Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances, à RTL le 7 juin 2019, sur une affaire de faux steaks hachés et sur le projet de fusion entre Renault et Fiat Chrysler.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

YVES CALVI
C'est donc un nouveau scandale alimentaire que vous a révélé RTL ce matin, dont les victimes sont les plus démunis des Français : 750 tonnes de faux steaks hachés ont été livrés aux Restos du Coeur, à la Croix-Rouge, au Secours populaire et aux banques alimentaires. Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour.

YVES CALVI
Merci beaucoup être avec nous ce matin en direct dans ce studio. Vous êtes la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie. On va revenir un peu en arrière : comment l'alerte a-t-elle été donnée ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce sont les associations qui justement ont été très réactives, parce qu'elles se sont aperçues que l'aspect de ces steaks hachés n'était pas naturel, et elles nous ont prévenus, et ça nous a permis ensuite de le lancer des contrôles. Et je veux vraiment les saluer parce que grâce à ça, ça montre qu'elles ne sont pas seulement dans la quantité, la distribution, mais également dans le fait qu'on peut être une personne précaire et avoir droit à une certaine dignité. Et quand on livre un steak, on mange un steak.

YVES CALVI
Et ça veut dire que donc ils font attention à ce qu'ils délivrent à ceux qui, à qui ils viennent en aide.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Exactement.

YVES CALVI
Après analyse on se rend compte qu'il y a tout sauf de la viande dans ces steaks hachés : du gras, de la peau d'animaux, du soja. Il est important de préciser que les consommateurs n'ont pas été malades et que cette viande n'était pas dangereuse, nous sommes bien d'accord, vous nous le confirmez ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.

YVES CALVI
On parle bien d'entreprises qui auraient remporté un appel d'offres, que vous, vous aviez lancé. Elles n'avaient soulevé aucun soupçon ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, parce que ce sont des entreprises en fait qui passent par des courtiers, donc c'est assez classique dans ce métier-là, et surtout c'est ce qu'on a, ce qui explique qu'on a fait une longue enquête. Il y a un certain nombre d'intermédiaires, qui fait qu'on masque un petit peu l'origine de la viande et c'est pour ça que nous venons de lancer une alerte au niveau européen pour que le fournisseur final, qui est polonais, soit également contrôlé par les autorités polonaises, et qu'on puisse travailler avec les autorités polonaises pour prolonger le plus loin possible l'enquête.

YVES CALVI
Ça veut dire qu'on masque l'origine par les différents intermédiaires, c'est ça ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, ça veut dire qu'il y a un flou qui est entretenu savamment par les intermédiaires, et qui, sans mentir, laisse penser que c'est français, c'est correct, et ce que je veux dire ici, c'est que c'est très choquant comme approche et le fait aussi de rendre public et transparent ce sujet, c'est un message qui est envoyé aux entreprises, c'est-à-dire que c'est du pénal, on va jusqu'à 2 ans de prison, c'est plus d'un million d'amende, on va transmettre au procureur et il est hors de question que ce type d'attitude se reproduise.

YVES CALVI
Donc vous nous annoncez des poursuites judiciaires, on l'a compris, très fermes ce matin, mais excusez-moi, est-ce qu'il n'y a pas moyen d'exercer tout simplement des contrôles avant de se retrouver dans des situations pareilles ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
En tout état de cause c'est ce qu'on a fait, puisque dès que l'on a eu un doute sur la marchandise, on a exercé des contrôles, on a bloqué la distribution, on a fait suspendre la distribution par les associations qui ont complètement joué le jeu, et donc vous avez 700 tonnes dans les frigos de ces steaks, et encore une fois c'est important de le dire, ces steaks sont consommables, c'est juste, c'est juste et c'est beaucoup, de la tromperie sur la marchandise. On se moque du monde.

YVES CALVI
Voilà, c'est juste pas des steaks hachés, pour dire la chose simplement.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Voilà, ce n'est pas la définition du steak haché. Il y a quand même de la viande, il y a beaucoup de viande dedans, mais ce n'est pas la définition du steak haché. Tout à fait.

YVES CALVI
Vu l'ampleur de la fraude, Agnès PANNIER-RUNACHER, est-ce qu'on est sûr qu'on ne retrouve pas ces mêmes steaks hachés, tout simplement dans la distribution et dans nos magasins ? Parce qu'on se dit que tout est possible.

AGNES PANNIER-RUNACHER
De toute façon, lorsque vous avez ce type de signalement, ce que vous faites c'est une enquête tout azimut, pour vérifier tous les circuits, d'où cette fraude, d'où ce signalement européen, pour vérifier tous les circuits du fournisseur polonais.

YVES CALVI
1 500 tonnes pour une valeur de 5,2 millions d'euros, ça fait un peu moins de 3,50 € le kilo, un prix évidemment extrêmement faible par rapport au marché. Est-ce qu'on ne peut pas dire qu'on a pris un risque tout simplement en achetant à ce prix-là ? Et est-ce que le gouvernement peut être entaché de responsabilité, je dirais en contribuant à discuter les prix à ce point ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne crois pas, je crois que c'est notre travail de passer des appels d'offres qui permettent de répondre à une demande forte. Mais là où on doit maintenant progresser, c'est effectivement faire en sorte que les appels d'offres soient de plus en plus contraints et qu'on n'exerce une pression très forte sur les entreprises. En l'occurrence je le redis, dès qu'on a eu le signalement, on a bloqué, on poursuit l'entreprise, on va assez profondément dans l'enquête, et je crois que c'est notre rôle de protection des consommateurs et de protection des plus précaires.

YVES CALVI
L'entreprise a quand même écoulé 780 tonnes de cette viande, ce qui veut dire…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, ça on ne sait pas, c'est-à-dire les 780 tonnes…

YVES CALVI
La quantité totale, on ne la connaît pas ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Si, on connait la quantité totale.

YVES CALVI
Eh bien voilà.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais ce que l'on ne sait pas, c'est si les 780 tonnes ne sont pas des tonnes parfaitement correctes. Nous on a réagi à partir du moment où la marchandise ne semblait pas conforme.

YVES CALVI
Alors, tout cela est fabriqué en Pologne, pour faire baisser les coûts de production et pour augmenter sa marge, je parle de l'entreprise bien entendu, qui est à l'origine de ce scandale. Ça se fait sur le dos des plus démunis, j'imagine que vous êtes extrêmement choquée, vous l'avez exprimé au début de cet entretien, vous nous avez annoncé des poursuites judiciaires. L'Etat sera partie prenante ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bien entendu. Très clairement. Je veux dire, aujourd'hui notre rôle c'est de la protection des consommateurs, et c'est la lutte contre la fraude, et c'est le fait de poursuivre toute entreprise qui ne joue pas le jeu, parce que quelque part elles sont dans la concurrence déloyale avec les entreprises qui jouent le jeu, donc c'est même une fraude économique vis-à-vis des entreprises qui livrent du steak haché, qu'il y ait du steak haché.

YVES CALVI
Y-a-t-il moyen d'une quelconque façon que ce soit la DGCCRF ou vos services, de mener l'enquête aussi en Pologne aujourd'hui ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
En fait, lorsqu'on fait un signalement au niveau de l'Union européenne, on transmet aux autorités polonaises tous les éléments, et on fait l'enquête de concert. Eux-mêmes disposent de pouvoirs d'investigation qui sont plus poussés que les nôtres, et ça permet d'aller très profond dans la recherche des responsabilités. Et ça fonctionne très bien aujourd'hui, et c'est pour ça qu'au niveau européen nous on pousse pour avoir des enquêteurs qui soient complètement intégrés au niveau de l'Union européenne.

YVES CALVI
Donc l'affaire finira en justice et on le rappelle, en revanche, cette viande n'était pas dangereuse à la consommation, c'est important de le dire aussi aux auditeurs de RTL ce matin, c'est une question de qualité.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, question de qualité, tromperie à la marchandise.

YVES CALVI
Agnès PANNIER-RUNACHER, il y a un autre dossier d'importance évidemment dans notre actualité économique, et il vous concerne lui aussi, c'est celui du projet de fusion entre RENAULT et FIAT CHRYSLER. Qui est responsable de l'échec des négociations ? Pour les Italiens, on le sait très bien, ça ne fait pas de doute, c'est la faute du gouvernement français, et je cite, de son interventionnisme. Je vous vois sourire.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je souris parce que nous avons accueilli avec une grande ouverture la sollicitation de FIAT CHRYSLER pour ce projet de fusion. On a posé quatre conditions qui nous sont des conditions qui étaient, je dirais, favorables à RENAULT et qui visaient à préserver les intérêts industriels de RENAULT. Ces quatre conditions c'était : la réalisation de l'opération dans le cadre de l'alliance, la préservation des emplois et des sites, une gouvernance équilibrée, la participation au projet batteries électriques. Je note que trois des conditions étaient satisfaites, les trois dernières, et que ça a achoppé sur le fait qu'il y ait un avis franchement positif de la part de NISSAN sur ce projet. Pardon, mais lorsqu'on est dans une alliance avec un partenaire stratégique, ça me paraît la minimum des conditions. Et le fait que FIAT retire son offre face à ça, c'est un choix de FIAT, je le respecte, mais je crois que nous avons joué notre rôle d'actionnaire professionnel, soucieux des intérêts industriels de RENAULT.

YVES CALVI
C'est étrange. Vous êtes un gouvernement pro-business au sens le moins péjoratif du terme, si je puis dire, et en même temps vous comprenez que d'une certaine façon vous faites fuir des Italiens de l'Alliance parce qu'ils ont peur que vous soyez trop interventionnistes. Comment on réconcilier les deux ? Parce qu'il y a un moment où il faut faire un choix.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne crois pas que ce soit le sujet, précisément, je pense que là pour le coup on a une attitude extrêmement professionnelle, à la fois constructive, et très professionnelle, en disant : on est dans une alliance avec un partenaire stratégique, il est important que ce partenaire stratégique valide cette alliance en pleine confiance, et il n'y avait pas, moi j'ai fait pas mal de d'opérations dans le privé, il n'y avait pas d'urgence. Vous avez des opérations où vous avez une urgence de restructuration financière, etc. Là, demander quelques jours supplémentaires pour recueillir de manière ferme le soutien des Japonais, ne posait pas de problème. Après moi je comprends parfaitement...

YVES CALVI
Comment expliquez-vous du coup la décision des Italiens ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Cette décision leur appartient, et elle n'est peut-être pas définitive, mais en tout état de cause, je crois qu'on a joué notre rôle et vraiment je le dis avec beaucoup de fermeté, on a joué notre rôle…

YVES CALVI
On peut se rabibocher ? Non mais c'est important ce que vous venez de nous dire, enfin ce n'est pas une formule générale que vous venez d'employer, vous pensez que la fusion est encore possible, à court ou moyen terme ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense que rien n'interdit à FIAT de revenir à la table des négociations. Rien ne lui interdit, et je pense également…

YVES CALVI
Vous le souhaitez ? Est-ce que vous le souhaitez ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, je pense que RENAULT, c'est un projet industriel intéressant, maintenant RENAULT sur ses fondements propres est un des grands groupes mondiaux dans le cadre de l'alliance, et il a des atouts suffisamment forts pour pouvoir vivre sans cette sans cette alliance. Mais si cette alliance permet de le renforcer, on l'accueillera encore une fois positivement. Mais encore une... il ne l faut pas qu'il y ait, dans les opérations de fusions/acquisitions, il ne faut pas qu'il y ait des soupçons, pas des soupçons, ce n'est pas le bon terme, mais il faut que les choses soient bien posées dès le départ. Quand vous faites un mariage, il faut que vous soyez, enfin, serein sur votre fiancé. Ça parait très logique.

YVES CALVI
Et accessoirement, et un bon contrat de mariage.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et un beau contrat de mariage.

YVES CALVI
Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER d'être venue commenter cette double actualité ce matin sur l'antenne de RTL. Je précise que Bruno LE MAIRE doit se rendre au Japon pour, bien entendu, discuter aussi avec nos, enfin la partie japonaise, bien entendu, dans ce dossier.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 juin 2019