors que ça existait à une époque, des balles en caoutchouc, de plus petite taille, qui peuvent faire beaucoup plus de dégâts, et donc cela fait quelques années qu'il y a d'autres moyens de défense qui sont employés. J'entends certains dire il vaudrait mieux utiliser les canons à eau, alors vous savez, les canons à eau, on les utilise d'ailleurs un peu en France aussi, si on utilise des canons à eau on dit bien canons à eau, ce n'est pas des tuyaux d'arrosage pour arroser ceux qui passent par-là, donc vous savez ça fait aussi, dans ces cas-là, des risques de blessures. Simplement le problème il est d'abord dans la violence, dans les manifestations.

RENAUD DELY
Mais cette condamnation du Parlement européen, elle vous choque ?

FRANÇOIS DE RUGY
Non, mais je trouve que c'est une façon de s'insérer, comme ça, dans un débat, d'ailleurs ça marche bien, parce qu'on en parle, voyez, en France, alors que sans doute que les gens qui ont voté ça ils n'ont pas tellement connaissance de ce qui se passe actuellement dans notre pays, ils ne sont pas venus voir les députés européens qui sont… et si demain on allait voir ce qui se passe dans d'autres pays d'Europe, on aurait peut-être un jugement aussi trop hâtif. Ce qui est clair c'est que, malheureusement, dans notre pays, il y a une montée des violences dans les manifestations, ce n'est pas nouveau, souvenez-vous le 1er mai en 2018, c'était bien avant la question des gilets jaunes, en 2016 la loi El Khomri, et il faut, pour cela, avoir des moyens pour avoir l'ordre public, et d'ailleurs pouvoir manifester tranquillement et en sécurité dans notre pays.

JEROME CADET
Merci à vous.

FRANÇOIS DE RUGY
Merci.

JEROME CADET
François de RUGY, ministre de la Transition écologique et solidaire, invité de France Info ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 février 2019